Un regard vers l'extérieur.
La lumière semblait si grise, si...
morte. Elle passait difficilement entre les racines de l'entrée de la tanière, comme épaissie par la lassitude d'un jour qui n'avait pas eu envie de se lever. Et ce silence, me direz-vous. Ce silence était des plus assourdissants. Étouffé dans son propre mutisme, il semblait s'être dévoré lui-même dans son ennui, comme font les animaux laissés à eux-même trop longtemps dans le froid au bout de leurs chaînes, laissant derrière lui un vide si grand... que même les sourds entendait sa bruyante absence de bruit. Je vous jure, ce jour hivernal avait de quoi refiler la chair de poule au soldat le plus endurci. Là, dehors, l'atmosphère qui régnait devait rappeler le vent de mort qui souffle sur les tombes des oubliés.
Un sourcil relevé, Joshua voyais là une merveilleuse occasion de sortir prendre l'air. Pourquoi pas ? S'il y a des monstres qui rôdent dans la brume, c'est pour mieux pouvoir les terrasser ! Et puis on commençait à s'ennuyer royalement dans le trou de terre familial, hein. Sa mère était partie chercher un peu de nourriture pour ses rejetons -et oui, maintenant, du haut de leurs six mois, on attendait d'eux qu'ils puissent mâchouiller un peu de bouffe, après tout, ils étaient grands maintenant,
ou presque-, tandis que Sawyer et Insane faisaient une sieste dans un coin, entassées les unes sur les autres. Blair n'était plus là, elle s'était probablement faufilée au dehors alors que le jeune mâle dormait encore. Il roula des yeux amusés, un petit sourire en coin naissant sur ses babines chocolat. Malgré son air grognon qu'elle affichait la plupart du temps, sa sœur l'amusait. Elle était la seule de la petite fratrie à partager son goût indiscutable pour l'aventure. Sawyer était beaucoup trop sérieuse à son goût et Insane, souvent en retrait, observant les moindres gestes des autres. Il lui arrivait parfois de disparaître sans avertir également, mais il doutait qu'il s'agissait là d'une quelconque envie de braver les règles. Insane était seulement... un peu isolée dans son propre monde. Elle découvrait la vie à sa façon.
Le louveteau se leva donc discrètement, étirant silencieusement ses muscles ankylosés par le sommeil, et entreprit de sortir de la tanière sans faire de bruit pour ne pas réveiller ses sœurs endormies. S'il y a bien une chose que Josh voulait s'éviter, c'était un sermon moralisateur de Sawyer qui essaierait de l'empêcher de partir ainsi dans l'inconnu, au dehors. Il se jugeait bien assez grand pour sortir un peu, bon. Après tout, c'était pas à elle de le remettre à l'ordre. Fireheart n'était pas là, autant en profiter pour se profiler pour une demi heure. Il réussi sans trop d'encombre, seul le froissement doux de sa veste faisant remuer faiblement l'oreille de l'une de ses frangine. Jetant un dernier regard dans l'abri, il se laissa inonder par la macabre lumière d'hiver qui jetait sur la forêt un voile poussiéreux de mystères et de frissons.
Joshua respira un grand coup.
À lui la Forêt.
À lui l'aventure !
***
Cric, crac.
Les feuilles mortes qui tapissaient le sol craquaient sans relâche sous les coussinets écarlates du petit intrépide. Cela faisait à peine quinze minutes qu'il était sortit, et déjà, il ne savait plus trop où il était. Il était rare que la famille sorte réellement se balader dans les Bois de l'Oubli; ils avaient bien sûr leurs quelques sentiers habituels qu'ils empruntaient quelques fois, mais leur mère préféraient qu'ils ne s'y aventurent pas trop. Après tout, le lieu était reconnu pour être particulièrement... étrange. Plein de vie, plein de proies, plein de charmes, mais... parfois, certains loups s'y perdaient. Et certains ne revenaient jamais.
Joshua ne pût s'empêcher de repenser à son rêve en frissonnant légèrement. Il l'avait refait, encore et encore, bien des nuits d'affilés. Le regard sage et impénétrable de l'un de ses ancêtres. Lui montrant calmement le regard vide et blanchâtre du
Prisonnier de la Forêt. Josh avait fini par surnommer ainsi l'individu qui hantait parfois ses cauchemars. Un loup rachitique et sale, aux orbites creux, ses billes qui semblaient ne rien voir se perdant dans les vapes dont ne sait quel vision. Prisonnier à jamais de ce qu'il avait vu dans les tréfonds impénétrables des bois...
Un bruit fit sursauter le louveteau, qui cessa immédiatement de marcher. Un craquement venu de la droite, lui sembla-t-il. Un lapin ? Pourtant il ne sentait aucune odeur caractéristique de cette proie toujours nerveuse. Non, ce ne pouvait pas être ça.
Un sombre parfum lui vint tranquillement aux narines.
Un parfum de
mort.
L'horrible vision du prisonnier lui venant à l'esprit, le sang du loupiot ne fit qu'un tour et il déguerpit au plus vite, ses pattes s'élançant à la vitesse fulgurante de ceux qui ont peur. Il vira à gauche, encore à gauche, puis continua tout droit. À moins qu'il aie viré à droite ?
Il n'y avait plus aucun doute, maintenant.
Joshua était complètement perdu.
Il haussa les épaules, insouciant, et se dit qu'il retrouverait son chemin facilement. Il n'avait qu'à suivre ses traces....
Ses traces. Où était-elles ?
Il tourna sur lui-même deux ou trois fois avant d'apercevoir d'étranges traces de pas à trois doigts derrière lui.
Le parfum était encore là. Et il se rapprochait.
Une silhouette noire lui vola dans le visage et le louveteau poussa un petit cri de surprise en reculant prestement. Le corbeau se posa sur une branche, observa de son œil carnassier le petit être qui était venu le visiter.
C'était donc
ça , l'odeur de cadavre ! À force de traîner leurs corps infâmes partout les corbeaux prenaient l'odeur de leur nourriture trop souvent plus très fraîche.
Le garçon rigola de s'être laissé faire faire peur aussi facilement et tira la langue à l'oiseau.
Même pas peur, tiens !
Il repris donc son chemin, ayant déjà oublié le fait qu'il n'avait aucune idée d'où il se trouvait. Devant lui se déroulait un destin inconnu, et il devait le saisir !
Une patte devant, deux pattes devant, et hop, il était reparti. Il était redevenu Chevalier Joshua, et il était à la recherche du monstre qui hantait ces Bois, comme chaque fois où il sortait avec ses sœurs, pour les embêter.
Attrapant une branche au vol, il décida d'en faire son épée. Le monstre n'aurait qu'à bien se tenir !
Mais le jeune fût bien vite déçu de ne trouver aucun compagnon de jeu, loup ou pas, sur sa route. Pas une infime petit souris. Pas un infime petit lapin. Rien.
Jetant sa branche sur le sol avec frustration, il s'assit lourdement sur le sol, les sourcils froncés et les oreilles couchées sur les côtés. Pfff.
- J'suis même pas foutu de rester sur le chemin et en plus y'a personne pour jouer. J'aurais dû rester dans cette stupide tanière, marmonna-t-il sans entrain, encore plus ennuyé qu'il ne l'était avant de partir au dehors. En plus, il commençait à avoir froid, et cela devait bien faire une heure qu'il était partit. Sa mère devait être revenue et s’inquiétait peut-être, voyant bien que son fils avait pris le chemin des bois par ses empreintes et son odeur qui s'estompait vers là.
Un petit cliquetis de griffes sur le sol lui fit relever la tête, et c'est là qu'il l'aperçu. L'oiseau, le corbeau, qui lui tournait le dos, picorant je-ne-sais-quoi sur le sol poussiéreux. Joshua n'était pas sûr qu'il s'agissait du
même corbeau, mais il se plaisait bien à le penser. Il allait lui faire voir, à ce piaf stupide ! À son tour de lui faire peur !
Se plaquant au ras du sol, il rampa lentement vers sa proie, qui, ne se doutant de rien -ou simplement se foutant complètement de voir un bébé loup ramper près de lui- continuait de picorer et se promener sereinement dans les environs.
1..... 2....... 3 !!!!
Ses pattes se refermèrent prestement sur le pauvre corbeau étourdi, très surpris de se faire attraper par cet empoté de louveteau, et il se mit à se débattre comme un démon qu'on aurait saucé dans l'eau bénite. Fermant les yeux et levant le museau pour ne pas recevoir de coup de pattes ou de bec dans le visage, Joshua écrasa l'oiseau au sol et le retint avec sa gueule, sans presser pour ne pas lui faire mal -après tout il ne voulait pas le tuer, ça ne serais pas du jeu-, mais le corbeau ne l'entendait pas de cette oreille et à force de se débattre il se pris les plumes dans les petits crocs pointus du jeune adolescent et une poignée de plumes noires et luisantes tombèrent sur le sol. Absolument en rogne, l'oiseau encore plus en colère de s'être fait abîmer son plumage donna un coup de bec bien senti sur la patte de Josh qui le lâcha en grognant de douleur, la secouant dans le vide pour dénouer ses nerfs qui battaient affreusement sous sa peau.
- Corbeau de malheur !, lâcha-t-il en blasphémant... au final encore plus grognon qu'il ne l'était déjà. L'oiseau s'était déjà enfuit au loin, emportant avec lui la dernière chance du brun de tuer l'ennui et la pointe d'angoisse qui lui serrait les côtes.
Le loupiot se remis à marcher sans entrain, essayant vainement de retrouver son chemin....
***
Un bruit grondait non loin.
Un bruit de frottement. De
beaucoup de frottements.
Des battements d'ailes.
Les oreilles basses et la bouche entrouverte de surprise, Joshua assista, impuissant, à l'attaque de la petite horde de corbeaux sur sa personne.
L'ombre le couvrit.
Des cris stridents fusèrent de partout, et la masse géante de plumes, de bec et de griffes l'ensevelirent sous une pluie de coups furieux. Ce salaud, il était partit rechercher tout son gang au grand complet !!
Un grondement furieux jaillit de la gorge du pauvre louveteau qui se débattait à son tour sous l'attaque grouillante des oiseaux en furie. Il dispersait comme il le pouvait quelques coups de crocs et de pattes, mais ils étaient bien trop nombreux. Bientôt ce ne fût plus des grondements que l'on entendit par dessus le vacarme des corbeaux, mais des gémissements de douleur...
Une patte s’accrocha à son visage et l'un des oiseaux de malheur essaya énergiquement de lui picorer un œil. Paniquant, Josh hurla, en bondissant hors de la portée des autres, et attrapa la patte de son attaquant, la brisant dans un craquement sinistre. Il avait mal, terriblement mal, et il commençait à sentir un liquide chaud et poisseux couler le long se sa joue, dans sa bouche, dans ses yeux...
Il se mit à courir, encore et encore, ne sachant où il allait, jusqu'à ce qu'il aie semé les vicieux corbeaux pour de bon.
Il était au beau milieu de nulle part, couvert de plaies, la plupart peu profondes, mais toutes aussi douloureuses, couvert de sang et quelques plumes ténébreuses encore accrochées à son pelage.
N'y tenant plus, il s'assit et sanglota un peu.
Après quelques minutes, reniflant, il marmonna, la voix brisée:
- Au moins je n'ai pas perdu mon œil...Mais ce qui était certain, c'est que ça allait lui laisser une belle cicatrice.