Rise up ☼ Elvazio

☼ 4 ans++ ☼
F A E I

Le soleil était à son zénith, lorsqu'elle tomba enfin sur la piste la plus fraîche et nette de son jumeau. Elle avait ressentit un besoin urgent de le voir. La vérité était qu'outre le fait de vouloir passer du temps avec lui pour rattraper ces lunes perdues, il avait le don de faire taire momentanément ses voix critiques intérieures et sa présence devenait bouée de sauvetage. Au moyen d'une drogue qui l'aurait fait planer, Elvazio offrait de la paix intérieure à sa soeur juste en étant prêt d'elle. Elle se savait égoïste de penser à lui comme à un phare pour la maintenir à flot vers le bon cap, et en même temps, elle pensait qu'il valait mieux se laisser dicter par son besoin de lui pour l'instant, plutot que de se renfermer sur elle-même au fin fond d'une grotte du Castel en ne voyant personne. Et puis, elle commençait à avoir l'envie de s'ouvrir, de parler de ce qui la tracassait, de lui demander son aide pour... Tout ça.

Par chance, il n'était pas très loin et elle le trouva rapidement. Hésitante, elle l'appela tout de même, espérant ne pas le déranger dans ses activités.

« Elvazio ? »

Dans un trot léger, elle vint jusqu'à lui, les oreilles en arrière et la mine timide. Elle n'était plus qu'une ombre, un fantôme.

La piste d'Elvazio menait en effet jusqu'à l'entrée du temple de la Renarde - elle y menait très régulièrement depuis longtemps déjà - puisqu'il s'y était rendu un peu plus tôt dans la journée. Il avait donné un coup de main non pas aux chasseurs mais aux guérisseurs pour trouver quelques remèdes au lever du jour, et avait profité de cette expédition pour trouver de jolis bouquets de fleurs orangées. Une fois les remèdes triés et rangés, il avait pris les plus grosses et les plus belles d'entre elles et s'était mis en route pour les Falaises littorales et la Crypte de la renarde. L'air était frais mais les rayons du soleil avaient réchauffé son pelage chocolat tandis qu'il longeait les rochers abrupts pour atteindre sa destination. Une fois arrivé, il avait déposé aux pieds de la statue sa modeste offrande, et de son pouvoir avait modelé une réplique miniature dela statue devant lui. C'était encore un peu maladroit, mais il ne désespérait pas de pouvoir rendre un jour la grâce de la déesse dans ses petites créations. Même si l'apparition disparaître dans un moment, il espérait que Dairo la verrait et l'apprécierait. Il était resté dans le temple jusqu'à ce que, dans une brume orangée, la statuette se désagrège. Puis il en était ressortit en laissant les fleurs.

Alors qu'il rejoignait le chemin en haut de la Falaise, une silhouette familière apparut à l'horizon. ses oreilles se redressèrent et une expression heureuse se dessina sur son visage alors qu'il reconnaissait sa jumelle.Il avait conscience qu'elle n'était pas tout à fait dans son état normal depuis son retour, et la voir ainsi dehors, profitant des rayons du soleil, lui faisait plaisir. Lorsqu'elle le héla, il la rejoignit en quelques foulées et vint frotter doucement son museau contre son cou en un salut affectueux. Il fut interpelé par l'air timide et peu assuré dont elle faisait preuve, qui n'était pas quelque-chose de souvent visible chez elle. Il rabattit les oreilles à son tour et demanda :

"Quelque-chose ne va pas ?"

Une lueur inquiéte s'était allumée dans son regard.

☼ 4 ans++ ☼
F A E I

Elle sortait de plus en plus souvent, et de plus en plus longtemps, osant à oetits pas aquérir une liberté perdue dans les mailles du filet de ses angoisses. Voir son jumeau, son air bienveillant et se sentir accueillie à chaque fois qu'ils se croisaient faisait déjà beaucoup pour elle. Elle souffla sur l'oreille d'Elvazio quand il vint la saluer d'une étreinte, comme lorsqu'ils étaient louveteaux et qu'elle cherchait à l'embêter un peu. C'était si naturel d'être avec lui, qu'elle aille bien ou non, elle pouvait laisser s'effondrer l'armure de glace bâtie autour de son âme. L'air concerné du mâle roux la fit sourire en retour, se voulant cette fois, rassurante.

« Je ne te dérange pas ? »

Sans doute que si. Même elle était capable de se voir avec recul et de réaliser à quel point elle n'était plus Solelio. Du moins pas la fière fille du Conseiller Athelstan. Plus non plus la garce descendante de Nachos. La louve brune et orange se trouvait sur le bord du ravin, à un pas de sauter dans une fosse inconnue où elle ne saurait quoi trouver sans y avoir bondit tête la première, et à un pas de reculer, de fuir vers ce qui lui paraissait le plus simple : retourner survivre au Nord. Hors Elvazio lui donnait chaque jour un peu plus de ce courage pour sauter dans l'inconnu et découvrir qui elle pouvait désormais devenir, sans l'ombre d'une mère mauvaise et d'un père au rang trop important. Elle se demandait comment son frère vivait cela. Après tout, elle l'avait souvent vu, autrefois, se mettre sur les épaules une pression trop forte pour plaire à leurs parents et aux autres. Avait-il compris aujourd'hui, qu'il était le roc, le ciment qui liait les loups les uns aux autres ? Qu'il n'avait pas besoin de se fondre dans la masse et faire comme tout le monde pour être apprécié ? Au final, elle ne savait de lui que leur enfance partagée. Quel adulte était-il vraiment devenu ?

« J'aurais souhaité... Ta compagnie, pour un moment. »

Quelques minutes ou quelques heures, elle ne le savait pas. Elle avait juste besoin du seul repère encore stable de son existence.

"Jamais." Répondit-il aussitôt, sans y penser tant c'était une évidence.

Il ponctua sa répondre d'un sourire sincère, qui exprimait autant cela que la joie qu'il avait à la voir venue aussi loin - et pas pour lui annoncer une mauvaise nouvelle -, de la voir sourire, de la sentir par instant comme plus heureuse. Ils n'avaient pas énormément discuté depuis son retour, pas parce qu'une distance s'était installée entre eux, mais parce que les choses se faisaient petit à petit. Il ne voulait ni la charger des problèmes et préoccupations qui noyaient ses propres pensées, ni la forcer à parler de ce qui la souciait ou de ce qu'elle avait vécu. Et puis ils avaient le temps, maintenant qu'ils étaient de nouveau ensemble, de profiter de chaque moment partagé, de ressentir quand l'instant était à parler et quand il était à écouter. Oh, bien-sûr, une part du jeune loup qu'il était brûlait de retrouver cette confidente qu'elle avait toujours été. Elle ne s'était jamais moquée de ses chagrins ridicules, de ses craintes, de ses interrogations et incertitudes. Elle et Ortie avaient été les piliers de son enfance, plus proches de lui que ne pouvaient l'être des parents. Cela faisait partie des choses qui avaient fait de ces dernières années une période terrible de solitude, parce que toutes les deux avaient disparu. Penser à la louve naine était toujours un pic dans son coeur, même s'il avait la sourde certitude qu'elle ne reviendrait jamais. Mais Solelio était revenue, et avec elle une partie de lui-même.

L'âge et les épreuves l'ayant assagi un peu, il patientait, il gardait pour lui tous ces secrets et toutes ces choses qu'il manquait désespérément de partager à quelqu'un. Il se demanda s'il en était de même pour sa jumelle, même si celle-ci avait toujours été un peu plus sur la réserve que lui - ce qui en soi n'était pas très compliquée -, peut-être dans son désir de faire ses preuves face à leurs parents. Mais aujourd'hui leurs parents n'étaient plus, et leurs ombres non plus. Et les deux jumeaux devaient apprendre à briller par eux-même, comme deux rayons de soleil.

Son coeur bondit lorsqu'elle s'exprima à nouveau, et exprima le désir qu'ils passent un peu de temps ensemble. Il lui répondit d'un petit coup de museau affectueux, sans besoin de mots car tout son être exprimait son bonheur d'être en sa compagnie. c'était sans doute l'un des avantages à être si lisible, même s'il savait que Solelio tout particulièrement comprenait ses états d'être. Même s'il y avait un petit détail dont il devait et voulait lui parler, et qu'elle avait peut-être remarqué sans en comprendre la teneur. Il se demanda si elle lui en voudrait d'avoir gardé cela secret tant de temps... Mais il aavit été incertain si longtemps. Désormais il était chagriné, mais fixé. C'était sans doute un mal pour un bien.

Il posa sur elle son regard bleu, l'un de leurs nombreux points communs, et dit doucement :

"La vue est magnifique sur ce chemin... On peut s'y promener, si tu es d'accord."

☼ 4 ans++ ☼
F A E I

Un mélange de soulagement et de gratitude fit s'échapper de ses narines un soupir amusé. Elvazio avait été si prompt à répondre, si ravi de sa demande, qu'elle réalisa à quel point ils étaient semblables une fois encore : lui, également, était en demande de ce lien si particulier qu'ils avaient partagé enfants. Relation inchangée malgré la distance, le temps, les angoisses de chacun. Simplement une timidité qui peu à peu s'évaporait pour leur rendre une complicité comme autrefois. La rouquine sourit plus franchement, allégée du doute de déranger son frère.

« J'en serais ravie. »

C'est naturellement qu'ils se mirent en marche dans la direction proposée. Pendant quelques minutes, Solelio retrouva le silence, observant, analysant le terrain, focalisant son attention sur le paysage et ses détails. Ceci afin de repousser les doutes qui l'assaillait encore, car elle avait envie de parler, de partager avec le mâle ce qui la taraudait. Elle savait que c'était là l'unique solution pour se défaire de ses derniers démons, abattre son dernier rempart pour guérir pleinement. S'il lui fallait batailler avec elle-même pour discuter avec la majorité des Etelkrus, elle réaliser qu'elle n'avait pas vraiment de peur face au jugement d'Elvazio. Alors elle se lança, tout à trac, parce qu'il fallait bien commencer quelque part !

« J'ai... Renoncé au Grizzli. Je suis allé lui présenter des excuses. »

Il lui était évident aujourd'hui, que son amour pour Aka était, bien sûr une foi indéfectible engrangée par son appartenance Etelkru, un reliquat de son adoration pour Athelstan et de l'angoisse la plus douloureusement et profondément ancrée dans son coeur : celle de ressembler à Nachos. Sa vie loin avait au moins mit en lumière ce fait : elle avait apprit à s'écouter et à réfléchir avant d'agir par delà la brèche parce que -malgré les voix intérieures désagréables pour la plupart-, l'instinct de survie primaire lui avait permis d'abandonner tout faux semblant et image de soi construite pour plaire à la société, pour rendre fier son paternel et minimiser la déception de sa mère. La jeune Solelio d'autrefois croyait dur comme fer être fille du Grizzli, et comme ce dernier l'avait si bien dit en acceptant ses excuses, la Solelio adulte ne lui était pas destinée.

Il lui emboîta le pas et ils se mirent à cheminer le long des hautes falaises. Comme pour mieux les accueillir, le vent calma ses bourrasques salées, se contentant de secouer doucement leurs cheveux que le soleil parait de reflets dorés. La terre crissait doucement sous leurs pattes. Solelio ne parla pas tout de suite, et du coin de l'oeil il la vit observer les alentours. c'était elle qui avait désiré sa compagnie, aussi sentait-il que ce n'était pas à lui de commencer cette conversation. Il inspira en silence, et se fit plus attentif lui aussi à ce qui les entourait. A la couleur du ciel, à la saveur de l'air, aux bruits de la vie qui les entourait. Le silence n'était pas lourd, parce qu'il était heureux d'être en sa compagnie, tout simplement. Il s'écoula un moment ainsi, où résonnait seul le bruit de leurs pas. Puis elle parla.

Les oreilles d'Elvazio se redressèrent légèrement de surprise. Comme elle, il avait inconsciemment attaché aux dieux l'image de leurs parents, et Solelio qui avait été l'apprentie d'Athelstan lui paraissait naturellement destinée au Grizzli. Etait-ce réellement là qu'elle avait ses plus grandes qualités, dans sa force, dans la brutalité de ce dieu ? Il ne la voyait pas exactement comme ça, il était vrai. Mais il n'était pas sans savoir que le plus important restait les efforts que l'on mettait dans sa foi aux Septs, et tout particulièrement dans celui que dont on désirait porter l'étendard. Lui-même avait été si longtemps convaincu qu'il ne méritait aucune des lumières Etelkrus, avant d'effectuer ce long travail pour trouver sa voie, qu'il était bien placé pour le savoir. Il lui lança un regard à la fois chaleureux et interrogatif.

"Qu'est-ce qui t'y as amenée ?" Demanda-t-il doucement.

Il ne craignait qu'une seule réponse, vu l'état un peu instable dans lequle elle se trouvait parfois depuis son retour : celle qu'elle ne se croit plus à la hauteur. c'était la seule chose qui pour lui aurait été une erreur - et sans doute un idicateur très inquiétant. Il ajouta :

"Il n'était pas... en colère ? Ou déçu ?"

Après tout, les dieux étaient imprévisibles - quoi que celà n'était pas si véridique chez les Etelkrus, il avait constaté avec les récits de ses camarades que les interactions des mortels avec les dieux pouvaient assez facilement voir leur conclusion anticipée. Il en était peut-être autrement dans les temples qui n'étaient pas les leurs. Aka, en plus de l'imprévisibilité, avait la férocité. Deux traits qui pouvaient faire un mélange explosif lorsqu'on les mélangeait un peu trop fort.

☼ 4 ans++ ☼
F A E I

Elvazio laissa échapper sa surprise et Solelio s'en amusa. Ce n'était pas étonnant en fin de compte, comme elle s'était toujours proclamée fille du Rouge enfant, pourquoi aurait-on même penser qu'elle changerait d'avis ? Nul ne pouvait savoir combien sa vie là-bas l'avait changée dans le sens où elle ne s’embarrassait plus de cette image de perfection à renvoyer.

« Le Nord. Là-bas. J'ai... »

Elle marqua une pause. Parce qu'elle n'avait encore parlé à personne de ce qu'elle avait vécu, pas même à Tawana qui avait prit tant soin de l'aider physiquement et psychologiquement. Mais lui, son frère, il méritait la vérité, entière, nue. Parce qu'il était digne plus que quiconque de sa confiance. Et parce qu'elle savait qu'il ne jugerait pas, même ses échecs.

« J'ai vu des bêtes immenses. Des monstres de force, de rapidité. Des prédateurs plus terribles que les fauves les plus aguerris, mais aussi des proies pourtant plus grosses que moi. La flore aussi étaient... Géantes. »

Nouvelle pause, cette fois également dans ses gestes, tandis que ses yeux se perdaient dans le vide, sans doute rejoignait-elle un souvenir. Celui où il lui avait fallu ruser avec les fruits gigantesques pour parvenir à piéger un animal, apprendre quelles baies ne lui seraient pas fatales et comment chasser ces espèces d'écureuil aussi gros que des cochons.

« La force là-bas ne m'était pas tellement utile. Aka l'a vu, il a compris, je crois. »

Conclut la rouquine, en réalisant qu'elle s'était arrêtée. Elle reprit donc le pas, et sourit à son jumeau.

Le Nord. Décidément, cet endroit n'apportait rien de bon. Il n'avait fait que déchirer les chairs et les coeurs, et leur apporter toujours plus de malheurs. Certains murmuraient que la Brèche ne se refermerait peut-être pas, et cette pensée paraissait terrifiante au mâle chocolat lorsqu'il y pensait. Il revivait le combat contre le monstre, revoyait le sang sur la glace, entendait à nouveau les rugissements, les paroles des siens jugeant qu'il était trop faible pour cet endroit-là. Le Nord avait blessé Anita, le Nord lui avait arraché Solelio, avait amené des créatures prédatrices et forcé de féroces batailles. Il ne pouvait pas aimer cet endroit. Ni rien de ce qu'il apportait.

Ce que sa jumelle raconta ne fit que le conforter dans cette certitude, et il prit en partie la mesure de ce qu'elle avait dû affronter. Seule. La culpabilité l'assaillit avec violence, lui qui s'était senti seul alors qu'il était au Castel, au milieu de loups pour le protéger, à pouvoir chasser et être soigné lorsque le besoin s'en faisait sentir. Il n'avait pas le droit de s'en plaindre, pas alors qu'elle avait vécu bien pire. Si ç'avait été lui, là-bas, il serait mort. Il n'avait aucun doute là-dessus. Peut-être aussi parce que personne ne se serait donné la peine de venir le chercher. Il chassa cette pensée, même si une ombre était passée sur son visage à l'évocation de tout cela. Lorsque leurs pas se suspendirent un instant, elle vint à la conclusion de cette tirade : celle que la Force ne résolvait pas tout, surtout dans un monde où les choses étaient toutes plus fortes et plus grandes que soi. Ainsi, durant cette expédition, elle avait dû développer d'autres qualités, plus intelligentes, plus futées. Il écarquilla légèrement les yeux, un peu surpris et ravi à la fois.

"Tu vas devenir une fille de Dairo, n'est-ce pas ?" Souffla-t-il "C'est la Ruse et l'Imagination qui t'ont sauvée là-bas."

C'était sans doute un peu bête et candide, mais il était heureux qu'elle soit destinée à porter la même couleur que lui. Sa queue battit légèrement l'air derrière eux. Son regard quitta un instant sa soeur pour se perdre dans l'horizon devant eux. D'u côté il y avait la mer, sauvage et étincelante sous le soleil. De l'autre des terres qui s'étendaient à perte de vue. Mais il n'y prenait pas attention, méditant sur les paroles de Solelio, tâchant d'imaginer quelle avait pu être sa vie là-bas.

"Je t'admire." Dit-il doucement. "Tu as été si forte... Plus que la Force elle-même. Je n'aurais jamais su m'en sortir là-bas."

Ses yeux revinrent sur elle.

"Comment est-ce que tu as fait pour garder espoir ?"

Lui n'avait jamais douté du fait qu'elle revienne, mais lui avait été au chaud au Castel. Qu'en était-il, lorsqu'on était perdu, seul et abandonné au grand froid ?

☼ 4 ans++ ☼
F A E I

Elle remarqua l'expression de son frère changer, mais ne saisit pas, cette fois-ci, l'ampleur de ce qui se tramait dans le crâne de ce dernier. Elle supposait qu'il avait dû entendre d'autres histoires plus terribles sur là-bas qui lui revenait en mémoire a cet instant. Elle lui sourit, avec bien plus de chaleur que ce qu'elle avait été capable depuis son retour. Elle opina du chef pour confirmer à Elvazio qu'il avait vu juste. Elle espérait porter l'orange, et ne tarderait pas à aller affronter l'épreuve de la Renarde. Elle sentit la complicité avec son jumeau s'étendre alors qu'ils partageraient, bientôt elle l'espérait, la même confession. S'ils avaient toujours été aussi différents de caractère que semblable de pelage, se retrouver sous l'égide d'une même Déesse ne pouvait que les réunir davantage. Tout comme, dans un coin de sa tête, la rouquine espérait qu'il y aurait là également matière à se rapprocher d'Helga, au moins un peu. L'admiration de son frère la laissa étonnée, et un peu amusée aussi, alors qu'elle aurait pu lui retourner les mêmes paroles avant de partir, tellement elle avait de tendresse et fierté pour le mâle chocolat et piment autrefois. C'était toujours le cas, mais il lui fallait réapprendre à le connaître, lui, ses rêves, ses aspirations, et ses nouvelles peurs, sans doute aussi. La question suivante lui glaça le cœur et vida tout l'air de ses poumons tellement la peine lui était encore lourde. Pire était ce sentiment alors qu'elle le savait illégitime d'exister.

« Je... J'ai été malade de solitude. »

Avoua t-elle en baissant ton et museau, comme coupable.

« Mon esprit m'a joué des tours et... Il y avait Evan. Enfin non. Mon coéquipier Nakhu, il a été mangé par un monstre mais... Mes... hallucinations l'ont fait être là, être avec moi et... »

Sa voix s'étrangla, tellement il lui était impossible de dire l'entière vérité. Qu'elle avait aimé un fantôme, aimer le souvenir biaisé d'un loup méconnu, aimer une entourloupe de son esprit pour la garder sur le qui-vive et la faire survivre. Mécanismes de défenses contre l'isolement et la peur quotidienne de ne pas passer la journée ou la nuit suivante, les voix entendues et la vie imaginée là-bas n'avaient rien de réelles. Notamment les mots plein de fiel de Nachos, les piques d'Orthalice ou les encouragements de son jumeau. Ils lui avaient juste permis de survivre, encore et encore, l'a rendant plus folle chaque jour au point d'avoir voulu mordre la patte tendue venue la chercher, au point de n'avoir pas compris qu'Alexandrine était là pour la récupérer, pour la ramener à la maison qui n'était plus sienne. Mais où était son foyer ? Car elle avait été persuadée d'avoir fait sa vie là-bas, avec l'Aviaire aux plumes colorées. Elle avait aimé une bûche rehaussée d'un crâne de Mégacéros. Elle avait aimer un loup fabriqué par son esprit atteint de démence. Voilà la vérité, voilà l'espoir perdu qu'il l'avait pourtant maintenu en vie quand elle ne priait plus Aka ou Dairo pour revoir les siens, mais qu'elle les louait pour être forte et maligne le lendemain, et le jour d'après, et le jour suivant, et... Voilà pourquoi elle n'était plus qu'une ombre, une loque.

Voilà pourquoi elle était détruite, incapable de voir le vrai du faux, vide de celle qu'elle était et pas encore pleine de celle qu'elle pouvait maintenant devenir. Une nouvelle fois face à ce frère à qui elle pouvait tout dire, tout lâcher, ce sont les larmes qui parlèrent pour elle en premier lieu. La détresse de son regard fini d'avouer la nature de la relation vécue avec l'idée d'un Evan. Sa gorge nouée et amer l’empêchait de toute façon d'en dire plus. Mais il n'y avait rien de plus à dire. Elle avait vécu par ce que son instinct de survie était plus fort que sa raison. Et ce n'était en rien quelque chose à féliciter.

Il était incapable de dire ce à quoi il s’attendait en posant sa question, mais le changement qu’il perçu chez Solelio lorsqu’il l’acheva lui fit aussitôt regretter ses paroles. C’était peut-être trop tôt, trop vite, trop maladroit de sa part. Parce qu’il n’était sûrement même pas capable d’imaginer ce qu’elle avait vécu et que ce n’était pas à lui de lui demander d’en parler. Une sorte de détresse lui serra la gorge, et une part de lui aurait voulu s’effondrer en pleurs et en excuses à cet instant. Mais maintenant c’était dit, et il devait être une oreille attentive si elle souhaitait se confier à lui, ou accepter les crocs qu’elle sortirait si elle ne le voulait pas.

Malade de solitude. Qu’est-ce que cela pouvait signifier ? Il avait l’impression de pouvoir comprendre, et en même temps quelque-chose au fond de lui lui hurlait que ce n’était pas possible. Il pressa son épaule contre la sienne en un soutien muet mais auquel il ne put résister lorsqu’elle baissa la tête. C’était lui qui avait lancé ce sujet difficile, elle n’avait pas à avoir quelque honte que ce soit. Il l’écouta parler, évoquer un loup du nom d’Evan, évoquer des images créées par son esprit. C’était glaçant, c’était terrible à entendre, et l’incapacité qu’il avait eue à l’en tirer le déchirait de l’intérieur. Ils l’ignoraient, mais une semblable voix, au fond d’eux, leur avait craché combien ils n’étaient rien.

Il ressentit plus qu’il ne comprit réellement ce qui avait pu se passer entre elle et ce fantôme, mais l’histoire était trop incomplète encore pour qu’il n’en fût certain. Il se dessinait dans son esprit le scénario dans lequel elle avait éprouvé quelque-chose à l’égard de ce loup, qui avait été tué. Mais quelque-chose en elle avait refusé qu’il ne meure et il était resté, d’une certaine manière. Juste pour elle, dans ce que d’autres loups auraient appelé de la folie. Mais que lui voyait seulement comme une douleur immense, infinie, un gouffre dans lequel elle avait chuté si longtemps et si loin que celle qui en était revenue devenait soudain plus claire et plus logique. c’était pour celà, qu’elle était si méfiante. son esprit était parvenu à duper ses sens, alors que pouvait-elle croire maintenant ? Etait-elle même convaincue que ce qui se passait en cet instant était réel ? Son épaule se pressa un peu plus contre celle de la louve, comme pour lui montrer qu’il était là, qu’ils étaient tous les deux bien ancrés sur cette terre, sans visions ni illusions.

Il croisa son regard, et du museau essaya délicatement une larme qui coulait sur sa joue. Il y eut un instant de silence où ils parlèrent sans mots, où seules leurs émotions s’entremêlèrent dans un échange qui n’avait de sens que pour eux.

"Aujourd’hui tu es là." Murmura-t-il. "Et tu n’es plus malade."
Parce que tu n’es plus seule. N’est-ce pas ?

Il posa son front contre sa joue et ajouta doucement :

"Est-ce que… tu as pu lui dire au-revoir, à Evan ?"

La pensée lui était venue que, fantôme ou pas, peut-être ce loup qui lui avait été arrachée était l’un des traumatismes qui l’avait tant changée. Avait-on dressé une stèle pour lui au Cimetière ? Avait-elle eu l’occasion de lui faire ses adieux ? A lui, à son spectre, peu importait. Il paraissait si important pour elle.

☼ 4 ans++ ☼
F A E I

Bien qu'elle sois intimement convaincu qu'Elvazio était tout sauf critique, la peur qu'il pose sur elle un regard de dégoût, de déception ou de pitié lui vrillait l'estomac. Elle entendait presque déjà sa voix innocente continuer un interrogatoire qui aurait en fait prit forme et voix de la génitrice à la langue de vipère. Mais il n'en fût rien. Au contraire, la pression contre son épaule se renforça, support physique et moral d'un frère compréhensif. Une nouvelle pression sur sa joue, lui fit réaliser combien son jumeau était celui qui l'a maintenait debout, celui qui était l'autre part d'elle-même : la moitié forte, tenace, endurante malgré les mots et les maux. Pour lui et avec lui, grâce à lui, elle remontait la pente de cet abyme effroyable. Leurs regards identiques se croisèrent, s'ancrèrent l'un dans l'autre comme une bouée de sauvetage. "Aujourd’hui tu es là." Lui murmura-t-il. Ce qu'elle entendit, la rouquine, donnait plus dans le aujourd'hui je suis là. Son jumeau était présent. Et rien ni personne ne pourrait plus les diviser. Jamais. Elle le promettait devant la Trinité. Elle n'était pas guéris complètement, non, mais elle était sauvée, elle était sur la voie de la rédemption et de la rémission. Bien sûr, il restait des moments comme celui-ci où elle croyait retomber dans l'enfer et où ses angoisses repointaient leurs museaux ignobles. Elle était soulagée de voir que même si elle chutait encore, ce n'était pas bien loin. Désormais elle avait un filet de sécurité, elle avait une ligne de vie qui l'empêchait de tomber au fond du gouffre.

« Non. Mais on m'a dit qu'il avait... Une place. Au cimetière. »

On l'avait arrachée au territoire qu'elle avait fait sien. A cause du danger, elle avait dû tout quitter sans même prendre le peu d'affaires qu'elle avait, sans dire au revoir aux bûches parlantes avec les voix de ses proches, ni à l'ersatz de statue d'Evan dans sa tente de feuillage. Alexandrine et Anita l'avait forcée à venir immédiatement avec elle, à fuir les rocheuses où elle vivait depuis deux ans. Sans lui laisser un regard en arrière. L'Hybride avait toutefois présenté ses excuses, ayant réagit à l'urgence. Ça avait été dur à avaler, difficile effectivement de faire la part des choses entre le réel et la fiction, mais peu à peu la raison était revenue. A force de côtoyer des vivants qui racontaient tous la même version, son esprit n'avait plus eu d'autre choix que d'accepter la terrible vérité. Au moins ne vivait-elle plus dans un fantasme, lui permettant ainsi de soigner une à une les lacérations de son cœur et de son âme. Et ça fonctionnait plutôt bien jusqu'à maintenant. Elle sécha ses larmes d'un revers de pattes et frotte sa tête contre le menton d'Elvazio. Heureusement qu'il était encore là, heureusement qu'elle l'avait retrouvé. Elle n'avait plus que lui. Redeviendraient-ils un duo de choc ? Elle l'espérait tant. Le deuil et la mort étaient des sujets compliqué à aborder, à cerner aussi dans son propre ressenti parfois. C'est doucement vers Athelstan que l'esprit de la rouquine se dirigea. A lui non plus, elle n'avait pu dire au revoir.

« Est-ce que... Pour Père... ? »

Que voulait-elle demander ? S'il avait été là ? S'il l'avait vu ? Si lui avait pu dire adieu ? Si elle-même avait manqué au Conseiller ? S'il l'avait demandée ? S'il avait perdu espoir pour elle ou s'il n'avait pas cherché plus loin, comme pour Rowena ou Salazar ? Elle savait que chacune de ses questions seraient culpabilisantes sans pourtant le vouloir, elle même se sentait honteuse d'avoir été si loin. L'idée de dire au revoir pour tourner la page lui fit demander, peut-être un peu abruptement :

« Crois-tu que nous pourrions aller les voir ? »

Pas aujourd'hui, ni même demain. Mais une fois, à l'occasion. Pour tirer un trait et clore ce deuil. Finalement, comme à chaque fois, l'étreinte fraternelle apaisa assez ses sens pour se remettre à fonctionner correctement, pour retrouver patte sur terre. Pour ne plus se laisser déborder et contenir ses émotions comme une adulte.

Il hocha doucement la tête lorsqu'elle lui répondit qu'il avait été enterré au Cimetière, et avant qu'elle ne le propose il savait déjà que l'une des choses qu'ils devraient faire serait de réparer cette erreur-là. De lui permettre de saluer une dernière fois ce loup qui avait eu dans son esprit et dans son coeur tant d'importance, alors qu'elle se trouvait seule si loin de tous. Il ne connaissait pas les détails de l'expédition. Lorsqu'Anita était revenue, il ne l'avait pas questionnée à ce propos, parce que celà réveillait en lui beaucoup de douleur et de culpabilité. Il s'était concentré sur la joie qu'il avait eue à voir revenir la louve ailée vivante, et au bonheur que lui faisait éprouver sa bonne nouvelle. Un jour peut-être construirait-il dans sa mémoire ce morceau d'histoire auquel il était convaincu qu'il aurait dû participer. La honte était encore bien présente, voile noire sur ses pensées, lorsqu'il y songeait.

Elle parla à nouveau, cette fois-ci pour évoquer leur père. Une autre ombre au tableau, un autre pilier qui s'était effondré pendant ces douloureuses lunes. c'était une drôle d'ironie qu'il eût choisi de disparaître alors même que son fils renaissait enfin de ses cendres, faisait enfin un premeir pas sur un chemin dont peut-être un parent aurait pu être fier. Le Chevalier s'était éteint alors qu'il se trouvait encore chez Dairo. Il avait appris la nouvelle en revenant au camp, gonflé de joie et de fierté. Il s'en était allé sans jamais savoir que son cadet avait fait quelque-chose de bien une fois dans sa vie. C'était peut-être ça qui avait été le plus douloureux pour lui. Il attendit la fin de sa question, et elle ne vint pas. Pas tout à fait.

"J'aimerais beaucoup." Souffla-t-il en réponse, la voix légèrement serrée. "J'aimerais que nous allions lui dire au-revoir ensemble. Et tu pourras me présenter Evan. Nous pourrons parler d'eux."

D'aucuns auraient pu trouver ça étrange, mais pour lui c'était important. Contrairement à ce qu'il avait songé, avec les événements du Nord et les menaces qui pesaient sur la meute, Athelstan n'avait pas eu de belle et grande cérémonie. Il avait été sobrement mis en terre et on avait dressé une pierre scupltée de la croix des Chevaliers, semblable à celle de Méléagant. Elvazio avait été seul, terriblement seul, à ce moment-là. Même s'il n'avait jamais eu l'amour de ce père - du moins le pensait-il - il était le dernier repère de sa vie. Il avait alors compris l'un des sens de la solitude ; pas celle d'être physiquement seul, mais de l'être à l'intérieur.

"Il s'est inquiété pour toi." Ajouta-t-il doucement. "Il ne pouvait pas partir dans le Nord mais..." Il avait baissé un instant les yeux, comme pour chercher se smots, et les releva vers elle. "... je crois que de notre fratrie, tu es celle dont le départ a été le plus difficile. Il croyait en toi."

Il avaitpeur qu'elle ne culpabilise, mais il espérait lui faire comprendre combien elle avait pu compter pour le Chevalier. Il avait souvent eu, dans ses moments sombres et en voyant la mine préoccupée de son paternel, l'amère pensée qu'il n'en aurait pas été de même si lui avait disparu. Même Godric, Salazar et Rowena n'avaient pas dessiné sur son museau cette inquiétude. Peut-être avait-ce été simplement l'âge... Mais il en doutait.

pour adoucir un peu l'atmosphère, il se décala d'un pas et ajouta d'un ton calme :

"Je me suis entraîné à dessiner des fleurs.. POur pouvoir les mettre sur sa tombe, avec Helga et toi."

Il joignit le geste à la parole et croqua devant elle quelques corolles lumineuses. Certes, il restait encor eu peu de travail avant qu'on ne puisse les trouver naturelles, mais il avait au moins ce minuscule objectif qu'il s'efforçait de suivre. Un sourire un peu triste et un peu amusé fleurit sur ses babines, comme s'il était désolé de ce résultat mitigé.

☼ 4 ans++ ☼
F A E I

Elle acquiesça dans un sourire triste, parce qu'une fois encore, il savait ce qu'il fallait faire Elvazio, il comprenait le besoin et le pourquoi. Comment pouvait-elle ne pas louer les Dieux pour avoir retrouver un frère pareil ? Comment pouvait-elle ne pas être simplement heureuse de connaître un tel loup dans son entourage proche ? Son jumeau était un cadeau du ciel et tout ceux qui jusque la ne l'avait pas comprit n'était que des abrutis. Hors peu de loups ne l'avaient pas encore compris, et cela l'a rendait terriblement peinée pour lui. Si elle avait seulement su qu'Athelstan était parti au moment même où son frère se réconciliait avec ses forces, où son frère prenait en patte son destin... Probablement que la colère aurait remplacée énormément de la tristesse ressentie alors. Elvazio avait toujours mérité plus qu'elle la confiance et la sympathie des autres. Et Anita... S'était-elle rendue compte des qualités du rouquin ? Son frère nourrissait-il toujours sentiments forts à son égard ? Solelio se rendait compte à quel point elle avait tant manqué de choses ici. Qu'elle avait été idiote de partir seule. Si elle avait su par avance tout cela, elle aurait demandé à son jumeau de l'accompagné. Ils auraient été une équipe, et seraient revenus en conquérants. L'un sans l'autre... Du moins elle sans lui, ne fonctionnait pas assez bien.

Malgré ce maëlstrom de sentiments, la réplique du fils de Dairo l'a toucha profondément. Leur père avait cru en elle. Il s'était inquiété pour elle. De tous ses enfants, c'est d'elle dont l'absence avait le plus pesée. Et c'était terriblement injuste pour les autres. Terriblement injuste pour ceux qui restaient là et qui avaient besoin de lui. Elle était flattée évidemment, et son coeur se gonfla d'un peu plus de confiance en elle et de fierté retrouvée. Elle se trouvait toutefois une nouvelle mission instinctive : celle de réparer les erreurs de son père au travers de sa présence à elle. Celle de protéger sa fratrie restante et de les faire se sentir plus aimés et entourés que jamais. Elle était la digne successeure d'Athelstan, et serait un Chevalier pour porter les valeurs de son père plus loin. Peut-être était le déclic nécessaire, ou peut-être que parler de ces choses que la louve brune et orange n'avait encore dite à personne, venait de lui faire un formidable bon en avant. En se trouvant un objectif, une ligne à suivre pour les prochains temps, elle s'autorisait à penser à un avenir pour elle, elle acceptait l'idée d’avoir encore une place ici. Une nouvelle énergie pulsait à ses tympans, à son coeur, à son ventre si bien qu’elle se redressa et sourit plus largement. Dans ses prunelles de glace brûlait une nouvelle résolution au travers des restes humides de larmes. Elvazio s'éloigna d'un pas, et le vide se creusa contre son poil.

Elle focalisa son attention sur les pétales vifs et brillants, appréciant la finesse du trait et l'incroyable tendresse qui émanait de l'art de son frère. Encourageante, elle plissa les yeux en s'en approchant plus prêt.

« Je peux imaginer leur odeur. Elles sont très belles. C'est une excellente idée. »

Comme il avait mentionné Helga, elle supposa qu'il avait pu lier avec leur sœur aînée une réelle relation fraternelle pendant son absence. C'était une bonne chose.

« Ça nous fera du bien, une réunion de famille. »

Du mois l'esperait-elle.

Il remua la queue et son sourire se fit moins triste, en partie grâce aux paroles de Solelio, mais surtout grâce à son attitude qui soudain avait changé. Elle se tenait plus droite, avait le regard plus alerte, et les larmes de l'instant précédent n'étaient plus que traces sur ses joues. La présence de ce qu'elle était avant de vivre toutes ces épreuves l'habita à nouveau. Comme pour l'y encourager, il sembla au loup chocolat que le soleil brillait plus fort, embrasant sa chevelure dans laquelle venaient jouer les doigts salés du vent. En la voyant ainsi, il était convaincu d'une chose : Athelstan ne s'était pas trompé. Il avait vu en elle les prémices de la grandeur, et elle les incarnerait. Elle saurait se faire sa place dans l'Histoire.

"Merci." Souffla-t-il en réponse à son compliment.

Sa modeste création était encore bien loin d'égaler les oeuvres du disciple de Dairo qui avait décoré la Crypte de magnifiques fresques, mais il espérait un jour parvenir à l'utiliser pour créer une offrande dont il serait réellement fier. En attendant, lorsqu'il parvenait à dessiner quelque-chose un peu mieux, à être satisfait, il l'ornait de fleurs et allait la déposer aux pieds de la Renarde. Il savait que ces choses lumineuses et éphémères s'en allaient en fumée au bout d'un moment. Mais elles représentaient un chemin sur lequel il avançait, doucement, à petit pas mais à petit pas qui allaient en avant.

"Je l'espère." Répondit-il. "Je crois que nous en avons besoin tous les trois."

Chacun à sa manière traversait des périodes plus ou moins difficiles, avait plus ou moins souffert de la disparition du Conseiller. Mais ils partageaient le même sang. Ce n'était sans doute pas rien, même si leur point commun n'avait pas été d'un grand secours pour les aider à se sentir une vraie famille. Alors qu'il y songeait, la fleur soudain s'évapora avec un petit bruissement. Il regarda les fumerolles s'envoler au gré du vent, vers la mer. Et cette scène lui en rappela une autre, récente, intense. Après tout ce que venait de lui révéler Solelio, après ce qu'elle lui avait partagé, une part de lui ne pouvait s'empêcher de se sentir un peu penaud à l'idée de lui révéler l'une des choses qui le taraudait. Le souvenir du jour de la cérémonie de la meute était presque aussi récent, presque aussi douloureux. Au moins cela lui avait-il permis de commencer à nouer un lien avec celui qui partageait son sang, d'une autre manière qu'Helga.

Ils reprirent leur marche un instant, le temps qu'il trouve comment exprimer ce qu'il avait sur le coeur.

"Il y a quelque-chose... Quelque-chose dont je voulais te parler." Lança-t-il finalement, le regard toujours vers l'Océan.

Il eut un instant d'hésitation, un peu vertigineux, comme avant un grand saut. Il n'avait jamais confié ce secret à personne, et la perspective de le faire était comme un grand saut, même si c'était le dire à Solelio. Il avait l'excuse de ne pas avoir compris tout à fait ce de quoi il s'agissait au début, et ensuite il s'était retrouvé seul. Mais là encore, il avait cherché des excuses, il s'était caché derrière de futiles barrières. Il avait fallu cette fameuse cérémonie pour qu'il comprenne enfin, qu'il mette des mots sur ce qui s'était niché dans son coeur. Il inspira profondément.

"Anita... Je crois que je l'aime."

Sa voix s'était faite un peu plus basse, et surtout son visage avait revêtu un masque d'une intense tristesse. Il avait toujours vu autour de lui et entendu dans les histoires des annonces heureuses de telles révélations. Mais lui le vivait comme une sorte de deuil de son bonheur. C'était ridicule, il le savait bien, ignorant combien les peines du coeur peuvent être douloureuses. Il n'ajouta rien, parce que la suite se devinait à son ton. Sa certitude qu'il n'y avait pas d'avenir dans ce chemin-là, cette révélation qui aurait dû être heureuse et qui était en réalité une mauvaise nouvelle. La peine était quelque-chose qui se dessinait facilement sur son museau, mais ce chagrin-là était bien plus profond. Il y avait presque dans son ton une sorte de résignation. Il avait déjà éprouvé à l'égard de cet amour désespéré tant d'émotions qu'il en était peut-être arrivé au point final. Mais à chaque fois qu'il avait l'impression de s'apaiser, ils se croisaient, ils se parlaient, quelqu'un l'évoquait dans une conversation, un souvenir lui revenait. Et alors la tempête recommençait, toujours avec le même schéma. L'émerveillement se mélangeait à la détresse, la candeur au désespoir, l'idée du bonheur à la désillusion.

Il laissa échapper un soupir, baissant un peu la tête. Son regard coula vers le sol alors qu'il ne pouvait plus parler pendant quelques instant, le coeur gros.

"Je ne pensais pas, avant... que ça faisait mal d'aimer." Murmura-t-il en relevant un peu les yeux vers elle.

Son récit et la tragique aventure qu'elle avait vécue aux côtés d'Evan le rendaient certains qu'elle comprendrait ce sentiment, même si encore une fois c'était tâché d'une once de culpabilité. Pour elle, le loup ne reviendrait jamais. Elle n'aurait même pas la douce consolation de pouvoir lui parler quand même, de pouvoir sentir son odeur, profiter de sa compagnie même lointaine. Elle n'avait qu'une pierre sur laquelle serait gravé son nom. Il s'en voulait de se sentir si triste, alors qu'elle avait bien plus de raisons d'être consolée que lui. Mais ce loup qu'il ne connaitrait jamais avait connu une Solelio qu'il avait forcément admirée. Comment en serait-il possible autrement ? Alors qu'Anita...
Il la revoyait face à lui, sa jolie tête balançant de gauche à droite. Non. C'était non.
Non, Anita ne l'admirerait jamais. Anita ne l'aimerait jamais.

Il chassa un peu trop tard cette pensée, qui crispa légèrement ses traits.

☼ 4 ans++ ☼
F A E I

L'épineux sujet trouvait une forme de réconciliation pour les deux âmes en peine ici présentes dans cette promesse tacite de se permettre des adieux à haute voix, face aux stèles des disparus. C'était un début de soulagement que de sentir en soi la fin proche d'une période difficile, ou du moins d'imaginer un évènement mettant un point final aux souffrances trop vives. Un temps de silence s'étira sans être pesant, alors que les deux loups aux cheveux de feu reprenaient leur route. Longeant -pas exactement au bord mais pas trop loin- le précipice, Solelio se rappela être passer par là lors d'une patrouille avec son père, dans le sens opposée. Cette image ne lui était qu'un humble souvenir heureux, s'étant rendue à sa mémoire à un moment propice pour affirmer la résolution prise quelques instants plus tôt. Elle marchait dans ses traces, dans un sens ou dans l'autre, elle restait dans ses empreintes rassurantes. La voix de son jumeau capta son attention et elle redressa la tête, tournant le museau vers lui. Il fixait l'Océan, comme si le paysage sans fin devant lui pouvait apporter du courage. Pour l'instant, quelque chose d'aussi infini et inconnu nourrissait plutôt les angoisses de la femelle, alors elle fronça les sourcils, préférant se concentrer sur Elvazio et son nouvel aveu. Il fit durer le suspens, et elle comprit que c'était là aussi, un sujet difficile à aborder pour son jumeau. Lorsque le nom et premier mot de la phrase tomba aux creux de ses tympans, le vent aurait pu emmener loin d'elle le reste des paroles, qu'elle aurait su ce qu'il allait dire.

Ainsi donc son admiration pour la fille de l'Alpha et de la Prêtresse de Kiro, devenue elle-même Alpha et Prêtresse jaune, n'avait fait que croître. Les étincelles d'émotions positives d'enfant avaient été soufflées, encouragées, ravivées au point de créer dans la poitrine de son frère un incendie ravageur. A sa mine déconfite n'exprimant pas l'insouciance, à son regard vide de chaleur et de bonheur que cette révélation aurait dû provoquer, elle comprit aussi que c'était un amour blessé. Avait-il déclaré sa flamme à l'hybride ? L'avait-elle rejeté dans un sourire tendre et désolée comme elle seule savait si bien le faire ? Etait-il certain que ses sentiments étaient à sens unique ? Ou était-il persuadé de l'interdit de cette amour à cause de la hiérarchie les séparant ? Pensait-il ne pas mériter l'attention de la louve aux yeux d'améthyste et abandonnait-il sans combattre ? Estimait-il n'avoir le droit d'espérer ? Ou pire... Quelqu'un savait-il et avait piétiné ses rêves sans lui laisser la possibilité d'y croire ? Elle le vit baisser la tête, et soupirer. Par deux fois. Comme si ce fait, d'aimer l'Alpha, était écrasant pour lui. Comme si ses épaules pourtant pas si frêles ne supportaient le poids de tels désirs ? Une colère sourde s'empara de la rouquine. Contre tout et rien à la fois. C'était tellement injuste de voir son frère, sa moitié, souffrir ainsi alors que plus que quiconque il méritait d'être aimé, d'être respecté et admiré. Lorsqu'il -enfin- chercha à nouveau son regard, elle vint simplement l'étreindre, d'abord sans un mot.

C'était à elle, cette fois, de jouer la grande soeur. Elle ne voulait pas l'encourager au risque qu'il s'effondre plus difficilement s'il n'y avait aucune chance, mais elle ne voulait pas non plus le voir abandonner sans être certain du refus de la louve ailée. Parce que Solelio était persuadée qu'Anita n'avait pas pu louper les sentiments du mâle chocolat, ses émotions étaient inscrites dans ses yeux, sur son museau, comme dans un livre ouvert à la bonne page. Et si son frère avait été jusque là, forcément c'était la faute de l'autre qui n'avait pas su mettre de distance, qui n'avait pas su être ferme dès le début.

« Tu lui as dit ? »

Elle n'avait besoin que d'un mot pour aller bottin les fesses de celle qui avait brisé le cœur de son jumeau. Alpha ou pas. Amie ou pas.

Il fallait croire pourtant que leur alpha nouvellement nommée ne l'avait pas vu. Que personne ne l'avait vu. C'était toujours moins douloureux que d'imaginer que, comme tout ce qu'il ressentait, chacun avait clairement perçu ce qui se tramait au fond de son coeur, et que tout le monde l'avait ignoré. Surtout Anita. Il préférait croire qu'il savait garder ce secret, que c'était la seule chose qu'il eût jamais été capable de cacher, plutôt que de faire cette autre supposition. Ses oreilles frémirent à la question de Solelio, une question simple qui amenait une réponse qui aurait dû l'être tout autant.

"Non."

Mais ça ne l'était pas tant que ça, simple, n'est-ce pas ?

"A quoi bon ?" Murmura-t-il d'une voix un peu cassée.

La tristesse ne s'en alla pas de son visage alors qu'il lui racontait, brisant enfin la distance qu'il y avait entre eux pour retrouver cette aisance et cette spontanéité avec laquelle il lui avait toujours confié ce qu'il ressentait, ces souvenirs qui mettaient son coeur fragile en miettes. Il lui raconta comme il avait travaillé pour valoir quelque-chose, et que ça n'avait servi à rien, car ça ne l'avait pas rendu assez fort pour qu'il puisse les accompagner pour la sauver. Lui qui pensait toutes ses larmes à ce sujet taries depuis longtemps se rendit soudain compte que ses prunelles bleues en étaient à nouveau emplies -Sa peine avait-elle seulement une fin ?. Il lui raconta la blessure de son coeur en comprenant qu'il ne valait même pas assez pour qu'on le laisser partir chercher sa propre soeur. Il lui raconta le retour aussi, après ce temps à panser ses plaies intérieures, cette fleur qu'il lui avait offerte et qui n'avait rien éveillé en elle d'autre qu'une vague félicitation. Peut-être n'était-ce pas tout à fait vrai, en réalité, ce qu'il lui avait répondu. Cette fleur orangée, la première de ses créations qu'il avait offerte à quelqu'un, avait été pour lui une perche.
Elle ne l'avait pas saisie.

Puis, ne pouvant s'en empêcher, il ajouta un peu pitoyablement :

"Je suis désolé... Toi ce que tu as vécu, c'est bien plus.... bien pire, c'est... c'est moi qui devrait te consoler." Il eut un sanglot sans larmes, brûlant sa gorge.
La tête contre l'épaule de sa jumelle, il ne pleurait pas vraiment, mais tout son corps était crispé de cette douleur qu'il tâchait tant bien que mal de cacher depuis si longtemps. De ce mal-être qui se cristallisait lentement au fond de lui, fusionnant avec son identité, le construisant comme quelque-chose qu'il haïssait.

"Si tu n'étais pas là, je ne serais plus rien. Je ne vaudrais plus rien." Murmura-t-il si bas que ses paroles furent à peine audibles dans le vent environnant. "J'aurais dû te sauver... Mais c'est toi qui me sauves."

☼ 4 ans++ ☼
F A E I

Elle écouta sans un mot le flot de mots que son frère lui offrit. Il exprima ce qu'il taisait depuis trop longtemps,ce qui pesait sur son coeur et son esprit et l'empêchait, d'une certaine façon d'avancer. Elle réalisa que dans tout ça, elle était une part responsable et la culpabilité l'envahit d'avoir ajouter au malheur d'Elvazio. A cela vint pourtant se gonfler une autre émotion : la colère. La farouche hargne qu'elle avait toujours eu à défendre crocs et griffes son frère trouvait un nouvel essor. Parce que pendant son absence, personne n'avait cru bon de donner une chance au rouquin de prouver sa valeur et ses forces. Dans le tourbillon de ses propres émotions encore parfois difficilement gérables s'enchevêtrèrent les peines de son jumeau. Elle aurait dû être là. Elle aurait dû être là ! NON. NON NON NON ! Tu as le droit de dire ce que tu ressens. Tu as le droit d'être respecté. Tu as le droit d'essayer, de vivre et d'aimer.

« Jvais lui en faire manger des bouquets complets de fleurs à cette bécasse. »

Comment n'avait-elle pu ne pas comprendre ? Avait-elle plutôt jouer les ingénues par peur de blesser Elvazio ? Ne voyait-elle pas qu'elle l'atteignait plus encore en jouant les écervelées ? Solelio serra les crocs pour ne rien dire de plus mesquin, frottant son front contre l'encolure de son frère, comme pour adoucir ainsi ce qui le faisait tant souffrir. Pourquoi fallait-il que les émotions blessent plus encore que les coups ? Elle en savait quelque chose, chaque parole de Nachos avait été pour elle une épée plantée dans la poitrine, là où ses coups n'avaient été que des bleus furtifs.

« Non. C'est faux. Là bas, si j'ai survécu c'est parce... que ma tête m'a joué des tours. Tu étais là pour m'encourager, du moins ta voix. Comme celle de Père beaucoup moins souvent, et... Celle de notre mère. Et Evan. Vous étiez tous là, aussi réels que si vous aviez été à mes côtés. Alors non, ce n'est pas pire, pas vraiment. C'était comme ici, juste en... Moins confortable. »

Tout comme elle avait toujours tût les sévices de Nachos, elle ne dirait rien de plus sur la trahison de sa propre imagination. L'aveu pourtant, dit haut et clair était déjà plus que ce qu'elle avait osé lâché auprès des soigneurs. Malgré la méchanceté soutenue de sa génitrice et les encouragements plus timides des mâles de sa famille, elle devait avouer que chacun à leur façon, ces aberrations de son mental l'avaient aidé à pousser toujours plus loin dans ses réserves et l'avait donc aider à survivre. Le reste n'avait été que routines, patience, observations. Sa folie malsaine avait donc au moins le bénéfice de l'avoir retranchée derrière un instinct de survie exacerbé. Dans son malheur, elle avait eu de la chance. Alors non, non, jamais elle ne permettrait à Elvazio de croire que ses problèmes valaient moins. Jamais.

« Tu m'as sauvée. C'est toi qui m'a aidé à survivre là-bas. Alors si quelqu'un peut dire ça, c'est bien moi. Je ne serais plus là, si je ne t'avais pas eu pour frère, Elva'. Peut-être qu'Anita t'as empêché de venir me chercher, mais c'est grâce à toi que je suis en vie. Et c'est grâce à toi, aujourd'hui, que je sors du Castel ! »

Et si le premier était un poil déformé -le souvenir d'Evan ayant été également très dominant dans sa survie-, le second était tout à fait véritable : ce n'était que pour son frère retrouvé qu'elle faisait les efforts nécessaires à sa guérison, à redevenir quelqu'un au sein de cette meute. Il y était sa première et majoritaire attache. Entre temps, Dough et Helga formaient lentement à eux deux un point d'ancrage supplémentaire de plus. Le mâle roux valait tellement plus que ce qu'il croyait, et Solelio désespérait de parvenir à lui faire comprendre un jour. Surtout si en face, Anita le piétinait quotidiennement.