Lune de Sang ○ Ariitaimai & Chimaera

• 4 ans •
F A E I

Il faisait nuit. Une nuit lumineuse, claire. Ronde et hypnotisante, l'astre diaphane veillait sur l'île de Morne-Oeil. Et pourtant, c'est dans la pénombre d'une grotte qu'était allée se terrer la louve. C'était là qu'elle attendrait, ce soir, comme tous les soirs d'ailleurs, que viennent à elle les deux jeunes Raeders lancés dans sa chasse au trésor. Allongée à l'entrée du boyau humide, elle ferma ses paupières et écouta les sons de l'obscurité, et surtout, le chant régulier du ressac. Ceux, caractéristiques, des pirates vacant à leurs occupations nocturnes pour certains, et ronflant comme des bûcherons pour d'autres. Au rythme de la marée, sa queue touffue balayait le sol de terre battue. Sur son dos, les points luminescents semblaient s'éveiller comme des lucioles, dévoilant peu à peu sa présence sur ce fond terne et sombre. Puis, tranquillement, Ann sortit un os de seiche du petit sac qui jamais ne la quittait et un carnet avec divers croquis raturés, des annotations en tout genre et quelques algues séchées en guise de marques pages, puis se mit à rogner tout en planchant encore sur sa liste du matériels qu'elle estimait nécéssaire pour les réparations de Navire. Parfois, elle faisait une pause, levait la truffe pour observer la silhouette du bateau endormi sur la plage et lui murmurer quelques paroles réconfortantes...

« Bientôt, Navire, bientôt. »

Et retournait à sa concentration et ses machouilleries.

• 4 ans •
F A E I

Un bruit de pas sortit la louve de ses pensées. Ann releva le museau pour voir s'approcher le fils d'Abysse. Voilà donc l'heureux mâle, le plus rapide de la chasse au trésor lancée qu'elle avait lancé, qui tenait entre ses crocs l'objet de convoitise. Elle sourit, la petite sorcière. Ses crocs propres et aiguisés étincelèrent sous les rayons de lune, lui donnant un air probablement un peu plus effrayant qu'à l'habitude. Pour son plus grand plaisir d'ailleurs, car elle adorait cultiver le lugubre et la frousse en se forgeant une image de fille des mers mystique.

« Revoilà le mousse bien chiffoné, mais victorieux. »

Elle ricana, mais dans ses prunelles sanguines brûlait une certaine fierté.

« Il y a un petit coffre de bois derrière moi, tu peux échanger son contenu avec ce que tu tiens. »

D'un battement de queue elle indiqua la pénombre de la grotte. La boîte en bois était à peine quelques pas plus loin. Elle était simple, non ouvragée, et pas très grande. Juste la taille nécessaire pour y contenir une éponge. Ou bien autre chose ? A l'intérieur, le Raeder y trouverait l'amulette tant désirée, frappée à l'effigie de leur clan de forban. Simplement protégée dans un écrin soyeux de tissu rouge grenat. Un chiffon de velours découvert à l'occasion dans une des cabines de l'épave.

« J'ai autre chose pour toi. »

Parce que bien que l'amulette magique soit l'objectif des deux jeunes loups, la Maitresse des Rituels avait tenu à leur faire un cadeau personnalisé. De son sac elle sorti une minuscule bourse en cuir rigide, également trouvée au hasard de ses périgrinations. Elle détacha le nœud de la cordelette pour en verser le contenu au sol. Il y avait là trois hameçons, de trois tailles différentes. Les trois étaient rongés dans de l'os, poli puis blanchi au sel par Ann. Sur l'un deux il y avait deux perles de corail rosées pour petit poids et l’extrémité d'une plume de paon en guise d'appât. Sur le second, une ancre miniature attachée au dessus du crochet comme charge moyenne, et décorée d'une toute petite plume rouge orangée. Et enfin le dernier, portant un étalon plus lourd encore pour tenir face à un courant plus important, sous forme d'un petit gouvernail en acajou au dessus d'une perle en aigue-marine bleu clair, réfléchissant à merveille les rayon de lune. A n'en pas douter ses éclats de lumières bleutées sauraient attiser la curiosité des proie sous l'eau. La sorcière maintenant assise, s'ébroua vigoureusement avant de fixer Chimaera sans un mot de plus.

• 4 ans •
F A E I

Ravie de son petit effet, la sorcière offrit à Chimaera un grand sourire de ses crocs blancs et luisants dans la pénombre tout en accueillant la lèche sur la joue d'un rire amusé. Puis arriva le second fils de l'Océan en compétition, Ann s'ébroua, faisant cliqueter en tintamarre les divers os, perles et bijoux ornant son corps avant de saluer d'une révérence pompeuse et moqueuse son neveu.

« Nous voilà honorés de ta présence, moussaillon ! »

Elle le laissa déposer a ses pattes le produit de la mer gorgé d'eau. Rapidement une flaque se forma autour de l'éponge. Ann montra la grotte derrière elle du bout de la patte.

« Dans un nid de crabe, dans l'ombre derrière le coffre, tu peux aller poser l'éponge et récupérer le trésor qu'il garde dans leur nasse. »

Pour le bon dernier une petite épreuve en plus, il allait falloir récupérer son amulette au fond de la cage à crabes, ces derniers, peu satisfaits de leur condition de captifs, risquaient fort bien de vouloir agripper de leur pince tout ce qui passerait à leur portée... Goguenarde, la Maitresse des Rituels ricana encore comme savent si bien le faire les forbans. Puis, pendant que Ariitaimai allait -s'il en avait le courage- récupérer son talisman et avant que le fils du Second ne s'échappe vers d'autres explorations, la noiraude s'éclaircit la gorge et annonça d'une voix bien mystérieuse :

« Fils de l'Océan, il y a quelques temps maintenant que des murmures me parviennent, que le roulis des vagues chante, que le ressac de la marée chuchote. Ce soir il est temps que je vous partage les vœux de l'Océan. »

Elle tourna ses prunelles sanguines sur les deux mâles tour à tour, pour s'assurer de leur écoute, de leur attention.

« Il veut un capitaine qui navigue, qui explore et qui n'a de limite que son âme. Chimaera, c'est toi que je vois a cette place. Toutefois toi seul peut décider d'embrasser ce destin. »

Elle le fixa une nouvelle fois, longuement pour lui laisser le temps d'appréhender ce qu'elle venait de dire et se tourna toute entière vers son neveu au pelage violacé.

« Quand à toi, Ariitaimai, je souhaiterais que tu sois mon apprenti, et partager avec toi les forces mystiques que nous offre la mer. Que tu accepte ou non, j'ai un cadeau pour toi en plus de ton amulette. »

Elle récupéra dans son sac quelque chose enroulé dans un tissu, cette fois, d'un noir profond. Elle l'avait teint elle-même avec un peu d'encre de seiche afin de renforcer la couleur. Une fois que le mâle aurait déballé son présent, il découvrirait un vieux livre écornés, dans lequel Ann avait écrit, dessiné et catalogué ses premières découvertes en matière de sorcellerie, ainsi que divers façon de concevoir ses objets de rituels. Avec le livre, une petite poupée de chiffon rapiécée faite de toile de jute et de morceau d'étoffes, et piquée de plusieurs aiguilles d'oursin. C'était la poupée confectionnée par Siam autrefois, lorsqu'Ann était encore une louvette pas plus grosse qu'un ormeau. Elle l'avait repérée plusieurs fois depuis à force de l'avoir trimballée partout, mais n'avait jamais utilisé de magie sur celle-ci. Elle n'avait encore jamais osé un mysticisme aussi sombre, mais sentait que son neveu, lui, aurait l'âme en adéquation avec ces pouvoirs occultes. Maintenant, il ne lui restait qu'à attendre les réponses, ou les non décisions de ces jeunes jeunes loups de mer, avant de les renvoyer vaquer à leurs occupations pour quérir un peu de sommeil. Les prochaines lunes seraient fastidieuses, mais ça en vaudrait la peine.

• 4 ans •
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La réaction de Chimaera surprit quelque peu la Maitresse des Rituels. Elle savait qu'il manquait de confiance en lui, mais cet air là n'était pas ce qu'elle avait imaginé. Fronçant la truffe et découvrant ses crocs immaculés reflétant les rayons de lune en un sourire plutôt effrayant, elle ajouta alors :

« N'aime tu pas cette idée ? Plus même que le Capitaine de notre équipage maudit, c'est le Roi des Pirates aussi nombreux qu'ils soient que tu deviendras si tu le souhaites. Et je te serais pleinement dévouée, mon Capitaine. Dés ce soir. »

Ses prunelles sanguines étincelèrent alors qu'elle le fixait, attendant cette fois-ci, une réponse claire et précise de la part du fils d'Abysse. Elle croyait avec ferveur qu'il serait le phare des pirates, celui qui les dirigerait tous au sommet de leur gloire, celui qui les feraient devenirs plus puissants, forts et riches. Celui qui serait la lumière parmi les profondeurs sombres de leur damnation. Elle voyait en Chimaera, celui qui permettait aux forbans qu'ils étaient d'enfin s'épanouir et régner sur les mers. Ses espoirs et ses certitudes lui étaient dictées directement par un Océan tumultueux, qui n'attendait rien d'autres que l'avènement des pirates. Lorsqu'Ariitaimai revint, ses pattes décorées de lignes grenat, elle plissa les yeux et son sourire devint plus mutin. Même les petites bêtes pouvaient blesser, il allait bientôt être l'heure où les Grands de ce monde le découvriraient à leurs dépends.

« Tsk. Qui te parle de se battre ? L'Océan à des desseins bien plus haut pour nous que de vulgaires esbroufes. »

Elle s'ébroua lassivement, cette fois, en prenant soin de bloquer le moindre son provenant de son corps. Ainsi elle ne serait, l'espace de quelques secondes, qu'une image mouvante. Comme un songe flottant lointainement, elle n'émettait pas le moindre bruit.

« Me suivre te forcera aux mêmes allégeances, en es-tu bien conscient, Ariitaimai ? »


Du moins pour les prochaines lunes ou les prochaines années. Être son apprenti voulait dire lui obéir et la suivre quoi qu'elle puisse bien lui demander à l'avenir. Il ne serait libre qu'une fois qu'elle aurait laissé sa place.