Les foulées s'enchaînaient, larges, lourdes, chacune avec la surprise de ne pas encore avoir été attrapé. Surprise rapidement noyée dans le flot d'émotions qui submergeait le grand loup blanc. En d'autres circonstances, il aurait sans doute eu des regrets, des hésitations, à faire irruption ainsi au milieu de tous ces loups en leur envoyant à la tête tous ces ressentis qui n'étaient pas les leurs. Mais dans son état, il n'en avait cure. Le futur s'était réduit à un pas seulement, chaque pas était une victoire, chaque approchée de l'entrée béante de la grotte une réussite. Il ne ressentait pas de douleur, pas de peur, seulement cette colère brûlante te contagieuse avec laquelle il éclaboussait otus ceux qui se trouvaient autour de lui.
Ainsi arriva-t-il, furie massive toute de rouge et de rage vêtue, dans la Grotte Maudite.

Il franchit comme dans un rêve - dans un cauchemar - l'arche de pierre naturelle qui en formait l'entrée. Son regard vit à peine les silhouettes qui s'y trouvaient, sentit à peine leur présence. Peut-être eux ne le reconnurent-ils même pas tant il était différent de celui qui avait quitté l'endroit, ce qui semblait une éternité plus tôt. Il vit aussitôt la lumière décroître alors que la Murène s'y engouffrait à son tour, barrant l'entrée, l'emplissant de sa gigantesque présence. Par quel miracle avait-elle réussi à se déplacer sur la terre ? Etait-ce des vagues emmenées jusqu'ici qu'il entendait rugir à ses oreilles, ou simplement son souffle brûlante qu'il sentait si proche de lui.

Ses yeux n'eurent pas besoin de se faire à cette obscurité soudaine ; son glowstick et les lumières des serrures divines brillaient devant lui, éclairant le chemin de multiples lueurs. Il n'y prêta que peu d'attention, sauf à l'une d'entre elles. Dans cette ouverture sombre qui s'était ouverte, une couleur familière perça son manteau de colère. Ses yeux s'écarquillèrent légèrement, faisant rouler quelques larmes le long de ses joues, qui y dessinèrent de blanches stries.
Comme si la Corneille elle-même était venue sécher ses larmes.

Il la ressentit alors, cette certitude.
Elle résonna comme un écho au fond de lui - était-ce la voix de sa déesse ? ou simplement celle d'une logique implacable, semblable à celle de Mido, qui lui montrait que la solution était d'une simplicité déconcertante ?
Il n'avait pas le loisir d'éhsiter à cet instant. Pas encore. Il chassa tout ce qui commençait à poindre comme peurs, comme regrets, et lança un cri pour rallumer encore une fois cette colère. Surtout pour ne pas qu'elle s'éteigne.
Ses prunelles s'accrochèrent au glyphe violacé et immense qui se dessinait droit devant, et il tira une dernière fois sur ses muscles pour accélérer. La pente et sa lourde silhouette l'y aidèrent, sans doute. Loin devant se distinguaient vaguement les lueurs d'un mur, tout au fond. De l'impasse dans laquelle il se précipitait avec hargne.

Pourtant cela ne le ralentit pas, et il fila sans hésiter pour passer la porte.

Ils n'eurent point de temps de célébrer, que la prochaine étape se devait d'être enclanchée.

La panique, la joie et la fatigue planait dans la grotte, alors que la dernière serrure venait de céder sous leurs cris de désespération. Ajani était de retour, mais bien loin d'être seul. Alors qu'Uma se demandait ce qu'il faisait déjà de retour, la silhouette épeurante (et surtout géante) de Ceto était derrière lui, bloquant à présent la seule issue de la caverne. Uma avala sa salive, s'étouffant presque avec celle-ci. Elle voit Astrid se courber sur elle-même, tentant avec peine de se dissimuler de la situation. Sauf que la jeune louve rouge n'accepte aucunement cette réponse, encourageant Astrid à se remettre sur ses quatre pattes, car il était trop tard pour reculer.

Ne sachant que faire de son côté, Uma regarde l'autre loup blanc, qui semble être le seul a avoir un peu de contrôle et de sang froid, bien que son corps démontrait de l'agressivité et de la peur. Elle revient à la réalité alors que la solitaire crit le nom de la jeune raeder, Uma se remettant à bouger, touchant sa jeune amie sur son épaule.

« Nous-nous y sommes presque... juste encore un peu Astrid... » dit-elle faiblement à son oreille, rejoignant Cimerii à la porte.

Elle lui fit signe de tête, lui donnant le feu vert qu'il était temps de pousser de toute leur force.

Bien qu'elle se savait faible, la désespération de la situation pouvait venir chercher de la puissance au plus profond d'elle-même.

Elle se devait de puiser dans son énergie restante.

Emilitia

Elle était arrivée à cette porte bien après cet oncle et le monstre qui le poursuivait, c'était normal, elle n'était que louve. Elle vit cependant la scène qui se joua devant tant yeux, avec sans doute le recul suffisant pour pouvoir l'admirer dans son entièreté.
Le loup blanc qui s'enfonce dans le piège tendu -elle devine s'en était un, elle connaissait cette porte, elle avait grandi Raeders- la murène sur ses talons. Les immenses portent qui se referme derrière le monstre, derrière l'âme qui s'était sacrifiée pour tous, derrière celui que les lèvres appelleront sans doute héro.
Derrière cet oncle si peu connu, il te ressemblait tout de même un peu tu sais.
Derrière ce fragment de passé familial.

Tu l'aurais fait toi? Ce que cet oncle venait d'accomplir.
C'était une évidence.

De sa moitié louve, Emilitia décédait de cette lignée à l'origine même de cette meute, de cette malédiction qui l'avait tant suivi. Elle le savait, si l'histoire ne l'avait pas beaucoup intéressée, sa mère la lui avait tout de même raconté dans son entièreté. Ils avaient tant changé aujourd'hui, les Raeders, c'est ce que tu dirais n'est-ce pas?. C'était une histoire qui se clôturait, définitivement, pour en écrire de nouvelles, une histoire entre les pattes de nouveaux loups qui avaient su finir les dernière lignes pour enfin être en mesure de tourner cette dernière page.

« Tu l'aurais fait toi ? »
« Non. »

Si elle avait su tenir jusqu'au bout, sa mère, son frère n'aurait pas eu à prendre la place qu'elle aurait sans doute choisie. Mais ce sang qui le premier fonda ce groupe, le libérait maintenant. Ils avaient été plusieurs pattes à fournir cet effort.
Emilitia effaça le rouge de son masque, les marquages d'une autres portés en hommage pour retrouver le blanc immaculé habituel. Elle, elle n'avait été que petite contribution, n'aurait sans doute pas voulu être plus.
Elle se retourna, masque bien vissé sur le visage, ailes noires portées haute dans son dos, la louve noire ne rejoindrait pas les quelques silhouettes reconnues en contrebas des rencontres passées, elle ne désirait pas rester plus longtemps sur cette île. Emilitia n'avait jamais été très Raeders dans l'âme.

« Au revoir... »
Ce n'était pas très correct.
« Non, plutôt adieu. »

Oncle sacrifié en héro.
Île de l'enfance.
Et plus que tout les autres, toi, Mère regrettée.

Theme~

Una mattina mi son svegliato
O bella ciao
Bella ciao
Bella ciao, ciao, ciao
Una mattina mi son svegliato
Eo ho trovato l'invasor

La grotte parut si courte soudain. Il eut l’impression qu’une seconde, à peine, s’écoula avant qu’il ne franchisse les lourds battants de la porte. Ses pattes s’engagèrent sur le glyphe gigantesque et aux motifs familiers qui se trouvait au sol, et baignait l’endroit d’une douce lueur violacée. A la lueur de son glowstick qui ne s’arrêtait pas de pulser, il distingua l’intérieur de la prison. Ce décor qu’aucun autre mortel ne devait voir, cette chose étrange, si grande et pourtant si bien cachée dans les tréfonds de Morne-Oeil.

Durant un instant, le temps se suspendit. Ses yeux qui papillonaient de droite à gauche contemplèrent avec une calme fascination ce vaste paysage tout imprégné de violet. Il se demanda si c’était là une vue de son esprit, mais il eut l’impression qu’Elle était là. Sa Déesse, la Corneille qui veillait sur lui et les siens depuis si longtemps déjà. Il lui paraissait même distinguer autour de lui, dans les tréfonds ténébreuses, les hautes colonnes de son Eglise. Comme si une drôle de magie l’avait emporté chez lui au moment où il avait compris qu’il n’y retournerait plus jamais. Ses larges foulées étaient comme ralenties, il lui semblait capter chaque détails de ce qui se passait. Il y avait un silence pesant, au-dedans, après les rugissements de la mer et de la Murène, après le vent qui sifflait à ses oreilles. Il eut la certitude étrange que son pelage était redevenu immaculé, maintenant que de rouge il ne servait plus à rien de se parer.


O partigiano porta mi via
O bella ciao
Bella ciao
Bella ciao, ciao, ciao
O partigiano porta mi via
Che mi sento di morir

Puis soudain devant lui se dressa un mur d’écailles. Un corps immense qui emplit son champ de vision, un corps rouge comme le sang. Sur chacune des écailles qui le hérissait se reflétait la lueur violette, elles en étaient presque irisées, presque belles. Les yeux de l’Oracle s’écarquillèrent alors que les reflets se jouaient de lui et dessinaient dans ces motifs dansants des silhouettes familières. Alors que son grand corps, par réflexe, se tendait pour ralentir et ne pas heurter cet obstacle, ses prunelles virent défiler des visages souriants.

E se io muoio da partigiano
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao
E se io muoio da partigiano
Tu mi devi seppellir

Celui d’Eva surgit en premier, elle toute entière et sa si jolie silhouette battant de ses grandes ailes. Il n’avait jamais pu voler avec elle, jamais pu partager ce monde-là, lui qui était cloué au sol. Et pourtant en cet instant il eut l’impression d’y être, de se trouver à ses côtés alors qu’elle virevoltait, ses mâchoires entrouvertes en ce qu’il devinait être un rire cristallin et sincère. Derrière lui, loin, très loin, un grondement fit trembler le sol. La porte était fermée. Un sourire se dessina sur le large museau de l’Oracle, alors qu’il se laissait envahir par ce qui lui inspirait la vision, laissait retomber cette rage qui l’avait animé un moment plus tôt.

“Je t’aime.” Murmura-t-il.

Ou peut-être le songea-t-il. Tout se passait si vite, et si lentement à la fois. Les pans de la réalité se distordaient en même temps que défilaient devant ses yeux les écailles par milliers.

Mi seppellire lassù in montagna
O bella ciao
Bella ciao
Bella ciao, ciao, ciao
Mi seppellire lassù in montagna
Sotto l'ombra di un bel fiore

Eva s’envola, sans qu’il ne puisse la suivre, laissant la place à une ombre plus petite, plus claire, au visage plus fermé aussi. Sa jumelle parut lui lancer un regard presque désabusé, alors que derrière elle se dessinait une silhouette sombre et qui lui ressemblait tant. Elle aussi s’en alla comme une fumerolle, pour laisser place à Volstein. Derrière lui, l’ombre de Nocera et de Sobieski. Le temps allait-il à reculons, soudain ? Tous les trois marchaient tranquillement, parlaient, échangeaient des paroles qu’il n’entendait pas. La fumée emporta Volstein, les autres s’en furent dans la même direction qu’Eva.

Il vit passer, lointaine, la silhouette d’un grand loup. Et celle d’une louve violette. Et dans le ciel virevoltèrent ces enfants qui étaient les siens, ceux d’Eva les leurs, l’incarnation vivante de leur amour et de leur désir de le faire perdurer. Puis d’autres loups encore, tous ceux qui avaient fait un morceau de chemin dans sa vie. Il vit Abysse qui courait, qui pleurait, et son coeur se serra un instant. Les images allaient de plus en plus vite, les écailles aussi. Maintenant, ses pattes s’étaient presque arrêtées. Un visage apparut, brillant, auréolé de violet. Un visage au regard doux, sans oreilles, dans lequel il lut une peine immense.

“Pardonne-moi…”

E le genti che passeranno
O bella ciao
Bella ciao
Bella ciao, ciao, ciao
E le genti che passeranno
Mi diranno: "Che bel fior"

Les écailles s’arrêtèrent de défiler alors qu’un grondement envahissait l’espace, envahissait ses oreilles, faisait trembler d’une vibration terrible le sol sous ses pattes. Ses pattes qui avaient finit par avoir raison de l’inertie, immobilisant son grand corps au centre du glyphe, au centre de ce cercle infernal dont il connaissait bien la fin.

E le genti che passeranno
Mi diranno: "Che bel fior"

Il fit volte-face avec une légèreté qui lui parut étrange, surnaturelle. Au bout des larges anneaux écailleux se dressait un faciès féroce, que les ombres rendaient plus dur encore. Il lui fit face sans un mot, dans la semi-obscurité. Un sourire naquit même sur ses babines, alors que plongeaient vers lui les rangées de crocs que dévoilaient ses babines relevées.

E questo è il fiore
Del partigiano
Morto per la libertà

Yurai, me voici.