Facing the stone bear | Epreuve de glowstick

La journée était bien avancée, et le ciel commençait à prendre une saveur crépusculaire, lorsqu'Athelstan s'était mis en route pour la Griffe de l'Ours. Sa journée n'avait pas été des plus extraordinaires - des tours de garde aux frontières, une patrouille de chasse, et un repos de fin de journée bien mérité - mais lorsqu'il s'était éveillé à la tombée du jour, il avait ressenti soudain l'appel du dieu. Ce n'était pas exactement ce qu'il avait imaginé, loin de là. Pas de vois terrible et tonnante qui envahissait ses pensées, pas de force supérieure qui, comme cela avait été le cas lors de l'apparition de Cronos, forçait ses pattes à prendre un certain chemin. Rien de tel, simplement une certitude soudain que son destin se trouvait en haut de ce temple de pierre qui se dressait au milieu des arbres gigantesque et des épaisses stalactites. Il ne lui avait pas fallu bien longtemps pour travers les Dents de Roc et se retrouver face à l'ours de pierre qui surplombait l'entrée du temple du Grizzli. Arrêté face à l'imposante statue inondée des lumières rouges du soleil mourant, il sentait son coeur voleter comme un oiseau dans son poitrail. Une sorte de fébrilité s'était emparée de tout son être à mesure qu'il s'approchait.
Désormais, le moment était venu.

Son entraînement avait terminé de dessiner sous son pelage ses muscles de jeune adulte, avait fait de lui un être de force et de puissance, comme son père avant lui. S'il n'oubliait pas la douce sensibilité que lui avait léguée sa chère mère, aujourd'hui il se sentait à son tour prêt à devenir Chevalier. Un chevalier à la bannière rouge comme le sang, rouge comme le ciel du soir qui brûlait l'horizon de ses teintes flamboyantes. Son regard vairon était déterminé, sous sa longue chevelure.

Il pénétra dans le temple d'un pas décidé, les oreilles en avant. Ses griffes cliquetaient sur le sol de pierre, froid sous ses coussinets. Devant lui se dressait bientôt la statue du dieu Aka, surplombant la fontaine d'où s'écoulait le tant convoité liquide rouge. Contrairement à ce à quoi il s'attendait - car il n'avait jamais eu l'occasion de pénétrer dans cet édifice - ce dernier ne ressemblait en rien à du sang. Bien au contraire, il émanait de la fontaine un éclat qui donnait l'impression que c'était la Force même qui coulait dans son bassin. Le coeur du jeune loup battit plus fort encore.
Il s'inclina devant la statue du Grizzli.

"Dieu Aka, je me présente devant vous ce soir afin de prétendre à votre couleur."

Un frisson d'excitation parcourut le corps du jeune loup lorsque, dans une nuée d'éclairs rougeoyants, apparut l'immense silhouette du dieu Aka. Il était apparu. Il acceptait qu'il passe son épreuve. Pour la première fois de sa vie, Athelstan éprouva un serrement léger à l'estomac, un trac soudain, alors que la silhouette du Grizzli se dressait devant lui. C'était là l'ultime jugement, celui qui ferait de lui un guerrier ou le rejetterait comme un moins que rien. Il planta son regard vairon dans les prunelles brillantes du dieu et soutint son regard. Le stress reflua dans son esprit, supplanté par la hâte de passer enfin aux choses sérieuses. Il avait rejoint les Etelkrus pour veiller sur sa soeur, désormais Alpha. Il se devait d'être à la hauteur, et il le serait. Ses traits se durcirent, mais l'ombre d'un sourire se dessina sur ses babines.
A nous deux, Grizzli.

Les mots du dieu tonnèrent dans l'espace du temple, qui paraissait réduit maintenant que sa silhouette en occupait un large espace. A sa grande surprise, il se mit en marche vers l'extérieur et passa la porte pour le guider au-dehors. Etait-ce ainsi que cela se déroulait d'ordinaire ? Il connaissait la teneur de l'épreuve, car son père lui avait raconté la sienne des dizaines de fois lorsqu'ils étaient enfants, Elaine, Anastasia et lui. Quel genre d'adversaire Aka allait-il lui imposer, qui nécessitait tant d'espace ? Des dizaines de suggestions lui venaient à l'esprit, tous les fauves qu'il connaissait du continent. Lorsqu'une silhouette commençait à se dessiner devant lui, il fut d'abord surpris par sa petitesse. Son sourire s'accentua légèrement. Puis disparut complètement lorsqu'il comprit de quoi il s'agissait.
Quoi ??!
Il eut la sensation d'avoir avalé un glaçon, et ses traits s'assombrirent tandis qu'une lueur d'incompréhension brillait dans son regard vairon. Il avait l'impression dérangeante d'être la victime d'une très, très mauvaise plaisanterie. La part sensible de son être fit jaillir une émotion horrifiée qui inonda ses pensées, alors qu'il redressait la tête, les babines entrouvertes. Il n'eut pas beaucoup de temps pour réfléchir et réaliser ce qui se passait. Avec fougue, la silhouette de son père chargea et il ne dut qu'à un réflexe salvateur de ne pas être mis au sol dès ce premier assaut. Il sentit la cape claquer juste autour dessus de son museau, et les griffes frôler son pelage.
Il roula au sol et se redressa d'un bond, les oreilles plaquées contre le crâne et le regard noir. Alors comme ça, Aka voulait jouer aussi bien de sa force physique de sa force mentale ?
Parfait.

D'un geste rendu naturel par l'habitude, Athelstan décrocha la chaîne attachée autour de son poitrail. L'une de ses extrémités tomba au sol avec un bruit métallique, l'autre resta ficha entre ses crocs. Il tendit ses muscles, prêt à essuyer la charge suivante, et toutes celles qui viendraient. Il possédait un avantage : celui de connaître le style de combat de son père pour s'être entraîné des heures durant avec lui. Cependant, jamais il ne l'avait vraiment vaincu au point de pouvoir le tuer. Et jamais la pensée de le tuer ne lui était venue. Il repoussa ce que lui inspirait cette idée pour l'instant, décidant qu'il traiterait les choses sur le vif, sans trop prévoir. Ce serait moins compliqué. Aka voulait qu'il lui montre qu'il était un soldat obéissant, soit. Un tremblement agita ses pattes. Il ressentait à l'égard du dieu une colère qu'il laissa libre, laissa grandir au fond de lui. Il avait besoin d'un immense brasier pour faire ce qu'on lui avait demandé, alors il se laissa envahir par cette colère. Son souffle s'accéléra.
Lorsque Méléagant chargea de nouveau, le jeune loup semblait avoir pris en volume, le coup gonflé, l'échine hérissé et les babines retroussées sur ses crocs. Le véritable combat commençait.

Cette fois-ci, Athelstan ne l'attendit pas passivement. Il s'élança à son tour, et esquiva au dernier moment en lançant d'un coup sa chaîne pour faucher les pattes du grand loup noir. Méléagant avait largement sur lui l'avantage de la carrure. Il fallait qu'il l'utilise contre lui autant que possible. Son action fut à demi-réussie, puisqu'il trébucha sans s'écrouler, alors qu'Athelstan dérapait sur le côté pour faire demi-tour. La pierre crissa sous ses griffes. cette fois-ci, ce fut lui qui donna l'assaut de front. Il décocha un coup de chaîne violent qui claque le long du cou de Méléagant, qui lui laissa une seconde suffisante pour lui bondir dessus et l'entraîner en roulades sur le côté. Trouver une prise - une vraie, une douloureuse - sur un tel adversaire relevait presque de l'exploit. Les lourds pans de sa cape lui bouchaient la vue et enveloppaient une large partie de son corps, et ses griffes ripaient sur l'armure qu'il recouvrait ses épaules. Avec un grondement rageur, Athelstan attaque le tissu avec violence alors qu'ils roulaient au sol. Il se déchira avec un craquement, mais cette menue victoire fut de courte durée.
D'un violent coup de patte, son père le plaqua au sol et l'y maintint de tout son poids. Une pointe d'angoisse monta dans la gorge du jeune loup alors qu'il se tortillait pour lui échapper. En désespoir de cause, il jeta son cou en avant et ficha ses crocs dans les coussinets de la patte qui filait vers sa gorge. Les griffes lui éraflèrent le côté droit du museau, mais son adversaire faiblit un instant sous la douleur.

Il profita de cette aubaine pour se dégager d'un coup de reins et rouler sur le côté. Il bondit sur ses pattes, juste à temps pour encaisser un assaut formidable du brun. Ce dernier lui asséna un violent coup de patte dans la joue, faisant claquer ses dents. Le goût du sang, métallique, chatouilla sa langue, alors qu'il se tordait le coup pour planta de nouveau ses crocs dans l'une des pattes de son père. Pris par surprise, celui-ci trébucha, coinçant sous son poids l'épaule du jeune loup. Athelstan rua, parvint à se glisser suffisant loin pour se dégager. A peine avait-il entamé un mouvement en avant que son arrière-train était écrasé sous le poids du Chevalier. Avec un jappement, ils roulèrent de nouveau au sol. Le coeur battant, Athelstan eut l'impression de sentir ses chances de victoire se réduire soudain à un fil. En l'écrasant au sol, son père avait méchamment fait craquer sa hanche gauche, qui le lançait horriblement désormais. Mais il n'avait pas le temps de prendre compte de la douleur, il n'avait pas le droit d'échouer.
Ou bien il le tuerait.

Lorsque l'épreuve avait commencé, il n'avait envisagé que la difficulté que serait la mise à mort de son père. Désormais, il ressentait également et avec horreur que l'autre ne l'épargnerait pas s'il faisait montre de la moindre faiblesse. Alors qu'il se dégageait de nouveau pour se redresser, le jeune loup laissa échapper un grondement de frustration. Il y eut un moment de suspens, où les deux combattants se jaugèrent en chien de faïence, le souffle court. Une larme acide coula le long de la joue du jeune loup, une larme de colère et de rage. Il s'empara de nouveau de sa chaîne et chargea avec l'énergie du désespoir, ignorant la boiterie légère de ses postérieurs. Avec une violence inouïe, il claqua la mâchoire de Méléagant de son arme, lui arrachant un grondement et un mouvement de côté. Sans hésiter, le jeune loup se jeta sur lui en poussant un hurlement bestial. Il visa le coup, seul endroit sans protection de son adversaire, et son poids renversa l'autre plus facilement qu'il ne l'aurait cru. Sans doute la patte qu'il avait blessée un peu avant se montrait désormais une aide précieuse. Il sentit la tête de son père cogner le sol, et lui-même heurta violemment la pierre d'une épaule. Sous lui se débattait avec force la grande silhouette du Chevalier. Il ficha ses griffes dans l'une de ses oreilles pour le maintenir au sol, l'autre à la base de son cou. Même ainsi, la force du brun était incroyable. De ses pattes puissantes, il laboura les flancs de son fils en lui arrachant un jappement de douleur.
Mais il tint bon.

Il lui semblait que son coeur allait s'arrêter lorsque son regard tomba sur la gorge découverte de son père. Le moment était venu, c'était maintenant ou jamais. Avec les blessures qu'il avait, il ne pourrait jamais continuer le combat assez férocement pour gagner ensuite. Son museau se déforma alors qu'il laissait échapper un cri de rage et de détresse, avant de plonger vers la jugulaire du grand mâle sombre. Alors qu'il planta ses crocs dans sa gorge, une secousse terrible du corps manqua de l'arracher à sa prise. Ses crocs ripèrent et le sang jaillit, tâchant son museau clair.
Il fut repoussé en arrière et s'accrocha avec l'énergie du désespoir. Le goût sur sa langue lui donnait la nausée, l'odeur du âcre du sang saturait l'air autour de lui. Il sentit les mouvements de son adversaire faiblir peu à peu, et il finit par lâcher prise pour reculer d'un bond. Le sang dégouttait de son museau sur son poitrail, tachait le sol sous ses pattes. Le souffle saccadé, il se força à regarder jusqu'à qu'aucun mouvement n'agite plus le corps de son père.

Les pupilles dilatées, il laissa échapper un grondement d'horreur, de dégât, de colère.
Et au fond de lui, une pensée se fraya un chemin malgré le tourbillon qui l'agitait.
Il avait réussi.