Que reste t-il ? ○ Roxx

Artëmis avait quitté le cimetière sans un mot pour les autres éveillés. Ce n'était clairement pas auprès d'eux qu'elle aurait pu trouver une réponse. De toute façon elle n'avait cru reconnaître aucun museau ni voix. Peut-être certains se connaissaient-ils ? Mais la première impression de la Bêta Acid était qu'ils étaient une bande éparses de loups de tout temps. Cette idée avait germé a mesure qu'elle croisait d'autre fantômes hors du cimetière : des pelages plus émaciés ou plus salit de terre, des loups plus hagards que d'autres. Certaines morts devaient dater de bien longtemps. Bien sûr il lui était impossible de comprendre la ligne temporelle, d'autant plus qu'elle ne reconnaissait rein ici. Si encore elle avait pu voir les fontaines des Dieux ravagées par la végétation ou un petit cours d'eau devenu rivière, elle aurait pu estimer les années passée six pattes sous terres. Mais non, rien ne faisait monter en elle d'autres souvenirs que ceux, terribles de la perte de ses enfants ou de sa propre mort. Un frisson parcouru l'échine de la femelle grise alors qu'elle trottait à la recherche d'odeurs ou de paysages connus. Aucune fatigue ne venait empoisonner ses muscles, tout comme rien ne venait titiller sa truffe. Tout si lui semblait si fade. Les couleurs sombres relevées par ci par là par la caresse diaphane de Dame Lune, les fragrances si tenues et le vide immense qui dominait sa poitrine là où aurait dû s'affoler son myocarde.

S'il restait une chose de sûre dans ce monde-ci, c'était bien qu'elle était morte. Ce n'était pas une résurrection magistrale qu'on leur offrait, à elle et aux autres macchabées. Ils étaient là comme des fantômes essayant d'hanter les vivants tandis que les vivants dormaient à poing fermés et que rien ne semblait pouvoir leur ouvrir les paupières. Artëmis se sentait si impuissante ! Et elle avait horreur de ça. La belle femelle aux longs cheveux roses accéléra le pas, toujours en quête d'un signe qui la mènerait chez la Tigresse. Les Dieux, forcément, pouvaient les aider. Ses yeux pâles finirent par rencontrer des points blanchâtres au milieu d'arbustes et de plantes grimpantes. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre qu'il s'agissait là de pierres détruites, de morceaux de murs rongés doucement par Dame Nature. Des ruines ! Retrouvait-elle enfin quelque chose de connu ? S'il s'agissaient bien des Anciennes Ruines de son époque, alors la temps les avez lourdement atteintes. Depuis combien d'années ou même de décennies la louve cendrée avait-elle bien pu disparaître ? Cette vision ne l'enchantait guère. Si la disciple de Moiro avait eu un espoir de retrouver des Endormis aux visages familiers, il lui semblait désormais impossible que ce soit la cas. Au mieux d'autres âmes errantes comme elle. peut-être devait-elle retourner au cimetière ? Après tout, peut-être que Ryoh y serait ? Ou ses petits devenus grands ? Non. Elle n'était pas du genre à faire marche arrière, et puis, elle l'aurait senti non ?

Le trou béant de son coeur aurait sûrement frémit quand même, si ses proches avaient pu être là aussi. Oui, elle ne doutait pas de sa foi et de son instinct. Pour le moment, elle devait trouver la fontaine de la Divinité rose. Pourtant, Artëmis se sentait attirée par ces ruines, derniers vestiges de sa vie passée ou du moins, le croyait-elle. Elle s'en approcha donc, pour les étudier de plus prêt. Un crissement sous sa pattes lui indiqua qu’elle venait de marcher sur un morceau de verre. Ah non. De vitrail. Elle ne l'avait pas vu sous ces quelques feuilles mortes. Repoussant ce qui le recouvrait, la lune pu le dévorer de sorte que des reflets de couleurs chatoyantes dansèrent autour d'elle. Si on pouvait trouver nombre d'objets d'un temps révolu, souvent cassés parfois à peine abîmés, la femelle aux longs cheveux ne se rappelaient pas avoir déjà vu de telles pièces de verres colorés aux Anciennes Ruines. Elle était donc ailleurs, dans les vestiges d'un autre bâtiment, probablement tout aussi ancien... Ou peut-être pas ? Elle ne savait plus. Le museau de la louve se fronça de dépit. Elle n'aimait pas cela, elle n'aimait pas manquer de contrôle sur une situation pareille. Un peu de rage, elle tapa dans le bout de vitrail et le brisa en de plus petits éclats. Le verre entailla ses coussinets et une étincelle d'espoir revint chuchoté dans ses entrailles. Mais aucune perle de sang ne vint colorer son poil gris et aucune douleur ne lui arracha de grimace. Non, elle n'était définitivement plus qu'un fantômes malheureux parcourant un monde sans intérêt.

Artëmis gronda pour elle-même, la colère surplombait de loin toute autre émotion. Pourquoi l'avait-on sortie de sa tombe pour lui donner cet ersatz de vie ? Elle ne ressentait rien, pas la faim, pas la fatigue, pas la souffrance, pas même le besoin de respirer ! Ce n'était que par réflexes habituels qu'elle emplissait ses poumons ou ouvrait la bouche pour mieux sentir. Les crocs serrés, la belle Acid se désintéressa des ruines. Elle observa le ciel pour retrouver la ligne qu'elle suivait avant de marquer une pause inutile et une fois son objectif retrouvé, elle pourrait courir à nouveau en ligne droite, jusqu'à trouver autre chose de peut-être plus parlant... Comme une déesse ? Qui accepterait de lui répondre. Ce qui n'était pas non plus gagné ! Agacée, la farouche femelle se retourna donc vers sa destination première pour y trouver une femelle haute en couleur. Qui était-elle ? Pourquoi venait-elle l'embêter maintenant ? Il s'agissait d'une autre réveillée, elle le voyait bien. Mais du reste, elle ne reconnaissait ni sa frêle carrure, ni les marques ou couleurs de son pelage. Une totale inconnu donc, et les Dieux savaient comme elle n'aimait pas spécialement perdre son temps avec eux... Méfiante, la Bêta attendit que l'autre s'approche, sur la qui-vive. Ses oreilles pivotèrent d'arrière en avant et sa longue queue touffue dissimulant un dard de scorpion se leva un peu, comme un avertissement silencieux, tandis que ses prunelles pâles jaugeait avec froideur la nouvelle venue.

Après moult aventures, les pas de Roxx finirent par la mener en un lieu qui lui était vaguement familier. lors qu'elle avançait en trottinant avec énergie dans de larges plaines à la végétation de moins en moins dense, de hautes silhouettes apparurent à l'horizon. Elles se découpaient en noir sur la grande dame blanche qui régnait dans le ciel, et s'avérèrent aisément reconnaissable : des ruines. Leur vision surprit la petite louve claire, car elle n'avait jusque là croisé que la Savane comme lieu qui lui rappelait quelque-chose. Ses souvenirs lui revenaient petit à petit, elle rassemblait les pièces du puzzle de ce qu'avait été sa vie. Et elle se souvenait de ruines dans les terres qui avaient été les siennes. Un drôle d'endroit où l'on trouvait des bâtiments à demi-détruits renfermant parfois des trésors fort intriguants. Comme la majorité des loups de l'époque, Roxx n'avait pas spécialement cherché à comprendre d'où elles pouvaient venir - certainement pas de loups car aucun d'entre eux n'avait jamais fait montre de telles capacités en maçonneries. Mais finalement, peut-être y aurait-il mieux valu s'y intéresser d'avantage si elles avaient survécu au temps et recelaient une clé qui lui permettrait de revenir en son temps.

L'esprit de la solitaire, par un étrange biais, voyait la quête de compréhension des phénomènes étrange au coeur desquels ils étaient réapparus comme une sorte d'épreuve. Et à la fin de cette épreuve, elle retrouverait sa vie, sa famille, comme si de rien n'était. Cette idée avait fait son petit bout de chemin dans sa tête à mesure qu'elle se promenait seule - ou pas - sur Punk-Wolf. Les loups qui s'étaient éveillés étaient peut-être de ceux qui avaient une seconde chance. Ils résolvaient le mystère, et on effaçait leur mort pour leur donner une seconde vie. Ils avaient supposé être dans le futur, mais pourquoi ne seraient-ils pas dans le passé ou même sur une autre réalité pour passer cette épreuve ? Elle aimait bien cette idée alors inconsciemment, elle s'y accrochait. Avoir un objectif lui permettait de mettre de côté les petits côtés un peu effarants de sa nouvelle condition.

Elle accéléra donc l'allure et fila en direction des ruines. Malheureusement, à mesure qu'elle s'en approchait, celles-ci lui devinrent de moins en moins connues. Quand elle ralentit en approchant, une petite moue déçue s'était dessinée sur son museau. Ces pierres blanches n'étaient décidément pas ce qu'elle avait connu de son vivant. Elle se mit à marcher à petits pas entre les briques brisées et les restes de murs. Un bâtiment immense s'était visiblement trouvé là un jour, car certaines bribes d'étages montaient très haut, et le dessin des ruines s'étendait sur une grande surface sur cette terre morte. Alors que ses yeux tentaient de repérer où elles s'arrêtaient, une silhouette entra dans son champ de vision. Ses yeux s'allumèrent joyeusement et elle redressa soudainement la tête.
La louve aux cheveux roses.

Sans hésiter, Roxx bondit vers elle et s'approcha à pas dansants, un grand sourire étirant son museau. Elle observa rapidement le regard glacé que lui jetait l'inconnue, mais après tout elle n'avait pas eu l'air d'apprécier la compagnie des éveillés du cimetière, donc ce n'était pas foncièrement étonnant. Et puis Roxx était une bonne pâte, elle avait l'espoir de pouvoir l'amadouer et peut-être lui demander pourquoi elle seule s'était échappée sans mot dire. Etait-elle même une Eveillée elle aussi ?

"Salut !" Lança-t-elle avant d'arriver à son niveau, même s'il était claire que la louve grise l'avait vue. "Je t'ai vu partir au cimetière, alors je t'a suivie. Tu sais ce qu'il se passe ?"

Elle s'arrêta à quelques distances et ajouta :

"Je suis Roxx ! J'étais solitaire avant... avant tout ça."

Apparemment, maintenant ils l'étaient tous.

La louve en face d'elle semblait bien... Joyeuse. Comment pouvait-elle se montrer si positive dans un moment pareil ? Ils étaient morts et revenaient sans raisons apparentes dans un temps inconnu parmi des comateux inconnus et qui plus est sur des territoires complètement inconnus ! Bon sang. Pourquoi n'y avait-il rien ici pour stimuler sa mémoire et donner une once d'espoir quand à ce qui les avaient ramenés ici et maintenant ...? Un éclat attira son regard alors qu’elle surveillait l'arc-en-ciel à pattes s'approcher avec trop d'entrain. Mais le danger pouvait-être partout et le jolie femelle aux cheveux roses refusa de prêter trop d'attention à cet éclair miniature : elle devait rester sur ses gardes face à l'autre, qui venait à sa rencontre en bondissant comme un louveteau bienheureux. Celle-là ne semblait pas perturbée, ou apeurée par leur nouvelle condition physique. En savait-elle plus que les autres ? Artëmis plissa le museau, silencieuse, tandis que l'autre la salua avec une sympathie non dissimulée. Mais qui était-elle ? Pourquoi se la jouer si jovial ? Était-elle censée la connaître et sa mémoire encore embrumée lui refusait un éclaircissement ? Ce serait étonnant. La disciple de Moiro n'aurait pas pu zappé une femelle à l'allure si... festive et optimiste. Pas vrai ?

« Suivie ? »

Oh. Une stalkeuse extirpée de sa tombe donc. Parfait. Les oreilles de la grise s'agitèrent, mais l'inconnue qu’elle qualifierait presque de passive agressive avec son enthousiasme trop... Trop, s'arrêta à une distance respectable et ne montra aucun signe de nervosité ou de peur. Elle était calme et confiante. Comme si elle ne craignait rien, comme si elle estimait que rien ne pourrait lui arriver. La Bêta s'en sentit un peu vexée avant de réaliser que toute façon, puisqu'elles étaient des revenantes n'ayant nullement besoin de manger ou de reprendre leur souffle, il était peu probable qu’elles puissent se faire quoi que ce soit... Agacée par cette constatation, Artëmis haussa les épaules avant de répondre d'une voix moins sèche que ce qu’elle prévoyait de base :

« Non, mais j'espère bien trouvé une explication. Ce n'est pas l'ordre naturel des choses. »

Et elle n'appréciait pas se sentiment de se sentir vide, inutile et dans le flou. La grise releva le museau face à la solitaire qui se présentait. Vraiment, vraiment, parfait. Une stalkeuse hippie et marginal en plus. Niquel. Roxx donc. Un prénom court et percutant. Qui seyait plutôt bien à une femelle pétillante et explosive comme elle semblait l'être. Ses parents avaient-ils eut la truffe creuse à son propos ? Peu importait ces soudaines considérations. Artëmis n'était pas là pour perdre son temps. Il fallait comprendre ce qui se passait. Toutefois, et même si la femelle cendrée n'avait de respect pour que sa meute, elle décida de rendre la politesse à la colorée petite louve. Sa queue de scorpion retomba lentement, signe d'une méfiance moins accrue.

« Je suis la Bêta Acid, Artëmis. Enfin... J'étais, je suppose. »

Le sourire légèrement teintée de morgue de la louve se fada sur son museau tandis qu'un nouveau reflet attira ses iris clair. Deux fois déjà ce truc clignait dans son champ de vision, alors elle se leva pour observer de plus près ce phénomène... Mais il ne s'agissait que d'un morceau de vitrail qui parfois, renvoyant un rayon de lune directement dans ses yeux. Fichues ruines.

« Pourquoi tu m'a suivie ? »

Reprit la disciple de Moiro pour la solitaire. La surveillait-elle ? Peut-être que certains des éveillés n'en étaient pas et surveillaient les autres ? Roxx cachait-elle quelque chose ? En savait-elle plus que ce qu’elle voulait bien faire croire ? Ce n'était pas parce qu’elle était morte, ressuscitée et passablement immortelle qu’elle allait se laisser avoir par n'importe qui ou n'importe quoi ! Non mais !

L'expression de la louve grise, lorsque Roxx l’interpella, ne fut clairement pas aussi joyeuse qu'aurait pu l'espérer notre petite et joviale solitaire. Elle paraissait méfiante, et tiqua aussitôt lorsqu'elle découvrit qu'elle avait été suivie. D'une certaine manière, c'était quelque-chose que la blanche pouvait comprendre - même si, au fond d'elle-même, elle avait acquis suffisamment d'expérience durant sa vie hors de toute meute pour pouvoir affirmer presque sans peine qu'elle, on ne l'avait pas suivie - son désarroi, d'une certaine manière, et passa sur le regard froid et le ton pas beaucoup plus chaleureux qu'elle employa à son égard. Elle avait croisé le chemin d'une louve violacée et cornue, qui n'était pas non plus très expressive. A croire qu'elle les attirait. Peut-être était-ce là un indice, qu'elle fut la seule à avoir gardé sa joie de vivre ? Elle garda cette pensée, à la fois amusante et réconfortante, dans un coin de son encéphale.

Elle s'appelait donc Artëmis, un nom qu ne disait absolument rien à Roxx. Mais elle savait bien que sa mémoire n'avait pas encore retrouvé toutes ses connexions, et ne désespérait pas que les rencontres qu'elle faisait se rattachant soudain à quelques myriades de souvenirs qui n'avaient pas encore eu le temps d'être dépoussiérés. Elle avait eu un rang élevé dans la hiérarchie de sa meute, Bêta, et se présenta comme telle. La solitaire se demanda brièvement si elle avait trouvé la mort à son poste, dans une bataille ou pour une autre raison, puisqu'elle paraissait toujours se considérer comme telle. La question était encore un peu trop indiscrète pour le moment, jugea la petite blanche en la rangeant soigneusement mais sans l'oublier. Elle suivit le regard de la louve aux cheveux roses lorsqu'elle celle-ci redressa brusquement la tête, mais rien n'attira son regard. Hm. Etrange comportement.

A la question qui suivit, Roxx hésita un instant - un tout petit instant, certes, mais chez un être constitué en majorité de spontanéité comme elle, c'était quelque-chose de très notable - avant de donner une réponse. La réponse se trouvait d'ailleurs peut-être dans le fait qu'à ce moment-là, elle n'avait pas hésité. Cette louve paraissait si déterminée que son attitude avat été le seul repère de la petite blanche, ainsi qu'une excellente excuse pour s'éloigner de ce troupeau de voix graves et indubitablement masculines qui montait crescendo non loin.

Elle s'assit et répondit :

"Tu es la seule que j'aie vu faire autre chose que de tourner en rond en se demandant ce qui nous arrivait, alors j'ai pensé que tu avais des éléments pour comprendre. Donc je t'ai suivie."

Elle se dit qu'avec ces mots, elle pourrait peut-être trouver une sorte de connivence entre leurs objectifs - après tout, Artëmis avait clairement annoncé que son but était bel et bien de trouver la solution, même si en soi elle ne l'avait pas encore vraiment.

"Je suis passée dans la Savane en te cherchant," continua-t-elle, ses yeux turquoises effleurant le lointain duquel elle était venue. "Mais à part cela et le cimetière, rien qui ne rappelle les terres sur lesquelles j'ai vécu."

Elle soupira.

"J'ai cru que ces ruines étaient semblables à celles que j'ai connues, mais non. Es-tu là pour la même raison ?"

Parce que s'il y avait une chance pour que soudain, toutes deux se rappellent avoir un peu de vécu commun, elle n'allait pas cracher dessus. Un repère de plus dans ce monde étrange sur lequel on les avait éveillées ne serait pas de trop.