Plus grand encore [Libre]

Il avait traversé une large plaine aux herbes sèches et aux ruines blanches, senteurs mélancoliques d'un passé qu'il n'avait pas connu ; mais son entrain avait été stoppé net par le marécage aux reflux d'acide qui servait de frontière avec ce nouveau monde. Les hurlements de bêtes sauvages et l'ombre d'un dragon l'avaient décidés à faire demi-tour, presque penaud de devoir ainsi abandonné ses horizons inconnus, avant que son œil ne soit attiré par les sommets enneigés des montagnes pourléchant mers et cieux. Un détour hasardeux, mais qui lui permettrait certainement d'éviter bien des ennuis.

D'un pas enjoué, il était donc là, sa caravane accrochée à ses flancs, roulant dans un tintamarre de bois et de métal sur les pentes d'une falaise. Parfois, une roue sautait sur un gravillon, ajoutant quelques notes à sa marche ; parfois, une patte trébuchait sur un recoin un peu glissant, manquant de le faire tomber du haut de son apic. Mais il tenait bon, lui et sa bonne humeur. Si bien qu'arrivé tout en haut, tout du moins, de ce qu'il pouvait atteindre, il se permit une large inspiration d'air frais -trop frais- tout en contemplant ce paysage encore inexploré. Une vue d'ensemble qui le fit frissonner, tant les régions semblaient diverses et variées ; et par conséquent, les découvertes tout aussi nombreuses.

Sa marche se termina rapidement sur un plateau relativement stable, petite plaine rocailleuse, où il se détacha pour s'étirer et explorer quelques peu les environs. Après tout, peut être y aurait il des choses excitantes dès son arrivée.

Le nez sur la roche poussiéreuse, les oreilles virevoltant au gré du vent, suivant chaque bruissements comme une potentielle menace ; il finit, queue en l'air et yeux brillants d'excitation, par dénicher un vieux bout de métal. A bien l'inspecter, cela ressemblait à une mâchoire. Une très grande mâchoire. Rouillée. Avec une chaîne tout aussi mordorée, qui semblait relier à un piquet de fer planté avec violence dans la roche. Au vu de sa position, il n'en était rien de moins qu'un piège à sales bêtes. Mais le temps avait fait son travail, et le poseur n'était jamais revenu récupérer son bien ; probablement victime des mêmes créatures qu'il pensait traquer.

Le métal n'était pas d'assez bonne qualité pour avoir une quelconque valeur, et le mécanisme, si facile à comprendre, qu'il ne prit pas la peine de l'étudier plus en détail. Rapporter cette chose dans sa carriole serait une perte de temps, ne serait-ce que pour retirer la chaine ou le piquet. Il n'en tirerait rien.

Hen'Ri délaissa donc sa trouvaille, continuant de tourner dans cette petite zone, un œil toujours sur sa caravane comme son bien le plus précieux.

Il s'éloigna légèrement, passant parmi les gravats d'un éboulement récent, toujours en quête d'une quelconque curiosité. Un caillou brillant, une fleur qui aurait échappé au massacre, une touffe de poil ou bien encore une plume ; tout aurait fait office d'activateur à curiosité, d'amuse-cerveau, de carburant à idées. Mais rien.
Il n'y avait sur ce plateau, que rochers insipides et espoirs brisés. Même la vermine qui galopa entre ses pattes ne le fit tiquer. Une simple bestiole typique de la région, qu'il avait déjà vu à bien des endroits.

Il la suivit du regard, puis de tout son corps, seul divertissement disponible ici, tel un chat en manque d'activité. Un petit coup de patte fit changer de direction l'animal apeuré, qui chercha vainement à se cacher entre quelques rochers. Et si son pelage était en parfait accord avec la région, Hen'Ri n'était pas dupe. Enfin pas trop. En tout cas, pas assez pour une souris.
Il la tapota de sa griffe, la laissant filer de plus belle, avant de sauter pour lui couper la route. Il fit ainsi quelques minutes, jouant au détriment de la vermine, avant de se lasser et de la laisser filer sans une égratignure.

Cette séance de jeu -ou de torture, dépendamment du point de vue- avait eu au moins l’intérêt de le dégourdir et de l'éveiller un peu. Dans un soupir, il s'assit, contemplant paresseusement les environs, ne sachant s'il devait reprendre sa route ou bien persévérer.

Après un temps, il se décida à se relever, sachant pertinemment que seuls les imbéciles s'arrêtaient dès le moindre échec. C'était une nouvelle région. Un tout nouveau monde. Il se devait de continuer.
Sa ferveur brûlant dans ses yeux comme un phare, il se laissa guider par son instinct, fouinant un peu plus loin encore, au delà de l’éboulis, jusqu'à ne plus voir sa précieuse carriole. Il ne semblait y avoir personne de toute façon, il était probablement à l'abri des voleurs ou des clients. Même si parfois, les deux étaient synonymes.

Sa vadrouille le mena dans les dédales de la montagne, petite alcôve creusée par les sévices de Mère Nature ; où croissaient paisiblement un lopin d'herbes et de fleurs. Des pissenlits, un peu de muguet, quelques pâquerettes et marguerites ; rien de bien intéressants en soit, en terme de découvertes ou de quantité. Mais la roche était couverte de lierre, et, à bien y regarder, ne semblait pas vraiment être une simple paroi verticale. D'un mouvement lent, comme s'il s'attendait à ce que le monde lui tombe dessus, il décrocha le lierre, découvrant peu à peu les restes d'une statue de pierre. Un loup, sculpté à même la paroi, assis sur un socle, où était inscrit des anciennes lettres qui, en plissant les yeux, semblaient dénoter "Ardeam".
Probablement un hommage à un valeureux loup, ou bien à un dieu païen oublié. Ce nom ne lui disait rien, mais il avait ouïe dire que ces terres étaient bénies de certains dieux canins.

Il tourna autour, à la recherche d'autres informations, vainement ; ou bien d'offrandes. Mais le temps et la faune environnantes avaient eu raison de tout cela.
Sa curiosité venait d'être fauché par le manque cruel d'informations.

Le vrombissement de l'air le sorti de ses pensées, détournant un regard incrédule, puis horrifié, sur l'origine du bruit. Là, volant droit sur lui, un frelon géant au dard aussi pointu que ses crocs semblait l'avoir prit pour cible. Il sursauta, cherchant du regard d'abord sa précieuse carriole pour s'y cacher, se détestant soudainement de s'être tant éloigné.
Il se coucha par réflexe lorsque les mandibules et le dard fondirent sur lui, les esquivant de peu. Roulant sur le côté, le petit marchand se releva bien vite pour commencer à courir en direction de sa précieuse maison abandonnée, l'insecte géant continuant sa folle course, attrapant les poils de sa queue comme pour s'y accrocher. Probablement voulait-elle grimper sur son dos pour mieux viser la colonne. Il en était hors de question.
Il pila, amorçant un virage en angle droit pour éjecter l'insecte de sa fourrure, grimpant du mieux qu'il pu les quelques rochers qui le séparait désormais de son abri. Probablement aurait il dû mieux s'exercer, ou bien suivre les enseignements des autres loups de sa meute quant aux techniques de chasse et de course. Car le temps qu'il prit pour ce simple exercice suffit amplement à la guêpe pour revenir à la charge, abdomen en avant, plantant son dard acéré dans l'épaule du jeunot qui couina aussi sec.
Dans un mouvement désespéré, il se contorsionna pour attraper du bout des crocs la patte -à moins que ce ne soit une aile ?- de l'insecte, le décrochant dans un élan assez fort pour la claquer contre la roche. Sonné, son adversaire ne reprit son vol aux sonorités menaçantes qu'un court instant après. Juste assez pour que Hen'Ri saute dans sa carriole de bois, se barricadant du mieux qu'il put via ses oreilles, tremblant de tout son corps.

L'insecte tourna autour de l'abri, s'y posant, la reniflant, mordant le bois de ses mandibules, en vain.
Au bout de plusieurs longues et effroyables minutes, le prédateur finit par abandonner sa proie frémissante, s'envolant bien plus loin à la recherche d'une victime plus coopérative.

La pression ne se relâcha qu'après que le silence soit redevenu roi de cette montagne, et Hen'Ru s'écroula sur ses coussins, une vive douleur à l'épaule. Lorsque son cœur sera de nouveau en état de fonctionner correctement sans vouloir sortir de sa cage thoracique, probablement essaiera t'il de se soigner avec les quelques restes de bandages et d'onguent qui trainaient encore dans sa caravane. Si le voyage n'avait pas déjà tout dilapidé.

Il se releva finalement, après plusieurs minutes de repos, la douleur à son épaule le forçant à agir au plus vite. Probablement avait il reçu une dose de poison. Quoiqu'il en soit, il se devait de se soigner. Fouillant ses étagères, bien trop vides à son goût, il finit par trouver un petit bandage, et quelques goutte de sève de saule blanc mélangé à ses feuilles et fleurs. De quoi apaiser la douleur et réduire la plaie ; mais pas de se délester du venin. Il n'avait donc plus le choix que d'attendre que son système immunitaire face son travail -pour une fois-, ou bien se risquer à sortir de nouveau à la recherche d'un anti-poison, ici ou bien ailleurs.

Après s'être appliqué le baume et enroulé son épaule dans le coton, dieux merci qu'il aimait la télékinésie pour ce genre d'affres ; il pointa le bout de son nez en dehors de la caravane, méfiant.
Pas un bruit. Pas un mouvement.
Il le savait, il ne pouvait rester ici indéfiniment en espérant que quelqu'un vienne le sauver. Personne ne savait qu'il était là. Un grand plaisir qui s'accompagnait, bien malgré lui, de ce genre d'inconvénient.

Il sortit entièrement, boitant légèrement le temps que l'anti-douleur face effet, à la recherche d'une plante médicinale. Qu'elle ai des effets sur les venins ou non, peu lui importait. Au pire, elle servirait de troc contre quelque chose de plus utile dans son cas. Mais ses recherches, toujours proches de son abri qui était désormais une évidente priorité, ne se soldèrent que par la découverte d'une immense fourmilière, où allaient bon train les ouvrières.

Peut être en les suivant découvrirait-il une ressource sous-estimée ?

Mais n'eut-il le temps de marcher que l'horrible vrombissement revint, plus effrayant que jamais. Bon sang, elle l'avait attendu. Son sang ne fit qu'un tour, tout comme son corps, et il détala à une vitesse qu'il ne se serait pas estimé capable, surtout en étant blessé. S'enfermant de nouveau dans sa carriole, il se barricada, tremblant, tandis que l'immonde bestiole se posait sur le toit, mordant, griffant les ardoises comme pour dénicher sa petite proie si appétissante.

Incapable de bouger ou de lutter, il ne pu que regarder le plafond avec effroi, ne sachant si le bois tiendrait sous les assauts de l'insecte en fureur. Alors d'un battement de cœur, les larmes aux yeux, sa voix décida enfin de hurler toute sa terreur.

- A L'AIDE !

Quelque chose frappa brutalement le toit de la caravane, la laissant branlante sur ses roues, hochant le pauvre loup entre ses coussins. La guêpe avait cessé ses attaques, et faisait de nouveau vrombir ses ailes, dans une toute autre direction, sans pour autant s'éloigner.
Quelqu'un avait-il eu pitié de lui, et était venu à son aide ? Fébrile, peureux, il passa son museau au travers de la porte, découvrant une jeune femelle aux immenses ailes, le pelage si gonflé qu'elle paraissait bien plus imposante que tous les loups qu'il avait pu croiser jusque lors. Elle l'aidait. Bon sang, oui, quelqu'un était venu le sauver. Quelqu'un qui ne semblait pas au fait des combats, mais qui, pourtant, avait prit son courage pour venir le chercher.

Il se sentait misérable. Lui, tout tremblant, apeuré, n'ayant combattu dans sa vie que quelques plantes qui ne se laissaient pas déraciner ; le voila face à quelqu'un de même force que lui et qui, pourtant, ne reculait devant rien.

La guêpe, elle, semblait plus furieuse que jamais. Elle piqua vers l'inconnue, dard en avant, prête à en découdre. Si ce n'était pas sur lui, alors ce serait sur elle.

- ATTENTION ! hurla t'il, espérant naïvement que cela aiderait à une quelconque esquive.

Il se mordit la lèvre inférieure, hésitant, avant de finalement sortir de son abri, profitant que l'insecte en attaque un autre pour essayer de le prendre à revers.

Oh bon sang, il était arrivé trop tard. La guêpe avait perforé de son dard la patte de l'inconnue, laissant un glapissement de douleur résonner dans les monts. Son bond n'avait cependant pas était vain, écrasant de son maigre poids ce qu"il pouvait désormais nommer "saloperie", la décrochant alors de sa prise. Il recula aussitôt, tandis que l'animal se débattait comme un beau diable sous ses pattes, énervée n'étant désormais plus le terme approprié.

- H-Hey ! Ça va ? fit-il à l'encontre de la jeune blessée. Merci de ton aide ! On... On va s'en sortir, hein ?

La dernière phrase aurait voulu se faire plus impérieuse, rassurante, mais tout son corps tremblait. La bête, elle, n'en démordait pas, reportant son attention sur sa proie principale. Ses ailes l'élevèrent de nouveau dans les airs, et Hen'Ri se prépara à bondir, forçant sur ses quelques muscles résiduels pour esquiver la moindre tentative d'approche de l'animal. Il espérait simplement que cela donnerait une ouverture à sa nouvelle alliée pour attaquer. Et pas une raison pour fuir.

Elle le chargea comme à l'accoutumée, et il bondit en l'air, dans un salto qu'il n'aurait pas imaginé faire. Porté par la peur, son corps vrilla au-dessus de l'insecte, pattes recroquevillées tandis qu'il chutait droit sur elle. Et d'un accoue puissant, il déplia ses membres, écrasant une bonne fois pour toute l'hyménoptère contre le sol, dans un bruit mêlant craquement de chitine et déversement de fluide corporels non identifiés.
Il recula d’un bond, horrifié, sautillant sur place, ses coussinets englué du miasme.

- Oh, beurk beurk beurk !

Il grimaça, essuyant dans une démarche de canard les grumeaux entre ses doigts, avant de se retourner, la mine déconfite, vers sa sauveuse.

- H-Hey ! Merci de l'aide ! J'm'appelle Hen'Ri et toi ? Sympa les ailes, t'es du coin ? Je savais pas qu'il y avait des loups dans cette montagne, j'ai bien entendu parler de meutes ici avec des dieux et tout, mais je pensais qu'ils étaient en aval. Oh ! J'espère que c'est pas chez toi ici ! Je suis pas venu en ennemi, promis !

Il tenta un sourire maladroit.

Sa queue battit l'air tandis que la jeune louve se présentait. Médelisse hein ? C'était amusant, comme nom. Cela lui rappelait un mélange entre Madelaine et Réglisse, ou encore de la Mélisse, mais qu'on n'aurait su prononcer correctement. Quoiqu'il en soit, il piétina le sol d'excitation, tandis qu'elle répondait brièvement à ses interrogations, proposant même d'aller se nettoyer plus loin.

- OH oui, ça serait avec plaisir ! C'est très collant et je dois avouer que ça sent pas super bon !

Il lui afficha un sourire radieux, qui s’effaça bien vite lorsqu'il remarqua le trou béant qui servait de plaie dans la patte de la jeune louve.

- Oh, oh, oh ! Attends ! Je. J'ai de quoi t'aider je pense ! Bouges pas ! Enfin c'est pas comme si tu pouvais vraiment hein ?

Il fit volte face d'un petit bond de cabri, détalant dans les tréfonds de sa caravane, cherchant avec espoir un tout dernier bandage, espérant que celui qu'il avait utilisé n'était pas le vestige de son ancienne réserve.

Le fracas qu'il avait fait entre les deux assauts, sa fouille précédente et sa sortie téméraire eurent raison de lui. Ou plutôt, de sa tête. Dans sa précipitation, nombreuses fioles avaient valdinguées dans la caravane, répandant verre et liquide épais sur le sol en bois. En pénétrant une énième fois dans ce fouillis, soulevant coussins protecteurs de la future catastrophe, il marcha sur les éclats, coupant ses coussinets dans un couinement aigüe.
Décidément.
Il fallait remettre de l'ordre dans cet endroit. Et le plus tôt serait le mieux. Comment pouvaient donc fonctionner les affaires s'il se blessait aussi bêtement, par simple manque de précaution ? Inadmissible. Il attrapa un rouleau de fibres et de coton qui s'était caché entre les couvertures et édredons, et fila aussi sec vers l'ailée, nonobstant la douleur de ses doigts.

- Ah, alors bouges pas hein, parce que je n'ai presque plus rien pour soigner mais ça devrait éviter que ça se salisse, s'infecte et qu'on doive t'amputer de la patte hein. Pis ça aidera a refermer la plaie aussi. Et je plaisantais pour l'amputation. J'aime bien faire peur mais je crois que j'aurais pas dû dire ça, désolé. Hm.

Il se concentra sur l'emballement minutieux de la patte, quand bien même il avait fait cela des centaines de fois.

- Bon. Euh. Alors je pense que si on va à ta mare, y'aura ptete des plantes qui pourraient aider. Je fais un peu d'alchimie, je sais pas si tu connais, et ptete que je pourrais faire quelque chose pour mieux soigner. Genre, éviter la douleur. Ou l'infection. Ou le parasitage. Hey, une fois j'ai même trouvé un truc qui ressemblait à un clou mais en bois, et quand on le mâchait ça endormait la bouche ! Hyper pratique quand t'as mal aux dents ! Mais qu'est-ce que ça sent fort, pouah !

Il se retourna face à la louve, tandis qu'il s'harnachait à sa carriole.

- Tu me guides jusqu'à la mare s'il te plait ? Enfin si tu peux marcher. T'as qu'a voler vu que ta patte est blessée. Pas trop vite. Je vais pas réussir à bien te suivre sinon et j'ai pas envie de dévaler la pente avec ma caravane...