I'm coming home [Libre] [Fini]

Toutes ces plantes carnivores qui jonchaient la terre de son ancienne meute, des monticules verts animés de spasmes peu orthodoxes. La louve n’avait pas le souvenir qu’un jour le dolmen fut si mal en point. Pourtant elle y avait vécu longtemps. Son visage se fermait à mesure que son corps frêle esquivait les attaques. Cette désolation ne lui disait rien mais elle crevait d’envie de revoir sa patrie. Peut être que leurs maux lui parvenaient quelque part. Les Brethens ne ressemblaient plus à rien, ils ne cessaient de s’amoindrir depuis que sa famille avait éclaté.

Il lui fallut bien une bonne heure pour traverser la totalité de ce terrain de chasse autrefois prospère. Mais elle fut soulagée de voir que les couloirs du Squat n’avaient pas changés. Non, cette pierre froide et humide subsistait et tenait le danger loin de ses occupants. Kameo esquissa un bref sourire quand elle passa l’entrée principale. Sa silhouette encore à peu près bien portante disparue dans l’obscurité. Pourtant il n’y avait pas grand monde là dedans. La demoiselle se racla la gorge pour lancer dans le vide, espérant que l’écho de sa voix réveille quelqu’un :

« Y a quelqu’un ? Wouhou ! »

Elle serait sûrement chassée mais voir une tête familière, s’assurer que ses amis vivaient encore, qu’ils n’étaient pas atteints par cette saleté de maladie. Bien sûr, elle n’espérait plus revoir ses parents. A son grand regret d’ailleurs. Elle s’en voulait encore d’avoir coupé les ponts mais c’était fait, ils n’étaient plus. Un son fit tressaillir les oreilles de la brune, peut être une réponse ?

Une ombre famélique s’avançait alors. Pour un peu, il lui aurait paru presque mort. A croire que chaque fois qu’ils se croiseraient, Esterno devait être proche de la mort. Kameo se retint de balancer joyeusement une remarque désobligeante, pour une fois. Le mâle n’avait pas l’air de voir convenablement ni même d’avoir la capacité de la reconnaître. Ses yeux trahissaient son mécontentement et l’horreur qu’il avait pu vivre. Même ça la louve était capable de le discerner alors que ce n’était pas son point fort. Il s’avança d’avantage lançant une sorte de pique sarcastique. Kam’ grimaça, lui faisant part d’une certaine manière de sa désapprobation. Pour un peu, elle se serait mise à le réprimander face à tant de désespoir. En avait-elle seulement le droit ? Et Ska ? Que foutait-il de la meute ? Où était-il ? Alors qu’ils avaient besoin d’être remonté. Les rumeurs, même quand on ne fait plus parti du système, se propagent bien vite. La grise ne ménagerait pas son copain d’enfance, pas même pour tout l’or du monde.

« En enfer ? Pfeuh arrête de dire des conneries Esterno ! Je suis peut être pas la mieux placée pour te faire la leçon mais c’est avec ce genre de comportement qu’on se rapproche de la mort ! »

Elle releva son museau, gonflant son pelage qui paraissait bien moins miteux que son camarade. Son regard se fit sévère, elle ne pouvait réellement acceptée que son camarade se laisse aller.

« Je ne sais pas ce que tu as vécu, ce que tu as perdu et que sais-je encore. Mais je ne veux pas qu’un ami se laisse aller de la sorte. Dussé-je plonger dans la merde pour le remonter, je le ferais ! »

Cette espèce de flamme jusqu’alors endormie en elle, se raviva comme un soldat prêt à abattre des montagnes. Ses yeux mauves reflétaient assez bien sa détermination. Son corps s’élança vers l’avant, bousculant l’espèce de zombie qu’était devenu le mâle pourpre. La chasseuse dominait son compagnon, quelque part, elle tentait de redonner un brin d’espoir à ce dernier. Le tank un peu stupide qui fonçait dans le tas, ce n’était pas la maturité qui aurait raison de ses idées. D’une voix claire et puissante, elle lança comme un défi à tous les Brethens, même les morts :

« S’il le faut, je reprendrai cette meute en main ! Je ne laisserai pas mourir cette meute dans laquelle j’ai vu le jour ! »

Elle avait tourné son museau vers les dédalles de couloir, espérant que chacun entendrait ce qu’elle disait, même si Kam n’avait pas réellement pesé le poids de ses paroles.

Esterno esquissa un sourire et une sorte de vigueur semblait reprendre possession de son corps. Kam’ répondit en souriant à son tour. Certes elle n’avait pas la science du social mais pour une fois, sa voix avait porté quelque chose de bon. La solution n’était pas encore trouvée, loin de là mais les plus grands feux naissaient d’une étincelle. La louve s’avança et asséna un bon coup de langue entre les yeux de son ami puis répondit le sourire aux babines :

« Je suis heureuse que tu ne te laisses pas tant aller que ça ! »

Cette face un peu niaise et enfantine qui la ramenait des années en arrière. Mais cela ne dura pas des heures, Esterno se tourna, le visage sombre, vers le fond des galeries. Quelque chose là bas, des bruits et des râles étouffés par la pierre, une chose qui semblait le peiner. Ce n’était pas étonnant d’apprendre que le loup bordeaux avait enfermé une de ses connaissances. Compatissante, Kameo se plaça à sa hauteur, le regard fixé dans le dédalle, donnant un coup d’épaule affectueux au soigneur.

« On trouvera un remède, j’en suis certaine. Je te promets qu’on vaincra cette maladie et qu’on le récupèrera. »

La chasseuse en appellerait à Kiro s’il le fallait et aux autres dieux, ils devaient réagir face à l’enfer que leurs disciples vivaient. Elle se mit à trottiner dans le couloir, faisant signe à son camarade de la suivre. Elle devait le voir de ses propres yeux.

Une fissure entre le mur et le rocher qui bloquait l’entrée, cela fut suffisant pour pouvoir regarder Richard. Sa peau, son pelage, ses cheveux et ses yeux révulsés, il avait tout d’un monstre non lupin. Kam’ recula puis se tourna vers l’autre loup.

« Tu ne peux pas rester à t’occuper seul de lui et du remède, j’irais cherché des soigneurs Séides… ou bien je vais t’accompagner chez eux. Leurs tanières doivent être plus sécurisées que les nôtres. Nous devons aussi amener Richard dans les mines, il me semble qu’ils ont laissé leurs propres malades là bas. »

Un doute subsistait, la louve n’avait pas vu depuis longtemps son pays. Etait-ce une épreuve ou de la simple malchance ? Inquiète, elle demanda :

« Est-ce que les zélotes séides et nos lanternes ont communiqué avec les dieux récemment ? Nous ont-ils envoyé des signes ou de l’aide ? »

« J'aimerais pouvoir te dire que oui mais malheureusement, je crois que personne ici n'est allé voir ce qu'il se passait du côté des fontaines. Je n'ai pas entendu parler d'un quelconque signe venant des Dieux aussi bien du côté Séide que Brethen... » Il reprit son souffle.
« Ça serait une bonne idée d'amener Richard dans les prisons Séides mais je vois mal comment nous pourrions l'emmener là-bas sans courir un trop grand risque. Déjà que l’extérieur est envahi de plantes carnivores, nous doublons les risques si on se balade avec un mutant... Et j'ignore comment nous pourrions le transporter en sécurité. »


Kam’ fixa de nouveau le plantaloup. Elle ne le connaissait pas et pourtant ça lui faisait de la peine. Heureusement, ses parents étaient morts avant de connaître la déchéance de cette meute et de leur monde. Mais elle se sentait le devoir de faire quelque chose, après tout ce qui avait mal tourné. La louve inspira profondément pour relâcher tout l’air de ses poumons par le museau.

« Nous trouverons, j’en suis certaine… »

Murmura-t-elle comme pour convaincre les dieux.

« Bon, nous devons prendre le problème par un seul bout. Nous devons aller voir les Séides, ils sont plus nombreux, ils pourront nous aider à le transporter sans danger. Même si c’est clairement pas à notre avantage de leur demander… »

Ce qu’elle avait fuit pendant ces années, ce qu’elle ignorait depuis toujours. La politique de leur clan la révulsait toujours autant mais il fallait bien faire des concessions et la détresse d’Esterno la touchait profondément. Un mouvement nerveux de sa queue montrait d’avantage de détermination. Un dernier coup d’œil à Richard, puis elle tourna les talons vers la sortie.

« Les plantes sont devenues intelligentes, alors elles devront avoir peur du feu. Suis-moi, je vais te faire traverser les terres libres. Espérons qu’une bonne âme nous aidera une fois là-bas. »

Son idée fut si nette, elle trouverait bien un séide capable de ne pas les juger malgré leur piteuse apparence.

Un loup passa non loin d’Esterno, elle regarda les deux. Ils semblaient bien se connaître et la confiance découlait tout naturellement de leurs paroles. Kam’ esquissa un sourire, c’était bon de rentrer. Le mâle bordeaux s’approcha de son niveau.

« Ne t’inquiètes pas, nous ne serons pas partis longtemps. »

Sans trop attendre, elle commença leur périple d’un premier pas dans le monde hostile qui était le leur. Gonfler d’orgueil et d’un nouveau souffle de vigueur, elle ne louperait pas cette occasion. Son pouvoir serait utile, il fonctionnait suffisamment bien sur les plantes actuellement.

« On devrait courir Esterno histoire d’y être avant la tombée de la nuit. »

Un coup d’œil inquiet vers le ciel grisâtre, ils allaient certainement se prendre une bonne saucée.