Danse parmis les vagues petit ange (Romance)

Le soir tombait doucement lorsque Romance était sortie. Accompagnée de la silhouette éthérée que son glowstick matérialisait près d'elle, elle avait laissé Aristote au camp ainsi que ses responsabilités pour aller prendre l'air, marcher un peu du côté de l'Etang Nacré. Sa grossesse était de plus en plus avancée, et elle commençait à se sentir fatiguée. Une maturité nouvelle avait envahi son regard doré, derrière un voile léger qui trahissait cette espèce de lassitude des derniers jours. Etrangement, pour l'instant elle n'avait pas peur de ce qui se passerai le jour J. Elle était étrangement sereine et paisible, portant son ventre rond depuis bien des semaines déjà. Elle se sentait oppressée dans la grotte où elle était montée se reposer après une journée d'activité chargée. Elle s'était occupée de vérifier l'état de santé des louveteaux du clan et par les Sept qu'il y en avait en ce moment ! Son père en rassemblait cinq - dont trois ne lui étaient pas génétiquement vraiment attribués, mais pour les petiots il en était ainsi. Et tous n'étaient pas des modèles de calme et d'obéissance. Elle avait donc somnolé un peu jusqu'au crépuscule, qui l'avait éveillée avec une sensation de chaleur et de confinement désagréable. D'où cette sortie dans les deniers rayons du soir.

Elle se dirigea vers l'Etang Nacré et s'accorda une petit marche mesurée sur ses berges, silencieuse, écoutant les douces stridulations des grillons et le clapotement de l'eau sur la rive. La brise légère lui apporta une odeur familière et elle s'arrêta pour tourner la tête. De l'autre côté du lac, la silhouette caramel de Plume Blanche était accompagnée d'une petite forme anthracite à la tignasse violette tout à fait reconnaissable. Romance eut un sourire. Le petit Améthyste s'était montré plutôt sage lorsqu'elle l'avait ausculté, même si on lisait dans ses yeux une envie folle de retourner batifoler avec ses camarades. Elle s'assit sur la terre humide et, après avoir lapé quelques gorgées d'eau fraîche qui chassèrent de son esprit la brume de sa sieste tardive, les contempla en silence. Le louveteau jouait dans l'eau, riait et son rire aigu ricochait au-dessus des eaux calmes pour venir chanter à ses oreilles. Elle avait été heureuse qu'Anthem aie enfin reconstruit un semblant de vie avec Plume Blanche. Même s'il avait été ravagé par la perte de Maât, il semblait pour l'instant un bon père. Un peu distant et peu bavard, peut-être, mais il faisait de son mieux. Il ne lui adressait toujours que peu la parole. Pourtant, elle lui avait pardonné depuis bien longtemps - elle ne savait même plus si elle lui en avait réellement voulu, au fond. Il faudrait un jour se décider à briser la glace. Avant qu'il ne soit trop tard.

Quelque-chose de louche attira alors son attention, la sortant de ses pensées brouillées concernant son paternel. Un spasme semblait avoir agité Plume Blanche, qui s'était figée soudainement. Alors que le petit remontait vers elle, elle s'en saisit et... partit à toute allure. Mais pas du tout dans la direction du camp. Romance se remit sur ses quatre pattes du'n bond et scruta les alentours. Pas de danger visible. Elle fronça légèrement le museau. Puis un élément discret lui apporta la réponse. Un petit coin de lumière opaline visible désormais maintenant que le soleil avait complètement disparu derrière l'horizon, ne laissant qu'une trace orangée dans le ciel. La pleine lune. C'était la pleine lune.
Bon sang !
Sans réfléchir, Romance bondit et revint sur ses pas pour contourner le lac et s'engager à toute allure sur la piste de la louve, l'ombre lumineuse dans son sillage. Les Maternels avaient tous été mis au courant, naturellement, de la particularité de la louve, car celle-ci pouvait engager la vie de ses enfants. Elle l'avait entendu un peu au hasard. A chaque pleine lune, l'entité qui partageait le corps de Plume Blanche devenait incontrôlable et cédait à des pulsions bien plus démoniaques que celles qu'auraient eu la douce Plume. On s'état mis d'accord sur le fait que la louve ne dormirait pas près des enfants ces nuits là. Mais apparemment, avec tout le charivari des loups recherchés, des conflits politiques et des enfants bien nombreux, personne n'avait songé que le jour terrible était aujourd'hui et que la plus mauvaise idée à prendre était celle de laisser Plume sortir seule avec un enfant à la tomber de la nuit.

La grise força l'allure, serrant les dents sur les crispations que cela provoquait dans son abdomen chargé. Plume avait bien de l'avance sur elle, mais elle espérait pouvoir éviter une catastrophe. Elle n'imaginait pas ce qui pouvait se passer, mais elle devait absolument intervenir. Elle accéléra encore, fendant les hautes herbes. Plume se dirigeait vers les Criques, vers la Mer. Allez allez allez, plus vite a fille, plus vite ! Le souffle rauque, Romance fut soudain heurtée par quelque-chose qui l'envoya bouler sur le côté. L'odeur de Plume Blanche ui bondit au nez, mais à peine fut-elle debout que la louve était repartie. Seule. La grise reprit son avancée bon an mal an, appelant le petit loup. Peu à peu, la terre se fit sable sous ses pattes. Pour très peu de temps ceci dit, car la marée était déjà presque haute et remplissait les petites criques. Les dernières lumières du soleil mourraient dans le ciel, laissant place à l'astre de la nuit.

"Améthyste !" Cria-t-elle en s'avançant.

La mer était agitée et le fracas des vagues emporta sa voix. Elle cria encore, s'avança dans l'eau jusqu'au poitrail. L'onde était glacée, venant des profondeurs de l'océan.

"Améthyste !"

Soudain, un mouvement dans l'eau attira son attention. Une petite tête luisante d'eau salée venait de crever la surface. Sans réfléchir, elle se jeta dans sa direction. Mais elle perdit rapidement pied et les courants menacèrent de l'emporter elle aussi. Pourtant elle s'avança au mieux, et activa son pouvoir d'avantage. La silhouette fantomatique qui l'accompagnait jeta sa sacoche à terre et se jeta dans les flots, lumineuses, tel un ange. Bine moins touchée par la violence de l'eau, elle atteignit rapidement le louveteau et l'attrapa par le cou pour le sortir des vagues qui battaient autour d'eux. Puis elle s'échina à revenir. Romance sentait son énergie fuir doucement son corps et pria pour qu'ils reviennent à temps. La distance lui pompait incroyablement ses forces. Elle se campa dans le sable agité du fond de l'eau, sommant à l'autre de revenir maintenant. La silhouette nageait, allait contre les vagues, les courants, le vent qui se levait.

Enfin, après de si longs instants qu'ils en semblèrent des heures, Elle dépose le louveteau aux pieds de Romance avant de disparaître aussitôt. La grise le prit par le cou et le tira plus loin, hors de portée des vagues et de leurs langues glacées. Elle le posa au sol et entreprit de le lécher vigoureusement pour le réchauffer. Son petit corps tremblait entre ses pattes.

"Améthyste, ça va ? Tu m'entends ? Tout va bien aller d'accord, je suis là. On va rentrer à la maison, et tu seras au chaud." Murmura-t-elle

Elle continua à murmurer cette espèce de litanie, qui visait plus à réconforter le petit qu'à réellement lui dire quelque-chose de cohérent. Seul le son et les modulation de sa voix douce importaient. Alors qu'elle s'occupait de lui, elle réfléchit en même temps. Trempée elle aussi, elle commençait à être frigorifiée. Et les petits qui se trouvaient en son sein avaient l'air d'avoir fort peu apprécié la baignade, ça s'agitait comme diable dans son ventre. Il fallait qu'ils rentrent, mais elle ne savait ce qu'elle ferait si elle tombait sur Plume Blanche au retour. Elle n'avait clairement pas la force de la combattre actuellement, encore moins lorsque cette dernière était possédée.
Elle chercha le regard du louveteau :

"Ca va ? Tu peux marcher Améthyste ?" Murmura-t-elle doucement.

Il ne s'était pas évanoui, mais semblait encore sous le choc.

Le soulagement envahit la grise lorsque le petit finit par réagir et l'appela par cette espèce de surnom qu'il lui avait donné. Elle lui sourit tendrement et lui donna un coup de langue sur le haut du crâne, dans ses petits cheveux violacés.

"Oui c'est moi Améthyste. On va rentrer tous les deux à la maison, d'accord ?" Murmura-t-elle

Le petit loup mit quelques temps avant de se relever. Tremblant, il était agités de sanglots et hoquetait doucement. Elle ne sut combien de temps s'écoula avant que soudain, il ne se relève en vacillant légèrement. Elle l'encouragea du museau, et il se mit à marcher, les pattes toujours tremblantes mais l'air déterminé. Elle le suivit de près, tant et si bien qu'elle mit un certain temps avant de remarquer un détail auquel elle n'avait jamais fait attention. Ce fut une soudaine sérénité et une impression de se sentir un peu mieux qui lui mit la puce à l'oreille. Elle baissa les yeux. Le petit loup gris laissait derrière lui un sillage de minuscules cristaux qui brillaient doucement sous l'éclat de la lune. Surprise, la louve redressa les oreilles. Venait-il de développer un pouvoir naturel, qui ne nécessitait pas de glowstick ? Elle savait que certains loups en étaient dotés dès l'enfance, mais elle n'avait jamais encore remarqué cette particularité chez son petit demi-frère. La lumière opaline de l'astre de la nuit se reflétait dans les dizaines de tous petits morceaux transparents, créant derrière eux une traînée étoilée. Elle se fit la réflexion que, vu du ciel, cela devait être magnifique. Elle se demandait parfois si l'un de ses enfants auraient des ailes, comme Aristote. Ou de plus grandes encore, et qu'ils seraient capables de fendre les cieux et de contempler le monde comme le faisaient les oiseaux. Elle sourit pour elle-même à cette pensée et, comme pour lui répondre, les petits s'agitèrent de nouveau entre ses flancs.

Elle força légèrement l'allure pour se placer à la auteur du petit loup et baissa le regard vers lui, rassurante. Il ne parlait plus et avait simplement marmonné son nom, mais couvrait la distance avec bravoure sur ses petites pattes.

"Ca va ?" Demanda-t-elle. "Je peux te porter si tu es trop fatigué."

Elle savait qu'il était certainement encore assez petit pour ne pas avoir cette espèce de politesse timide qui aurait fait refuser à un adulte cette offre. Mais il y avait aussi sûrement un peu de fierté dans son petit esprit de louveteau, qui refuserait cela. Mais ça valait le coup d'essayer.

A peine eut-elle finit sa phrase qu'un nouveau tiraillement dans son ventre lui fit serrer les dents. Ca recommençait à se manifester à 'intérieur, et elle s'exhorta à continuer de marcher normalement le temps que la douleur passe. Cette fois-ci, elle ne passa pas entièrement et resta sourde ensuite, comme après une crampe. La louve passa la langue sur ses babines asséchées, gardant un oeil sur le louveteau. Elle se força à se changer les idées et guetta la trace de Plume Blanche. Sa précédente piste était toujours là, mais faible. Elle ne semblait pas être repassée dans le coin. Toutefois, d'autres effluves moins sympathiques s'y mêlaient. Elle n'était pas une experte du combat et savait qu'elle était en cet instant extrêmement vulnérable. Une louve pleine jusqu'aux dents et un tout petit, ils faisaient pâle figure même auprès d'un petit sanglier. Elle déglutit. Une nouvelle douleur dans son ventre.

Ils entamèrent la traversée des grandes prairies qui les ramèneraient au Lac, puis au camp. Dans la nuit, la distance semblait bien plus longue. Et ses contractions venaient douloureusement rythmer sa marche.