Vertigo | Mecha

Il avait découvert un peu par hasard l'entrée qui perçait les paroi du grand canyon. Il était bien loin de chercher une telle ouverture, en réalité il était simplement venu dans l'idée d'observer cette flore sauvage qui avait grandi au milieu de la Passe Ventue. Les terres d'où il était venu voilà quelques temps déjà étaient bien moins sauvages que celles-ci, bien plus... civilisées. Mais si cela avait naturellement eu des avantages, cette imposition des loups sur la nature avait également bridé cette dernière, et il découvrait sur Punk Wolf des paysages bien différents. La Passe Ventue, énorme fissure dans la terre du continent, l'vaait intrigué, autant par son aspect - on aurait dit qu'un loup géant avait fiché ses griffes dans le sol et tenté de l'ouvrir de force - que par son histoire récente. En effet, Agravain et lui étaient arrivés peu après une immense invasion de jungle que les loups d'ici nommaient Everbloom, et dont les plantes qui poussaient à foison au coeur du canyon étaient apparemment les dernières traces vivantes.

Il s'était donc aventuré de bon matin, alors que la brume hivernale était à peine levée, le long de la rivière qui courait entre les hautes falaises. Vue de son creux, la faille semblait plus grande encore, jusqu'à ce que les arbres ne finissent par cacher la vue de ses hauts rebords. La jungle semblait endormie par le froid ambiant, même s'il faisait bien plus doux en son coeur qu'en d'autres terres plus dégagées que Méléagant avait empruntées pour rallier la Passe. Une vapeur légère s'échappait de son museau à chaque de ses inspirations, et la mousse givrée craquait légèrement sous ses pas. Il n'y avait que peu de bruit trahissant la vie de l'endroit, mais il s'éveillerait sans doute petit à petit. Il avait continué à longer la rivière, jusqu'à ce qu'un détail n'attirer son attention. Une sorte de chemin à peine perceptible, à peine tracé parmi les plante,s mais bel et bien là. Une sente qui dérivait vers la falaise, et conduisait à ce sombre boyau dont l'existence le surprit. Il n'avait jamais entendu parler de cet endroit - probablement car il n'était pas des plus fréquentés.

Il s'engagea donc dans le tunnel, éclairé par la lueur rougeoyante de son glowstick. Les parois étaient irrégulières et étonnement sèches pour un endroit souterrain. Le couloir descendait en pente douce, et la température se réchauffa doucement. En été, il devait faire frais ici, mais avec ce froid terrible au-dehors, il semblait régner dans l'air une douce chaleur. La température des souterrains variait si peu au fil des saisons qu'ils constituaient d'excellents refuges - et les Brethens avaient su utiliser cette propriété en s'installant dans le Squat. Les Séides et leur camp ouvert au pied des montagnes devaient souffrir bien d'avantage des basses températures.

Il finit par déboucher sur une grande salle, une grotte au coeur de laquelle se trouvait un immense lac. L'obscurité l'empêchait de distinguer jusqu'à où il s'étendait. Le loup sombre s'avança avec prudence, devinant le sol glissant. Les motifs sur les murs attirèrent alors son attention. Ils semblaient se brouiller à mesure qu'il s'approchait. Intrigué, il fit quelques pas vers le mur, et alors il tomba des nues. Les symboles venaient soudain de retrouver leur netteté et dessiner devant lui ce symbole qu'il portait sur l'épaule : l'insigne des Chevaliers du Kizenn Morian. Il rabattit les oreilles. Au même instant, ses sens et son instinct lui indiquèrent une autre présence, qui lui fit pour un instant décrocher le regard de l'étonnante apparition.

Il eut tout d'abord du mal à identifier ce qui s'approchait. Un bruit légèrement métallique, comme le crissement de certaines armures bardées de fer, résonna sur le bord de l'eau, alors qu'une silhouette sombre et auréolée de mauve s'avançait vers lui. Ou plutôt, semblait s'être arrêté dans un mouvement qui devait l'amener vers la sortie, mais que la présence de Méléagant venait très certainement de remettre en question. Le regard bleu de Brethen s'était petit à petit fait à la pénombre environnante - il avait d'ailleurs l'étrange impression qu'une sorte de pâle lueur émanait de l'eau désormais, comme si le lac lui-même avait voulu faciliter sa rencontre avec l'être qui se tenait devant lui. Mais il devait sans doute halluciner.

Il s'agissait bien d'un loup, il en était certaine désormais. Sa silhouette était celle des lupins et il lui semblait distinguer du pelage suur certaines zones de son corps. Quand aux autres parties dudit loup, elles étaient bien plus intrigantes. Les reflets renvoyés par la lueur qui pulsait à la fois dans son regard et entre ses côtes mises à nues révélaient un assemblage de plaques brillantes, sans doute à l'origine du bruit métallique qui avait interpellé le bicolore. Enfin, un haut chapeau coiffait la tête du nouveau venu. Méléagant plissa légèrement les yeux et se redressa pour faire fae à l'inconnu. Il fit quelques pas en avant, juste assez pour que l'odeur de l'autre se fasse plus nette et qu'il l'identifie comme étant un membre de sa meute. Mais d'une constitution telle qu'il n'en avait jamais vue encore. Il semblait à moitié loup, à moitié armure. Comme une sorte de machine à demi-vivante. Ses pattes semblaient lourdes et sa silhouette était massive - et pourtant Méléagant n'était pas spécialement un gringalet, bien au contraire, mais celui qui se tenait devant lui devait avoir les épaules plus larges que lui.

Il s'immobilisa à une distance respectueuse, toisant sans animosité ce loup bien étrange. Puis finalement sa voix grave résonna dans la grotte :

"Bonjour sire. Il me semble que nous soyons du même clan mais encore inconnus."

Maintenant qu'il était plus proche, il pouvait distinguer le reflet de son propre glowstick dans les larges plaques de métal qui recouvraient en partie le corps de son congénère. Même ce qu'il avait pris pour ses côte se révéla en fait être une sorte d'ossature artificielle. Il n'y avait pas de sang, pas de chair visible, simplement cette cage thoracique sombre et lisse, dont les aspérités renvoyaient par éclats les lumières rouges et violettes.

"Je suis Méléagant." Finit-il par continuer. "A qui ai-je l'honneur ?"

Il n'avait pas peur que l'autre l'attaque ou se montre soudainement agressif - il n'en voyait pas spécialement de raison. Alors autant emprunter la voie de la courtoisie. Il savait son physique capable de le tirer d'affaire si la situation s'envenimait soudainement.

Méléagant ne manqua pas de remarquer comme le regard lumineux de son interlocuteur glissa sur l'arc qu'il portait à sa ceinture. Il lui était toutefois impossible de savoir ce que cela pouvait lui inspirer. Maintenant qu'il se trouvait plus près, il pouvait distinguer les détails du regard de l'autre, regard qui avait autant de naturel que ses côtes brillantes ou les larges plaques qui recouvraient une grande partie de son corps. Impossible donc d'y lire la moindre expression ou d'y deviner le moindre ressenti. Ayant déjà croisé plusieurs loups portant le glowstick de la Corneille, Méléagant reconnut la lumière de Yurai dans celle qui émanait du regard et de ce qui tenait lieu de coeur au loup devant lui. Il faisiat trop sombre pour qu'il ne distingue ses couleurs - mais il serait capable de le reconnaître s'il le recroisait plus tard, aucun doute à ce sujet.

Son congénère lui répondit d'une manière fort courtoise, et acheva sa phrase en se laissant tomber assis sur le sol de pierre. L'écho métallique de ses mouvements résonna dans la large grotte avec un fracas étonnant.

"Tout le plaisir est mien, sire Mecha." Lança le sombre avec un léger signe de tête.

Au même instant, il y eut un bruit distinct de clapotis non loin. Méléagant tourna la têt et son regrd sonda les ténèbres dans lesquelles disparaissait l'un des berges du lac. Il ne distinguait rien au milieu de cette pénombre, mais espérait pouvoir capter un mouvement, un indice. On aurait dit que quelqu'un - ou quelque-chose - avait par inadvertance marché dans l'eau. Comme pour le conforter dans cette idée, de petites ridules étaient venues troubler la surface, émanant d'un endroit où l'eau était d'encre. Il rabattit les oreilles et, sans cesser d'observer le coin d'où était venu le bruit, murmura :

"Il semblerait que nous soyons moins seuls qu'il n'y paraît." Sa était grave et basse. "Avez-vous vu quelque-chose ?"

Peut-être que son regard artificiel, cadeau des dieux, possédait une propriété de vision dans le noir qui pourrait résoudre ce petit mystère. Une chose cependant était très perturbante : aucune odeur de lupin autre que celle des deux présents ne flottait dans l'air. Même à cette distance, ils auraient dû être capables de flairer les effluves de l'un de leurs congénères.
A moins que ce ne soit pas un loup.

La proposition de l'autre loup le surprit assez pour qu'une fraction de seconde durant, il décrocha son regard des ténèbres pour le poser sur le corps à demi-mécanique de son congénère. Comment diable pouvait-il donc aller abattre quelque-chose dans l'eau en étant constitué de tant de métal ? Méléagant n'était pas un expert en la matière, mais son père était forgeron et il avait bon an mal an appris quelques notions en ce qui concernait l'entretient et le forgeage des métaux. Et le concept d'aller exposer à l'humidité un corps dont une grande partie était métallique lui semblait une idée très très mauvaise. Ce qui l'amena à se demander si ce loup pouvait rouiller. Question qu'il repoussa tout de suite, n'ayant pas forcément une importance clé dans la situation actuelle. Son regard bleu revint se ficher dans la pénombre qui régnait, et il répondit :

"Je vous propose que nous avancions de concert. De ce fait, si créature il y a, elle ne pourra attaquer que l'un de nous par surprise et l'autre pourra lui venir en aide."

Sur ses mots, il avança à pas prudents, auréolé par la lumière rubis de son glowstick, préférant épargner à cet individu la charge potentielle de la chose qui se trouvait là. Car même si le silence était retombé, il était intimement persuadé qu'il y avait bien quelque-chose là-bas. Et s'il connaissait ses propres capacités en combat, il ignorait si son nouveau camarade était entraîné ou non. S'il l'était, il pourrait lui venir en aide facilement, et s'il ne l'était pas, cela lui éviterait une possible attaque dangereuse. Le regard plissé, tâchant de distinguer ce que le noir lui cachait. Soudain, il se figea.

Un nouveau bruit venait de résonner non loin devant, un bruit qu'il ne parvint pas à identifier. Comme une sorte de cliquetis mêlé à un léger grincement, très faible. Comme si ça essayait de se faire oublier et de se cacher jusqu'à ce que les loups ne s'en aillent. Méléagant pointa les oreilles vers l'avant, alors que son glowstick s'illuminait un peu plus et que son arc se décrochait de sa ceinture pour venir léviter à ses côtés. Il se passa alors deux choses simultanément. Il y eut un bruit plus franc, un bruit de quelque-chose qui marchait et qui venait vers lui. Par réflexe, le loup sombre recula du'n pas et son pouvoir s'activa. Une flèche vint s'encocher à son arc, et ses yeux devinrent aveugle, tandis que sa vision se décalait pour qu'il puisse voir à travers son arme prête à décocher.

Et une toute petite chose arriva en cliquetant dans son champ de vision, s'arrêtant à la limite de la zone illuminée par son glowstick.
Une petite chose dorée,sur pattes, faite visiblement d'engrenages légers et de morceaux de métal.
Une sorte de toute petit robot.

Décontenancé, le sombre désencocha sa flèche et retrouva une vision normale - sans toutefois ranger encore son arc, savait-on jamais. Il posa un regard perplexe sur la petite chose qui s'était immobilisée, comme si elle jaugeait leurs réactions. C'était une petite machine montée sur quatre pattes, qui faisait penser à une sorte d'araignée dorée, pas plus haut qu'une demi-patte, et dont on ne distinguait rien qui ressemblât à une tête. Pourtant, sa posture ressemblait à celle d'un petit animal apeuré tapi dans un coin.

Méléagant jeta un regard rapide à son congénère - des fois qu'il saura communiquer avec d'autres robots.

Si Méléagant avait été intrigué par l'apparition de la petite créature mécanique, son congénère lui sembla complètement fasciné par ce nouveau venu des plus surprenant. Il l'observa longuement, s'approchant dans un crissement de métal, avant de finalement répondre au brun d'un ton qui montrait clairement son émerveillement. C'était presque surprenant, de percevoir cette sorte d'émotion dans la voix aux échos artificiels de Mecha. Cela lui donnait une dimension moins froide et plus amicale. Méléagant répondit avec sincérité :

"Nullement, sire. Je n'avais jamais rien vu de tel sur ces terres auparavant."

Il vit que la petite chose, sans doute prise d'un accès de hardiesse, venait de tenter de mordre - ou du moins, ce qui y ressemblait le plus - l'une des membres métalliques de Mecha, sans succès apparemment. Méléagant ne put retenir un sourire lorsqu'elle recula de quelques pas, d'un air presque décontenancé, autant qu'un petit robot en forme d'araignée pouvait l'être. Visiblement, son congénère à demi-robotisé n'en savait pas plus que lui sur cette bien étrange chose, mais il y avait sans doute ici matière à poser quelques questions énigmes qui viendraient distraire leur quotidien - au moins pour ce jour-là. Imitant avec prudence les geste de l'autre loup, le chevalier baissa la tête pour flairer à une distance respectueuse le petit organisme. De plus près et maintenant qu'il y prêtait une grande attention, il lui semblait reconnaître les fragrances des terres qui bordaient la côte. Pouvait-il venir de l'Île Fantôme ? Les spectres que l'on prétendait y avoir vus pouvaient-ils être de petits êtres de ce type ? Malgré l'absurdité de cette hypothèse, l'odeur demeurait une piste intéressante.

Méléagant redressa la tête et dit :

"Il me semble reconnaître les parfums des abords de l'Île Fantôme. On dit qu'il s'y trouve une immense bibliothèque où vivent quelques érudits, peut-être pourrions-nous... trouver un moyen d'y amener notre nouvel amis afin de les questionner à ce sujet ?"

Il posa le regard sur Mecha pour attendre sa réaction. Cela ferait une expédition certes inattendue mais pas des moins intéressantes. Ce petit être avait piqué son intérêt - et même si les érudits ne pouvaient les renseigner, peut-être trouveraient-ils des livres évoquant des êtres tels que celui-ci ? La perspective était des plus exaltantes.

L'autre sembla plutôt intéressé par sa proposition, au grand ravissement du chevalier. Un franc sourire étira ses babines bicolores, alors que son regard se reposait sur la petite araignée, qui ne semblait plus faire montre d'aucune agressivité, mais tournait autour de Mecha comme si elle était... intriguée par cet être presque aussi mécanique qu'elle. Ses bras articulés renvoyaient les lueurs des glowsticks, traçant des tâches colorées sur le pelage des deux loups.

"Quelques heures de marche tout au plus, et en nous hâtant nous devrions être là-bas pour la marée basse et traverser au sec." Répondit-il.

Il faisait en effet un froid assez sévère au-dehors, et traverser le bras de mer à la nage par ce temps lui semblait très loin d'être une bonne idée. Il ne se jetait pas de fleurs, mais savait qu'il faisait partie de ceux sur laquelle la meute s'appuyait en ce rude hiver pour trouver des proies et patrouiller le territoire. Une maladie tomberait très mal en ce moment. Les derniers mots de Mecha étaient intéressant : ainsi donc, en plus d'être à demi mécanique et certainement plus puissant que la plupart de ses congénères, ce dernier possédait une endurance supérieure et ne souffrait pas de la faim. Même si la route à parcourir n'était pas si longue, cela pourrait s'avérer utile s'ils tombaient dans une situation dangereuse.

Soudain, il réalisa de nouveau que traverser un morceau de mer lorsque l'on était à demi constitué de fer - ou d'un métal qui semblait s'y apparenter - n'était peut-être pas une excellente idée, aussi ajouta-t-il :

"Cela vous posera-t-il problème si nous devons passer par un passage humide ? Je serais bien malaisé d'abîmer votre mécanique, sire. Si la marée est basse, nous pourrons passer sur les rocher,s mais ils ne seront certainement pas complètement secs."

Et cela présentait aussi le risque de glissade à cause des algues qui hérissaient les roches sous-marine,s évidemment. Mais son camarade avait fait montre d'un bel enthousiasme concernant cette expédition, alors après tout... Pourquoi pas.