Une ombre dans un manoir

± Un ombre dans un manoir

Cela faisait longtemps qu'elle n'était pas revenue ici. Exactement depuis l'accident qui avait blessé trois loups et une araignée. Sombre souvenir, mais au dénouement plutôt inattendu. Une sorte de passerelle aussi fragile qu'une toile avait été dressée entre les deux peuples. Mais les derniers évènements avaient empêché les protagonistes de la franchir.

Alors aujourd'hui, Kerguelen était venue voir comment avançait le projet de réconciliation de Violette. Il avait moins de tâches à faire et donc plus de temps libre pour reprendre là où leur groupe s'était arrêté. C'était bien. Peut être parviendrait-il à établir un vrai contact ? Mais notre Colombe refusait de profiter des efforts de l'un des siens. Elle aussi avait travaillé sur un cadeau pour les arachnides. Mais ce n'était pas un cadeau de pardon, non. C'était un présent de remerciement. Pour la clémence de l'une des leurs.

Sauf qu'une jeune présence modifia ses plans. Il y avait déjà quelqu'un devant la bâtisse. La Colombe dévia sa trajectoire pour aller à sa rencontre. Elle n'eut pas besoin de trop s'approcher pour humer le parfum de l'inconnue. Raeder sans aucun doute. Une Alliée qui avait l'autorisation de marcher sur leurs terres. Avec un accompagnateur normalement.

A voir l'état de peur dans lequel elle était, Kerg' n'eut pas le cœur de la rappeler à l'ordre. Ce n'était pas encore une adulte. Ce n'était qu'une jeune âme à l'air un peu perdue. C'était l'un de ses rôles de prendre soin de leurs invités. Sa voix se fit douce et elle se pencha pour être à sa hauteur.

"Bonjour toi. As-tu besoin d'aide ?"

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Elle attendit patiemment que la jeune réussisse à formuler ses mots. Ou plutôt ses craintes. Une peur dont le responsable était le Manoir. Kerguelen jeta un regard à la grande bâtisse. Elle partageait cette peur. Mais celle-ci provenait de son héritage familial. Du vol des Oreilles par la sorcière Mona Lisa. Une terrible expérience que lui avait léguée la douce Hanna.

"C'est normal de ressentir cette crainte. Elle est aussi en moi. Tu n'as pas à en être gênée, au contraire. C'est simplement ton instinct."

Avec la douceur d'une mère, elle posa son museau sur son épaule. Pour la rassurer. Pour lui transmettre un peu de courage. Elle n'aimait pas voir les autres dans cet état. Çà lui fendait le cœur.

"Le Manoir se veut intimidant pour chasser les intrus dotés de mauvaises intentions. Tu sais, c'est le refuge de nombreuses créatures. Malheureusement, beaucoup ne savent pas les respecter."

Elle se rappelait très bien de ses rencontres avec les Araignées géantes. Les maitresses des lieux. Mais il n'y avait pas que çà. Tant de mysticisme était abrité à l'intérieur de ces vieux murs. Un monde secret si particulier.

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Tant d'insouciance sortait de la gueule de cette petite. Une envie d'avoir des amis. Çà elle pouvait le comprendre notre Colombe. Elle vivait pour ses amis. Sans eux, elle n'existerait sûrement pas. Mais elle savait également que l'amitié unilatérale était bien plus majoritaire que la Vraie. Elle en souffrait parfois. Mais elle n'était pas du genre à se plaindre. Elle savourait chaque petite miette qui lui était lancée. L'optimisme aurait pu être son deuxième prénom.

Et si elle en apportait un peu à sa cadette ? Après tout, elle avait l'air d'avoir un bon fond. Et puis, elle ne pouvait pas la laisser seule. Face à ses tourments. Oui, c'était décidé. Elle la prendrait sous son aile. Pour aujourd'hui. Pour faire briller ses yeux dorés. Et pour transmettre un peu de bienveillance envers les habitants de ce Manoir. Car c'était en éduquant les futures générations qu'une entente finirait par s'établir entre les deux peuples.

"Elles sont farouches, mais elles ne m'ont jamais fait de mal. J'ai justement un présent à leur offrir. Veux-tu m'accompagner ?"

La Sans-Oreille fit quelques pas en avant. Avant de tourner la tête et de jeter un regard interrogateur à la Pirate. Saurait-elle trouver le courage nécessaire à cette petite visite ?

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Elle avait touché dans le mille. Cette joie qui brillait au fond des yeux prouvait qu'elle avait pris la bonne décision. Aujourd'hui, un cœur serait peut être comblé grâce à son action. Ce fut donc ensemble qu'elles franchirent l'imposante porte du Manoir.

Kerguelen se força à chasser tout au fond de ses pensées les souvenirs qui ne manquèrent pas de refaire surface. Ce n'était pas le bon moment de repenser à tout çà. Elle avait eu le temps de méditer sur sa dernière 'visite' et sur ce qui en avait découlé. Elle devait faire la paix avec tout çà. Comme elle l'avait fait avec Violette. Plus de doute, plus de remords. Laisser la confiance émaner de soi et contaminer la petite Pirate.

Son regard doré se fit plus alerte. Elle savait pertinemment qu'elle pénétrait en terrain pas forcément amical. Elle s'efforcerait de ne pas troubler les esprits qui habitaient ces lieux. D'ailleurs, elle venait d'apercevoir quelque chose qui pourrait montrer ses bonnes intentions. Sur le mur, il restait quelques traces brunâtres. Des souvenirs de la dernière bataille. Son visage se ferma brièvement. Elle n'aimait pas çà. Ce n'était pas bien de laisser les choses comme çà. Çà ne donnerait pas une bonne première impression pour sa visiteuse.

"Je vais nettoyer çà. Je n'en ai pas pour longtemps. Après nous prendrons ce grand escalier."

Elle désigna la volée de marches en bois. Celle qui menait à l'étage où se cachaient d'innombrables pièces. La partie la plus mystérieuse de ce lieu.

" Tu peux explorer l'entrée si tu le souhaites."

La Nakhu veillera sur elle. A petits pas pour laisser le choix à Astrid de rester collée contre elle ou non, elle s'approcha du mur souillé. Elle sortit un tissu de sa besace et une gourde. Elle mouilla le chiffon improvisé et vint le frotter contre la paroi. Mettant toute sa détermination à effacer ces vieilles traces de sang. Pour tracer une croix définitive sur ce qui s'était passé ici. Pour repartir sur des bases saines.

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Le couinement l'alerta. Elle termina fébrilement de nettoyer les dernières traces pour poser son regard sur la jeune. Petite créature hybride qui se collait contre elle. Elle aurait sûrement fusionné avec elle si elle en avait eut le pouvoir. C'était si troublant de voir autant de peur. Mais comment la rassurer ? Déjà, en ne la repoussant pas. Kerguelen la laisserait trouver réconfort dans son pelage autant de temps que nécessaire. Elle vint même englober le corps à l'aide de l'une de ses pattes. Un geste doux et de soutien. Imitant sa propre mère lorsqu'elle faisait un mauvais rêve. Nostalgie.

"Tout ira bien, Astrid. Je suis là. Je ne te laisserai pas seule. Nous sommes rentrées ensemble et nous repartirons d'ici ensemble."

Elle espérait que le nom qu'elle avait entendu en venant à elle était bien le sien. Dans le cas contraire, elle s'excuserait. C'était vrai qu'elles ne s'étaient pas présentées. Mais ce n'était pas vraiment le meilleur moment pour rattraper ce manque d'échange de nom.

Ses mots ne lui semblèrent pas suffisants pour calmer le petit coeur battant follement contre ses pattes. Il fallait trouver quelque chose de plus fort. Alors, la Sans-Oreille décrocha sa cape de Couturière et la passa sur les épaules de la Pirate. Un vêtement chaud et couvrant. Qui pourrait camoufler son odeur par celle de la Nakhu. Et dans lequel la Raeder pourrait se cacher. Un objet auquel se raccrocher.

"Les Araignées me connaissent. Tu sais, je suis même amie avec l'une d'entre elles."

Du bout du museau, elle désigna sa crête. Dans sa chevelure se cachait sa petite araignée de compagnie. Une araignée-paon Skeletorus. Striée noire et blanche. Un parfait camouflage. Elle adressa un clin d’œil à sa protégée du jour. Un sourire de connivence s'afficha sur ses babines.

"Elle est au niveau de la troisième rayure blanche sur ta gauche. C'est Choupinette ! Elle vivait ici avant de décider de m'accompagner dans toutes mes aventures. Elle ne me quitte jamais ! Elle est toute mignonne, tu ne trouves pas ?"

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Toute sa volonté et ses idées semblèrent avoir réussi à détendre la jeune louve. Et elle ne s'était pas trompée dans le prénom non plus ! C'était super ! Elle préférait nettement visiter le manoir dans cette ambiance bien plus sereine. Bon, d'accord, le danger ne pouvait jamais être écarté dans ce Manoir. Mais elles feraient attention. Elle restait optimisme notre Colombe. Elle réussirait à montrer à Astrid que ce lieu regorgeait de mystère et de magie. Et qu'il fallait avant tout le respecter pour vivre en harmonie.

Avec un sourire amusé, elle aida à ajuster d'une patte experte la cape. Elle avait l'habitude avec son rôle de Couturière. Il faudrait de nombreuses retouches pour que le vêtement lui aille bien. Mais en le pliant et le coinçant par ici et là, la cape tiendrait. Ce n'était que temporaire. Un simple doudou rassurant pour avancer d'un cœur léger dans cette sombre habitation.

"Alors, la visite peut commencer !"

Elle se dirigea vers le grand escalier. Elle s'assura de prendre un rythme de marche qui conviendrait à la petite Pirate. Elle commença à grimper les marches. Le bois craquait sous leurs pattes. Annonçant à tous leur présence. Mais après tout, elles ne cherchaient pas à se cacher. Aucune mauvaise intention ne les habitait.

Kerguelen décida de couvrir ces bruits par le son de sa voix. Elle partagea ses souvenirs avant sa protégée du jour. Apportant un peu de joie et de lumière à travers son intonation.

"As-tu déjà vu des feux follets ? Lors de mon mentorat, j'ai pu en croiser un. Là-bas, dans la première pièce à gauche. Il était d'un bleu magnifique ! C'était si fascinant et émouvant."

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Avec sa franchise naturelle, Kerguelen n'hésita pas un instant à répondre à la plus jeune. Dévoilant sans pudeur les émotions qu'elle avait ressenties. Parce qu'elle n'avait pas honte d'être une louve aussi empathique et compatissante.

"Oui, j'étais toute émue et j'en avais les larmes aux yeux. Tu sais, les légendes racontent qu'un feu follet est la représentation d'une âme en peine. D'un innocent qui est parti dans la souffrance et qui n'arrive pas à trouver le repos. Je trouve çà si triste."

Son regard se voila d'un certain chagrin. Elle se savait impuissante à aider ces boules de flammes bleues. Des inconnus qui erraient sans cesse, bloqués à jamais dans cette sinistre demeure. Quelle fin horrible. Heureusement qu'il n'y avait pas de feux follets au Cimetière. Parce qu'elle aurait alors pu craindre d'y retrouver Maman sous cette forme.

"Oui, je pense que tu en verras toi aussi. Pas forcément aujourd'hui, mais peut être la prochaine fois. Dans certaines pièces de cette maison, il y a une ambiance particulière. On peut sentir qu'ils sont là. Que nous ne sommes pas toutes seules. Cet endroit ne porte pas son nom par hasard. Même si à titre personnel, je trouve les poupées bien plus effrayantes que les autres créatures !"

Ces objets inertes lui fichait la frousse. Çà ne bougeait pas, mais leurs yeux donnaient tellement l'impression de ne pas vous lâcher du regard. Comme des espions à la solde de Mona Lisa. Un frisson parcourut son échine à la pensée de cette Sorcière.

Elle continua son avancée, à une allure lente pour garder Astrid contre elle. Elle se retrouva à l'entrée de ce long couloir. Des portes à gauche, des portes à droite. Aucun gardien présent pour stopper leur progression. Elles restaient libres de continuer.

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Malgré elle, elle sentit bien qu'elle n'était pas la meilleure des guides pour Astrid. Celle-ci semblait si sensible, si facilement apeurée. Et Kerguelen, elle, était bien trop sincère et partageuse de ses émotions. Ce n'était sûrement pas un bon duo. Il ne fallait pas qu'elle fut la cause de mauvaises expériences pour la jeune louve. Ce serait totalement contraire au but recherché. Ses semblables ne devaient pas avoir peur du Manoir Hanté. Car la peur apportait parfois des réactions excessives. Voire même de la violence. Elle en avait été témoin. Non, ils devaient simplement apprendre à respecter ses habitants et leurs mœurs.

Pour répondre à sa curiosité, elle s'avança vers un coin du couloir bien poussiéreux. Ici, le ménage n'était jamais fait. Sur le sol, elle dessina une poupée. Parce qu'un croquis était parfois bien plus compréhensible que des mots.

"C'est comme des peluches, en moins doux et sans poil. Elles ne ressemblent à aucun animal connu. Elle ont quatre pattes, de longs cheveux, des vêtements et une tête toute ronde et plate. Moi, je n'aime pas leurs yeux. Mais ce n'est qu'un ressenti personnel."

Elle n'avait pas besoin d'entrer dans les détails. Astrid n'avait pas besoin d'être effrayée plus qu'elle ne l'était déjà. Son regard doré se posa alternativement sur les portes mise à leur disposition. Tellement de possibilités. Bonnes ou mauvaises. A nouveau, sa tête se tourna vers sa protégée du jour. Son état était inquiétant. Tant de peur émanait d'elle. Son choix fut fait.

"Je pense que cela suffit pour aujourd'hui. Tu as déjà réussi à vaincre ta peur et à franchir la porte. C'est un grand pas ! Tu peux être fière de toi !"

Grand sourire convaincu sur les babines, elle l'invitait à rebrousser chemin. Si elle le souhaitait. Car elle n'obligeait jamais.

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Un léger mouvement de balancier du postérieur d'Astrid lui apprit que celle-ci appréciait ses mots. Kerguelen en fut touchée, même si elle n'avait fait que s'exprimer en toute sincérité. Si elle avait pu ne serait-ce qu'instiller un peu de chaleur dans cette âme apeurée, cela suffirait à illuminer sa journée.

La jeune finit même par reconnaitre ses limites. Cette petite visite lui suffisait. Enfin, pour l'instant d'après ses propres mots. Tant de détermination et de plongée dans l'avenir lui plut. Oui, elle était sûre que cette petite Pirate arriverait à atteindre tous ses objectifs. Çà prendrait du temps, mais elle y parviendra. La peur n'avait qu'à bien se tenir !

"Ahahah, merci ! Et toi, tu es une adorable visiteuse."

Un échange de compliment tout simple, accompagné d'une caresse du museau. Oui, être guide pour elle avait été agréable. Pas besoin de se répéter ou de courir derrière elle. Aucun faux pas. Simplement du respect pour le lieu et ses habitants.

"Tu auras l'occasion de revenir, ne t'inquiètes pas. Et plus les créatures s'habitueront à ta présence, plus tu auras des chances de les approcher."

Tiens, en parlant d'elles, la Colombe était venue ici pour offrir un cadeau. Il serait stupide de repartir en oubliant de le déposer. Elle s'avança vers l'escalier, mais avant de le descendre, elle fit une pause. Elle sortit un enchevêtrement de plantes tissées en forme de toile. Un présent pour remercier les Araignées de leur avoir laissés la vie sauve. De plus, elle avait pris soin de choisir les plantes utilisées par Lestat pour les soins. Comme çà, elles pourront les reconnaitre et les utiliser à leur tour. Elle accrocha sa toile artisanale à la rambarde.

Sa mission de gratitude terminée, elle reporta son attention sur Astrid et ensemble, elles parcoururent le chemin inverse. Celui qui le mena à la portée d'entrée de la grande bâtisse. Vers la sortie. Vers des paysages illuminés.

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L'extérieur sembla avoir redonné du poil de la bête à Astrid. La voilà soudainement plus animée qu'à l'intérieur du Manoir. Plus aucune peur ne suintait d'elle. Elle était remplie d'une nouvelle vitalité. Une transformation vraiment étonnante. C'était réconfortant et beau à voir. Kerguelen pouvait être rassurée. La visite n'avait pas traumatisé la petite louve. Elle n'était pas une si mauvaise guide que çà, finalement.

"Tu vas avoir une belle aventure à raconter, çà c'est certain !"

Grand sourire sur les babines et clin d'oeil complice. Elle dormirait sûrement très bien aussi cette nuit. Tant d'émotions avait du drainer son énergie.

"J'espère que nos chemins se croiseront à nouveau, Astrid."

Déjà au loin, des silhouettes apparurent. L'odeur lui apporta celle salée des Pirates. Il était temps sûrement temps pour elle de retrouver les siens. La Nakhu récupéra avec délicatesse sa cape et en profita pour donner un dernier geste d'affection.

"Cours rejoindre les tiens. Et à bientôt !"

Elle se sentait le cœur tout léger, notre Colombe. Heureuse d'avoir pu aider à apporter de la confiance en soi en cette jeune Raeder. Heureuse d'avoir fait définitivement taire ses appréhensions envers ce peuple des Mers. Et de réussir à tisser des liens.

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