Tout était flou dans sa tête... La caverne froide et humide, ses compagnons qui disparaissaient au détour d'un couloir, des bruits de cavalcade dans le noir... Et putain, qu'est-ce qu'il avait mal à la mâchoire ! Il était tombé dessus ou quoi ? Précisément. Tout lui revint dans un éclair douloureux. Flamme et le petit gars brun. Leemoncello qui s'enfuyait. Et puis cette drôle de louve balafrée qu'il n'avait jamais vue, mais qui ne lui disait rien qui vaille, et qui confirma sa première impression lorsqu'elle tenta de lui sauter dessus, mais qu'il évita de justesse pour se mettre à galoper vers la sortie comme un dératé. Bref. Puis le noir complet. Il s'était évanoui, ou on avait réussi à l'assommer. Et à moins qu'il ne découvre que tardivement sa narcolepsie, il s'était bel et bien fait avoir.
Sa gueule était pâteuse, et la migraine continuait de ricocher dans son crâne. Il poussa un faible grognement. Tout son corps était engourdi. Il lui fallut une bonne minute avant de retrouver ses sens, et de se rendre compte du sol qui crissait sous lui et lui brûlait les genoux et le ventre. On le traînait par la peau du cou. Marcus voulut se dégager de l'emprise, mais il ne parvint qu'à dodeliner faiblement de la tête. A peine conscient, il ferma les yeux et se laissa de nouveau tomber dans l'oubli.
Il se réveilla en sursaut lorsque sa joue rencontra un granit froid et blanc. La lumière l'aveugla. Paniqué, Marcus se redressa à moitié. Son regard flippé se posa sur la femelle sombre qui l'avait attaqué plus tôt. Il déglutit. Il sentait la bile monter dans sa gorge. Elle s'approchait de lui d'un air menaçant, le contournant à pas feutrés comme pour le prendre de revers. Et lui ne pouvait que la regarder faire, oreilles plaquées contre son crâne, trop affaibli pour tenter quoi que ce soit.
Sans crier gare, elle se jeta sur l'une de ses pattes arrière. Il glapit quand les crocs s'enfoncèrent dans sa chair. Douleur. Mais elle ne s'arrêta pas là. Elle ne lâcha pas prise. Telle une furieuse sangsue, elle resta accrochée à sa patte, déchiquetant les muscles et les nerfs dans ses mâchoires puissantes. Souffrance. Et Marcus ne pouvait que frétiller sur le sol comme la pathétique proie qu'il était. Son corps était agité de soubresauts incontrôlables, des points noirs dansaient devant ses yeux, sa gorge laissait s'échapper des râles terrifiants, faute de pouvoir s'échapper lui-même. Il était sur le point de s'évanouir quand un craquement sonore résonna sous la voûte percée. Sa patte venait de céder, mais il était tellement engourdi de signaux d'agonie que cela ne lui arracha même pas un cri plus fort que les autres. Pis encore : il en ressentit même du soulagement, car ce fut à ce moment-là que sa tortionnaire enfin satisfaite lâcha prise. Le membre disloqué, privé de sensations, retomba mollement sur la roche dans un angle inquiétant. Il n'était encore relié au reste de son corps uniquement grâce à un lambeau de chair mal en point, qui se noyait déjà dans la mare de sang formée par le massacre.
Haletant, Marcus laissa sa tête retomber contre le sol, ne sentant même plus la douleur du choc contre son crâne. Son corps était parcouru de fourmillements qu'il n'aurait su définir, lesquels se transformaient parfois subitement en ultimes spasmes sans prévenir. Avait-il mal ? Ou était-il juste en train de mourir ? Il ne sut combien de temps il resta allongé là, le regard dans le vide, son liquide vermeil continuant de s'épandre sur le sol, rendant poisseux son pelage. Il serait bien resté là à attendre sa fin. Un voile noir s'étendit devant ses yeux, et il se sentit même perdre conscience pendant quelques secondes...
Ce fut la seconde fois où il se réveilla en sursaut. Mais cette fois-ci, ce fut comme si quelqu'un l'avait poussé du haut d'une falaise, et qu'il s'était rattrapé de justesse au rebord. Était-il en train de rêver ? Sérieusement, il était en train de se vider de son sang et tout ce qu'il trouvait à faire c'était partir au pays imaginaire du sommeil ? Quoi qu'il en soit, il se sentait étonnamment lucide. Il n'avait plus envie de mourir. Et surtout,
SA MÈRE DE CHIENNE IL AVAIT TELLEMENT MAL A LA PATTE.
Les endorphines avaient disparu, et il se prenait maintenant toute la douleur de ce membre arraché comme un camion dans la gueule. Marcus paniqua à nouveau et se releva tant bien que mal, manquant de perdre l'équilibre sans sa quatrième patte. Hagard, il balbutia quelques mots incompréhensibles. Ses yeux fous roulèrent dans ses orbites, balayant les alentours. Il ne reconnaissait rien. Où pouvait-il bien être. Il devait quitter cet endroit. C'était son seul impératif. Il tituba, bouscula sa tortionnaire sans la reconnaître, fit quelques pas pour descendre du piédestal, trébucha et tomba jusqu'au bas des marches. Sa patte disloquée se tordit de plus belle, lui rappelant sa présence macabre. Il hurla à la mort en subissant l'éclair de souffrance. Il devait s'en aller.
La bave aux lèvres, le pêcheur disparut dans les boyaux des mines, laissant derrière lui une traînée sombre et poisseuse.