Silence, ça pousse - Jessamine

Il venait voir maman. Cela faisait un moment qu’il n’était pas passé. La dernière fois, c’était avec Cristalline, pour la présenter à maman. Il lui avait dit qu’elle était sa fille – mais maman devait se douter que ce n’était pas le cas. Wymond ne pourrait pas voir que quelqu’un s’intéressait à lui sans que la personne ne le lui déclare en face à face. Et même là, il aurait des doutes. Alors Wymond, avoir une fille : c’était inattendu pour dire le moins. Cependant par politesse ou par respect du mensonge arrangeant, elle ne lui avait pas demandé de précisions ce jour-là.

Il marchait tranquillement sur les chemins des Ruines Blanches qui l’avaient vu grandir. Quand il amenait d’autres loups là, ils se plaignaient toujours des vapeurs acides, du froid, du paysage désolé … mais lui ne parvenait pas à les voir comme ça. C’était sa maison, toute son enfance. C’était de là qu’il venait. C’était de là que venaient tous ses premiers souvenirs heureux.

Depuis qu’il s’occupait de Cristalline avec Cloud, il réalisait à quel point sa maman avait tout sacrifié pour eux. Il avait une fille dont il partageait l’éducation avec son amie Nakhu : elle en avait eu quatre à élever toute seule. Elle avait réussi à rendre leur enfance drôle, joeyuse – alors que pourtant ils ne partaient de rien. Wymond n’y avait jamais vraiment prêté attention quand il était petit puis ado ; mais maintenant qu’il était dans une situation similaire il comprenait qu’elle avait fait tant de choses pour lui et ses sœurs et frères. Alors il essayait toujours de montrer sa reconnaissance.

Aujourd’hui, c’était avec un panier de légumes du potager. Depuis qu’il était végétarien, il essayait d’apprendre à d’autres loups qu’on pouvait manger des légumes. Alors il projetait de cuisiner quelque chose à manger avec les légumes cadeaux.
Ses pattes foulèrent le sol des Ruines, et il arriva face à l’entrée de leur tanière d’enfance. C’était un rare coin des ruines ou des plantes avaient poussé. Du lierre passait sur les rochers, faisant un rideau naturel devant l’entrée, et un petit cerisier s’entêtait à pousser dans un coin de qui avait surement était – il y a longtemps – une pièce majestueuse.

« Maman ? »

-Jessamine-

L'hiver était plutot doux dans les ruines, Jessamine pouvait s'en réjouir. Elle savait bien que le prochain été sera, une fois encore, rude. Mais elle avait passé le dernier et savait, non sans une certaine paix, qu'elle saurait passer le suivant. La vie était calme, ici, lorsqu'on savait se tenir loin des ruines peuplées de monstres. Bien peu connaissait le chemin ; Et peu venait la déranger, ce qui la rassurait. Evidemment, ses quatre tendres enfants (qui n'étaient plus si petits) connaissaient toujours le chemin vers sa tanière, et lui rendaient visite régulièrement. Ils éclairaient un peu son quotidien calme et monotone.

Cette fois-ci, c'était son Wymond qu'elle entend marcher au dehors. Ses pas lourds et réguliers, elle les auraient reconnus entre mille, et elle sourit déjà lorsqu'il écarte du museau le lierre qui lui procurait un peu d'intimité et d'ombre en été. Elle se tourne vers lui, l'accueille d'un sourire tendre en ordonnant un vieux morceau d'étoffe qui trainait sur le sol.


Elle se relève pour s'approcher, et l'enlacer de ses pattes qui semblaient si frêles comparées à lui. Elle peinait encore à croire qu'il était son fils, parfois, lui qui avait tant grandi. Mais elle voyait encore le louveteau qu'il avait été dans son regard curieux lorsqu'elle cuisinait pour lui. Une lueur qu'elle voyait de moins en moins, avec le temps. Elle pose un regard doux dans ses iris, le trouve fatigué et amaigri. Mais n'était-ce pas la malédiction de toute maman ? Elle caresse sa joue.


Lui qui était devenu papa il y a quelques temps, la fatigue était normale dans ses yeux. Elle regrettait de ne pas pouvoir plus l'aider, mais il était loin, dans ce Refuge qui lui laissait un arrière gout anxieux en gueule.

Il pose son panier pour passer à son tour ses énormes pattes brunes autour des épaules de sa maman pour la serrer contre lui. Il avait l'impression de redevenir un petit loup, lorsqu'il rentrait à la maison voir sa mère chérie. Comme un enfant, sa joie ne tenait soudain presque qu'à une seule personne : maman. Elle était là, elle était avec lui, et il se sentait petit et rassuré ... alors que pourtant c'était plutôt lui qui la tenait que l'inverse, maintenant qu'il était grand.

"Ca va" la rassura t'il avec un sourire. Ce n'était pas vrai, mais c'était d'usage. Il ne pouvait pas dire à maman toutes ses peurs, toutes ses inquiétudes ... il ne voulait pas lui parler de l'issue du dragon, de ce qu'il faisait depuis pour mener à bien la promesse faite à la dragonne... mais par contre, il y avait d'autres choses dont il pouvait lui parler.

"Cristalline va bien ... elle va vivre avec sa maman adoptive - Cloud - chez les Nakhus un peu... pour apprendre la vie en clan, voir si ça lui plait." lui expliqua-il avec un sourire un peu triste. Il pensait qu'elle serait là plus longtemps, sa fille adoptive.
"... Elle grandit vite." soupira-il en secouant un peu la tête, avant de sourire de nouveau à sa maman. Eux aussi, avaient dû grandir trop vite pour elle. "Bientôt, je pense qu'elle voudra habiter toute seule."

Quand il la voyait, il voyait toujours la petite louve brune claire aux grands yeux bleus qui était dans la grotte que Dell lui avait montré. Le petit ange comme tombé du ciel. Si il avait su, ce jour là, que tous les souvenirs, tous les petits moments qu'il aurait avec elle seraient si précieux ... il les aurait plus savourés. Maintenant qu'ils étaient passés, c'était avec nostalgie qu'il revivait le passé.

"Et toi, ça va ?"

-Jessamine-

Le sourire doux qui étire les babines de la mère est de ceux qui voient en fac ce par quoi ils sont passés, et qui savent à quel point l'épreuve était difficile. Voir partir un enfant ! Dans le grand monde ! Jessamine ne dit rien, pour le moment, se saisissant d'une théière qu'elle vient remplir dans un seau d'eau claire. Elle répond avec douceur.


Ses yeux viennent chercher ceux du grand loup, lui tendant assez naturellement un pilon qu'elle garni de plantes à moudre pour le thé.


Sa patte vient toucher l'épaule du mâle, réconfortante.