L'histoire avec une fin | Libre

Depuis peu, il n'était plus capable de voir, ses yeux d'un vert farceur avaient cédé leur place pour deux billes laiteuses en le privant de la lumière claire des matins froids. Son corps s'était raidi, son poil habituellement nickel était hirsute, divisé en mèches irrégulières, rendant évident sa perte d'état qui le rongeait depuis plusieurs semaines maintenant.

Zen n'est pas idiot, il a vu lors de sa prime jeunesse les loups anciens devenir aussi pathétiques que ça, que Kiro l'en garde, il avait encore toute sa raison. Sa mémoire défaillait parfois, son attention se faisait plus aléatoire, mais n'était pas rendu sénile par le temps. Et c'était bien ce qui le raccrochait autant que possible à sa vie actuelle, plongée dans le sombre et le flou, les voix semblant plus lointaines par moment. Le vieux loup gris devenu presque entièrement blanc, du moins au visage, savait bien où les choses le menaient.

Son histoire qui allait bientôt devenir que des souvenirs, ce bon ami avec toujours le mot à dire.
Cette face de mulot trop précieuse, comme sa meilleure amie lui disait.
Ce Roi toujours là pour sa Reine.
Et le papa de trois merveilleux garçons, tous hauts en couleurs.

Des regrets qui défilent dans sa tête. Aujourd'hui, il se sentait bien. Il tremblait beaucoup, anormalement, mais il avait de l'énergie, il aurait aimé aller à la chasse aux champignons, se rendre de nouveau utile. Pouvoir revoir les paysages et les visages. Mais trop gourmand, il se contenterait juste de profiter de ce regain pour partir en vadrouille seule. Des loups naissaient aveugles et s'en sortaient, alors, pourquoi pas lui ? Il connaissait ce monde sur le bout des griffes, c'était chez lui après tout.
Il était né ici.

Des pas peu sûrs, une peau de mouflon sur le dos, et Zen se voit tenter de marcher de nouveau seul après des jours d'assistanat. Lotus avait été très serviable, voire même trop collant, donc ce moment en solitaire était l'occasion un peu rêvée de se convaincre qu'il pouvait se débrouiller. Son instinct le guide vers le marécage qui hébergeait Kiro. Récemment, le dieu était un peu chafouin de ce qu'il avait entendu. Il fallait dire que dernièrement, il y avait eu tant de mouvements, la perte de deux alphas consécutivement, et les jeunes qui peinaient à se dégourdir. Alors le dieu jaune avait bien raison d'être en colère, et même si Zen lui en avait voulu d'avoir plombé dans le crâne de son fils qu'il avait le droit d'être aussi têtu, ça avait été pardonné.

Après tout, le vieux loup devenu blanc comme neige ne pouvait se demander si le Serpent ressentait comme il avait ressenti quelques années auparavant : un sentiment d'abandon malgré tout ce qui avait été donné.
Il soupire, et se sent froid.

Ses yeux cherchent un peu. Il ne pouvait reconnaitre clairement son environnement, doute même de s'il avait pris le bon chemin. Zen hésite, fait un pas, se résorbe. Où était-il ? Il n'entend rien, également. Alors il tente, trouve un petite voute d'arbres par chance et s'y réfugie le temps de réfléchir. Ce n'était pas possible de penser dans un moment de stress. Il se couche, la tête sur ses pattes, et regarde autour de lui. Des ombres surtout, quelques éclats de lumière. Proche du sol, il a encore plus froid, se roule en boule pour tenter de se tenir chaud, toujours sa couverture sur le dos.

Et l'après-coup se fait sentir. Le loup ne peut plus bouger, mais ne s'en inquiète pas. Au contraire, il se sent apaisé, calme. Comme un bon moment auprès d'un bon feu où la fainéantise prend le dessus, où même si la tête se dit qu'il faut bouger, le corps se prélasse et semble dire "on a le temps". Ses yeux se ferment, paisible, et son corps semble se réchauffer toujours dans cette sensation agréable que la douleur, les peines, les inquiétudes s'envolent. Un repos qui, à partir ce ce moment, sera à tout jamais bien mérité.