Komorebi - Joaquin

Il s'ennuyait un peu, Exxus.
Il fallait bien l'avouer, il n'avait plus vraiment de grands objectifs dans la vie. Ses plans de conquête ne lui paraissaient plus aussi brillants, après avoir connu la mort à cause d'eux, et si il avait eu la chance de revenir à la vie... Cela l'avait rendu un peu plus raisonnable.
Mais du coup, il se faisait vraiment chier, ouais. Étrangement, il n'était pas plus entouré que cela. Il avait perdu toute trace de sa mère, ne pouvait pas sans arrêt aller embêter Eva pour passer un moment avec elle, puisqu'elle pouvait vite s'agacer de sa présence. Il n'avait pas non plus trouvé de jolie fille avec qui passer le temps.

Le mâle mauve lâcha un soupir las.
Il n'avait plus qu'à errer, seul, désespérément seul, grimper sur cette montagne, traverser cette forêt, s'attarder quelques minutes sur la lumière du soleil filtrant entre les arbres...
Puis soupirer, encore.

- N'y a t-il donc personne pour me tenir compagnie ?

Sa présence était, pourtant, si agréable.

Depuis son installation effective à la Passe Ventue, il avait pris l'habitude de se rendre dans les Monts Célestes de manière relativement fréquente.

Cela contribuait aussi bien à maintenir son corps en forme — dans un contexte de paix relative et surtout en l'absence de combats fréquents, il fallait bien trouver un moyen de se dépenser –, l'altitude rendant l'effort plus difficile, et ça lui permettait de surveiller les frontières Etelkru. Il doutait que ces derniers aient été particulièrement disposés à s'aventurer hors de leurs terres, mais agir de la sorte lui offrait une sensation de relatif contrôle, en plus de lui donner quelque chose à faire, tout simplement.
Et puis, longer leurs frontières entretenait également l'illusion qu'il avait que si jamais une certaine petite louve s'approchait un peu trop près de ces dernières et en venaient à se faire interpeler par une patrouille, il aurait pu le  voir. Et intervenir.
Une sensation de relatif contrôle, oui.

Pour l'instant, ces escapades en altitude n'avaient jamais abouti sur quoi que ce soit, ce qui aurait été une bonne chose si la voix de la raison qui était supposément censée commencer à se manifester de manière un minimum sérieuse dans son esprit à mesure que le temps passait avait eu la décence de se montrer un minimum convaincante. A la place de ça, il en arrivait presque à lorgner sur les frontières de cette meute des Enfers comme une adolescente aurait épié son crush à la dérobée : avec un désir à peine dissimulé et l'espoir vain que quelque chose se passe.
Mais il ne se passait rien.
On se faisait bien chier.
Alors il montait toujours plus haut vers les sommets, forçant encore et encore jusqu'à en perdre haleine, en attendant que quelque chose se passe.

Il avait décidé de faire une halte dans une forêt qu'il avait repéré un peu plus tôt pour se désaltérer : cela fait, il avait entrepris de suivre un petit sentier en trottinant, ne sachant trop s'il souhaitait reprendre son périple du jour où s'il envisageait plutôt d'amorcer une lente descente en direction de la Passe Ventue. Tout débat intérieur coupa court lorsque le vent lui amena l'odeur d'un congénère. Une fragrance qui semblait tirer sur le Nakhu.
Il décida de faire un détour : il n'avait guère croisé que peu de membres de cette meute au final, et leur remarquable diversité qui contrastait selon lui nettement avec le caractère foncièrement chiant et suicidaire de leurs mœurs rendait généralement l'expérience... intéressante.
Et puis c'était toujours mieux que de continuer d'arpenter ces terres : ça, il pourrait toujours le faire le lendemain. Et le jour d'après. Et celui d'après, encore. Et tous les autres, probablement.
Il prit donc la direction que lui indiquait la brise, pour ralentir peu à peu lorsque son flair lui indiqua qu'il était désormais tout proche. Information validée par l'élévation soudaine d'une voix non loin, tenant des propos qu'il ne put comprendre au vu de la distance et de sa maîtrise relativement imparfaite de la langue locale.
Avançant désormais au pas, il finit par déboucher dans une petite clairière, où se tenait un jeune mâle. Pas de cape à la con. Pas si Nakhu que ça, peut-être. Un poil remarquablement bien entretenu, comme il ne l'avait jamais vu chez un mâle. Les traits de Joaquín se durcirent un peu.
C'était... relativement inattendu.
Un cas nouveau. Erh. Eh bien au moins cette journée ne serait peut-être pas si redondante que ça.

Il y avait quelqu'un.
Décidément, il obtenait toujours ce qu'il voulait, Exxus. Lorsqu'il souhaitait s'amuser, sa route croisait celle d'une multitude de jolies femelles, pas trop farouches. Lorsqu'il mourrait, on le ramenait à la vie. Lorsqu'il s'ennuyait, seul, on lui amenait quelqu'un. Il devait avoir une sorte de pouvoir Divin. C'était peut-être pour cela, d'ailleurs, que Moiro l'avait rejeté, par jalousie. Ou pour d'autres raisons qui lui étaient encore bien floues et auxquelles il n'avait, honnêtement, pas encore vraiment songé.
Bref.

Il détailla ce nouvel arrivant du regard. Déjà, c'était un mâle. Dommage, il ne pourrait donc profiter de sa superbe personne comme pouvaient le faire les femelles. Mais soit, il s'en accommoderait. Peut-être. Il n'avait pas l'air bien intéressant, ce pauvre garçon. Le pelage brun, l'air peu soigné, quelques plumes accrochées ça et là sur son corps... Il lui faisait quelque peu penser à un sauvageon.
Il avait cependant pour lui une carrure assez impressionnante et Exxus se dit qu'il ferait mieux de ne pas trop l'embêter.

Là n'était pas son intention, de toutes manières. Une autre idée venait de germer dans sa tête, en le voyant.
Ces derniers temps, il s'était retrouvé en danger à de multiples reprises, sans que personne ne prenne la peine de lui venir en aide. Alors, peut-être, que si il parvenait à apprivoiser ce sauvageon, celui ci pourrait faire office de garde du corps ?
L'idée lui plaisait. Son visage se fendit d'un sourire aimable.

- Bien le bonjour, mon brave. Mon nom est Exxus. A qui ai-je l'honneur ?

En vérité, son identité lui importait peu... C'était, surtout, un moyen de voir un peu à qui il avait à faire.

Ce monde et ses habitants étaient décidément si différents de ce à quoi il avait été habitué, en grandissant.
C'était un constat qui revenait très fréquemment, presque à chaque fois qu'il croisait quelqu'un de nouveau, à vrai dire. Mais il y avait des fois où c'était un peu plus affirmé que d'autres. Aujourd'hui, notamment.
Avec son allure princière et entretenue, le tout doublé d'un air vaguement supérieur, il lui faisait peut-être un peu penser à ces quelques fils de nobles qui vivaient retranchés dans leurs baraques dans les coins où se regroupaient les riches de son pays. Il n'en avait guère croisé que très peu, les quartiers riches n'étant même pas envisageables dans son Canyon : ces gens-là, il les avait aperçus au début de son exil, alors qu'il se mettait en route vers le Nord. Encadrés de gros balourds les quelques fois où ils se risquaient à mettre le nez dehors, jamais trop loin, jamais trop longtemps.
Surtout pas trop longtemps.
C'était ça mais en plus gracile et semblait-il moins préparé à affronter les dangers de l'extérieur.
Ca l'intriguait, quand même. Comme tous les gosses de pauvres, passés qui plus est par la fameuse case gang de malfrats, il avait longtemps nourri l'espoir de croiser la route de l'un de ces immigrés bourgeois, dans le seul et unique but de l'égorger sans vraiment chercher plus loin, par principe. Il aurait toujours pu vaguement justifier ça en invoquant le fameux tribut à payer à ses ancêtres autochtones, eux-même massacrés sans préavis et en toute gratuité par les aïeuls de celui qui aurait alors été sa victime.
Alors que l'autre s'avançait vers lui et prenait la parole, baragouinant beaucoup pour pas grand chose, ce même gosse colérique et plein d'une amertume qu'il ne comprenait même pas se rappela à lui. Les choses avaient changé depuis, et s'il était toujours prompt à sauter au cou des gens à la moindre occasion, Joaquín n'en était plus réduit à détester les autres juste parce qu'il lui disait de le faire, aussi se contenta-t-il de répondre de manière laconique :

— Joaquín.

Et de rester planté là, sans même songer à hérisser le poil.

On n'allait pas se mentir : la curiosité était bien présente. S'il n'avait jamais pu converser avec l'un des nobles de son pays que cet inconnu lui rappelait de par sa stature, il trouvait là une sorte de substitut. Ou en tout cas quelque chose de nouveau à se mettre sous la dent. Histoire de décrasser un esprit qui commençait à rouiller, à force de tourner en rond.

- Enchanté Joaquín.

Ou pas.
En fait, il y avait fort à parier pour que, d'ici quelques minutes, Exxus ai totalement oublié... Ou du moins en partie, le prénom de son congénère. A quoi bon faire des efforts de mémoire pour ce qui n'était qu'un sauvageon ? Il restait là, planté là à le regarder avec cette expression qu'avaient les proies idiots qui constituaient ses repas. Pathétique.
Pathétique, mais peut-être pas inutile.

- Bien. Je te fais l'honneur de ma compagnie. Tu peux être mon garde du corps, si tu le souhaites.

Et évidemment, qu'il le souhaiterait. Comment pouvait-il en être autrement ?
Bon, par contre, pour la timeline de sa joueuse, c'était un peu la merde.