→ Stèle des Endormis

Ici se sont endormis...

Nachos
Althestan
Lymphalème
Pepper
Gabryël

Lorsqu'Athelstan reprit conscience, il laissa échapper un grognement léger, comme celui d'un louveteau tiré trop vite d'un beau rêve lorsque vient le temps de l'entraînement au matin. Comme ce genre de jour où l'on s'éveille plus épuisé que l'on ne s'est couché et où l'on donnerait tout pour rester encore un tout petit peu au creux de sa chaud tanière, sur son lit de mousse. A la différence près que les messages envoyés par ses sens qui s'éveillaient peu à peu l'informaient de tout sauf de la présence d'une couchette délicate sous ses flancs et ses pattes. Il ouvrit les yeux et fut ébloui par la blancheur alentours, en même temps qu'un frisson parcourait son échine alors que ses coussinets glacés se rappelaient à lui. Il lui fallut un instant et deux clignements de paupières pour essayer de comprendre la situation.
Mais où est-ce qu'il se trouvait ?

Il redressa la tête, vit danser des petites étoiles devant ses yeux. Ses derniers souvenirs étaient flous, comme s'il avait été... empoisonné. Ce fut une petite voix fluette et familière qui lui souffla ce mot à l'oreille en insultant quelqu'un. Pepper ! Des flashs d'une patrouille lui revenaient, était-ce possible qu'il se soit assoupi pendant son office ? Non, non, et puis il aurait été réveillé par la neige tombée qui recouvrait le sol d'une épaisse couche autour d'eux. Il se redressa sur ses quatre membres d'une manière qu'il avait connue plus gracieuse et son regard vairon se posa sur la petite silhouette bleue qui se trouvait non loin. Elle se tenait devant un petit loup qu'il ne connaissait pas en affirmant avoir capturé un lazuli. Faisant fi du fait que la situation n'avait que peu de sens - était-ce possible que malgré le froid qu'il ressentait, il se trouve simplement dans un rêve - il s'approcha rapidement de son apprentie. Elle paraissait aller bien, et comme lui son pelage était trempé de neige.

"Dame Pepper, tout va bien ?" Lança-t-il en la scrutant rapidement.

Mais elle ne semblait pas blessé ou malade, et bien au contraire débordait d'énergie. Le regard du grand loup glissa ensuite sur a petite boule de poils qui paraissait vouloir s'enfoncer dans la neige pour se camoufler - une tentative un peu vaine avec un pelage si foncé, il fallait bien l'admettre - et il ajouta :

"Qui est cet étranger ?"

Il y avait des chances que ce fut un louveteau perdu sur lequel était tombée son apprentie, mais l'odeur qu'il dégageait était étrangement... familière au Chevalier. Avec le froid ambiant, ses sens endormis et le parfum de chien mouillé dont ils étaient tous ornés à cause de leur séjour dans la neige, c'était difficile à dire. Mais asse zpour être intriguant.

Alys se sentait totalement dans les vapes. Le réveil avait été difficile, son sang lui était rapidement monté à la tête. L’alpha ignorait combien de temps ils étaient resté endormis, mais bien trop longtemps, encore un peu et son organisme était totalement empoisonné. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle le natté s’est éloigné le plus possible des Dents de Rocs pour ouvrir ses plaies afin d’évacuer le plus de sang dans la mesure du raisonnable. Ses blessures étaient maintenant entourées de bandages bien serrés, tachés de sang. Une clope au bec, le mâle était à la recherche de Siam, bien que ce dernier ne soit plus un enfant, le disciple de Dairo s’inquiétait pour son fils. Qui sait ce qui avait pu lui arriver durant leur sommeil ? C’est dans cet objectif qu’il se mit en tête de fouiller la Rougelande habité d’un sérieux mal de crâne.

La silhouette lointaine d’Althestan capta l’attention d’Alys qui décida de se rendre jusqu’à son frère qui visiblement n’était pas seul. Une boule de poils bleues sur-existé semblait s’acharné sur un nabot grisâtre. Que diable avait donc trouvé la jeune Pepper ? Cette gamine avait quelque chose qui amusait Alys, ce dernier était de toute façon trop sensible au charme des louveteaux, Siam en était la preuve incarné. Les pattes encore douloureuses, l’alpha se rendit aux côtés de son aîné, les sourcils légèrement froncés.

« — Althestan, tout va bien ?»

Bien que fatigué, Alys recracha une bouffée de fumée, ses yeux vairons posés sur les deux louveteaux. Pepper était plus qu’en forme, aussi le mâle ne s’inquiéta pas pour elle, en revanche, l’autre nabot avait la truffe dans le neige, étais-ce une attitude soumise ? Quelque chose chez le gamin titilla l’esprit d’Alys, pourtant il ne l’avait jamais croisé…

« — Qui donc es-tu gamin ? Tu dois mourir de froid.»

Bien que Alys n’appréciait guère les étrangers, c’était à un marmot dont-il avait à faire. Aussi, l’alpha retira son capuchon rouge et en couvrit le petiot. Les parents ne viendraient pas se plaindre qu’il ait choppé la grippe ou une idiotie du genre… Libérant une nouvelle bouffée de fumée, le mâle aborda un léger sourire sur ses babines.

« — T’as pas intérêt à t’enfuir avec mon capuchon, c’est clair ? Auquel cas je laisserais Pepper s’occuper de ton cas.»

Ce qui ne déplairait probablement pas à la petiote. Les prunelles vairons du mâle observèrent les alentours, aucune trace de Siam. Il y avait encore de nombreux endroits à vérifier, à moins qu’il ne soit rentré au camp…

Sa jeune apprentie s'empressa de répondre à sa question habituelle avec une telle ferveur qu'il ne douta pas un instant que tout aille bien pour elle. Les contours de la scène prenaient de plus en plus l'allure d'une réalité, et non d'un rêve, et il dut bien se rendre à l'évidence : il avait dormi pendant des mois. Etait-ce le début de l'hiver ou sa fin ? Par quel miracle Pepper et lui avaient atterri ici - ou encore ce petit lazuli qui n'y avait rien à faire - ? Pourquoi tous semblaient sortir d'une longue hibernation qui prenait fin par cette journée de ciel clair ? De nombreuses questions tourbillonnaient dans l'esprit du Chevalier, et malheureusement il dut se rendre à l'évidence que ni Pepper ni ce mystérieux petit loup gris ne l'aideraient à en trouver les réponses dans l'immédiat. Il était l'adulte de ce groupe, c'était donc à lui de prendre la situation en main - une tâche qui lui allait fort bien, après tout la petite louve bleue était sur le point de devenir son apprentie.

"Tu l'as déjà croisé sur nos terres, Dame Pepper ?" Demanda Athelstan en coulant successivement un regard circonspect sur les deux petits jeunes.

Au même instant, une odeur familière, suivie presque aussitôt d'une voix qui l'était tout autant, attira l'attention du Chevalier. Il tourna la tête et constata avec ravissement que ce n'était autre qu'Ays, son jeune frère et leur nouvel Alpha. Le tricolore fronça légèrement le museau en voyant les blessures bandées qu'il arborait et répondit :

"Je vais bien, je te remercie. En revanche ça n'a pas l'air d'être ton cas. Que s'est-il passé ?"

Au milieu de cette situation des plus étranges, voir quelqu'un de sa famille et de sa meute lui était étrangement réconfortant. Après tout, si Pepper et lui s'étaient endormis au milieu de la Rougelande, qu'avait-il pu bien arriver au reste des Etelkrus ? Au reste même des loups de Punk-Wolf ? Il se doutait fort bien qu'Alys ne serait pas arrivé en lui demandant simplement si tout allait bien si jamais lui seul s'était perdu dans ce si long sommeil. Cela lui rappelait une histoire dont Brienna lui avait parlé plusieurs fois lorsqu'ils étaient plus jeunes. L'histoire d'une louve qui se piquait à une aiguille maudite et s'endormait pour cent années, jusqu'à ce que son bien-aimée ne parvienne à franchir la barrière magique qui l'entourait. La pensée de ce conte de fée lui arracha soudain un frisson qui n'était en rien lié au froid. Et s'ils avaient dormi plus longtemps que simplement quelques lunes ? Des années ? Des décennies ? Il préféra ne pas trop y penser pour l'instant. Les guérisseurs sauraient certainement dire au retour du printemps si tant de temps s'était écoulé.

"C'est un jeune Lazuli que Pepper connaît, du nom de Lymphalème." Ajouta-t-il ensuite à la question de son frère, conscient que le petit qui n'avait presque pas prononcé un mot serait très certainement trop intimidé et frigorifié pour parler s'il savait à qui il devait s'adresser. "D'ordinaire je serai étonné de le voir dans les parages... mais j'ai l'impression que de bien étranges choses ont eu lieu, cher frère. As-tu... dormi toi aussi ?"

Il regarda avec un acquiescement léger du museau le geste d'Alys envers l'étranger. L'alpha n'était pas le plus sage des loups ni le plus emprunt au calme à toute épreuve - mais après tout, leur père au tempérament de feu était bien loin de l'avoir été lui aussi -, mais il portait haut et avec fierté les valeur de leur famille. L'honneur, la loyauté, la protection de son prochain. Athelstan était profondément fier de lui, comme il l'avait été d'Elaine à sa nomination.

L’attention d’Athelstan se porta sur les blessures pansées de l’Etelkrus qui renifla, quelque peu mal à l’aise de cette soudaine attention. Jamais il n’avait donné de précisions sur les blessures qu’il s’infligeait afin de préserver son pouvoir, bien que qu’il s’agissait de son frère, Alys ne comptait pas encore vendre la mèche sur la véritable nature de son pouvoir. D’ailleurs envisageait-il de révéler le cadeau empoisonné de Dairo ? Probablement pas, le secret serait emporté dans la tombe, comme beaucoup d’autres…

« — Rien d’important, ne t’en fais pas. »

Dormi. Le mot « hiberner » conviendrait mieux… Alys ignorait à quoi s’était encore une fois amusés les dieux, mais leur petite plaisanterie avait bien failli lui coûter la vie. D’ailleurs, il était encore bien trop tôt pour savoir si personne n’avait été blessé durant cet événement. Au moins, c’était rassurant de savoir qu’il n’était pas seul.

« — Oh que oui… Je me suis réveillée aux Dents de Roc, j’étais à la recherche de Siam…»

Siam qu’il n’avait d’ailleurs toujours pas trouvé. Par les dieux où étais encore passé cette intenable boule de poils ?! Le mâle posa alors son regard sur la jeune Pepper, retenant son envie d’exploser de rire. Le capuchon royal… Bah dit donc, elle était bien bonne celle-là ! Bientôt, sa tignasse serait appelée la coiffe royale… Athelstan ne devait pas s’ennuyer avec une gamine pareille en tant qu’apprentie ! En parlant de gamins, l’attention du disciple de Dairo se rapporta de nouveau sur la petite larve couché dans la poudreuse. Les oreilles d’Alys remuèrent en entendant la requête du petit, puis son museau remua légèrement en entendant le dénommé Lymphalème se présenter. Fils de Brienna, sa soeur adoptive. Cela faisait donc de ce gamin son neveu adoptif ? Bon sang, que c’était le bazar dans la généalogie familiale !

« — Aïe… Alors là, c’est clairement pas bon… »

Bien que voir la progéniture d’une de ses soeurs enchantait Alys, ce lardon était également le fils d’un des deux alphas Lazulis, les Etelkrus pourraient très bien être accusé de kidnapping si ce gosse avait fugué de chez lui. Redressant la tête, le disciple de Dairo décida de se présenter en bonne et due forme.

« — Je suis Alys, un des alphas Etelkrus et également le frère de Brienna. »

Un léger nuage de fumée blanche s’échappa de sa gueule lorsqu’il prit la parole, ce froid s’était clairement pas possible.

« — Pour le moment je ne puis totalement répondre à ta requête, étant donné que tu es le fils d’un des alphas Lazulis, je m’en voudrais de causer un incident diplomatique basé sur un malentendu. » Alys marqua une courte pause. « Toutefois, compte-tenu des événements récents, nous allons te ramener à notre camp, tu seras sous ma surveillance jusqu’à ce qu’il nous soit possible de rencontrer ton père.»

Ce qui ne devrait plus trop tarder si Cassandre et lui parvenaient à se mettre d’accord — bon au final ce n’était pas si gagné que ça…—. Secouant sa tignasse noire, Alys observa les deux louveteaux, un sourire amusé étirant ses babines.

« — Allez, rentrons. Pepper, je compte sur toi pour aider Lymphalème à s’installer. »

Le temps qu’on sache quoi en faire… En attendant, Alys comptait bien s’occuper du mieux que possible du louveteau. Le fils de Méléagant porta son attention en direction de Athelstan, tentant de savoir ce que son frère pouvait bien penser de tout cela.

Athelstan eut le droit à un véritable ascenseur émotionnel durant les minutes qui suivirent ses dires. Et pas des plus agréables, cela alla sans dire. Pepper lui apprit qu'en effet, le petit loup gris était déjà venu, apparemment pour chercher des informations sur les glowsticks. Une réponse qui le fit tiquer, car cet inconnu était un lazuli. Il aurait tout aussi bien pu s'adresser à ses parents ou aux prêtres de sa meute, puisque si les dieux étaient certes différents mais le principe était sensiblement le même - ou alors le Chevalier était passé pendant des années à côté d'une information plutôt cruciale. Ce détail ne sembla pas marquer son apprentie cependant, et il ne put s'empêcher l'ombre d'un sourire lorsqu'elle s'offusqua en racontant que le petit loup avait passé une patte... à travers ses oreilles ! Toutefois, il était d'accord sur le fait que cette manoeuvre, d'autant plus sur une petite louve aveugle, n'était pas faire montre du plus grand respect.

"Je te crois sur paroles, et j'espère qu'il s'est excusé de ce geste, en bon gentiloup."

Il lança un regard entendu au petit loup gris. Ce fut ensuite son frère qui prit la parole, et qui visiblement libéra celle de leur inconnu junior. A cet instant, Athelstan était dans un état d'esprit plutôt positif. Amusé et attendri par son apprentie, emprunt d'un sentiment de fierté comme à chaque fois qu'il voyait son frère nouvellement nommé. Et cela aurait pu durer un bon moment encore, si le dénommé Lymphalème n'avait pas pris témérairement la parole pour se présenter. En d'autres temps, le Chevalier tricolore aurait tilté sur le fait qu'un si jeune individu décide soudain de changer de meute. Il n'avait pas encore l'âge de décider de telles choses sans ses parents, et doutait fort qu'avec de tels parents la décision eût été de le laisser s'en aller tout seul. Mais ce fut l'identité desdits parents qui lui fit l'effet d'une douche glacée et l'empêcha de prêter toute l'attention qu'elle méritait à la suite des propos qui se tinrent.

Fils du chef lazuli Astaroth et de Brienna.
De. Brienna.
La bouche du grand loup s'assécha d'un coup, alors que son expression se décomposait légèrement. Ses muscles se crispèrent et il demeura figé. Quelque-part au fond de lui, quelque-chose venait d'être brisé sans qu'il ne s'y attende. Quelque-chose qui était sans doute un rêve, un rêve bien caché depuis trop longtemps et qui ne se réaliserait plus jamais. On disait souvent que les rêves étaient un moteur, même irréalisables. Qu'ils permettaient de se dépasser, d'avoir une véritable ambition, un but dans l'existence. Mais Athelstan avait visiblement oublié un détail : qu'il ne fallait pas forcément s'accrocher à l'idée qu'ils étaient réalisables. Et la petite silhouette grise, sur laquelle il posait soudain un regard complètement différent, était l'incarnation des morceaux de son rêve envolé.

Il entendit Alys lui proposer de venir avec eux au camp Etelkru le temps que tout le monde comprenne ce qui s'était passé - et dût bien avouer qu'il espérait que ce ne serait pas le cas - et lorsque son frère se tourna vers lui, il comprit qu'on attendait sans doute de lui qu'il se propose pour aller prévenir la meute adverse. Parmi sa fratrie, Athelstan était particulièrement proche de deux de ses soeurs : Elaine et Brienna. Il paraissait donc tout naturel qu'il aille de son propose chef établir un contact avec les lazulis pour la prévenir que son fils était hébergé là-bas.
Mais par tous les dieux, qu'il avait envie de faire strictement l'inverse.
Il ne savait pas trop s'il avait envie de hurler ou de s'effondrer en sanglots. Aucun de ses comportements n'était bien digne d'un Chevalier cependant, et il sut garder contenance, même s'il était évident que la chaleur dont il avait fait montre quelques instants auparavant s'était complètement envolée. Il s'éclaircit rapidement la gorge, pour laisser entendre le moins possible combien sa voix était devenue blanche, et finit par lancer :

"Je m'en vais arpenter les terres pour trouver d'autres d'entre nous. Si j'en ai le temps, j'irais jusqu'aux terres Lazulis pour les prévenir."

Il ne laissait aucunement le temps à l'un des présents de protester et fit volte-face sans mot dire, avant de filer dans les hates herbes. Un spectateur attentif aurait vu quelques larmes discrètes s'échapper de son museau alors qu'il courait à en perdre haleine, sans exactement savoir jusqu'où ses pas le mènerait.