Far From Home (libre)

Il n'avait pas cessé de penser à Dough, Désastre.
Depuis qu'il avait défié les crocodiles, depuis qu'il s'était présenté devant Aka.
Il n'avait pas cessé de pensé à Dough, Désastre, et il n'avait eu de cesse de travailler sur ce qui lui permettrait d'acquérir le pardon, il croit.
Parce qu'il en était venu à crier, pour cette patte perdue ; il pensait s'excuser en la lui faisant regagner.
Ainsi avait-il couché sur papier ses idées, ses analyses. Il les avait d'autant plus regardé, les autres et leur kinésie, il avait beaucoup réfléchit, à comment compenser cette perte pour que l'oncle regagne ses pleines compétences.
Il devenait un instant prothésiste.
Sur des morceaux de papier, il avait dessiné maladroitement (d'esquisses que lui seul saurait comprendre) ce qu'il pourrait concevoir.
Il avait réfléchit à la mécanique, simple mais efficace, de ce qui doit s'entretenir sans difficulté sans lui en imposer pour autant, de difficultés. Un nouveau membre fonctionnel, qui pourrait lui permettre l'escalade et le combat, comme avant, comme toujours.
Tout était encore ébauche.
Comme l'était cette notion d'amour, trouvé enfin au-détour de la détresse.
Il avait songé à des lanières élastiques, de celles usées pour les capes, pour maintenir la prothèse à ce qu'il lui restait de patte arrière et lui permettre de l'ôter s'il fallait la réparer, peut-être l'améliorer. Puis, en compensation des griffes puissantes et des phalanges, un crochet plat, pour être posé au sol, qu'il pourrait envoyer contre la pierre ou l'ennemi d'un mouvement projeté. Il faudrait le fixer comme le sont les piercings : capable de pivoter dans une cavité sans en sortir pour autant.
Ce qui remplacerait tarse et métatarse serait d'un seul bloc, joint par une articulation au tibia. Une structure solide, peut-être recouvert de cuir.
De crocodile.

Alors que les textures ne sont encore définies et qu'il se veut en éprouver certaines, alors que son regard fixé lui veut une expression concentrée sur ce qui semblait être le vide
Il y eut le cri, pas le sien cette fois
...
Il n'avait pas cessé de penser à Dough, Désastre, pourtant il n'avait été le revoir depuis l'accident.
Parce qu'il ne pouvait pas revenir les pattes vides, parce qu'il craignait ce comportement qu'il ne savait pas maîtriser, lui qui toujours s'adapta à un environnement trop sensoriel mais qui cette fois-ci ne su se fondre dans celui-ci. Il ne voulait plus déborder des émotions peu comprises.
...
Il s'est figé et sa gorge s'est serrée.

Il a laissé passer le premier hurlement, partagé.
Il a trésailli au second.
Il s'est rué au troisième et ne s'est pas arrêté quand ils se succédèrent.

C'est comme ça qu'il lui revient finalement les pattes vides, luttant contre le focus qu'il avait fait sur cette tâche pour privilégier ce qui était plus urgent. C'était parvenir à l'entrée de la grotte où il se trouvait alors, les oreilles en arrière et la poitrine bloquée.
D'abord, il resta silencieux. Parce qu'il ne savait pas quoi dire à son oncle, Désastre, parce que son discours de pardon ne pouvait être prononcé dans cette circonstance imprévue.
Du disciple d'Aka, ses yeux s'abaissent sur le corps figé de l'autre oncle.

Cookie.

Désastre ne ressent pas beaucoup, pour lui, il réalise la perte mais ne peut être aussi effondré que son oncle.
Cookie était proche de Pepper, pour ça son ainé le détesta et lui l'ignora. Son don fut utile pour la meute, Pepper l'apprécia pour ça, mais ils ne partagèrent rien de bien et il n'a pas de bons souvenirs, de lui.
Mais pour Dough, il repense à ce qu'il ressentit, quand il trouva le corps inanimé de Pepper.
Les hurlements assourdissent l'oreille entendante mais il vient plus proche.
Il montre qu'il est là, il ne sait pas s'il le doit.
Il ne sait toujours pas quels mots utiliser, Dough appelle l'aide mais il n'a pas besoin de toucher celui qui git la tête en sang et dont le glowstick n'est plus, pour savoir que

« Cookie a rejoint Pomme et Pepper. »

Ce n'est pas ça, les mots qu'il aurait voulu pour la première fois prononcé depuis l'accident.

Il refuse. Il ne peut pas. Il ne veut pas.
Désastre se tient immobile, le souffle court, la queue basse. Il ne sait pas ce qu'il peut dire à son oncle, il croit qu'il doit se taire car c'est la meilleure chose à faire, oui.
Il refuse. Il ne peut pas. Il ne veut pas. Mais il sait, qu'il est mort.
Sa tête se fait un peu plus basse quand il se met à pleurer, beaucoup, qu'il serre un peu plus fort son frère contre lui, qu'il laisse sortir les émotions fortes pour celui qui est parti.
Chacun est différent, face à la mort.
Désastre avait fuit, pour celle de Pepper. Dough pleure beaucoup, pour celle de Cookie.
C'est comme le deuil.
Chacun avait une façon de le faire : il existait autant de façon de le faire qu'il existait de loups sur ce monde.

A son oncle, il laisse du temps.
Il n'éponge aucune larme, il ne prononce pas de mot (il n'en a toujours pas trouvé).
Il attendrait qu'il se calme, qu'il ait finit de ton exprimer...
Pour évoquer l'hommage, la suite.
Ce qu'il faut faire, maintenant : il faut l'enterrer, il faut le respecter.

Il faut l'honorer, et lui dire adieu.

Ce n'est pas encore le moment,
alors Désastre attends.

Il relève une oreille et puis la tête, au premier mot que prononce son oncle.
Maintenant. Il ne sait pas ce que ça signifie. Peut-être, qu'il veut qu'ils aillent l'enterrer maintenant. Il ne voit pas ce qu'ils peuvent faire d'autre, maintenant... C'est pourquoi il se relève, Désastre, prêt à participer à ce dernier hommage.
Bouge-toi ! Dough le presse et Désastre lui adresse un regard sans hostilité. Il peut lui ordonner : il s'exécute, se rapprochant de quelques pas pour-
Pars pas... Il se heurte à la tristesse et à la colère de son oncle, aux émotions qu'il ne lui connait pas beaucoup et avec lesquelles il ne sait pas composer. Il comprend qu'il a été dans l'erreur, de penser qu'il voulait enterrer maintenant son frère, que ces mots ne lui sont pas adressés.
Ils ne sont peut-être même pas pour le frère mort.
Pour qui ?
Lui-même. Il croit.

Et Dough sert Cookie entre ses pattes.
Il ne le lâche plus, devient aussi raide que le défunt. Son chagrin se fait moins entendre mais il pleure encore, le mal de son esprit est palpable.
Il a beaucoup attendu, Désastre. Il ne sait pas s'il doit encore le faire.

Il n'arrive pas à l'aider, lui non-plus.

Refusant de rester désemparé, dans ce qu'il peut avoir de compassion et de compréhension, il trouve dans ses expériences celle qui le conduit à agir autrement qu'en restant immobile et dans l'attente. Il vient plus proche de son oncle, dans son dos.
Il se redresse, un peu ; Dough est plus grand que lui.
Et quand Dough tient Cookie, Désastre vient de ses pattes entourer cet oncle vivant.
L'étreinte est aussi maladroite que réfléchit.
Au moins, de bonne volonté.
Une chaleur partagée. Quelque chose de vivant.

« Il faut.
Le laisser partir. »

Il ne sait pas réconforter.
Il essaye.

Il essaye et cela semble marcher, un peu.
Dans son étreinte maladroite, le corps vieux et fatigué de Dough trouve une détente bienvenue : c'est ses muscles qu'il sent se décrisper, tension perceptible même par lui qui ne se tient pourtant pas pleinement contre lui. C'est aussi Cookie qu'il relâche, enfin, et ses moindres mots accompagnent ce geste.
Il n'est pas nécessaire de dire beaucoup de choses.
Il comprend, Désastre.
Il le laissait partir.

Aussi douloureux que soit ce mal de l'esprit, qui persisterait des jours, des années. Jusqu'à la fin, peut-être.
Sans doute.
On ne ne soignait jamais entièrement, des blessures du cœur ou de l'âme. Il ne l'avait que trop bien apprit, trop souvent constaté, trop longtemps vécu.

Et s'il le tient encore un instant, bref, et s'il serre un peu plus fort juste avant de le relâcher et de se reculer, pour lui montrer qu'il serait soutient et qu'il le serait, fort, pour eux... Sa gueule s'ouvre à nouveau.

« Nous devrions l'honorer. Et l'enterrer.
...
Ou attendre encore un peu. »
C'est comme tu veux.

Il sait que le dernier rite est important. Il l'a été, pour Anette, quand elle enterra elle-même Pepper. Il l'était souvent, pour les Autres de l'Ailleurs, même si eux n'enterraient personne. C'est une manière de partager un dernier moment, d'honorer, de montrer à quel point on a aimé. Plus que de laisser partir, c'est dire adieu.
Adieu au corps qui disparait lui-aussi. Sous terre, sous pierre, ailleurs.
Adieu à ce qu'on ne reverra plus jamais et ce qu'on ne pourra plus revivre.
...
La lueur dans ses yeux est terne, le regard passe de Dough à Cookie avant de revenir sur le premier.

Tout ne dépendait que de lui, il n'aurait pu s'immiscer davantage.
Ainsi se contenterait-il d'être celui qui creuse à ses côtés et qui n'aurait su relever les larmes comme une faiblesse.

Il comprend vite, Désastre, que son oncle ne peut plus toucher celui qui n'est plus.
Par le regard et la tension qui tétanise ses muscles, alors qu'il n'y a dans ses yeux plus les lueurs habituels. Il n'attend pas plus longtemps ; il est habitué à porter ceux qui lui viennent blesser. Aussi il se penche, et de ses épaules qui frôlent le sol vient lui glisser sous Cookie. Il donne une impulsion, pour mieux le hisser sur son dos.
Il supporte son poids, sans broncher. Il ne le voyait si léger ; à vrai dire, il ne l'avait jamais vraiment touché jusqu'à maintenant, dans l'évitement mutuel qu'ils eurent l'un de l'autre...jusqu'à maintenant.
Soit.
Il va vers l'entrée du Castel.
Et, souvent, jette un œil à celui qui doit le suivre : il veille à ce qu'il ne tombe pas, sous ses émotions, ses trois pattes ou sa fatigue. Et lorsque le seuil est franchit, il ne prend peine à reposer ce défunt oncle pour devenir Serpents à Plumes.

Il devient cortège funeste de plumes et d'écailles.
Et si entre la première paire d'ailes subsiste le défunt, il porte au niveau de l'autre loup le crâne plat serti de plumes de la bête devenue.
Le regard dit Vient.
Ils iraient ainsi jusqu'à la moère, la traverseraient sans la toucher dans un vol lent bien qu'agile. Et Désastre ne redeviendrait loup que lorsque leur paraitrait l'arbre imposant où logeait serpents et Kiro.

« Ici ? »

C'est un mot qu'il prononce alors qu'il dépose Cookie sur une pierre moussue, avec la minutie du soigneur que l'on trouverait délicatesse. Il a incontestablement un peu de respect, tant pour l'être disparu que pour le lien qui l'unissait à Dough. Il n'enterrait pas qu'un loup. C'était aussi un morceau d'un autre ; d'une certaine façon, un peu de lui aussi, pour ce qu'il entretenu avec Pepper.
Il n'attendait de Dough qu'il creuse.
Seulement, qu'il s'assure qu'entre ces deux racines, soit la place qu'il pense devenir pour le repos de son frère.

C'est ici qu'il faut creuser.
Ses griffes raclent la terre et la rocaille, ses pattes soulèvent la glaise, ses crocs s'en prennent au racine. Les mouvements sont répétitifs, réguliers ; rapidement, ils s'inscrivent dans un tempo précis et se calent avec ceux de son oncle. C'est à deux qu'il le font. C'est sans doute mieux, comme ça.
Cookie apprécierait, de voir son jumeau ainsi œuvré pour lui.
Durant ce temps, Désastre n'aurait su prononcer un mot. Il était de faible conversation, et il lui semblait irrespectueux de troubler ce qui se devait d'être solennel. L'oreille entendante, elle, se voulait toutefois redressée vers Dough.
Au cas où il aurait émit un mot, parmi tous les bruits.
Ses grommèlements, ses reniflements, ses raclements. Tout ce qui perturbe le silence, tout ce qui témoigne de l'émotion forte qu'il maîtrise, il ne sait pas pourquoi.

Il se serait peut-être senti mieux, s'il avait pleuré.
...
Il ne sait pas, Désastre. Ce n'est pas quelque chose dont il est capable.

Il préfère creuser, plutôt que d'y réfléchir.
Jusqu'à être à demi-enfoncé dans cette tombe, les pattes postérieures en hauteur et le bas du corps ainsi plongé. Il contracte son dos et se donne l'impulsion nécessaire pour remonter, avant de tourner la tête vers Cookie.
Ils peuvent placer le corps.
Donner le dernier hommage, avant de le recouvrir.
Il ne sait pas, s'il doit commencer.
Décide pourtant de le faire, dans la pensée qu'on retenait davantage ce qui disait en dernier, quand le début s'oubliait.
Il se force à articuler un peu plus, pour rendre plus audible sa voix si grave.

« ...Cookie fut un Bouclier puis un Panseur valeureux, qui servit avec brio l'intérêt de son clan. Son don servit à sa sœur, l'alpha Pepper, qu'il est parti rejoint. Avec sa mère, Pomme.
Mmh.
Il manquera. »

Il était piètre orateur.
Et ces banalités dites, il s'effaça au profit de Dough, qui aurait sans doute plus à dire.
Ou peut-être rien, et ça ne serait pas grave.
Lui avait prit du temps, pour trouver comment s'exprimer à Pepper, au travers des bougies : il comprendrait, qu'il lui faille le même temps.

Il parle tout de suite après lui.
Et Désastre tourna la tête en sa direction, les oreilles dressées. Attentif, au bord de l'admiration pour celui capable d'ainsi parler, quand lui n'avait trouvé les mots pour celle qui occupa place centrale de toute une partie de sa vie (la moitié, pour le moment). Il s'exprimait au mort comme s'il parlait à un vivant, dans des faits, des souvenirs.
Il évoqua leur ressemblance ; surtout leurs différences. Beaucoup, de différences.
De rang, de glowstick, de physique.
Pourtant.
Ils avaient partagés. Beaucoup.

Désastre aurait pu l'envier, s'il n'avait pas eu celui comme un frère.
Alors il comprit.

Et les derniers mots de son oncle lui rappelèrent à quel point il était vieux. Et que lui-même n'était plus jeune.
Et tout cela le laissa un peu...
Il ne sait pas.
Étrangement vidé.

Au signe de tête, il répondit de la même façon.
Et plus que des mots, c'est les gestes qu'il trouva : le corps fut recouvert de terre, s’ensevelissant sous ce que leurs pattes apportaient au-dessus de lui.

« Si tu te sens seul, tu peux venir me voir. »

C'est des mots qu'il ressent le besoin d'exprimer, lorsqu'ils achèvent cet enterrement. Des mots qu'il a dit à Anita, des mots qu'il redit à Dough ; il a comprit, Désastre, à quel point c'est important de ne pas être seul.
Plus encore lorsqu'on perdait un frère.

Il ne pouvait s'imaginer perdre le sien, aussi loin du sang que puisse être leur lien.

Il y eut un écho immédiat, à la proposition.
Une hésitation, d'abord. Et puis une question.
Désastre ne cesse de garder les yeux rivés sur lui. Il voit les yeux fatigués, les lèvres tirés. L'air las, le regard qu'il croise. Il pressent ce qu'il veut réellement lui demander.
Ce n'est pas seulement s'il est occupé.
C'est s'il peut passer du temps avec lui.

« Je peux l'être avec toi. »

Il a apprit à être flexible, Désastre.
Chaque matin s'enclenchait les rouages de sa routine. Chaque jour, il laissait l'imprévisible les perturber, s'il le fallait. C'était une mécanique à revoir, mais plus rien d'impossible. Il avait apprit à accepter que change sa journée, même si ce n'était pas ce qu'il préférait, tout comme il avait apprit à apprécier ces moments imprévus. Toujours avec d'autres.
Son corps détourné, il exécute un mouvement de tête.
Pour l'inviter à le suivre.

Il estime qu'il faut s'éloigner un peu, pour le moment.
Il pourrait revenir. Seul, ou ensemble.

Marcher le long des frontières.
C'est ainsi, oui.
Qu'ils pourraient s'occuper, l'oncle et le neveu.