Apprendre à se connaître [PV Noé]

Il devait bien l'avouer, Noé, il lui arrivait fréquemment de s'endormir sur l'un des nombreux ouvrages qu'il lisait, sa tête retombant alors sur l'une des pages noircies d'encre, l'interrompant dans cette activité, la lecture, qu'il aurait pourtant souhaité poursuivre. Il y avait des besoins physiologiques que le corps ne pouvait ignorer indéfiniment.

Il s'éveilla pourtant, quelques temps plus tard, sans pouvoir déterminer combien de temps il avait dormi, avant de sentir cette présence. Noé se redressa et referma son livre après avoir tenté d'essuyer du revers de la patte le filet de bave qui avait, quelque peu, souillé la page et fait baver l'encre... Oups.
Le mâle chocolat s'ébroua et fit quelques pas dans la bibliothèque. Il la vit alors et ne tarda pas à la reconnaître, cette louve, Serket-Beatriz. Cette louve qu'il avait aidée, lors de la naissance de son enfant, qui vivait désormais chez les Nakhus, depuis près d'un an, qui les avait aidés, avec Sobieski, pour la préparation des repas des explorateurs.
Noé lui sourit gentiment.

- Bonsoir !

Il l'observa quelques secondes, prenant connaissance de ce qu'elle faisait.

- Vous ne parvenez pas à trouver le sommeil ?

Elle semblait préoccupée. Elle l'était même, indéniablement. Il le sut à ce soupir qui venait s'ajouter à cette nuit blanche, à ces réflexions qu'elle se faisait.
Noé pencha la tête sur le côté.

- Oh, moi, je me suis juste endormi. Ca m'arrive parfois.

Il eut un rire bref, fugace, avant que ses iris verts plongent dans ceux, bien plus clairs, de la femelle.

- Peut-être pourrais-je vous aider dans vos réflexions... ? En toute modestie, bien évidemment, et si vous souhaitez en parler.

Il n'avait pas la prétention de trouver réponse à tous les maux, loin de là. Lui, n'était qu'un simple soigneur, capable de soigner les blessures, capable de lire, d'apprendre, de retenir... Mais cela s'arrêtait là. Il n'était d'ailleurs pas vraiment doué socialement.
Mais soit, rien ne l'empêchait de prêter, avec plaisir, une oreille attentive à l'âme qui en avait besoin.

Il écouta chaque mot, chaque information, avec attention, les empilant soigneusement dans sa mémoire pour y trouver les réponses à prononcer.

- Ne dites pas ça.

Il secoua doucement la tête, comme pour appuyer ses paroles.

- Cet enfant a été et est encore aimé, il a également reçu une éducation, cela ne fait aucun doute. Il est jeune, encore, l'adolescence n'est une période facile pour personne. Vous souvenez vous, de ce que vous étiez, à votre première année de vie ? C'est un moment ou l'enfant devient adulte, mais pas totalement, alors il cherche ses repères, ses limites... Parfois de façon chaotique.

Son regard se posa sur la lune qu'il contempla à travers la vitre.

- Peut-être qu'il ne sera jamais comme vous l'espérez. Certains individus sont plus sociables que d'autres... Une chose est certaine : Il apprendra. L'on ne peut manquer de respect à ses semblables sans en payer le prix, un jour, que ce soit par une remise en place ou par une solitude imposée.

L'on pouvait apprécier une solitude choisie, mais il devait être bien difficile d'avancer, en étant détesté de tous.

- Ca n'a pas du être facile, de l'élever seule.

- J'imagine.

Comment un parent pouvait-il espérer le malheur, pour son enfant ?

- Vous faites de votre mieux, Serket-Beatriz. Pardon si mes paroles peuvent paraître dures mais... Il y a des choses contre lesquelles vous ne pourrez rien, si il se ferme au dialogue. Rien ne sert de le confronter, j'imagine.

Au risque de rompre le contact pour de bon.
Noé avait l'espoir, pour cette louve, que l'enfant, une fois plus grand et plus mûr, prenne conscience du ridicule de son comportement et revienne vers cette mère qui ne souhaitait que lui tendre la patte.
La remarque lui tira un petit rire.

- Je n'ai pas cette prétention, mais c'est gentil ! Ce sont de simples déductions nées des réflexions de l'être imparfait que je suis.

Il avait bien merdé, dans sa vie, comme en témoignait la marque jaune présente sur sa cuisse... Et peut-être que ses mots étaient, eux-même, des erreurs. Peut-être était-il trop optimiste ou, au contraire, trop pessimiste. Il ne savait pas vraiment et parlait toujours avec le cœur.
Un sourire doux étira ses babines.

- En vérité, je n'ai aidé à élever qu'une enfant : ma nièce, mon trésor.

Il n'avait pas voulu s'imposer et avait donc laissé sa soeur gérer le plus gros comme elle le souhaitait. Car il n'était que l'oncle de Freya et se devait, par conséquent, de rester à sa place. Cela n'empêchait pas cette affection, si puissante, qu'il portait à l'enfant, sa très chère nièce. Et à sa simple évocation, ses yeux se mirent à briller.

- Je l'espère aussi pour vous comme pour lui.

Enfin, pour la vie en communauté, il savait que certains individus préféraient vivre seuls, sans que cela ne pose de problèmes à qui que ce soit. C'était un peu son propre cas, à lui, à celui qui préférait la compagnie des livres aux siens... De temps en temps, cependant. Bien que timide et solitaire, il appréciait la présence de quelques congénères.
La remarque de la louve lui tira un nouveau sourire, peut-être un peu triste.

- Je n'ai jamais eu cette chance. Enfin, cette occasion. Cela m'aura au moins laissé assez de temps et d'amour pour l'offrir aux enfants des autres, à ceux qui en ont besoin.

Il songea à Daisy, rejeté par sa mère et à qui il ne pouvait que souhaiter le meilleur.
La paternité était une chose dont il avait fait le deuil. Par ce que, après des années de vie, son cœur stérile n'avait été capable de laisser bourgeonner le moindre semblant de sentiments amoureux, tout au plus une attirance physique qui s'oubliait bien vite, au profit des livres et de ce savoir qu'il aimait accumuler. Et comment envisager d'avoir des enfants lorsque l'on était, comme lui, un mâle célibataire.
Ce n'était pas grave, s'était-il dit. Et bien des raisons s'étaient alignées pour expliquer cette situation plus subie que réellement choisie.

- Elle s'appelle Freya.

Il réfléchit aux paroles de la louve. A chaque parole.
Clairement, il n'avait jamais vécu le fait de s'occuper des autres comme un sacrifice : C'était là sa raison de vivre, de pouvoir tendre la patte à ses semblables, quel que soit leur clan, de pouvoir sauver des vie ou, au moins, apaiser les maux.
Sa propre personne passait aisément au second plan. Il n'avait que peu d'estime, pour le mâle qu'il s'avérait être.

L'aide apportée aux autres n'empêcherait pas de songer à son propre bonheur, il le savait. Pourtant, d'autres obstacles se dressaient sur sa route. Serket-Beatriz, elle, n'avait eu qu'à trouver un mâle pour mettre au monde l'enfant tant désiré. Sauf que, dans sa situation, il était le mâle et il serait, sans doute, bien plus compliqué de convaincre une femelle d'endurer deux mois de grossesse pour mettre au monde des enfants et il ne connaissait personne encore en quête de maternité, avec qui s'arranger. Et même si il la rencontrait, oserait-il ? C'était une façon fort peu cavalière d'aborder les choses, cela lui semblait un peu étrange... Et il n'avait jamais envisagé les choses ainsi.
Aussi, il ne voulait élever des enfants seul. Il était important pour lui qu'ils connaissent leurs deux parents, un foyer.
Comme celui dans lequel Noé avait, lui-même, grandi.

- Peut-être que l'occasion se présentera un jour. Je verrai bien... Je préfère ne pas trop y penser pour le moment, en vérité.

A quoi bon se faire de faux espoirs.

- Les choses ne peuvent se passer ainsi, lorsque l'on est un mâle.

Mais il sourit.

- Merci pour vos paroles.

Cette fois ci, il n'eut pas à réfléchir bien longtemps avant de répondre à la louve.

- Il est hors de question de les priver de leur mère.

A vrai dire, l'idée d'instrumentaliser une louve, car il s'agissait bien de cela, afin qu'elle lui donne des enfants le gênait beaucoup et il savait, d'avance, qu'il préfèrerait encore renoncer définitivement à cette idée plutôt que de la mettre en oeuvre de cette façon là. Par contre, si il venait, un jour, à croiser le chemin d'une louve souhaitant, elle aussi, des enfants... Pourquoi pas, dans le biais d'une co-parentalité. Mais pouvait-il décemment avoir des petits avec une parfaite inconnue ? Il ne se voyait, très honnêtement, pas balancer l'idée à ses amies. Tout semblait si compliqué.
Il passa sa patte dans ses cheveux, les rejetant en arrière et passa une langue nerveuse sur ses babines.

La proposition de la louve le laissa gueule bée, quelques secondes, et son regard se perdit dans le vide.
Il ne l'avait pas vu venir et ne s'attendait, très honnêtement, pas à rencontrer cette occasion aussi vite. Sa tête bougea enfin et il la regarda, conservant sur ses traits cette expression de profonde surprise. Etait-elle sérieuse ? N'était-ce pas une plaisanterie, une idée balancée comme ça, ou il ne savait quoi d'autre ?
Oh, bien sûr, il leur fallait encore réfléchir, à tous les deux, par ce que ce n'était, bien évidemment pas quelque chose que l'on prenait à la légère, des enfants.

Et pourtant, ces simples mots attisaient davantage cet espoir si longtemps enfoui, réveilla l'envie de devenir père. Tout en ayant la certitude qu'il aimerait ces enfants là du plus profond de son cœur, bien plus que lui même, sans que cet amour ne l'empêche d'aimer ceux ne partageant pas son sang.
Il hocha la tête.

- Réfléchissons y. Prenons le temps.

De se renseigner sur cette co-parentalité abordée. Lui devait s'assurer que les enfants engendrés n'en souffriraient pas, tant qu'ils étaient aimés.
Prendre le temps de se connaître davantage, aussi, peut-être d'évoquer un peu plus ce sujet là, voir si ils se trouvaient sur la même longueur d'onde.
Il sourit, heureux de cette perspective.