If it means a lot to you | Ft. Agravain

Némésis sentait son dos la tirailler à chaque pas. son ventre s'était considérablement arrondi et sa colonne vertébrale avait du mal à supporter ce poids en plus, ses os étant déjà bien abîmés de base. Elle ne pensait pas qu'à son âge, elle puisse tomber enceinte après une seule tentative et elle avait été assez surprise en constatant les changements caractéristiques de son corps après quelques semaines. Avoir des enfants l'avait toujours effrayée et dégoûtée au plus haut point depuis son enfance. Elle était toujours un peu réticente aujourd'hui, mais son point de vue était différent maintenant qu'elle était avec Agravain. Elle et Nox avaient été le fruit d'un acte totalement irréfléchi de la part de leur mère. Dans son cas, c'était différent, car Agravain n'était pas n'importe qui. Elle espérait ressentir tout l'amour d'une mère lorsque ses enfants naîtront et qu'elle pourra les regarder comme Thyara regarde tout ses enfants.

Elle leva la truffe vers le ciel, là où la lune brillait de milles feux. Le sol de la Rougelande était enneigé et il faisait relativement froid, mais cette nuit là elle devait retrouvé Agravain ici. Lorsque le chevalier ne pouvait pas rester avec elle, la louve dormait seule là où elle trouvait un endroit assez confortable pour s'y installer. Némésis commençait à s'habituer à cette vie de nomade finalement, même si elle supportait de moins en moins les longs trajet.

Une contraction se mit à tendre d'un coup son ventre et la louve se figea, les dents serrées. Elle en avait eu plusieurs depuis ce matin, mais elle n'y avait pas tellement fait attention. Elle savait qu'il était trop tôt, que les petits ne pouvaient pas déjà arriver, alors elle se contentait à chaque fois d'attendre que ça passe pour reprendre son chemin. Mais une nouvelle contraction arriva peu de temps après la première, plus forte encore. La louve aux yeux azur replia sa queue entre ses pattes, les dents toujours serrées. Son cœur battait plus rapidement et elle respirait plus fort encore, la buée sortant de sa bouche se faisant plus dense.
Puis elle sentit un liquide chaud mouiller sa queue et ses pattes arrières.
Prise de panique, Némésis redressa la tête pour chercher de l'aide autour d'elle. Il faisait nuit, la Rougelande était totalement vide et froide, il n'y avait personne pour l'aider et elle ne savait pas où était Agravain. Ses pattes commençaient à trembler alors qu'elle se remit à lutter pour avancer malgré la douleur encore plus forte combinée aux contractions répétées.

Elle jura silencieusement, sa marche se faisant de plus en plus lente. Elle n'avait absolument aucune idée de la direction à prendre et la peur lui faisait en plus de ça perdre le sens de l'orientation. Sa tête commençait à tourner et, rapidement, elle s’effondra au sol, désormais dans l'impossibilité de tenir debout. Elle ne se sentait pas de le faire seule, elle ne voulait pas le faire seule, elle avait besoin d'Agravain à ses côtés.
Agravain, où es-tu Agravain ?
Une nouvelle contraction, plus violente cette fois, puis une terrible douleur qui lui arracha un cri strident de la gorge. Son regard se floutait d'avantage et elle sentait au niveau de ses pattes un autre liquide chaud se répandre. L'odeur caractéristique lui arriva rapidement aux narines et elle se figea d'horreur. En se retournant avec difficulté, elle constata que la neige derrière elle se recouvrait peu à peu d'un rouge écarlate.
Désespérée, elle commença à hurler au milieu de la lande, appelant Agravain de toutes ses forces, la voix brisée par la peur et les larmes déferlants sur ses joues.

Agravain

La nuit tombe, et le cœur d'Agravain se réveille. Depuis qu'il aime Némésis, il vit comme un bandit, il partage sa vie entre la meute des Etelkrus et sa douce femelle solitaire. Il quitte souvent les terres connues ou alors les viole en compagnie de sa belle, il est partagé, et espère que si Élaine ou son compagnon alpha le trouve en train de protéger une solitaire, elle comprendra ce qu'elle représente à ses yeux. Cette lune-là, il doit la retrouver à la Rougelande, ils s'y couchent souvent, ils observent les étoiles, tapis et cachés par les hautes herbes, Agravain passe ses nuits à parler au ventre rond de Némésis, il regarde cette courbe en rêvant de paternité et de bonheur. Malgré sa hâte de retrouver sa douce, il doit ramener un lièvre qu'il a chassé. L'animal était malade et vieux, il ne veut en aucun cas offrir un tel met à sa douce mais il n'hésite pas à le déposer sur le tas de gibiers. Alors qu'il prend le chemin de la sortie sans trop se presse pour éviter d'éveiller les soupçons, il croise Élaine qui lui demande si tout va bien. Il sourit, acquiesce poliment et rassure sa nièce et supérieure, il bredouille quelques excuses mais la jeune alpha au pelage blanc pur le retient, elle lui demande si tout va vraiment bien, il acquiesce, agacé et entend un râle au loin. Sûrement un brame d'un cerf échauffé. Sa queue rousse se balance de droite à gauche, il esquive sa nièce, sourit en lui lançant un "bonne nuit, ma nièce !" et se met à courir. Langue pendante pour réguler sa température, il foule le sol enneigé avec rapidité. Il arrive à la Rougelande, son palpitant bat la chamade, il halète et fouille le champ du regard. Personne. Il hume l'air et sent l'odeur sucrée de sa Némésis mais il ne la voit pas.

Une odeur de fer lui prend à la gorge, du sang. Inquiet, il se retourne et voit une flaque rouge qui a fait fondre un peu de neige, des traces de pattes prolongent la tache. Il s'inquiète et d'un coup, il entend un gémissement de douleur puis son nom. Il se fige un instant, il n'y croit pas. Elle doit être blessée ou alors un animal l'a attaqué. Il se met à courir, angoissé et voit une silhouette se dessiner dans la pénombre de la nuit. Les rayons de lune l'éclairent, il s'approche, elle est courbée, elle semble mal en point. Il s'approche et la prend contre lui. Elle est brûlante et une fragrance âcre de sueur lui assaille les narines. Il plisse les yeux pour distinguer quelque chose et voit qu'un flot rouge s'échapper d'entre ses pattes.

"Qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce que tu as ?"

Paniqué, Agravain n'a jamais été père, il ignore tout de ceci, il ignore tous les maux qu'une femelle peut endurer. Par terre, ainsi tordue, Némésis semble sortie d'outre-tombe. Son cerveau s'agite, il fuse, et Agravain se met à bouger de façon illogique. Il tremble de tout son corps, il s'approche d'elle, se couche et l'embrasse tant qu'il le peut, il comprend alors. Elle met bas. Il sourit, fou de joie d'enfin voir ses bébés, et son regard de dingo rencontre celui plein de souffrance de la future maman. Il s'agite, sa queue se balance de droite à gauche avec énergie, il tourne autour d'elle pour guetter les bébés. D'un coup et dans un cri, une petite boule sort avec lenteur, enveloppée dans un sac transparent, il l'attrape et arrache son étui d'un coup de crocs. C'est une femelle, elle a une aile unique comme sa maman, qui est pliée tout contre elle. Il s'approche et se met à la lécher pour la débarrasser du liquide amniotique. Il revient vers la tête de sa compagne et en entendant un toussotement, il crie de joie. Il est papa, son bébé est là, c'est une fille, elle est magnifique. Il se couche pour mettre la petite contre le ventre maternelle et revient près de sa belle, il l'embrasse et lui lèche le front pour l'aider.

"Nous avons une magnifique fille, ma douce, continue, ça va aller, tout va bien se passer, je suis là, je t'aime, je ne t'abandonnerais pas."

Et le cœur empli d'un bonheur infini et nouveau, il se serre contre lui, un sourire jusqu'aux oreilles dessiné sur ses babines.

Némésis a mal, elle gémit de douleur, mais comme par miracle l'odeur d'Agravain s'est élevée dans les airs. En quelques secondes, son bien-aimé était à ses côtés, paniqué mais bien présent. La louve se sentait rassurée et une partie de sa douleur s'est atténuée, même si elle souffrait toujours d'une manière inconcevable. Elle se concentra pour controler sa respiration, le museau enfouit dans le cou d'Agravain. C'était insoutenable, insupportable mais elle devait le faire. Elle devait donner naissance à ses enfants, leur permettre de respirer, de voir, d'entendre, de crier. Elle devait le faire, même si elle jouait sa vie.
La contraction suivante, elle l'accompagna de toutes ses forces. Elle avait l'impression que son corps tout entier se déchirait,
mais elle continuait de lutter, usant de de toute son énergie pour permettre à son enfant de voir le jour. La pression se relâcha finalement d'un coup et elle soupira, les pattes tremblante. Elle entendit la voix de son compagnon, il lui disait qu'ils avaient une magnifique fille. Malgré la douleur, un sourire se dessina sur ses lèvres et elle se tourna pour voir à travers ses larmes l'enfants qui avait vu le jour. Elle avait une petite aile bleue comme son frère et un pelage semblable à celui d'Agravain. Elle était si belle, si précieuse, si fragile... Némésis profita des quelques instants de repos pour venir la lécher tendrement.

"Elle... Elle est si belle..." chuchota-t-elle faiblement.

Et une nouvelle contraction l'embarqua pour un nouveau tour. La pauvre louve se sentait faiblir de plus en plus mais elle continuait de lutter, la détermination ne l'ayant jamais vraiment quitté. Sentir Agravain contre elle lui donnait la force nécéssaire pour venir à bout de cette mise bas tortueuse. Et finalement, le deuxième petit montra le bout de son museau. Némésis posa sa tête sur le sol enneigé pour se reposer un instant, laissant Agravain s'occuper du nouveau-né, puis elle tourna de nouveau la tête pour venir admirer cette magnifique créature. Un petit loup ailé comme sa sœur, avec de magnifique cheveux châtains et une unique mèche blonde perdue. Elle le guida vers son ventre pour lui permettre de téter le premier lait.

"C'est une merveille..."

Les contraction se calmèrent et elle comprit que c'était la fin. Elle se sentait si fière d'avoir put donner naissance à deux si belles créatures malgré son âge avancé et remercia les Dieux en silence. Mais les larmes continuaient de couler sur ses joues et la douleur ne la quittait pas. En jetant un coup d’œil derrière elle, elle vit que ses pattes étaient presque entièrement recouvertes de sang et que la neige en dessous l'était également. Elle garda le sourire en se tournant vers Agravain,
ne voulant pas affolé ce dernier. Au fond, elle savait que le fin était là, qu'elle n'en avait plus que pour quelques instants vu la vitesse folle à laquelle ses forces la quittait. Mais elle voulait profiter de ces derniers instants, les rendre plus magiques qu'ils ne l'étaient déjà.

"Nos enfants sont absolument magnifiques..." murmura-t-elle. "Comment allons-nous les appeler ?"

Elle frotta sa joue contre la fourrure de son compagnon.

"J-J'aime bien Icare... Qu'est-ce que tu en dis ?"

Icare... se répéta-t-elle intérieurement en observant son fils couiner, bien accroché à une de ses mamelles.

Agravain

Le froid de la nuit l'engourdit, il sent le poil de ses pattes mouillées durcir en séchant. Agravain n'a même pas le temps de souffler qu'une deuxième boule de poils voit le jour -ou plutôt la nuit-, le jeune père se précipite sur le petit dernier, crève la poche opaque et observe son deuxième bébé. Un mâle, une aile lui aussi. Il est superbe, sa petite truffe remue, il lui fait sa toilette puis le dépose contre le ventre maternelle. Les petits se mettent à téter avec avidité, ils sont en pleine forme, ils vont bien et Agravain remercie les dieux de leur avoir permis de donner vie à deux petits malgré leurs âges avancés. Bien qu'Agravain ne redoute aucune andropause, il sait que le système biologique de Némésis peut prendre fin, il trouve ça injuste mais qu'importe, à présent, il est le père le plus heureux du monde. En un instant, il comprend alors l'éloignement de son frère Méléagant, il comprend tout, son amour pour sa douce, son attachement pour ses enfants. Agravain se sent soudainement plus éclairé, il n'en veut plus à son frère, il le comprend, il a envie de le voir et de lui dire combien il regrette toute la haine qu'il a laissé s'accumuler dans son cœur, il se revoit, la gueule pâteuse, l'alcool dans les veines, il se trouve pathétique. Ses longs cheveux bouclés noirs de jais se soulèvent doucement tandis qu'il hoche la tête, il chasse ces pensées et se concentre sur sa famille.

Ma famille.

Il soupire de soulagement en entendant Némésis reprendre son souffle, il se love contre elle, de façon à ce que son corps fasse barrage au vent pour protéger ses enfants. Il lui lèche la joue, tendrement et les observe d'un œil bienveillant. Il ne les connaît pas encore, mais un amour inconditionnel se meut en lui, il les aime d'un amour infini. Alors Némésis demande comment ils vont se nommer tous deux, il sourit à sa proposition, hoche la tête.

"Ils sont moins beaux que toi, plaisante-t-il, Icare pour notre petit mâle, j'aime Lucie pour notre fille."

Il penche la tête et d'un sentiment inexplicable, il sait que Némésis est d'accord. Il observe ses deux enfants, Icare et Lucie, petits êtres à peine nés, signifiant tout à ses yeux. Il embrasse à nouveau sa compagne, la félicite, l'encourage. Il est intarissable d'amour, de tendresse. Des larmes de joie coulent le long de ses yeux, se mêlent à son poil, et finit par atterrir dans la neige. Il jette un regard vers la sombre tache derrière Némésis, une panique inexplicable lui prend à la gorge. N'est-ce pas là trop de sang ? Il l'ignore, je vous l'ai dit, il ne sait rien de l'anatomie féminine, il ignore tout des mises-bas. Il tente de se souvenir si Winnifred avait perdu autant mais il se souvient qu'il n'a pas assisté à sa mise-bas. Il baisse les yeux sur sa belle, et tente de garder son calme, il sent dans les yeux de Némésis qu'elle s'abandonne au sommeil, à un repos bien mérité. Il lui lèche la joue, caresse son museau avec le sien et lui murmure des tonnes de je t'aime. Il regarde ses enfants, imagine leur avenir. Il s'imagine déjà, les voyant devenir adolescents, leur inculquer les valeurs chevaleresques, peut-être que Némésis leur apprendra à devenir une pirate. Il sourit en se demandant à quoi ressembleront leurs voix, ce qu'ils aimeront, ce qu'ils deviendront. Il a tant de choses à découvrir d'eux, tant de choses à apprendre sur eux. Il se baisse un peu en se tordant le cou pour déposer une léchouille affectueuse sur leurs deux petits dos qui se soulèvent au rythme de leur respiration calme et lancinante. Il pose la tête sur ses pattes avant et regarde Némésis, un sourire aux babines. Sa famille est contre lui, il peut bien lui arriver des tonnes de choses, l'apocalypse pourrait recommencer, il s'en ficherait car à ses côtés, il a tout son monde, rien ne pourrait lui ôter cette intense sensation de bonheur.

Icare et Lucie... C'était si beau... Ces noms étaient parfaits pour leur petits. Némésis sourit,
comblée, se sentant pour la première fois unie par une force inexplicable à d'autre loup. Plus fort encore que les liens qui unissaient les Raeders. Agravain était son compagnon et ces enfants était le fruit de leur amour. Il y avait une part de chacun d'eux dans ces petits êtres si fragile, c'était la chose la plus merveilleuse que Némésis ait jamais vu.

"Lucie et Icare... Nos enfants... Nos tout petits enfants..."

Son cœur ralentissait peu à peu au fur et à mesure qu'elle s'apaisait. Elle n'avait jamais été aussi heureuse de sa vie,
pourtant cet instants si merveilleux allait être si violemment stoppé. Elle recommença à pleurer sur le torse d'Agravain,
faisant passer ces larmes pour des larmes de joies derrière son sourire alors qu'il s'agissait bien de larmes de tristesses. Elle n'arrivait pas à croire que la vie lui en veule au point de lui arracher ce qu'il y avait de plus précieux pour elle. La louve rabattit se petits un peu plus proche d'elle, ces derniers ayant fini de téter et commençant à s'endormir. La nuit devenait plus sombre qu'elle ne l'était déjà.
La fin était proche.
Le sourire collé au babine, elle leva les yeux vers Agravain.

"Agravain..."

Sa voix n'était plus qu'un lointain murmure.

"Promet-moi... Promet-moi de prendre soin de nos enfants..."

Elle se détendait peu à peu, fondant dans un sommeil profond au creux des bras de son amour.

"Je t'aime tellement Agravain... Tu as changé ma vie..."

La lumière s'atténuait d'avantage. Les larmes de Némésis coulaient de moins en moins.

"J-Je t'aimerais toujours... Je serais éternellement à tes côtés... Ne l'oublis pas..."

Le flanc de Némésis cessa de se soulever et ses yeux avaient perdu leur lueur. La nouvelle maman était partie pour un sommeil éternel.

Agravain

Agravain sourit, il n'arrive pas à se défaire de cette banane arquée sur ses babines. Il regarde ses enfants puis sa compagne, elle aime le prénom de leur fille, et son cœur se soulage. Il a atteint le but de sa vie, être heureux. Némésis pleure contre lui, des larmes de joie, tandis que lui surveille ses enfants d'un regard attentif. Il a envie d'hurler son bonheur, et de dire à tout le monde combien il est heureux mais une brusque brèche s'ouvre en lui quand les yeux, d'habitude si calmes et si doux, de Némésis se lèvent sur lui et il décèle alors que le bleu océan de ses iris danse dans une tempête marine incontrôlable. Sa voix est faible, mais il suppose que c'est dû à la fatigue, alors il la rassure, il lui lèche le bout de la truffe et laisse son bonheur irradier tout son être. Elle lui demande une drôle de promesse, elle glisse dans le sommeil réparateur. Il sourit, amusé, et opine du chef, il s'en occupera bien, c'est promis. D'un coup, son cerveau lui crie alerte, il se tourne et son sourire s'évapore. Comment ça lui promettre de prendre soin d'eux ? Bien sûr qu'ils prendront soin d'eux, Némésis et lui, ils sont parents, ils s'aiment, ils aiment leurs enfants, pourquoi devrait-il s'en occuper ? Il frissonne à sa déclaration d'amour, sa voix semble de plus en plus lointaine, et d'un coup, il se fige. Elle ne s'endort pas, elle est en train de quitter ce monde, de le quitter lui. Des larmes de douleur lui montent aux yeux, il hésite à se lever mais il reste collé contre elle, il sent son corps se relâcher peu à peu, et un spasme violent lui fait mordre sa langue.

"Je t'aime, ma Némésis, je t'aime aussi, ne dis pas de sottises, je t'en prie, tout va bien, nous avons des enfants magni-... Némésis ?"

Sa voix se lézarde en un chuchotement presque inaudible. Non, non, non. C'est impossible. Le silence se fait transperçant, la forêt et la rougelande semblent retenir leurs souffles, même la lune se cache derrière un nuage pour éviter ce spectacle. Non, les Dieux sont justes, ils ne feraient pas ça. Non. Puis d'un coup, il n'entend que sa respiration. Le corps de Némésis est détendu, ses yeux vides, son océan n'était plus. Agravain sent une douleur effroyable dans son poitrail. Il reste coi, il ne bouge pas, il ne sait pas quoi faire, quoi dire, quoi penser. Un torrent de larmes chaudes sortent de ses canaux lacrymaux, ses mâchoires s'entrechoquent, non pas de froid, mais de désespoir. Némésis gît contre lui, sa tête sur ses pattes, sa crinière noire ne bouge plus, sa gueule n'hume plus l'air frais de la nuit. Agravain ne veut pas se lever mais ses pattes lui semblent être infestées de mille fourmis qui lui mordent la chaire, lui arrachent les poils.

"Némésis ?"

Sa voix se mue en un râle de douleur, il tente, il n'ose pas imaginer que tout cela arrive. Il baisse les yeux vers sa douce, abaisse son museau au niveau du sien et se met à lécher la truffe froide de sa compagne. Elle ne respire plus, il en est certain, mais il continue de l'embrasser, les poils de ses joues deviennent trempées à force de pleurer, il se sent seul, terriblement abandonné par les Dieux, il ne méritait pas tout ceci, il ne mérite pas tant de douleurs. Il glisse un regard vers les petits endormis contre le ventre maternel et une douleur sourde lui monte aux oreilles. C'est de leur faute. Il lève les yeux au ciel, les ferme pour laisser échapper le trop-plein d'eau, et songe que c'est sa faute. S'il ne l'avait pas monté, elle n'aurait jamais eu d'enfants, elle ne serait jamais morte à cause d'eux. Il les regarde et un regret infirme lui sert les entrailles. Non, ce n'est pas de leur faute, ils n'y sont pour rien, ils sont purs, innocents. Mais ils sont là. Et sa Némésis n'est plus. Il la regarde à nouveau, espère voir ses pupilles s'agiter, mais quand il voit un mince voile blanc apparaître devant ses iris, il se lève d'un bond. Il fait les cent pas, se mord les babines avec fureur, il pleure, sanglote puis s'arrête. Il regarde la nouvelle mère, ses petits blottis contre elle. Puis, brisant le calme nocturne, il hurle à la mort. Il se sent vide, épuisé, le monde s'abat sur ses épaules et il ne se sent plus respirer. Il s'effondre contre Némésis, soulève sa tête avec ses pattes et lui ordonne de se réveiller. Mais rien n'y fait. Il a l'impression qu'il va exploser. Il pleure sans s'arrêter, fleuve intarissable de douleur, il s'en veut, il a perdu tout ce qu'il aimait, tout ce qui comptait. Il plonge alors sa tête dans le cou de sa belle endormie et continue de sangloter quand un gémissement aiguë le tire de sa souffrance. Icare est réveillé, il s'agite, il recherche de la chaleur. Agravain le regarde et toute notion d'amour semble avoir disparu. Il attrape son fils par le cou et le blottit contre lui-même, espérant que sa chaleur paternelle suffise. Il replonge dans les poils de Némésis et geint de douleur d'avoir perdu l'amour de sa vie.

Agravain n'était plus, Némésis lui a redonné vie, et à présent, Agravain plonge dans les abysses labyrinthiques du désespoir.