À la lueur d'une bougie — Anette

Il faisait froid au Grand Castel, mais ps autant que dans le grand nord. Voilà que cela faisait plusieurs jours déjà que l’hybride était rentrée, rendre visite à Kiro, avant de rendre visite à sa compagne. Anita semblait s’être bien remise de ses blessures, déjà repartie en vadrouille pour un sauvetage accompagnée de sa soeur, maintenant devenue disciple d’Aka. Un sourire vint étirer les babines de la prêtresse. Oui, ses filles s’étaient montrés bien fortes, dignes du sang qui coulait en elles. Quand aux garçons… Sheina n’avait pas recroiser Floyd depuis son retour et Narcisse lui… eh bien c’était Narcisse. On ne savait jamais réellement ce qui lui passait par la tête. Encore moins au fil des mois qui s’écoulaient.
Les yeux mauves se posent avec douceur sur les peau où les enfants jadis dormaient quand ils venaient au Grand Castel. Les coussinets effleurent les murs, marqués par de petites empreintes de griffes ou de traces de peinture. Hum… Ils étaient biens grands maintenant.

Si grands.

La disciple de Kiro vint s’allonger sur une peau, prêt d’une bougie. Seule source de lumière de l’antre. Source de trop pour les yeux de la chauves-souris qui ferment à moitié ses paupières, alors qu’une de ses longues griffes vient jouer avec la petite flamme.
C’était devenu bien vide ici. Il n’y avait plus éclats de rire des enfants, ni la chaleur d’antan. Étais-ce ainsi partout ? Ou tout simplement parce que Sheina n’avait jamais réellement trouvé sa place chez les Etelkrus ?
Pourtant, elle ne regrettait rien. Pas sa vie passée. Pas Anette. Pas sa famille. Non, les seuls choses qui lui manquaient c’était peut-être de revoir les amis qui furent les siens. Ceux partis trop tôt comme Siam, ceux qui lui étaient impossible de fréquenter de par leur appartenance, comme… Limule. Que devenait-elle donc la pirate depuis leur dernière rencontre ?

Finalement la tête se redresse, en sentant la présence de celle qu’elle attendait. Le bout de sa longue pointue tapote le sol.

« — Anette. »

Le museau vient s’enfouir dans le cour de la louve, alors que les longues oreilles se couchent vers l’arrière.
Un moment, la louve conserve le silence, observa la lueur de la bougie contre la disciple d’Aka. C’est finalement d’un ton si bas, semblable à un murmure qu’elle finit par prendre la parole.

« — Je suis fatiguée… »

Fatiguée de voir la violence toujours remporter la victoire.
Fatiguée que les siens subissent les représailles.
Fatiguée de tout cela.

« — Pas toi ? »

Les oreilles s’abaissent, alors que les sourcils se froncent. Le corps cède avant l’esprit. N’est-ce pas connu ? Sheina n’avait pas l’endurance de sa compagne, ni même sa force. Pourtant, les mois qui s’étaient écoulés, lui avait permit de constater une baisse dans ses capacités d’agilité. Ses sauts se faisaient moins souples que jadis, et ses appuies trop rigides. La prêtresse avait observé Narcisse, durant les séances d’entraînement quotidienne qu’il s’infligeait, se demandant combien de temps son corps à lui tiendra, à trop forcer.
Les effets de l’âge. Le cycle de la vie. Des choses contre lesquelles, Anette ne pouvait combattre ou que Sheina ne pouvait esquiver d’une pirouette. C’était ainsi. Céder le trône ne paraît être qu’une trop bonne idée. Ayant accédé si tôt à ce rang, la louve méritait son repos. La couronne était un fardeau des plus lourds, celui que Sheina ne souhaitait à personne de porter, car il changeait, ceux qui y prétendaient.

Là où la disciple de Kiro aurait dû être heureuse de cette nouvelle, d’apprendre qu’Anette allait enfin être libérée de ce fardeau, restait une question sans réponse dans l’esprit de la mauve. Qui diable hériterait de tout cela ?

« — Et qui seront donc les malheureux élus de ce trône ? »

Qui d’autre devra prendre la suite en transmettant les valeurs Etelkrus dont tant étaient fiers.
Là où la tolérance n’avait pas vraiment de place.

Les corps basculent vers le sol, comme de si nombreuses fois auparavant. Comme au moment où leurs enfants furent conçus, trois petites terreurs. Trois petits démons qui pourtant, ne parviendraient jamais à éteindre l’amour que Sheina leur portait. Ses enfants. Ses trésors. Aussi bourrés de défauts soient-ils, elle ne retiendrait d’eux que les qualités. Ce qui les mettrait le plus en valeur.
À ses trois petites étoiles, dorées, et une rouge.
À ses trois astres.

Les longues oreilles se redressent, alors que la truffe vient caresser l’ossature de la mâchoire d’Anette.

« — Je te suivrais, jusqu’au bout du monde, et même au-delà encore. »

Jusqu’à ce que leur existence ne soit plus que souvenir.
Et que ce souvenir même ne s’éteigne.
Ensembles, jusqu’à la fin.

Sheina se rappelle de la chaleur du soleil sur sa peau nue. De l’air marin si revigorant. Du sable sous ses pattes. Des vagues qui se terminent sur le sable. Au loin les cris des mouettes. Mais plus encore, un endroit sans haine, loin de toute responsabilité. Loin de toute cette rancoeur. Et les enfants viendraient probablement eux aussi, au moins leur rendre visite. En souvenir du bon vieux temps. Oui. C’était une pensée heureuse, qui bientôt deviendrait réalité.
Enfin presque.
Car les paupières s’ouvrent soudainement en entendant le nom de ces « élus ». Si  le cas d’Hollyhock ne touche fort peu Sheina, Anita c’était une autre histoire. Anita.  Les yeux mauves brillent un instant. Anita, son petit trésor devenu si grand. Sa fille qui lui paraissait bien insouciante. Bien trop libre. Mais la liberté à ses limites… en tout cas, le dinosaure n’avait pas hésité à en poser, manquant de lui ôter la vie. Et qu’adviendrait-il si Anita accédait au trône ?
La tête se secoue doucement, alors qu’un frisson parcourt le corps de l’hybride, un sourire sans joie venant étirer ses babines.

« — Une formation spéciale… est-ce ainsi que tu comptes me rassurer ? Est-ce que cela lui épargnera de manquer de finir dans l’estomac d’une créature d’un autre temps ? »

Est-ce que cela, lui épargnera de devenir tout comme sa mentor, habitée de haine à l’encontre de quiconque ne portant la bonne étiquette ? Est-ce sur ce chemin que tu la diriges, Anette ?
Et les belles paroles, ne semblent n’être que paroles, alors qu’Anette s’engage à fournir formation aux successeurs, à devenir conseillère par la suite pour continuer de les guider. À continuer de s’attacher aux Etelkrus.
La prêtresse se redresse.

« — Ta proposition de partir… ce n’est donc pas pour de suite. »

Et même si elles partaient, une partie d’Anette ne cesserait d’aller-et-venir pour continué de veiller sur ce clan. Il y avait-il une forme d’appréhension derrière cette idée de partir ? Celle de ne plus être Etelkrus, mais de devenir en quelque sorte solitaire ?

« — Serait-ce si difficile de lâcher prise ? »

Une certaine tristesse se fait sentir dans la voix de la prêtresse.
Ne pourraient-elles donc jamais accédé à ce repos mérité ?

C’est faux. Tu penses à l’avenir de cette meute, avant de penser à l’enfant même. Comment t’en vouloir, alors que c’est ainsi que tu as grandi ?  

Les sourcils se froncent. Car là où Anette cherchait les qualités du meneur parfait, Sheina voyait les cicatrices. Celles laissées par l’attaque de la bête. La douleur que la mère n’était parvenue à épargner à sa fille. L’impuissance ressentit en voyant le sang. Ne voyait-elle pas tout cela Anette, la destinée qu’elle s’apprêtait à infliger à Anita ? Dans ce monde de haine et de violence. Mais à peine la disciple de Kiro ne puisse rebondir, sa compagne poursuit.
J'ai peut-être aussi l'impression que je perdrais le lien privilégié avec Pepper dans ce post.
Ce sont peut-êtres les mots qui font le plus mal. Les crocs se serrent, pour contenir la peine. Parce que Sheina n’avait jamais pu lutté contre le lien entre les deux alphas, elle n’avait jamais cherché à contesté la proximité des deux. Parce qu’à ses yeux, elle avait cru que ce n’était pas si important. Mais elle s’était visiblement trompé. Et en beauté.

« — Tu ne le feras pas. Partir. Car tu ne peux pas. »

Anette en serait incapable.
Car il y avait les Etelkrus.
Car il y avait Pepper.

Au final, ce n’était pas pour ses enfants qu’elle restait. Ni même son dieu. Pour Pepper.
Quand Sheina sacrifiait sa liberté pour l’Anaconda. Pour l’équilibre de ses enfants. Pour Anette. Putain. Toutes ces années à se bercer d’illusions, à croire qu’un jour appartenir aux Etelkrus ne serait qu’un petit prix à payer pour les années de bonheur qui suivraient. À croire que c’était ce qu’il y avait de mieux, pour leurs enfants, pour elles. À penser qu’ainsi, elle pourrait demeurer aux côtés de Kiro, sans que ceux de « son clan » ne viennent lui tourner le dos.
Une simple illusion.
Qui se brise un peu plus à chaque mot d’Anette.  

« — Peut-être que nous n’étions pas faites pour nous trouver. »

Peut-être n’étais-ce pas moi que tu cherchais, Anette, mais que j’ai simplement su me montrer là au bon moment.
Sheina tente de faire bonne figure, de faire face à ses problèmes. Ça lui fait mal de songer à tout cela, ça ne fait qu’amplifier ses maux de crâne, ceux qui lui donnent l’impression que sa boîte crânienne va exploser d’un instant à l’autre. Pourtant à ces problèmes là, ils ne semblaient y avoir de solutions. Anette ne comprenait pas ce que Sheina cherchait à préserver. Au final, peut-être ne s’étaient-elles jamais comprises…
Plus de sourire. Simplement la déception aisément lisible sur les traits de la chauve-souris. Jamais Anette ne partirait, car une part d’elle appartiendrait toujours aux Etelkrus, une part d’elle se sentirait toujours responsable.
Contre ça non plus, Sheina ne pouvait lutter. À quoi bon ?
La chauve-souris se recule.

« — Anette. Si il lui arrive quoique ce soit, ou à Alex ou à Narcisse. Ça, jamais, tu m’entends, jamais je ne parviendrais à te le pardonner. »

Le reste, le temps soignerait les blessures, comme toujours.
Mais si il arrivait quoique ce soit à Anita à cause du choix d’Anette et de Pepper, ça, Sheina ne parviendrait à l’oublier.
Car ses enfants étaient au final ce qu’il y avait de plus précieux et sans nul doute de plus réel.

La prêtresse n’a pas le temps de réagir, que déjà Anette s’est approchée, avant de la hisser sur son épaule.
Partir maintenant, dans la précipitation. La mauve n'a pas le temps de réagir, ni de protester. Tout va si vite. Tellement vite.
Et Perrine, leur chemin croise. Celle chargée d’avertir Pepper. Celle chargée d’annoncer qu’Anette partait. À cause de Sheina.
L’hybride sert les crocs.

« — Anette… »

Un murmure.

« — Arrêtes. »

Une supplication presque désespérée face à cet acte, quand sa compagne cherche à convaincre.
Le choix à Anita. À cette enfant entraînée par la Bleue, à cette enfant qui ne refuserait probablement pas si on lui disait qu’elle était la meilleure, qu’elle seule pouvait remplir ce rôle. Son choix serait influencé, comme l’était celui des autres. Ses enfants, devenus de parfaits soldats, des machines de guerre. Parce que à l’époque, elle n’avait pas cherché à lutter pour les préserver, préférant qu’ils fassent leurs propres choix. Une erreur. Qu’elle n’aurait jamais dû faire si elle avait prétendu être une meilleure mère.

« — Arrêtes, s’il te plaît. »

Déjà l’hybride cherche à se retirer de l’emprise de la beige pour lui faire face. La peau nue de la prêtresse a froid, alors que son odorat lui apporte encore l’odeur Etelkrus. Car avec la lumière elle ne pouvait plus compter sur sa vue qui se faisait déjà de moins en moins fiable avec l’âge.
La tête vient se poser sur le poitrail de la louve, qui entend le coeur tambouriner à toute vitesse à cause de l’effort.
Entends comme il bat vite, Anette. Entends comme malgré les années, il est encore plein de vigueur, comme à l’époque.
L’hybride se redresse, son front venant se poser contre celui de la disciple d’Aka.

« — Si tu fais ce choix maintenant, tu le regretteras. »

Larmes silencieuses qui coulent sur les joues de Sheina, quand cette dernière ne s’arrête pas à ces quelques mots.

« — Parce que tu te sentiras coupable de les avoir laissé seuls. Tu te sentiras responsable si les choses se passaient mal. Et tu ne te relèverais pas, si il devait arriver malheur à l’un d’eux. » Les crocs se serrent. « Parce que tu es avant tout une alpha. Tu es celle que j’aime. »

Et si je t’oblige en sachant cela, alors je serais la pire des compagnes.
Alors je préfère sacrifier mon bonheur, pour que toi tu puisses mener la vie qui te plaît.
Cette vie qui te ressemble et contre laquelle je n’ai pas à lutter.
Car si je t’en prive, jamais tu ne me pardonneras comme tu ne pourras te pardonner de l’avoir laissé en plan ainsi.

« — Et je dois veiller sur toi. »

La prêtresse voit la peine les tourments chez sa compagne. Culpabilise à l’idée d’être à l’origine de tout cela. Peut-être aurait-elle du garde rle silence quelques années de plus, pour éviter à Anette d’être contrainte… Pourtant… ça n’aurait pas été pareil. Le corps massif se blottit contre Sheina qui sert les crocs. Une larme coule sur sa joue. Parce que voir Anette dans un tel état de détresse, c’était pire que tout.
Les mouettes  chantent derrière, alors que la louve entend les vagues s’écraser sur le sable. Ce moment lui semble durer une éternité. Une éternité à sentir Anette sanglotant, une éternité à la sentir si désespérée.
Sans résistance, la prêtresse se laisse étendre sur le sable. Écoute. Oreille attentive. Elle prend une décision Anette. Une décision qui semble sans appel.

La patte se pose sur le poitrail, à l’emplacement du coeur de la grand louve.

« — Je suis à toi, et tu es à moi. Jusqu’à notre dernier souffle. »

La prêtresse glisse sa patte derrière l’encolure d’Anette, attire doucement sa tête vers le bas, pour le glisser le museau à l'oreille.

« — Jusqu’à ce que nous ne soyons plus que poussière. »

Et lorsque il n’y en aura plus, de poussière, cela n’aura aucune importance,
Car nous veillerons sur nos enfants depuis de vastes prairies, à festoyer et attendre ceux qui nous sont chers,
Nous nous éteindrons jamais,
Notre amour restera flambeau éternel,
Ici comme ailleurs.