☼ Terra incognita ☼ [Mayuri - Alys]

☼ Terra incognita - SAYURI ☼ MAYURI

Les bouleversements engendrés par les derniers évènements avaient perturbé la jeune louve. Son cœur avait tremblé, ses pattes avaient désespérément cherché à retrouver les siens. Sa famille, tous ceux qui composaient cette meute qu’était les Brethens, souffraient. Si Chronos avait fini par disparaître, les stigmates de son passage étaient présents partout autour de ces âmes perdues. Son monde avait explosé, ses repères et ses relations, tout était sans dessus-dessous. Mayuri avait tenté de percevoir au-delà des taches colorées que lui montraient ses yeux aveugles. Mais rien n’avait suffi à apaiser ses craintes et faire taire ses pensées négatives.
C’est ainsi que la jeunette se contenta de coller sa mère, ne sachant pas trop vers quels horizons elle les mènerait, elle et sa fratrie. On pouvait parler de confiance sans borne, si l’on devait qualifier sa relation avec Winnifred, et c’est pourquoi le mouvement s’était fait sans questions. Tous avaient assisté à la modification de leur monde, des terres et des clans. Amis devenant ennemis, familles éparpillées et tension formaient l’enveloppe de cette nouvelle ère. Certes les choses rentreraient dans l’ordre avec le temps, mais à l’heure actuelle il fallait reconnaître que tout était assez flou.

Et pourtant au milieu de ce désordre, la louve aux yeux clos ne pouvait s’empêcher de rechercher son rythme de vie de l’ancien temps. Une stabilité. C’est pourquoi très vite le besoin d’explorer, de trouver nouvelles odeurs et nouvelles rencontres. Son innocence n’avait pas été touchée plus que cela par les horreurs du combat : elle était passée au travers comme tant d’autres louveteaux gardés à l’abri. Seules les émotions des adultes donnaient une transparence sur ce qui s’était passé là-bas.
Un balancement de queue plus tard, la petite se leva et pris la tangente. Elle avait suivi les odeurs des chasseurs pour s’éclipser du nouveau lieu de vie des siens. La rosée matinale lui rafraichissait les pattes agréablement et c’est avec entrain qu’elle partit sur la route inconnue. Quelques trébuchages et gamelles plus tard, elle sentit son environnement changer. Une odeur salée lui parvint à la truffe, et elle associa aussitôt cela à la mer. Les souvenirs affluèrent lorsqu’elle repensa à sa rencontre avec sa mère adoptive, et un sourire doux se plaqua sur son fin visage. Elle se sentit rassurée un minimum suite à cette association, et poussa ses fins membres à accélérer la cadence. Heureusement pour elle, le passage des adultes était récent et le chemin lui était donc tout indiqué.

Peu à peu, son corps se frotta à une végétation nouvelle, plus dense. L’ambiance était toute autre et pourtant une douce chaleur planait dans l’air. C’était agréable à n’en pas douter. La claire ralentit le rythme pour laisser ses sens analyser ces nouveaux éléments. La faune lui envoyait moult informations olfactive et son cerveau habitué à l’exercice classait, triait et liait ce qu’elle sentait. A côté de cela, le toucher lui faisait prendre conscience du rythme et des choses auxquelles faire attention telles les racines, les ronces ou autres fougères qui pourraient la blesser si elle ne faisait pas attention. Si ses yeux lui étaient quasi inutiles, ses autres sens s’étaient développés en conséquence et rattrapaient ce manque.

Cela faisait près d’une heure que la jeunette déambulait sans but précis, lorsqu’elle entendit bruisser des herbes non loin d’elle. Son hésitation ne dura qu’un instant, entre s’évader sans demander son reste ou laisser sa curiosité naturelle la mener vers l’inconnu. S’ébrouant un coup, elle bifurqua en direction de ce que ses oreilles avaient enregistré. Une odeur inconnue mais certainement lupine lui chatouilla la truffe. Un sourire innocent et juvénile s’empara d’elle : elle allait enfin croiser du monde dans cet univers méconnu.

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Les temps étaient troublés en ce moment. Certes, la guerre s’était terminée, sans que le loupiot n’ai eut besoin d’y prendre part d’aucune façon, il n’empêche que maintenant les loups avaient du se répartir dans trois meutes différentes. Alys, lui, fut plutôt soulagé de constater que sa famille restait plus ou moins entière, mis à part Anast’ qui devenait noble alpha, tout le monde restait à peu près ensemble. D’ailleurs Elaine aussi accédait à un haut-rang, faut croire que maman Winni mettait au monde des bébés de compéts ! Assis, l’arrière-train dans l’herbe dense, le loupiot appréciait sa petite cachette, personne pour le déranger ce qui lui permettait de tresser ses cheveux qui poussaient à une vitesse hallucinante, tout comme le reste de son corps d’ailleurs. Il était loin d’être petit pour un gamin mais niveau taille, il ne surplomberait jamais Gloriel. La seule satisfaction était que le jeune mâle restait plus grand que sa sœur, Korra, en même difficile d’être plus petit qu’elle… Un soupir s’échappa de la gueule du mâle. L’état de sa sœur était plutôt inquiétant, elle qui était si faible. Par chance elle survivait, pour le moment, mais Alys craignait qu’un jour la petite Korra finisse comme les feuilles en automne, arrachées de leurs branches par une brise trop forte.

Des bruits de pas le tirèrent de ses sombres pensées. En relevant la tête, il reconnu la silhouette de sa grande sœur adoptive, la belle Mayuri. Le louveteau n’était pas parvenu à discerner son odeur ce qui lui déplut fortement. Les blessures que le solitaire lui avait infligée était encore fraîches, notamment sa plaie sur la truffe, cependant n’aurait-il pas du retrouver ses sens depuis … ? Alys secoua sa petite tête, il remettrait cette question à plus tard, pour l’heure il se devait de ne pas inquiéter la louve blanche et rose par de futiles inquiétudes. Il remarqua le chemin qu’avait emprunté sa sœur et fronça ses sourcils en sortant de sa piètre cachette.

« — N’est-ce pas dangereux pour toi de te balader ici Mayuri ? »

Certes, elle ne le reconnaîtrait pas pas à la vue, mais au moins d’après ce qu’avait entendu Alys, les autres sens de Mayuri étaient nettement plus développés. Une chance. Néanmoins comme à son habitude ces derniers temps, le fils de Méléagant conserva une expression neutre de tout sentiment en attendant les explications de sa grande sœur adoptive.

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ALYS ☼ MAYURI

Mes foulées eurent vite fait de m’amener là où les senteurs de la faune environnante laissaient place à l’odeur musquée du mâle qui errait non loin de moi. Un sourire joyeux vint s’accrocher sur mes babines en reconnaissant le propriétaire de ces effluves et de la voix qui résonna à mes oreilles. Aucun doute, cette rencontre inespérée en ces terres inconnues m’avait mené directement au près d’Alys. Un sentiment puissant me fit augmenter le rythme des pulsations de mon organe vital. Alys était arrivé dans ma vie en même temps que la belle et fragile Korra. Ces deux bambins avaient eu tôt fait de trouver une place particulière dans mon cœur, de même que tous ceux qui formaient aujourd’hui ma famille. Cela faisait un moment que je n’avais pas eu l’occasion de profiter de bons temps avec eux, ayant préféré garder la tempête que je suis loin de ces deux minuscules boules de poils qu’ils étaient. Et pourtant, là encore le temps avait englouti cette période comme si elle n’avait duré que quelques instants. Nous avions tous grandi, et aujourd’hui j’en étais à rencontrer mon petit frère tout seul dans ces terres méconnues.

Je me pressais vers lui, et bien évidemment ça ne loupa pas. La truffe en l’air, je ne pris pas garde à ce qui m’entourait et une racine se fit un plaisir de rappeler ma cécité à ma petite personne. Je m’étalais sans aucun sentiment de grâce incarnée au sol, réussissant je ne sais trop par quel miracle à réaliser un roulé boulé. Atterrissant sur le dos, les pattes en l’air et mes points faibles ainsi exposés, je ne pus m’empêcher de libérer de ma gorge ce rire pur et cristallin qui réclamait de s’exprimer. Ma joie enfantine préférait rire de ce genre de petits soucis du quotidien plutôt que d’en faire des points négatifs continuellement. Je restais ainsi étalée, profitant de la fraîcheur humide de la terre qui se frayait un chemin parmi le duvet de poils qui me faisait office de fourrure. Le rire encore dans la voix, je répondis aussi naturellement que la situation me le permettait à mon frère.

« Je te le concède, ce n’est probablement pas la meilleure idée qui me soit venue durant ma si courte vie Alys. Mais que serait cette dernière si je devais constamment attendre après quelqu’un pour me tenir par la patte ? Imagine la pauvre âme qui devrait accompagner cette jeune infirme que je suis dans ses balades impromptues ? »

Et puis, je savais également que certains m’évitaient justement pour ce genre de situations. Certains me prenaient en pitié, d’autres se sentaient obligés de m’aider même s’ils n’en n’avaient pas envie, et enfin certains avaient purement et simplement pris le parti de ne pas me fréquenter. Imposer ma présence à n’importe qui me gênait grandement, d’autant plus que je vivais assez bien mon problème la majorité du temps pour me débrouiller seule.
Faisant fi de ce petit temps de réflexion sur ma vie, je roulais sur le flanc pour me relever avec une fluidité née des nombreuses chutes qui avaient parsemé mon chemin. Sentant la terre meuble rester accrochée par fragments, je relançais avec humour :

« Une infirme qui doit avoir une sacrée tête à l’heure actuelle en prime ! » Je me secouais en vain, et penchais légèrement la tête sur le côté. « Et toi, qu’est-ce qui t’amènes ici ? »

Je réalisais non sans surprise l’aisance que j’avais à tutoyer cet individu. Alors même que je vouvoyais le reste de la famille, avec lui cela me paraissait… Décalé et malvenu. Etonnant, et surtout je n’expliquais pas les raisons qui m’avaient amenée à tant de familiarité avec lui. Ça devait probablement venir du fait que je le considérai comme un véritable frère malgré le sang d’origine différente qui coulait dans nos veines. Mon monde est constitué de petites interrogations futiles quand j’y pense, mais j’imagine que ce n’est pas très grave après tout, non ?

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Le sourire de Mayuri était comme un petit rayon de soleil à porté de tous, même Alys ne pouvait se contenter d’afficher son expression neutre, aussi un mince sourire vint étirer ses babines. Alors que sa sœur adoptive se dirigeait vers lui, elle se prit la patte dans… dans quoi d’ailleurs ? Le mâle ne parvenait point à discerner ce qui avait fait chuté la louve et leva un sourcil partagé entre l’amusement et la perplexité. Le loupiot s’apprêtait à lui demander si tout allait bien lorsqu’elle parti d’un grand rire. Ignorant s’il devait s’inquiéter que son aînée se soit cognée ou si elle était juste heureuse, il conserva le silence. Une bonne chose d’ailleurs, car elle prenait la parole et semblait en parfaite forme. Alys admira la volonté qui s’échappait des paroles de la louve blanche et admit qu’elle avait raison. Mieux valait être libre que toujours suivi… Néanmoins, son côté protecteur refit surface.

« — La pauvre âme devrait se sentir flattée de pouvoir te tenir compagnie. Cependant il est vrai qu’un loup aurait plus de chance de se blesser que toi si vous empruntiez les mêmes chemins… »

Le fils de Méléagant avait emprunté une voix plus joviale que dans ses habitudes. Un ricanement parvint même à s’échapper de sa gueule lorsque sa sœur adoptive se releva, couverte de terre, salissant son pelage de princesse. Pensif, Alys pencha légèrement la tête sur le côté remuant ainsi ses plumes.

« — L’on dirait une vague variété de dalmatien… » dit-il plutôt amusé. « Pour tout dire, je ne sais trop… une tentative pour échapper à l’existence encore ennuyeuse des loupiots ? »

Il faut dire que la vie des louveteaux n’avait rien de très excitant, enfin du moins pour ceux qui se refusaient aux jeux puérils. Jouer à chat perché non merci, trop ennuyant puis personne ne voulait être le chat à chaque fois.

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SAYURI ☼ MAYURI

Inlassablement, le sourire me collait aux babines en sachant mon frère adoptif près de moi. Ce jeune louveteau déjà si grand physiquement avait tendance à se donner des airs stoïques, mais j’étais aveugle, pas idiote. Et rien n’échappait à mes observations : bien évidemment il m’apparaissait clairement qu’il n’était pas toujours comme ça. Et je pense qu’il avait compris que ces artifices ne servaient pas à grand-chose avec moi, car il était souvent bien plus ouvert quand nous étions seuls. Le ton léger qu’il utilisa me fit donc d’autant plus plaisir, tel un privilège qu’il m’accordait. Un jour une autre profiterait de cela, je lui souhaitais et dans le même temps je savais que je passerai la mentalité de sa dulcinée au peigne fin avant de lui céder cette âme si brillante à mes yeux. Alys était mon petit frère, il avait une place particulière dans mon cœur de sœur aimante. Le rire dans la voix, je lui répondis :

« Mon cher Alys, si tu savais à quelle point il m’est déjà difficile de me tenir compagnie à moi-même par moment ! Peut-être un jour me calmerai-je mais jusqu’à ce que la sagesse m’assaille, je préfère ne pas embarquer un pauvre canidé dans mes péripéties ! Et puis comme tu le dis, mon problème a tendance à m’emmener sur des chemins qu’il vaut mieux ne pas voir parfois. Mais c’est tellement palpitant ! »

Je ne pouvais imaginer ma vie sans la liberté et les découvertes. Je savais qu’il n’était pas coutume chez les jeunes d’avoir une telle soif d’adrénaline, mais c’était dans le même temps ce qui me motivait à me lever chaque jour. Evidemment cela ne m’aidait pas à m’intégrer auprès de mes pairs mais ma joie de vivre avait tendance à les pousser de temps à autre vers ma petite personne. Et puis peu m’importait au final, se rapprochaient ceux qui avaient envie de me côtoyer. Je m’arrêtais de rire en l’entendant m’expliquer les raisons de sa présence en ces lieux. D’une voix douce, digne de notre mère, je ne pus que lui donner ma vision des choses.

« Tu sais, la vie est ce que tu en fais petit frère. Tu n’aimes pas leurs activités ? Crée-en de nouvelles. Tu n’as pas envie de rester à ne rien faire ? Trouve-toi des occupations. Tu trouves la vie ennuyeuse ?... Alors rends la excitante ! Je n’ai pas trouvé ma vie de louvette ennuyeuse, si ce n’est quand on m’obligeait à rester tranquille. L’univers a tellement à offrir, et les êtres qui en foulent sa surface sont tous uniques. Ton cœur pourrait palpiter à chaque instant de ta vie si tu le souhaitais tu sais ? »

J’espérais qu’un jour il comprendrait qu’être blasé n’était qu’une technique pour se protéger des douleurs que la vie pouvait apporter avec ses évènements. Que de l’autre côté de cette coquille un immensité de choses feraient palpiter son cœur. Ce jour-là, il s’épanouirait sur tous les plans, mais têtu comme il l’était, il n’était pas gagné que je puisse assister à ça un jour ! Sautant vers lui en me frottant à ses flancs, je lui donnais un coup de déhanché en reprenant d’un air plus gai.

« Maintenant que nous sommes sales tous les deux que dirais-tu d’aller nous décrasser un coup dans cette étendue que l’on me dit être aussi bleue que l’odeur des lys est puissante ? »

Et sans attendre sa réponse, je me mis à courir en riant. Je laissais mon odorat me guider là où le sel et le bruit des vagues semblaient être. Je bondissais plus que je ne courrai, un peu à la manière d’une biche. Je devais avoir une démarche assez particulière comme ça, mais ça me donnait l’avantage de limiter les trébuchages en tout genre. Peut-être étais-je un peu folle. Mais ma vie était exaltante et pour rien au monde je ne souhaiterai échanger cela si c’était pour préférer faire attention à tout.

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