Quand Anita s’était présentée devant Pepper ce matin-là, sa mentor n’avait pas eu besoin de voir son sourire et l’expression de son visage pour comprendre pourquoi elle était là et de quoi ce jour nouveau serait fait.
Elle avait tout de même prononcé les fatidiques mots -

— Je suis prête !

Ne l’avait-elle pas toujours été ?

Son lien avec le Dieu Anaconda avait toujours été si fort. Des premiers récits à son sujet, puis sa première rencontre avec son éternelle figure – elle avait su qu’elle suivrait ses pas, avait rapidement noué prouesse avec elle-même de rejoindre ses rangs au plus tôt. De célébrer sa première année en passant son épreuve.
Son mentorat avec sa tante avait légèrement changé ses plans mais les choses n’en avaient été que bénéfiques – Kiro lui avait tout de même réservé une petite surprise d’anniversaire, et l’entraînement auprès de sa mentor s’était révélé on ne peut plus fructueux.
Ce jour-là, quand ensemble elles s’étaient effondrées après une lutte épuisante, elle avait su que cette fois le jour était imminent. Et il l’aurait été si une myriade d’évènements n’était pas venue troubler leurs horizons.
Le drame venu frapper le lendemain. La déstabilisation qui avait suivi. Le départ d’Alex, les doutes, puis l’attaque du grand monstre à la Moere – tant d’imprévus qui l’avaient poussée à repousser l’un des jours qu’elle attendait avec le plus d’impatience. Car avant tout il était important qu’elle soit au meilleur de sa forme, tant physique que mentale. Les choses devaient cesser de s’agiter autour d’elle et revenir en place.
Axie était revenue.
Et cela avait été comme un signal.
Une preuve qu’à nouveau et pour de bon, le temps était venu.

Et cette fois-ci elle saisirait sa chance avant qu’elle ne prenne le risque de se dissiper encore.

• • •

Le chemin jusqu’à la Moere lui parut plus long que d’habitude – probablement était-ce dû à l’impatience et si elle avait été seule, c’était sans doute en courant à grandes foulées qu’elle aurait rejoint le temple de Kiro.
L’attaque du grand prédateur venu du Nord n’avait aucunement changé sa perception du marais si cher à son cœur. C’était encore avec un soupir de soulagement qu’elle posait pattes parmi ces arbres tortueux et emplissait ses poumons de l’air vivifiant, qu’elle ouvrait ses oreilles à la symphonie mélodieuse de la vie, qu’elle avançait sans crainte vers le cœur du territoire. Grâce aux soins appliqués des panseurs de la meute et au repos forcé l’adolescente s’était bien remise et ne conservait que de rares traces de sa mésaventure.
Enfin, il y avait toujours les ailes ; apparues ce jour-là et qui pour le moment restaient accrochées à son dos, elle qui avait pensé les voir disparaître dès son réveil au lendemain de l’incident.

Pour cela aussi elle devrait remercier Kiro.

Un sourire fluet sur les babines et l’esprit grouillant de pensées diverses, les deux louves s’enfoncèrent de plus en plus profondément, Anita trottinant en tête d’un rythme soutenu.
Plus elles approchaient, plus sa foulée s’accélérait et devenait légère – plus elle en oubliait pratiquement la présence de sa tante sur ses talons.

Lorsque la silhouette sinueuse de l’Arbre aux Serpents se dessina finalement dans la lumière, la jeune hybride ne put contenir la poussée d'énergie qui la fit galoper jusqu’à l’entrée en agitant ses légères ailes dans son dos, volant à moitié à travers la Moere.
Faisant halte au pied de l’arbre elle prit le temps de le parcourir de ses yeux émerveillés – c’était loin d’être la première fois qu’elle le contemplait, mais il prenait aujourd’hui une dimension toute particulière.
Quand elle émergerait de son tronc creux, elle serait porteuse de son glowstick.

Elle devait y aller. Maintenant.

Son corps dicta de lui-même ses actions, comme guidé par un instinct supérieur – vivement elle se retourna vers Pepper qu’elle savait encore un peu plus loin, ne l’ayant pas encore tout à fait rattrapée après son pic incongru de vitesse.

— Il m’attend Tante Pep’, j’dois y aller ! A tout de suite !

L’excitation la faisait pratiquement retomber en enfance.
Elle bondit sans même attendre une réponse de sa mentor, un large sourire fendant sa gueule alors qu’elle se lassa avaler par le passage humide et obscur.
Ses pas la menèrent sans hésitation le long du tunnel aux pleines odeurs de terre mouillée et de minéral jusqu’à ce qu’elle émerge dans la salle baignée de lumière dorée.

— Kiro, je suis là ! C’est le moment, cette fois.

Elle s’exclama d’une voix forte et s’interrompit brièvement, sa queue ondulant derrière elle avec légèreté, mimant inconsciemment les gestes des serpents qu’elle s’était tant de fois amusée à imiter. L’adolescente se pencha pour venir frotter son museau contre le rebord rugueux de la fontaine, un sourire malicieux plissant le coin de ses yeux – quel suspense elle faisait durer !
La suite de sa demande vint dans un chuchotement murmuré en secret au liquide fluorescent et paisible.

— Je viens passer ton épreuve.

Elle se recula ensuite d’un bond vif pour assister d’un meilleur point de vue à la suite du spectacle qu’elle savait imminente – quand la statue s’animerait d’une manière ou d’une autre et que la présence du Dieu viendrait envahir cet espace.
La jeune louve se remémora un dernier détail avant l’instant fatidique, ouvrant des yeux ronds.

— Oh ! Et merci pour les ailes, au fait. Ça m’a été… utile.

Le cuir noir se déploya dans un doux bruissement et elle les agita une fois ou deux avant de les replier, le sourire ne s’effaçant pas une seule fois de son visage.
L’émerveillement dans ses yeux pareil à celui de sa première venue en ces lieux.

Et son cœur qui battait si fort, fort ; non pas d’appréhension car elle n’avait pas de doute sur l’issue de cette entrevue.
Seulement de bonheur à l’idée de venir enfin accomplir ce qu’elle s’était sentie apte à faire depuis de nombreux mois.

Et il apparut, son Anaconda, toujours aussi fascinant que dans ses souvenirs.

L’adolescente gloussa à sa remarque qu’elle savait simple plaisanterie, frissonna de sentir le corps divin s’envelopper autour du sien et la baigner de cette drôle de chaleur qui pas si éloignée de la caresse du soleil sur sa peau, se tordit le cou pour ne pas le perdre des yeux alors qu’il jouait de ses ailes.
Elle ne put que hocher la tête d’un geste enthousiaste sans chercher à retenir le large sourire qui barrait sa gueule lorsque Kiro mentionna son épreuve – son impatience était bel et bien une évidence.
Ses yeux brillèrent d’une surprise ravie lorsqu’entre ses longues pattes la silhouette d’un colibri aussi jaune que dans ses souvenirs prit forme.

Bien sûr, qu’elle le reconnaissait ! Et elle était heureuse de le voir aussi vif. Son regard suivit les quelques mouvements de l’oiseau miniature, nota la rapidité et la subtilité de son vol tandis qu’il lui tournait autour à la manière d’un petit satellite – avant de quitter le temple à tire d’ailes.

Aux paroles de son Dieu annonçant son épreuve les traits de la louve se froncèrent à chaque mot, ne chassant aucunement son sourire mais aiguisant son expression d’une détermination farouche.
Brillait dans l’améthyste le feu de milles astres, battait dans sa poitrine un tambour furieux prêt à jouer un rythme endiablé.
Kiro la retint avant que le ressort tendu qu’était son corps ne se relâche d’un bond à la suite du colibri devenu vif d’or, la louve tourna sur lui un regard pétillant et rendu presque froid par l’impatience de se lancer à la poursuite de son objectif, sa longue queue ondulant derrière elle.
Naquit devant elle une copie quasi conforme de sa propre personne, une louve de lumière se détachant de son corps pour venir s’étirer sous son nez.
Kiro la présenta en tant que Kiranita, parfait mélange de leurs deux substances – quoi de mieux pour incarner celle qui serait coriace adversaire pour son épreuve ?
Guettant ses mouvements fluides et fantomatiques elle en copia la posture derrière la ligne de départ, un large sourire mêlant son impatience et son envie de triompher imprimé sur son museau.

Et après quelques derniers mots de mise en garde qui allumèrent un éclat vif dans ses prunelles – le départ fut donné comme un coup de tonnerre.

D’un mouvement parfaitement synchrone avec le souffle du Dieu, la double s’élança avec une fraction de seconde d’avance qui lui suffit pour se propulser en tête dans le tunnel débouchant sur la Moere, la mortelle férocement collée à ses trousses.
Pareilles à deux étoiles filantes prêtes à exploser lors d’un impact elles surgirent dans la Moere, bousculant presque Pepper qui jusque-là l’avait attendue près du tronc éventré – Anita n’eut que le temps de lui adresser l’esquisse d’un clin d’œil avant de disparaître à la suite de son clone, engloutie par la dense et familière végétation des marais.
Les lianes fouettaient son visage, les branches griffaient son corps et parfois s’accrochaient à ses cheveux – mais quel que soit l’obstacle qui tentait de se dresser sur son chemin la louve le survolait sans même y penser, laissant libre cours à la cadence folle qui rythmait ses foulées et la portait de l’avant.
Ses yeux violets n’avaient qu’un seul objectif qu’ils suivaient sans jamais s’en détacher : le point jaune brillant comme un petit soleil au-dessus de leurs têtes, trop loin pour espérer l’atteindre d’un bond, suffisamment proche pour continuer à courir à sa suite.

Mais comme l’Anaconda n’avait osé lui rendre la tâche trop aisée, la plus tenace ombre au tableau demeurait la silhouette fluide de Kiranita ouvrant la route et grappillant quelques centimètres d’avance à chaque nouvelle seconde de course, Anita ne pouvant pour le moment que suivre dans son sillage.
Mais Anita n’était pas une suiveuse.
Ses pupilles fusèrent de part et d’autre des troncs défilant en tâches floues et colorées autour d’elle et l’instant d’après elle avait quitté le chemin tracé par l’adversaire, se détachant temporairement du repère du colibri.
Si pour le moment elle ne pouvait prendre le dessus par les chemins de la terre, elle s’élèverait plus haut que son adversaire.

Remontant sans ralentir l’allure un tronc noueux se tordant vers la canopée, la louve se sentait autant – si ce n’est plus – à l’aise de prendre de la hauteur que de rester dans l’obscurité des basses branches et de la végétation épaisse et contraignante. Depuis sa plus tendre enfance il n’avait jamais été question de se morfondre sur l’absence d’ailes comme celles de sa sœur ou de sa mère ; sans s’en soucier elle avait choisi d’aller côtoyer les cieux en de multiples acrobaties.
Mais aujourd’hui, elle avait des ailes.

Les fines membranes se déployèrent en un claquement sec de part et d’autre de son corps aux muscles galbés.
Elle savait qu’elle prenait un pari risqué, Anita.
Depuis le jour où la longue et étroite paire s’était matérialisée sur son dos, elle ne s’en était resservi que dans de simples exercices d’échauffement et d’appréhension de leur présence. Jamais elle ne s’était de nouveau jetée dans le vide, volontairement, pour se laisser porter avec.
Mais elle avait confiance, car ces ailes étaient cadeau divin et non don de la nature. Parfaitement adaptées à la silhouette qu’elle s’était déjà constituée pour lui permettre d’atteindre les sommets.

La jeune hybride avait déjà atteint une certaine hauteur dans son parcours atypique de branches et de routes entrecroisées mais la vitesse n’était pas encore suffisante. Un coup d’oeil à droite, à gauche ; juste le temps de retrouver trace du colibri, puis d’une embardée sur le côté la voilà en train de fendre les airs. Comme lors de ces nuits passées aux côtés de sa soeur dont la vaste silhouette se glissant dans la brise faisait siffler l’atmosphère.
Un battement d’ailes la fit prendre un virage serré autour d’un tronc à l’allure ancienne ; entre les branches de l’étage supérieur brillait un petit soleil - le repère qu’elle suivait et qui filait de l’avant.

Deux mètres, cinq mètres, dix mètres.

Aidée des ailes aux couleurs de la nuit repliées dans une position de piqué et des bonds qu’elle faisait en reprenant appui sur un obstacle dès que possible, la jeune louve atteignait des records de vitesse qui étiraient sur son visage un long sourire satisfait. Elle se voyait déjà empoigner la victoire en quelques minutes.
Mais quelqu’un n’était pas tellement de cet avis.

L’impact lui vint de côté, bien trop furtif et efficace pour qu’elle ne puisse le voir et l’anticiper. C’était un éclair jaune qui la frappa et l’arracha à sa cavalcade céleste, la propulsant dans la boue en une grande gerbe et une brève injure lâchée sous le coup de la frustration. La louve roula, roula encore - puis freina en rassemblant ses quatre pattes sous son corps et d’une impulsion elle se laissa déjà repartir, car aujourd’hui il était hors de question de perdre une seule seconde à flâner, aujourd’hui la performance était importante et l’échec proscrit, aujourd’hui l’acte de sa rivale pour la freiner la fit siffler de colère quand d’habitude elle aurait plutôt ri puis félicité la réussite.
Louvoyant quelques mètres devant elle elle vit la silhouette de Kiranita se fondre à nouveau dans les marais, reprenant elle aussi la poursuite une fois son méfait accompli, vicieuse comme Kiro avait prévenu.
C’est de penser à lui qui ramena un sourire confiant et rieur sur ses babines. Elle ne se laisserait pas faire. Si son Dieu avait décidé de la confronter à son propre clone, c’est qu’il savait qu’elle pouvait se surpasser elle-même.

La course reprit de plus belle, sauvage et rythmée. Sauts, glissades, foulées, halètements s’enchainaient au rythme endiablé comme celui d’une chasse à l’issue mortelle ; aucune des deux ne semblait vouloir lâcher l’affaire. A chaque fois qu’Anita se rapprochait de sa copie fluorescente celle-ci agitait sa longue queue de mouvements qui lui étaient bien familiers et qu’elle esquivait avec aisance - mais cela n’avait de cesse de la ralentir, encore.
Elle serra les crocs et laissa un feulement s’échapper de sa gorge. La fatigue commençait à la gagner - même lors de ses courses les plus folles, seule ou avec Alexandrine, elle avait rarement eu besoin de tenir le rythme sur une aussi grande distance. L’air qui avait de plus en plus de mal à se frayer un chemin lui brûlait la gorge et la poitrine mais même si elle sentait la complainte de ses muscles tiraillés par l’effort - elle refusa de céder le moindre centimètre de terrain à son clone divin.

Et comme mu par une volonté de pimenter un peu l’épreuve, c’est ce moment que choisit le colibri pour bifurquer sans sommation dans un virage à angle droit, obligeant les deux concurrentes à glisser sur le sol humide dans un mouvement parfaitement synchronisé pour les réaligner au nouvel axe de la poursuite.
Puis de plus belle elles repartirent, leurs yeux se croisant un instant - le violet brillant de détermination contre un jaune sans expression.
Rétablies sur un plan d’égalité les deux louves couraient désormais côte à côte à une vitesse équivalente, leurs épaules s’entrechoquant régulièrement dans une tentative de jeter l’adversaire hors du chemin sans qu’aucune des deux ne parvienne à tirer son épingle du jeu - mais un rapide coup d’oeil vers le chemin qui se déroulait sous leurs pattes donna à Anita l’idée qui, elle le savait, lui apporterait la victoire.
Imperceptiblement elle ralentit sa foulée, laissant à Kiranita le loisir de la doubler vivement - elle crut presque saisir sur son visage immuable l’ombre d’un sourire moqueur et mauvais.

Pour sa double qui encore une fois prenait la tête la victoire sonnait probablement déjà d’un clairon assuré.

C’est ce que tu crois.

Une inspiration, brève mais profonde.
Et un nouveau claquement de cuir qui résonna entre les branches basses tandis que se déployait la silhouette atypique des ailes en auréole au-dessus de ses épaules.

Plus loin sur leur parcours s’était dessinée la silhouette d’un tremplin que survolerait bientôt le colibri.
Kiranita l’avait vu aussi, évidemment, et fonçait tête baissée vers le rocher pointu qui, véritable rampe de lancement, lui permettrait de s’élever dans les airs pour attraper le convoité oiseau.
Juste derrière elle, ombre dans les ombres, Anita laissa entre leurs deux corps l’espace de deux foulées et retenait sa respiration pour se faire oublier. Peut-être n’aurait-elle même pas eu besoin de cet effort, car sa rivale se trouvait galvanisée par la proximité du précieux colibri : sa détente se fit plus efficace que jamais quand elle posa patte sur le rebord du rocher et se propulsa vers le haut, vers la cible dont la forme jaune se découpait désormais sur un camaïeu de vert tâché du bleu du ciel caché derrière les feuilles.
Mais Anita n’était plus dans son sillage.
A l’instant précédent, un unique mais puissant battement d’ailes l’avait aidée à atteindre une unique branche se tortillant dans les hauteurs du couloir végétal ; son propre tremplin à elle.

Sa clone avait des ailes, elle aussi, dont elle s’était servie de la même manière que sa mortelle copie au début de la partie : en guise d’appui aux aptitudes qu’elle possédait déjà, mais pas pour innover et surprendre.

Et au moment où la louve jaune s’apprêtait à remporter les honneurs, son corps élastique suspendu dans les airs à un centimètre du colibri comme dans une scène de spectacle suspendue dans le théâtre du temps ; deux paires de pattes vinrent s’écraser sur ses reins puis remontèrent sur ses épaules et sa nuque jusqu’à atteindre l’oiseau par le biais de ce pont aérien improvisé.

L’on ordonna au temps de reprendre son oeuvre, la représentation devait se conclure.

Dans un claquement sec ce furent les mâchoires d’Anita qui se refermèrent autour du colibri dans une délicate cage qui prit garde à ne pas le heurter, tandis que sous ses pattes celles de Kiranita n’attrapèrent que du vide.

Le claquement de ses crocs résonna dans la Moere dans un écho qu’elle crut capable de traverser le monde entier.
Un claquement qui signifiait victoire.

Un instant elles étaient haut dans les airs en pleine pirouette aérienne, le suivant elles retombaient toutes deux dans le temple, au pied du Dieu Anaconda. A peine le temps de lever les yeux sur son visage souriant qu’il faisait disparaître sa déloyale adversaire, celle qu’elle avait battu simplement en se surpassant elle-même.
Car si Kiranita avait été copie parfaite et coriace de la louve qu’elle était au moment où cette épreuve avait débuté, Anita elle, la vraie, n’était pas une création figée dans le temps. Elle ne cessait jamais d’évoluer, de s’améliorer à chaque instant.
Et c’était ce simple détail qui avait fait la différence et l’avait assise sur la place des vainqueurs.
Kiro récupéra son colibri, en décrocha une plume dorée sur laquelle miroitaient les couleurs de son dieu.

Et c’est sur sa tête qu’il la déposa, avec ses félicitations.
Un sourire immense et fier envahit son visage, la louve bomba le torse, et alors qu’elle s’apprêtait à le remercier- Kiro reprit la parole, soufflant sa voix d’une question énigmatique.
Elle pencha la tête à ses premières questions, l’observant de ses grands yeux curieux. Le laissa poursuivre… Avant de réprimer un hoquet de surprise. Émotions et pensées affluèrent d’un seul coup dans son cœur déjà sollicité par l’épreuve mais elles ne purent s’échapper car Kiro scella son museau d’une griffe impérieuse.

Un an… Un an pour y réfléchir.
N’avait-elle pas déjà la réponse ? Elle, spontanée comme elle était ?
Non, elle se força à se dire non.
Elle n’était plus une enfant, après tout, guidée par les sentiments immédiats et les réponses extravagantes. Le divin lui laissait un délai de réflexion et ce n’était pas pour rien, endosser un tel rôle n’avait rien d’une banalité.

Et sa mère, oui, sa mère… Ne serait-elle pas triste, de perdre sa place auprès de leur Anaconda ? Celui qui les avait vu naître au sein de sa Moere, les avait vu grandir, celui duquel elle avait tant comté d’histoires et de louanges ?

Son cœur battait si fort. D’excitation et de plaisir, de reconnaissance et d’ambition, mais aussi d’appréhension.
Au dernier clin d’œil de Kiro elle répondit par un battement de queue et le bout d’une langue qui s’échappa de ses lèvres mais elle ne fut pas capable de sortir le moindre mot avant que celui-ci ne disparaisse en milles lucioles.
Désormais seule dans le temple -enfin, pas totalement car elle savait qu’il était toujours là de toute façon, qu’il l’observait et devait bien s’amuser de son air désemparé- elle conserva le silence quelques instants supplémentaires, observant la statue, avant de finalement aller frotter son museau sur le rebord de la fontaine. Ses yeux se laissèrent absorber par le liquide à la pure couleur fluorescente avant de remonter le long de l’Anaconda de pierre, cherchant les yeux de la statue et regardant directement son Dieu à travers ceux-ci.
Dans les siens brillaient la confiance et l’assurance.

— C’est promis, je reviendrai, tu le sais bien. Je tâcherai d’être digne de toi comme de ma meute, je nous amènerai vers des jours meilleurs. Quelque soit ma réponse d’ici là… Ce sera à tes côtés, toujours.

Un dernier regard puis la louve se détacha, quittant le temple d’un pas qui avait perdu l’empressement qu’elle avait eu pour y pénétrer.
La lumière du jour tomba sur ses yeux qui se plissèrent un court instant, puis sur sa chevelure de jais, y opérant un changement.
La plume laissée par son Dieu crépita sous les rayons le touchant et elle se dissipa en une fine et jaune poussière - avant d’aller se reconstituer autour de son col en un long et fin tube transparent contenant le liquide sacré - et la plume de nouveau, contenue dans la sécurité du récipient.

Anita sourit puis chercha des yeux sa tante qui l’attendait un peu plus loin.
Tout d’abord elle ne dit rien, se contentant de la rejoindre d’une foulée souple et légère et se pressant contre elle, poitrail contre poitrail, passant sa tête par-dessus la sienne pour entremêler leurs encolures - et que là, contre la fourrure si dense de son cou elle puisse sentir s’imprimer la forme unique de l’artefact fraîchement obtenu, en sentir la chaleur émanant du Dieu jaune.

Sa queue battit l’air allègrement de quelques courbes lestes et détendues et son sourire rayonna quand elle fit chanter sa voix.

— J’ai réussi, Tante Pep.

Comme si elle ne s’en doutait pas !
Mais de la proposition de Kiro, elle ne dit rien.
Cela, c’était entre elle et elle-même.

Elle courrait Holly, elle courrait si vite à travers la Moere, tâchant de ne pas se vautrer dans la boue, pas pour des raisons esthétique mais bien par ce qu'elle se refusait à perdre une minute de plus. Sa chasse avait duré plus longtemps que prévu, le cerf chassé en groupe s'était avéré coriace et, déjà, elle s'était arrangée avec ses collègues pour ne pas avoir à ramener la carcasse au Castel et espérer assister à la fin de l'épreuve de son amie Anita.
Elle débarqua dans le temple essoufflée, sa couronne de fleur perdue dans sa course folle, quelques mèches folles de part et d'autre de son visage.
Un geignement sortit de sa gueule.

- Aaah j'ai tout loupé !

Enfin...
Un sourire éclaira cependant son visage et elle fit quelques pas vers son amie, lui offrant une accolade, retrouvant peu à peu ses esprits.

- Bravooo !

Pas de longs discours, pas de belles paroles... Juste l'expression d'une joie sincère, à la vue de l'une de celles qui comptait, arborant le glowstick convoité.
Il lui tardait de découvrir son pouvoir, à Anita, et de l'avoir pour collègue.