Loveless - Armada

Maintenant qu'il avait intégré les Etelkrus, la nouvelle quête d'Armada était évidemment d'y faire ses armes, mais plus encore d'y briller. Le souvenir de son père hantait encore ces terres, et s'il ne faisait pas de commentaire sur le fait qu'on s'en souvenait comme d'un loup gentil, mignon, serviable et autant de qualificatifs qui pouvaient passer pour quelque-chose d'un peu positif, il voyait d'un oeil franchement mauvais le fait non dit qu'il avait échoué à devenir l'idéal que prônait le clan. L'idéal que prônaient aussi ses origines, jetant l'opprobre sur ses descendants par la même occasion. Un loup minable pour renverser une dynastie - non, ce n'était pas la fin d'histoire que le loup à la crinière de feu voulait voir écrite.

Alors il s'entraînait. Beaucoup. Il avait bien remarqué ne pas être le seul jeune à faire ça - et encore, lui était peut-être moins jeune que les autres finalement - et s'était fondu dans cette dynamique. Il avait ainsi repéré une.... louve - même si son physique faisait penser à une floppée d'animaux mais clairement pas un loup - qui suivait à peu près le même cheminement. Aux aurores, elle quittait aussi le Castel avant que les tâches quotidiennes ne commencent vraiment pour courir, chasser, arpenter le territoire. Il croisait sa piste de temps en temps.

Ce matin-là, il s'était mis en tête de la suivre, de la rattraper, et de lui proposer un entraînement en bonne et due forme. Les Chevaliers étaient certes en bonne condition physique, mais surtout devaient se montrer à la hauteur de chaque combat. Et l'éducation de ses parents ne l'avait hélas pas vraiment préparé à ça. C'est ainsi qu'il se retrouva sur la Rougelande dans le sillage de la louve de bon matin.

"Hé !" Héla-t-il lorsqu'il rattrapa la silhouette cornue.

Il s'arrêta et se campa sur ses pattes, la défiant du regard.

"J'ai remarqué comme tu t'entrainais, tout comme moi. A ton avis, lequel de nous deux a le meilleur programme ?"
Viens danser, la bête.

La haute silhouette qui détonnait dans la lande se retourna vers lui, lentement, hérissée, et il mit aussitôt de côté l'idée de s'en faire une camarade à proprement parler. Il ne s'attendait pas à croiser un visage si haineux - même s'il avait remarqué qu'elle arborait rarement un sourire au Castel -, mais il en fallait plus que ça pour l'intimider. Ses prunelles se plissèrent légèrement alors que la louve répondait d'un rire malsain et grinçant, teinté de quelque-chose qui ne plaisait mais alors pas du tout au loup brun.
Du mépris.

La louve était d'une taille spectaculaire, il fallait le reconnaître, et elle pouvait sans peine le regarder de haut. Les yeux clairs du loup aux cheveux de feu ne quittèrent cependant pas ceux couleur sang de son interlocutrice tandis qu'elle lui crachait son fiel. Un autre loup se serait peut-être demandé pourquoi une étrangère le détestait autant. Mais il ne s'embarrassa pas de ça ; elle avait éludé sa proposition - sa provocation - avec lâcheté, et il ne comptait pas laisser passer ça. Ses oreilles se rabattirent sur son crâne, fondant dans ses lourdes mèches orangées, et il lâcha :

"Fort bien. Je m'en vais commencer par faire du ménage ici alors."

Et sans hésiter, il se ramassa sur lui-même et se jeta sur la louve violette.

[DE FOR - Armada attaque Ophrys ]

Assuré, il visa le seul point faible qui lui paraissait atteignable : les longues jambes un peu dégingandées de la femelle. Tous crocs dehors, il tenta de lui attraper la cuisse pour la faucher au passage et la faire rouler au sol- où elle serait soudain descendue de son piédestal.

La grand louve l'entendit arriver et esquiva au dernier moment son coup d'un preste bond sur le côté. Le mâle s'arrêta avec arrachant quelques herbes au passage et se campa de nouveau face à elle. Il commença à prendre la mesure de l'adversaire devant lui, se demandant avec surprise s'il ne s'agissait pas d'une louve qui aboyait plus fort qu'elle ne mordait. Elle était pourtant bien plus grande que lui - mais peut-être promener une si grande carcasse n'était pas non plus aisé. Mais elle cracha de nouveau ses paroles à son visage sans daigner l'attaquer. Peut-être pensait-elle se donner une sorte de prestance à agir ainsi - mais vu la colère qui déformait ses traits il n'en était pas certain.

Peut-être simplement n'osait-elle pas l'attaquer.
Sa remarque coula sur le loup sans autre effet que d'asseoir sa détermination. Son objectif d'entraînement venait de changer drastiquement : maintenant il voulait simplement battre cette louve qui le prenait de haut.

"Certaines saletés sont bien accrochées." Gronda-t-il avec l'ombre d'un sourire.

Cette fois-ci il ne fut pas question de surprise. Il attaque frontalement et elle le vit parfaitement venir.

[Dé FOR - Armada attaque Ophrys]

Il visa plus fort, plus haut et se jeta sur elle avec l'intention de lui mettre un coup dans la mâchoire. Histoire de refermer ces crocs d'où s'échappait tout ce venin.

Encore une fois, telle une couleuvre elle ondula pour se glisser hors de sa portée. Pire encore, cette fois-ci elle lui fit l'affront d'une rebuffade en lui asséna un coup de pattes sur le flanc. Le mâle gronda en bondissant à son tour sur le côté pour limiter les dégâts. Maintenant il en était presque certain : elle ne comptait pas l'attaquer. Elle se contentait d'esquiver ses attaques et de l'attendre. Elle était lâche, la bête. La queue du mâle battit l'air derrière lui, signe de l'agacement qui le saisissait lui aussi. Mais il en fallait plus que ces deux manoeuvres pour le détourner de son objectif.

Il avait l'espoir qu'elle évite l'affrontement frontal à cause d'une faiblesse quelconque - peut-être ne voulait-elle pas admettre qu'elle ne savait simplement pas se battre - et donc qu'à force de tenter il parviendrait à la fatiguer, à l'épuiser, et à faire mouche.

"Je suis chez moi." Gronda-t-il.

Et il attaqua de nouveau.

[Dé FOR - Armada attaque Ophrys]

Il bondit sur le côté en visant les cornes cette-fois-ci. S'il parvenait à en attraper une, son simple poids entraînerait la tête de la louve au sol sans difficultés - elle n'allait certainement pas se laisser casser le cou.

La danse continua, toujours avec les mêmes pas. Lui qui bondit, elle qui s'échappe. Un dangereux tango de crocs qui effleurent les pelages, dans le rythme régulier d'un battement de coeur. Les yeux bleus du mâle se plantèrent de nouveau dans ceux de la femelle, rougeoyants de colère et de mépris. Sa stature et son anatomie étrange la rendaient plus dure à lire que ses congénères plus communs. Elle avait quelque-chose de lourd et léger à la fois, pas tout à fait féline, pas tout à fait taureau, une oscillation quelque-part entre les deux. Un rictus souleva les babines du mâle brun, à mi chemin entre un sourire et un dépliement de crocs.
Lui aussi voulait l'avoir à l'usure.

Elle ne l'attaquait pas physiquement, mais elle tentait par tous les moyens de trouver une faille avec les piques de ses mots acerbes. Elle paraissait méchante, gratuitement méchante. Le mâle écouta, les oreilles toujours rabattues, tâchant de savoir si elle voulait le blesser ou simplement le distraire pour le pousser à l'erreur. Pragmatique, il devait bien reconnaître qu'elle n'avait pas tort : il n'avait pas de famille ici - pas directement en tout cas - et pas d'amis non plus. Son arrivée était encore trop récente chez les Etelkrus pour qu'il puisse s'en targuer.

Sa langue le picota d'une envie de répliquer dans le même genre, mais il se retint. Il aspirait à devenir Chevalier, s'il commençait sa nouvelle vie dans la meute en insultant directement une dame, c'était un départ plutôt mauvais. A la place, il s'inclina devant la louve et répondit :

"Ne viens-je pas de m'en faire une, d'amie ?"

Il poussa le vice jusqu'à lui adresser un sourire un peu narquois, avant de rejeter ses longs cheveux en arrière pour mieux se préparer à l'assaut suivant. Car il ne comptait pas en rester là. Sans se départir de son expression, il se mit à marcher quelques pas autour d'elle, son regard clair la jaugeant pour essayer de trouver un point d'impact intéressant. Il gronda :

"Et toi, qui veut de toi ?"
Hein, la bête ?

Puis sans crier gare, il se jeta de nouveau sur elle. Sans fioriture, visant le flanc pour la renverser.

[Dé FOR - Armada attaque Ophrys]

Oh.
Aurait-il fait mouche?

Il vit le changement dans ce qui alimentait le foyer de ce regard rouge et brûlant, juste avant qu'elle ne se jette sur lui. Sans hésiter, il recula d'un bond pour éviter son assaut - presque timide comparé à l'intensité grandissante que lui mettait dans ses escarmouches. Son crâne le picota lorsqu'elle lui arracha quelques cheveux, sans garder d'autre butin de son attaque ratée.

Elle paraissait vraiment en colère, pas simplement agacée, pas simplement piquante. Armada plissa légèrement les yeux alors qu'il la voyait inspirer comme tenter de reprendre la maîtrise sur elle-même. Intéressant. Il fallait bien admettre qu'au delà de cette haine gratuite, les quelques autres signaux qu'elle envoyaient le rendaient un peu curieux de savoir qui elle était, cette louve bête. Oh, bien-sûr, pas avant de l'avoir vaincu à ce duel amical - mais l'était-il vraiment ?

Elle n'eut même pas de bonne pique à lui envoyer cette fois-ci, et sa langue de vipère vacillante fut un signal qu'il interpréta comme un peu d'affaiblissement. Une faille, une ouverture dans les épines de la rose. Il retroussa les babines et se jeta à nouveau sur elle.

[Dé FOR - Armada attaque Ophrys]

Il avait été bien confiant de songer qu'il l'atteindrait une fois encore. Elle était serpent, Méduse, anguille, difficile à saisir tant elle se glissait hors des situations qui l'exposeraient. Armada dérapa pour s'arrêter et lui fit de nouveau face. Le portrait qu'il avait commencé à dessiner d'elle se clarifiait, et même s'il comprenait peu à peu qu'il lui serait vraiment difficile de mener ce duel à la victoire, il ne le considérait plus vraiment comme une défaite.
En réalité, il était déjà vainqueur.

La louve bête ne faisait qu'esquiver, fuir, une danse certes admirablement agile mais sans aucun courage. Et même les piques qu'elle lui lançait ne l'atteignaient plus vraiment - déjà parce qu'elles étaient plutôt répétitives, elle paraissait rapidement à cours d'argument, son seul étant la certitude d'être supérieure à lui, et ensuite parce qu'il avait changé d'état d'esprit. Dans son regard, l'agacement s'était mué en une sorte de mépris narquois, presque amusé, face à la situation. Il savait que cette louve et lui ne pourraient jamais être ennemis, puisqu'ils étaient tous deux Etelkrus. Mais cette drôle de rencontre était... extrêmement divertissante, il fallait bien l'admettre.

"Je suis déçu." Répondit-il. "Je cherchais un adversaire à la hauteur d'un combat. Tu n'es de toute évidence pas la bonne personne."

Il soupira, un peu théâtral, surtout provocateur. Puis il ajouta :

"Tu peux continuer à fuir. Mais ça ne fera pas de toi quelqu'un de plus grand. Il n'y a que la vermine qui s'enfuit plutôt que de faire face."

Il secoua la tête, la salua de nouveau dans une parodie de révérence. Puis il releva la tête et s'approcha de quelques pas - d'aucuns auraient dit dangereusement - jusqu'à ce qu'une courte distance les sépare. Il était presque certain qu'elle ne l'attaquerait pas - c'en était presque un jeu, de deviner s'il arriverait de nouveau à la faire sortir de ses gonds, ou si elle parviendrait à garder ce masque hautain qu'elle avait de nouveau revêtu - aussi se risqua-t-il à ne s'arrêter que lorsqu'il put sentir son souffle sur son visage, dans ses cheveux.

"Si d'aventure vous vouliez de nouveau danser, madame. Je serai fort disposé à vous accorder une véritable valse."

Durant un instant, ses yeux scrutèrent les prunelles rouges de la louve. Puis il fit volte-face et s'en fut d'un pas décidé, l'ombre d'un sourire au coin des babines.

[Fin pour moi, si ça te va !]