De l'arbre où tu t'étais pour la première fois levée de ta seconde vie, au fond du cimetière, tu étais partie.
Tu avais marché sur ces terres, peut-être un jour entier, laissant tes pattes infatigables t'emmener errer sur toutes les terres. Tu avais regardé ces territoires inconnus, senti ces corps aux odeurs inconnus. Découverts, au fur et à mesure des endroits, les porteurs d'un fragment de ta Malédiction. Celle que toi, tu avais porté toute ta vie, qui t'avais plus encore empêché de vivre. Il n'y avait eu que la mort et ta résurrection pour te libérer de ce Mal, goûter de loin à cet actuel ersatz de bonheur. Tu pouvais désormais être heureuse, Capricorne.
Au lieu de ça, voilà que tu préférais laisser ton lourd regard se poser sur ces deux corps là, ceux étendus dans ce lieu de fin du monde. Pourquoi s'endormir ici ? Là où le gouffre pouvait les emporter, là où la fumée blanche pouvait les asphyxier, là où la fin elle même semblait vouloir cueillir les vivants.
Restant de vie entre les ruines que ces deux-là, ces deux loups bruns aux noms de Maria-Elena et Teddy.
Tu t'en approches, t'assoies à côté d'eux. Ton faux battant se glace un peu, alors que vient toute cet introspectif questionnement, incessant, qui prenait la place de ta futile respiration.
Qu'ils ont de la chance...
Tu les regardes dormir, d'un regard où s'oublie les sentiments. Comment en éprouver, pour des êtres que tu ne connais pas ? Tu ne savais d'eux que votre sang commun, une unique goutte rouge parmi tant d'autres que vous aviez à l'identique. Ils étaient les lointain(e)s fils et fille de ton demi-frère, Anthem. C'est de lui, que descendait encore les porteurs de la malédiction de Toutankamon (si tu te souvenais bien), de lui, dont venait les descendants perpétuant cette tradition d'accouplement.
Toi, tu n'avais fais cette erreur : tes entrailles n'avaient connus d'enfants. Il en était mieux ainsi, tu ne regrettais pas de ne pas avoir été mère.
Pour toi, il aurait même fallu ne point continuer à affliger à d'innocentes âmes, celles qui ne connaissaient pas encore ce qu'était la vie, la malédiction. Telle aurait été la solution, pour l'évincer... Stopper votre lignée. Être assez fort pour ne point étendre plus le sang.
Pour ne plus que quelqu'un ne souffre autant que toi...
Oui, qu'ils ont de la chance...
Pourtant, des dizaines d'années plus tard, subsistait encore des enfants de Toutakamon.
Ces deux là, par exemple, parmi d'autres que tu avais pu croiser sur cette terre. Étaient-ils maudits, eux aussi ? Tu cherchais la façon dont aurait pu être représentée ce fardeau, chez ces deux loups (père et fille, oncle et nièce, tu ne savais pas, leur ressemblance floutant les liens pour un regard trop extérieur, tel que le tien).
Peut-être avaient-ils été oubliés par celle-ci. Peut-être que le temps et le mélange de sang nouveau avait permis à la colère des dieux de se diluer au point de disparaitre, de n'être plus que le souvenir d'une erreur passée dont on n'avait plus à payer le fardeau, surtout avec la restructuration de ce monde. Ils n'avaient avec toi plus rien en commun : pas ton mauve poil, pas même les couleurs de ton demi-frère, les autres lignées ayant comme pris le pas sur la votre.
Tu le souhaitais, au fond, qu'il n'ait plus rien en commun avec vous.
Car les générations passant, finirait par ressortir un enfant au sang aussi sombre que le tien. Noir, trop noir, plus noir que ceux de toute autre génération. Ceux porteurs de la malédiction elle-même, et non pas d'une simple manifestation de celle-ci.
Tu fermas les yeux.
Baissas ton museau.
Les Maudits.Depuis quand, l'un d'eux n'étaient venu au monde ? Leurs enfants, à eux, aux autres, seraient peut-être les prochains.
Cette pensée glace ton cœur qui ne bat plus que pour le souvenir d'avoir un jour vécu. Alors tu te redresses, quitte les corps endormit, cesse de porter tes yeux sur eux. Ton regard s'en détache, pour fixer une âme elle aussi revenue.
Qui, elle aussi, te glace à sa façon.
Tu avais entendu ces pas, avait deviné sa présence, mais n'avait pu imaginer surprendre un poil blanc aux marquages familiers.
Qu'elle lui ressemblait, à Lui, lorsqu'eux ne ressemblaient à toi.Tu ne dis d'abord rien, garde tes yeux vides sur elle. Puis tes oreilles s'agitent, une fois en avant, une fois en arrière, pour mieux s'immobiliser ainsi. Elle éveille quelque chose en toi, cette louve à qui tu te dois alors de demander, sans plus de détour. Tu n'es de celle à tourner autour du pot, à inutilement discuter : l'essentiel, il faut vite y courir, pour ne pas l'oublier.
«
Tu... Tu me le rappelles. Lui. Dockelgang. »
Lui, dont tu t'étais refusé à suivre la lignée. Lui, que tu recherchais sur ces terres sans espoir ni désespoir.
Lui, que tu ne retrouverais sans doute pas davantage qu'à travers elle.
Mais qu'ils ont de la chance, de ne pas marcher à côté de leur vie.