→ Serrure d'Ao [Terminée]

Il ne s'était pas mêlé aux autres, en réalité, il ne les avait même pas suivi. Il n'avait pas été le premier à arriver sur cette petite île tendant sur le misérable aux airs de cache de contrebandiers, il n'avait pas été le dernier, de ce fait, il avait vu une île qui commençait à devenir fréquenté l'être d'autant plus par une grande partie des fantômes vus dans le cimetière. Agacé par la mauvaise humeur visibles de certains et de la simplicité des autres, Sebastiane s'était écarté quelques temps de la totalité des groupes formés pour faire un point sur sa propre situation bien qu'elle était une copie parfaite de celles des autres : personne ne savait ce qu'il faisait là et personne ne connaissait personne, tout le monde cherchant le pourquoi du comment. Le mâle gris erra sur la plage pendant plusieurs dizaines de minutes ou plusieurs heures avant de se rendre compte que petit à petit, le nombre de fantôme présent avait drastiquement chuter. C'est lorsqu'il suivit une dernière âme présente jusqu'à l'entrée d'une grande d'où il entendait plusieurs voix qu'il comprit que la suite de l'aventure se trouvait ici.
Et elle ne l'avait même pas attendu. Sebastiane était depuis le début d'une inutilité déconcertante, pour un loup qui se disait serviteur des autres, c'était un peu honteux. Oh il pourrait jouer la carte de la mauvaise foi et argumenter sur le manque d'intérêt flagrant des autres spectres, ce qui était vrai pour une majorité, après tout, ils n'auraient jamais la prestance et l'importance de Bethléem à ses yeux mais il y avait une évidence plus flagrante, il n'avait pas d'importance à jouer dans cette histoire. Ah c'était un constat à vous filer le cafard mais finalement, heureusement pour le loup gris, il acceptait ce destin sans soucis, ne comprenant cependant pas pourquoi on s'était donné la peine de le faire revenir pour ça... peut-être était-il là pour servir de patte de secours en cas de problème.

Finalement, si Sebastiane finit par entrer dans la grotte, ce fut surtout par curiosité. Il ne s'annonça pas lorsqu'il se mélangea à la foule présente, n'étant même pas certain qu'on le remarque dans cette pénombre éclairée par la multitude de glowstick qui se ranimaient petit à petit. En face d'eux, une porte à plusieurs verrous et une voix qui leur implorait de l'aide. Bien qu'elle semblait féminine, ce n'était pas elle qui incita le mâle gris à rester, il avait beau être galant et gentilhomme, il n'était pas du genre à être héro. Non, ce qui l'incita à s'avancer vers un des verrous ce fut ce blizzard angoissant, cette sensation prenante qui faisait qu'on sentait qu'on ne voulait pas de vous. Le début de quelques crocs blancs s'afficha dans un sourire du mâle au haut-forme, être un individu indésirable, pourquoi pas. S'avançant en retrait vers la porte, il se dirigea vers le verrou le moins intense, que les autres aillent s'exciter sur les autres, ils étaient probablement de ce genre là. Le hasard fut qu'il semblait correspondre à Ao de par sa couleur et son dragon sculpté cependant ce fut sa seule fantaisie, le reste était effroyablement classique. Ah Sebastiane n'avait pas vraiment de compétence de crochetage, dommage.

C'était comme si d'un seul coup, son esprit fut emporter dans un rêve. Il se tenait là, devant la porte, un peu à l'écart et soudainement, plus rien, juste le noir, le vide et l'éveil d'une atmosphère gelée. Au-delà de ça, son cœur était lourd, douloureux, il connaissait que trop bien cette sensation qu'il avait à plusieurs reprise tenté d'atténuer sans pouvoir affirmer l'avoir fait disparaître. Il connaissait la vérité, il n'avait jamais réussi à le faire malgré l'alcool, malgré Bethléem... malgré la mort ? Comme des lames le lacérant, la tristesse l'envahit, tentant de l'anéantir. Plus aucun goût dans la bouche, juste une envie, celle de s'allonger là, dans le froid et attendre que la mort vienne le cueillir. Ah douce mort libératrice, c'était pour elle qu'il était là, c'était pour elle qu'il s'embêtait à suivre des idiots dans une grotte et c'était pour elle qu'on lui rappelait à nouveau ce que ça faisait de haïr la vie. Il ouvrit les yeux.

Le paysage qui s'étendait devant lui, il n'aurait jamais cru le revoir un jour. Une nuit grisée par la lune, l'ombre géante des résineux, un chemin de terre et de pierres durci par le froid, des montagnes à peine visible dans le lointain et une épaisse brume donnant un aspect lugubre à la scène. De sa gueule haletante s’échappait un filet de vapeur typique d'une respiration dans l'air glacé. Avait-il courut ? Oui, évidemment, forcément qu'il venait de le faire s'il était ici car la dernière fois qu'il avait posé les pattes sur ces terres, il fuyait un monstre. On était loin, très loin des territoires de punk-wolf, bien plus au nord, sur une terre aux divinités différentes, un endroit où les plus forts régnaient en maître, n'hésitant pas à écraser les êtres inférieurs sans la moindre pitié.
En face de Sebastiane, un chemin que la brume effaçait et derrière lui... il ne savait pas, c'était comme si ça n'existait pas. Il ne pouvait pas reculer, seulement avancer et il savait pertinemment vers quoi on l'emmenait. Il revenait sur sa terre natale, il revenait dans son passé.
Le mâle gris avança d'un pas décidé, il avait grandi, il savait à quoi s'attendre et pourtant... Apparu sur la route un premier cadavre, un jeune loup à qui la vie aurait probablement sourit si on ne lui avait pas tranché la gorge. Plus loin, un autre et encore un autre, toujours plus de morts, des canins assassinés froidement par un être au cœur si lourd et aux crocs si habitués qu'aucune véritable émotion n'émanait de l’œuvre. Sebastiane accéléra le pas, regardant à peine les morts gisant au sol, ses oreilles en arrière, il avait l'impression qu'on lui suivait. Les autres fantômes pouvaient-ils voir ce qu'il voyait à cet instant ? Se reconnaîtraient-ils dans une des trop nombreuses victimes ? Le mâle gris douta, il n'osa pas regarder en arrière, il accéléra jusqu'à se mettre à courir. Le final était une évidence alors pourquoi se torturer en traînant au milieu des regret ? Il était le corbeau, il était le maudit, c'était écrit sur chaque pierre que ses pattes foulaient, sur chaque cadavre laissé derrière lui. Il courut, courut, toujours plus vite, respirant à peine, oubliant qu'il n'avait plus à le faire jusqu'à arriver à cette immense demeure de pierres froides qui se dressait face à la route. Les gargouilles sur les toits semblaient  ricaner à son arrivée tandis le portail en fer forgé perçait le ciel de ses pointes agressives. Il avança au milieu de l'allée, ignorant les jardins bien taillés et poussa la grande porte du manoir.

L'intérieur était sombre, pas une bougie était allumée. La seule lueur provenait de l'entrée grande ouverte ainsi que des immenses fenêtres. Le hall d'entrée était vide, comme si le manoir avait été abandonné le jour même où il s'était enfui. Au fond, un escalier tapissait le mur pour emmener à des étages supérieur et à son pied, une silhouette canine se dressait à contre-jour, tenant entre ses crocs un autre loup. A son arrivée, l'animal se tourna légèrement vers lui dévoilant un œil rouge brillant dans le noir. Dressé sur ses quatre pattes, la silhouette de Sebastiane se découpait dans le sas de la porte, les deux êtres se fixant pendant quelques secondes.

« Bonsoir Père »

A peine eut-il prononcé ces mots qu'il s'élança vers le duo, arrachant à la gueule de l'agresseur, la pauvre poupée de chiffon qu'il voyait comme sa mère, se servant de l'élan pour planter ses crocs dans la gorge du loup à l'oeil rouge, le soulevant avec rage tandis que le sang de la plaie coulait le long de son menton, son cou et son poitrail, sa gorge grondante dans ce même accès de violence. Il avait déjà tué son père, son modèle, son géniteur une fois, le faire une deuxième fois ne changerait rien. Mais alors qu'il soulevait la masse suffocante, celle-ci traversa un rayon de lumière, dévoilant son apparence. Entre ses crocs, ce n'était pas celui qui l'avait élevé et demander de tuer sa mère qu'il tenait mais une réplique de lui même, plus jeune, le regard se vidant tandis qu'il s'assassinait avec rage.
Il avait haï la violence, il avait été une déception pour son géniteur à cause de ça et pourtant, pourtant, celui-ci avait tout de même réussit à faire de lui le monstre qu'il désirait. Il lui avait demander de tuer sa mère, il avait tué son père, s'en était suivi une longue série de meurtre sur demande jusqu'à ce qu'il croise la route de Bethléem qui n'était rien d'autre qu'un ange noir, la même créature qu'avait été son géniteur. Il avait promis de la servir comme il aurait du servir le maître de ces lieux. Dans ses yeux, la même lueur rouge symbole des enfers pendant qu'il resserrait les crocs sur son petit double, pressant le sang à se déverser plus rapidement. Il était le corbeau noir, l'oiseau de mauvais augure qui chante pour annoncer la mort. Malgré lui, son destin avait toujours été parfaitement tracé, il était le serviteur du mal, qu'importe la forme qu'il celui-ci prenait.
Et pour résoudre l'histoire qui concernait tout les fantômes du passé, on lui demandait de revenir dans ses souvenirs afin d'assassiner le louveteau qu'il avait été, ainsi avait toujours été le rôle qu'il devait jouer.

Petit à petit ce qui était entre se fit plus transparent, moins saisissable. Le sombre manoir s'effaçait dans une vision flou tandis que le sang qui remplissait sa gorge s'évapora, cependant le goût resta, il restait toujours. Dans sa tête lui vint alors l'idée absurde d'un chandelier qu'on aurait renversé, il n'avait cependant pas la moindre idée de ce que ça venait faire ici et pourtant, l'image lui sembla un instant importante, juste le temps que le flou du monde redevienne nette, laissant aux yeux le plaisir de voir le cauchemar se dessiner.
Le pelage du loup gris se hérissa légèrement à la constatation du monde, comme le commencement d'une boucle infernale, le début du rêve était exactement comme le précédent. C'était la même nuit de pleine lune, le même chemin grossier, les mêmes arbres perçant le ciel. A quelques mètres se dessinait dans la brume une silhouette noire étendue sur le sol.  Oh il savait pertinemment ce que  c'était, même sans la voir il pouvait la décrire, parce que ce loup il l'avait connu suffisamment pour le tuer mais aussi parce que la piqûre de rappel était encore extrêmement fraîche. Sebastiane jeta un regard à droite, à gauche, derrière lui mais... personne. Il était seul à nouveau face à lui même pour une pièce de théâtre dont il connaissait déjà la fin. Si ça se trouvait, c'était pour ça qu'eux, loups du passé, étaient revenus, pas pour résoudre un problème, pas pour accomplir un destin qu'ils n'avaient pu suivre de leur vivant mais pour être puni ? Ça avait du sens, pourquoi lui mettre le museau en plein cette vérité qu'il avait fui si ce n'était pas pour lui rappeler ses fautes.

Cette fois-ci il ne courut pas, du moins pas tout de suite bien qu'il gardait son regard fixé vers l'horizon pour ne pas avoir à regarder tout ces loups à la gorge déchiquetée et aux yeux vitreux de près. Cependant, au fur et à mesure du chemin, ses pas s'accélérèrent et il eut une petite flamme d'espoir que tout ça ne recommencerait pas. Il n'avait qu'une envie : quitter la vision de ses crimes,  tuer à nouveau le loup qui se dresserait devant lui et enfin finir cette épreuve. A nouveau la sensation oubliée par la mort des poumons qui brûlaient après une course folle, à nouveau le sinistre manoir et ses gargouilles qui se dressaient devant lui, à nouveau la scène douloureuse de ce souvenir où absolument tout avait basculé.
Il ouvrit la porte avec fracas, ne fit même pas attention aux silhouettes en face de lui, après tout, elles n'étaient qu'illusion, il les avait déjà tuer une fois dans le monde véritable. Seuls ses yeux rouges brillaient dans le noir lorsqu'il s'élança vers elle, esquivant la première pour saisir brutalement la deuxième par la gorge, exerçant la pression fatale, gouttant à nouveau le sang contre sa langue.
Un éclair de lumière, furtif, il crut un instant voir le visage de sa mère entre ses crocs. Etait-ce possible ? Il l'avait pourtant sauver, tuer son père pour qu'elle, puisse vivre. Mais son père lui avait dit de l'assassiner, avait-il obéi ? Etait-il devenu comme lui ? Ou n'était-ce que la fin de cette histoire qui changeait au fil des émotions... non pas la fin, le début