Discordance [Bizzard]

L’humeur était changeante. Se murait entre paresse et agressivité refoulée, prompt à franchir les limites entre deux dans une explosion de cris et de colère. Il fulminait. Fulminait d’idées noires, de pensées sombres, de mauvais mots. Des mots qui ne peuvent s’échapper entre les crocs qui portent la lanternes de fer. Il pivote à l’angle d’un couloir, dans un peu plus loin avant de poser sa lumière. Claquant des mâchoire dans le vide, comme autant de tremblements incontrôlés, il ne dit rien. Pourtant, ravalait ses maux. Relâchant sa mâchoire dans un bâillement, il cesse de bouger, il cesse de trembler. Laisse ses muscles rouler sous sa peau et s’amollir pour fléchir plus prés du sol.

Il aimait les dédales pour s’y perdre. S’y retrouver seul sans jamais pouvoir vraiment l’être. Fermant les yeux parfois, pour créer l’illusion, pour les ouvrir aussitôt, cherchant plus de lumière dans l’obscurité. Douce et rassurante lorsque l’angoisse le prend à la gorge et qu’il suffoque.

Il ne reste seul longtemps. Lorsqu’elle approche, il se relève et s’avance de quelques pas, lui coupant le passage. Ne supportant d’être ignoré dans tous les cas, il prit de l’avance. Un large rictus s’affiche à ses babines, sans mot pendant un instant, il lui fait face, la jugeant presque.
Puis il s’écarte un peu et chantonne :

« Veux-tu m’accorder une Valse ? Ou bien Jouer avec les Ombres ?»

Il désigne la lanterne d’une patte. L’invite à venir passer du temps à ses côtés.

sans cacophonie, la musique est ailleurs.
Il n’y a que le silence, que le silence que tu puisses entendre quand multitude d’yeux sont penchés sur lui. Il n’entends plus la musique, il en est privé de par sa surdité, de par l’absence du père qui trop souvent compense le handicape de ses fils. Pas de musicien, pas de cantatrice, juste les images qui dansent dans la lumière chancelante de la lanterne aux lucioles.

Il se veut provocateur pour l’amusement seulement, pour un jeu qui trompera l’ennuie. On lui a demandé de faire des efforts d’aller vers les autres, mais il n’en reste pas moins maladroit et discordant.

Le sourire commençait discrètement à se perdre, à s’effacer.




Il se penche délicatement pour la saluer, car c’est ainsi qu’il faut procéder, un sourire se trace sur ses babines, puis s’élargit. Il l’invite à le rejoindre près des lumières dansante de la lanterne. Enroule sa queue autour de la sienne comme l’on se saisit d’une main, plaque son flanc et ses plumes contre le sien Concentré, il calme alors ses tribulations. Attentif, il prend garde à ne pas lui marcher sur la patte par mégarde.

Un temps, deux temps, trois temps.
Il se doit de mener la danse. La berce, la fait pivoter, les fait tourner l’un contre l’autre. S’il n’a jamais vraiment entendu la musique, il connaît mesure et harmonie. L’invente et la réinvente dans ses songes seulement. La musique et l’attention portée apaise sa cacophonie toujours un peu plus. Bien que théâtral, il se croit bon danseur. Concentré sur la perfection de sa tâche, il avait oublié un détail, il avait oublié de l’observer dans l’œil. La fixe un instant. Dans le silence, il rougit, la chaleur lui monte du museau jusqu’à ses aigrettes.

Une idée nouvelle le traverse, furtive, suggérée en son esprit. Y avait-elle seulement songé elle-aussi ?
Il ralentit l’allure, jusqu’à s’arrêter complètement, recule d’un pas avant de la saluer à nouveau mettant fin à la valse.

Puis curieux plus qu'il ne soit raisonnable de l'être, rompt le charme en un instant :

« As-tu déjà pensé à avoir des enfants ? »

Ce n’était pas exact, mais elle frôlait du doigt des choses qui étaient dissimulées et interdites. Sa curiosité s’était faite des plus intéressées, malsaine d’une certaine mesure.


Il devait bien avouer qu’il ne lui en connaissait pas, s’était permis une rêverie passagère, sans pouvoir réellement l’avouer, avait souhaitez l’espace d’un instant plus de contact. Pourtant, il ne s’était montré insistant, s’était contenté du rouge qui lui montait jusqu’aux oreilles.


Et c’est nombreux qu’ils les désiraient.
Désir né du regret. Celui du manque de représentant de Mido parmi les siens. Soucieux de ce chiffre qui avait tendance à s’amenuiser au fur et à mesure des années. Il souhaitait multiplier les adeptes, construire une nouvelle génération convaincue. Des loups qui ne lui tourneraient pas le dos.

Toi ou quelqu’un d’autre. à vrai dire, il n'était pas vraiment fixé. Elle était seulement la première à faire preuve de gentillesses à son égard.


Il n’avait pas réellement idée qu’il n’était correct de formuler telle demande ainsi. Au premier rendez-vous. Il se montrait simplement sociable, tel qu’on le lui avait demandé, répondait à une question après qu’on ait répondu à celle que lui avait posé au départ. C’était une autre forme de valse après tout, celle du discours, une réplique après l’autre. Aucun mal à cela n’est-ce pas ?

Ses pensées ne tarissaient d’éloges et de compliments mélodieux à son égard, elle semblait louve tout à fait à son goût. Élégante, raffinée, soucieuse d’autrui, une parfaite compagne en soit, cependant, ce n’était pas de cela auquel il faisait référence. Ne cherchait à lui passer la bague au doigt comme certains auraient pu le faire. Tout ne tenait qu’à une simple proposition, un accord pour plus tard. Des mots qui peut-être même lui avait échappé, s’étant ainsi retrouver lui-même piégé.

À son tour, il se pose face à elle, fige telle une statue, un écho. Les aigrettes de plumes se tendent vers la louve, bien qu’il soit incapable d’entendre, il n’était pas moins attentif à ses réactions, à ce qu’elle pouvait dire. Il s’attendant à des sourcils froncés, à des revendications, une louve plutôt difficile à convaincre pourtant, elle semblait joyeuse, ravie.

Peut-être qu’elle acceptait leur contrat,
Peut-être qu’elle aussi avait besoin d’aide en ce sens,
Puisque l'idée ne semble pas la déranger,
ni même la surprendre.

Pourtant, il existait un doute. Une surprise, bien qu’agréable. Il redemande posément, voulant s’assurer qu’ils se comprenaient bien et qu’il ne s’agissait pas d’un dialogue de sourd unilatéral.

« Alors tu es d’accord pour m’aider à atteindre mes objectifs ? »

Calme toujours, il ne se laisse emporté à quelques fantaisies que ce soit, pas de cris de joie, pas d’agitation plus que dans son esprit étroit, non. Simplement. Pour s’en assurer.


Il était suffisamment lucide pour savoir que seul, il serait incapable d’accéder à ses objectifs. Fonder une descendance, l’élevée au delà des autres, ce n’était voué à loup célibataire.

Oh, je vois. Sa voix se fait plus douce, jusqu’à étouffer, inaudible. Parole presque adressée qu’à lui-même, il comprend enfin. Ce qu’il ignorait. Le cœur et le corps de la louve appartenait déjà à quelqu’un d’autre.

L’étincelle dans son regard ternie, marque son visage de déception qu’il n’aurait su dissimuler dans l’instant. Il n’avait su lire entre les lignes et elle ne saurait lui appartenir. Les autres lui semblaient si compliqué à comprendre contrairement à son frère qui lui semblait intangible et connu. La surprise, il n’y avait qu’avec les autres. Si changeant.

Au moins, elle ne semblait pas lui mentir, elle aurait très bien pu l’embobiner dans une combine, mais ce n’était le cas. Aucun tressaillement sur son visage, aucun frisson dans sa fourrure. Seulement l’honnêteté d’avouer ne pouvoir aujourd’hui répondre à telle requête maladroite.

Je comprend maintenant. Pourquoi que maintenant ? Honteux un peu de ne saisir tous les méandres de la communication.

Je pensais que tu n’en avais pas. De compagne ou compagnon.Cependant j’accepte ce refus qui n’est pas complet. Nous verrons ce qu’en pense MonsieurDame.

Il se devait de refuser. Les aigrettes penchées vers l’avant, se redressant de tout son long. Son regard se figea à nous sur elle, sa mine avait gagné en sérieux et sa voix en ton grave. C’était important pour lui.

Je ne souhaite pas avoir des enfants seul. Il me faut enrichir ma lignée. On ne pouvait ignorer que ses seuls gènes n’avaient vocation à se transmettre, il fallait plus encore.

Ils étaient donc dépositaire de ce pacte, passé entre eux. Tout deux contractants, sans contrat, ne sachant dans quelles conditions et selon quelles closes ils se trouvaient obligé l’un à l’autre. L’histoire ne demandait qu’à être écrite.

Il pencha la tête sur le côté avant de s’asseoir, lui faisant face. Il patienterai dans tous les cas, espérant secrètement trouver un accord entre eux.

A l’évocation de Yurai ses yeux se ferment un peu, puis il secoue la tête de gauche à droite dans un mouvement ample et lent. Si c’est ce que mère aurait sans doute fait, l’idée d’être redevable de telle déesse n’était pas dans ses attributions, c’était chose qui lui était insupportable. Mais puisqu’il ne semblait exister d’autre solution, il devait bien s’y résigner. Tout fois, il se permet quelques doutes.


Si elle n’a su sauver la colombe, alors comment pourrait-elle donner la vie ? Il s’interroge. De plus, il s’était tenu éloigné de l’engeance depuis son retour, il ne savait à quoi s’attendre. Cependant la conclusion se fit assez rapide. Il se lève.

Ou demain. Il songea que le plus tôt serait le mieux. Mais pouvait-il vraiment lui demander lui, lui qui n’avait que du ressentiment à son égard et ce depuis toujours. Elle qui n’était qu’adoration de ses nombreux disciples, une idole.

La louve n’avait aucune certitude à lui offrir. Toute fois, il n’avait d’autres choix que de se ranger à son idée, ne voyant aucun crime à simplement quérir de l’aide. Peut-être la déesse daignerait lui fournir des héritiers.

Sa tête va de haut en bas tandis qu’elle parle, il l’écoute attentivement. Pour une fois, reste quelque peu silencieux.

Il fait la moue. Il n’était pas des plus patients, c’était même plutôt l’inverse. Si elle ne l’avait demandé expressément ainsi se serait-il précipité à son chevet exigeant une audience. Mais puisque c’était si expressément demande, comment pouvait-il le lui refuser.

Yurai est patraque, il est vrai. Il avait été invité à garder ses distances.

« J’attendrais ton accord avant d’aller lui parler. »

Il vaut mieux, laisser ce soucis à ses adeptes.

Il savait que ceux qui prétendent à sa couleur tel que son frère serait tous soucieux de sa santé, tandis que lui, n’avait cet attrait pour le soin.

Il la laisse feuilleter, sans dire un mot et sans la lâcher des yeux, jusqu’à ce qu’elle l’invite à observer le livre à son tour.

Un bourgeon de Pomme d’or,
Ne serait-ce la pomme de la discorde ?
Surpris, il saute sur ses quatre pattes.

Il ne s’attendait pas à une telle idée venant d’elle. Il n’était pas contre en soit, mais il trouvait la proposition assez surprenante bien que disposant d’une certaine logique en accord avec la requête.

Le corbeau penche la tête, dardant son regard curieux sur la louve au pelage asymétrique. Nul, mauvaise intention semblait venir entacher sa démarche, ce n’était que naïveté et méconnaissance qui semblait l’avoir conduite à telle proposition non pas inacceptable, mais plutôt surprenante aux yeux du loup.

Elle ne sait donc pas.

Était-il de son devoir de répondre à ses questions, de l’éclairer sur ces choses qui semblaient lui échapper ou se devait-il de la laisser dans l’embarra avec des questions absentes de réponses ? Pour elle, il voulait bien faire un effort. Lui apporter quelques explications afin d’éclairer sa lanterne.

Il se devait donc de répéter. Le loup sombre s’éclaircit la voix tout en regardant le sol.

« Un aphrodisiaque est une substance naturelle ou un potion qui accroît le désir. On pourrait comparer cela à un filtre d’amour de façon moins scientifique. Me voici rassuré, l’idée d’en donner à une déesse quel-qu’elle soit, ne m’était pas confortable.»

Il n’était sortcelier et pourtant, il détenait quelques savoirs théoriques, l’herbier de son père était suffisamment riche pour lui porter quelques connaissances alchimiques.

Peut-être qu’elle saura.

Le corbeau ne portait ses certitudes.

Lucian remettait ses doutes au bon jugement de la louve porteuse de violet, il n’avait d’autres choix, après tout, c’était son idée à elle, plus que la sienne, il n’avait fait que se joindre à ses suggestions. Il resta interdit, la regardant la gueule entrebâillée sans rien dire. La laissant regagner sa liberté, s’échappant à lui après l’avoir éclairé d’un sourire solaire. C’est sans un au revoir qu’il la vit disparaître à travers le dédale.

Il était temps de se rendre à la Sylve.