A un pas du souvenir [Arii]

Lorsqu'elle fermait les yeux perchée sur ce morceau de rocher escarpé battu par les vagues, que le vent entremêlait fourrure et cheveux, que le soleil lui réchauffait le museau, que l'embrun salé de l'Océan remplissait sa truffe et que le cri des mouettes résonnait en écho avec les flots, Limule se projetait bien des années en arrière, à une époque où elle n'était responsable de rien, pas Capitaine, juste une jeune louve rêvant de devenir Maître des Rituels, et qui guettait l'horizon parce qu'être près de l'Océan lui faisait plaisir comme un vieil ami et qu'elle espérait encore voir surgir au loin la silhouette blanche de son jumeau ou celle brune de leur père, tout deux, partis presque en même temps. Elle se projetait vers cette époque où elle croyait encore et n'avait peur de rien où seul comptait véritablement la Vie et l'Océan. Elle pouvait se rappeler de la légèreté de sa propre insouciance, de ce plaisir de se savoir enfant de l'île, enfant dont tout le monde s'occupait parce qu'elle était la plus jeune ou celle semblait l'être. Elle pouvait ne s'inquiéter de rien car les Raeders et l'Océan qu'ils servaient la protégeraient toujours.

C'était le temps de la naïveté, où la petite louve blanche qu'elle était pouvait être ce qu'elle voulait sans jamais s'occuper des autres. Elle regrettait tellement ce temps, elle donnerait si cher pour le retrouver. Lorsque ses yeux bleus se rouvraient sur la mer, lorsqu'elle cessait d'être l'enfant sauvage pour redevenir la Capitaine, Limule ne pouvait s'empêcher d'avoir un pincement au cœur. Et là vers l'horizon, ce n'était plus un regard rempli d'espoir et de joie qui s'y tournait mais un autre, remplie d'une triste mélancolie.
Quand elle était jeune et qu'elle se postait là, la petite louve blanche s'était toujours dit qu'il ne suffisait que d'un pas pour rejoindre pour rejoindre l'Océan et selon sa volonté, on pouvait ne jamais retrouver la surface. Un pas, un seul, ça aurait été si simple.
Limule soupira, elle n'avait plus le temps de jouer, sans doute avait-elle des choses plus importantes à faire. Elle se détourna de sa contemplation et d'un bond, rejoignit les zones pour sécuritaire de ce morceau de l'île, alors qu'à sa droite reposait la carcasse éventrée de ce bateau qui avait toujours été là, vieux et échoué.

S'il avait été plus jeune, s'il avait encore été qu'un petit louveteau plutôt qu'un début d'adolescent, Limule aurait certainement marché sur Ariitaimai avant de se rendre compte de sa présence. Mais le jeune loup comme son frère et sa sœur avait grandi et la femelle blanche pilla devant lui lorsqu'elle se rendit compte d'un pelage gris mauve devant sa truffe. Absente, encore plongée dans ses réflexions, ses yeux bleus de restaient pas accrochés sur le jeune mâle, partant bien plus loin, au delà de sa personne pendant de longue seconde, comme si elle ne le voyait pas, comme s'il n'existait pas.
Puis Limule revint un peu sur terre, ou du moins sur ce Morne-oeil présent quand son esprit regrettait les temps passé. Quelques secondes de silence encore, un temps infime dans une vie, bien trop grand lorsqu'il s'agissait d'un blanc en attente d'une réponse à une salutation.

« Oh ! Bonjour Arii » Son nom était bien trop long pour être prononcé en entier, Limule ignorait d'ailleurs un peu la fin, elle n'avait jamais eu une bonne mémoire des noms et écorchait la plupart. « Je vais... Bien... sans doute. Ça ne va pas mal dans tout les cas » Elle n'était pas malade et plutôt en bonne forme physique même si l'esprit et le cœur étaient ailleurs.  Ce fut d'ailleurs la raison pour laquelle la louve blanche ne capta pas vraiment l'envie de discuter du jeune mâle.
Elle lui passa à côté, continuant son chemin vers l'intérieur de l'île.

« Tu feras attention, ces rochers sont glissants et avec la puissance des vagues, particulièrement mortels. A ton âge, c'est ici que ton grand-père a perdu sa première patte »

Elle n'avait pas été là pour le voir mais Creek et Safran lui avaient tout deux raconté l'histoire. Les Raeders avaient déjà perdu suffisamment de membres pour qu'ils n'en perdent encore un sur ces cailloux.