Un mauvais pas de trop ○ libre

« Un mauvais pas de trop...

« Jaxx & Joy & Jagh puis libre


Voilà maintenant plusieurs fois qu'il traînait sur le territoire des Etelkrus en effaçant ses traces régulièrement pour éviter que sa piste ne soit trop simple à suivre. Il devait avouer qu'il trouvait amusant de jouer à cache-cache avec les loups de meute, et en l’occurrence, l'une en particulier. Menant ses petites recherches, et grâce à l'un des sympathiques personnages de la Bibliothèque, plus enclin à partager son savoir que d'être attentif aux informations sensibles qu'il pourrait divulguer sur sa meute, avait laissé entendre à Jaxx que les objets lumineux étaient bien pourvu de magie et offraient à leur porteur une capacité extraordinaire donnée par l'un des Sept Dieux du Panthéon. Bien que Jaxx n'ai foi en aucune puissance supérieure, cela avait attisé sa curiosité. Il avait aussi enregistré que les couleurs dépendaient des meutes, ou peut-être que les clans dépendaient des couleurs ? Enfin bref, il avait déjà relié le rouge aux Etelkrus et le bleu aux Lazulis. Maintenant qu'il en savait davantage, il savait mieux où chercher. Ce même rat de bibliothèque lui avait raconté que Aka le Grizzli était la divinité de la force et du courage et que son temple -si jamais l'envie de prier le prenait-, se situait aux Dents de Roc, une grande forêt de conifères sur le versant Etelkru de la montagne. Comme la jeune louve beige était porteuse de cet étendard, il en avait déduit que ses chances de la croiser là bas serait au moins un peu plus élevées qu'ailleurs. D'où sa discrète venue.

Elle lui plaisait bien celle-là, et cette fois-ci, c'était son tour à elle de lui fournir un repas. C'était une sorte de défi entre eux depuis leur première rencontre. Enfin... c'était lui qui l'avait initié en lui dérobant un lapin... Mais depuis, elle lui avait piqué un faon, puis il l'avait recroisé un autre jour et lui avait volé un poisson qu'elle avait récupéré quelques semaines plus tard prêt du fleuve. Il venait donc chercher sa part aujourd'hui. Chaque fois les deux se toisaient, se défiaient, se mesuraient l'un à l'autre jusqu'à ce que l'un des deux lâche l'affaire. La plupart du temps, bien entendu, c'était lui qui avait le dernier mot. Cela dit, Joy se défendait de mieux en mieux et toujours avec plus de détermination et de provocation. Ce qui enchantait et même captivait beaucoup le jeune solitaire. Ayant grandi en fils unique et loin de tout autre louveteau, il n'avait jamais eu l'occasion de simplement s'amuser sans trop d'arrières pensées. En tant que paria et sans-meute, il fallait toujours se défendre ou ruser pour survivre. Là, avec elle, il pouvait simplement chahuter comme les adolescents un peu idiots qu'ils étaient encore. Bon, il l'appréciait sûrement plus que ce qu'elle pouvait bien l'apprécier, après tout, elle finissait souvent par mordre la poussière à un moment où a un autre. Peut-être bien qu'elle en avait un peu marre ? Peu importait ! Lui adorait ça. Et puis, si vraiment elle ne le supportait pas, il y aurait longtemps que la Garde l'aurait violemment repoussé et jeté hors de ses terres non ?

Ou du moins, vu qu'il doutait qu’elle puisse simplement et purement le pousser dehors de leur territoire, la femelle claire aurait appeler ses collègues à la rescousse ! Il en déduisait donc, qu'elle s'amusait au moins un peu en sa présence, si ce n'est carrément autant que lui. Un fin sourire carnassier étira ses babines alors qu'il gravit quelques dernières saillies rocheuses avant de passer la ligne imaginaire qui déterminait la fin des terres Lazulis et le début de celles de l'autre meute. Quelques heures plus tard, dans la forêt de sapins et de roches, Jaxx finit par tomber sur une patrouille Etelkru. Heureusement pour lui le vent était contre eux et il les sentit approcher. Il pu donc se mettre à couvert et observa les deux loups passer sans broncher. Pourtant, le regard d'or du solitaire scintilla lorsqu'il détailla l'un des deux Gardes, celui qui ne portait pas de glowstick : il lui ressemblait tant ! Un pelage blanc avec quelques traces de vert et des yeux d'or. Le doute ne lui était pas permis. Nola avait toujours dit que son père était un loup de meute, et vu la ressemblance frappante, ça ne pouvait être que ce mec là. Toute l'attention de Jaxx resta figée longtemps sur ce loup qui disparût finalement derrière les arbres avec son congénère. Le jeune blanc resta un moment là à s'imprégner de l'odeur de ce loup afin de le retrouver facilement. D'ailleurs, son cerveau tiqua parce que cela lui rappelait quelque chose, mais impossible de mettre la patte dessus maintenant.

Ses pensées tournait au ralenti. Quand le suivre ? Comment le voir seul à seul ? Que lui dire ? Depuis le temps qu'il cherchait à trouver son géniteur, voilà qu'il tombait dessus par le plus grand des hasards. Finalement, de longues minutes après le passage de la patrouille, Jaxx décida de se relever et de suivre leur trace. Il inspira et... C'était sans compter sur une lourde masse qui lui tomba dessus et l'écrasa littéralement au sol ! Trop obnubilé par ce qu'il avait vu, il en avait zappé toute prudence et n'avait pas remarqué la jeune femelle ayant grimpé sur le gros rocher derrière lequel il s'était tapi.

« Eh bien, on oublie de couvrir ses arrières ? »

Un rire doux sonna à ses tympans tandis qu'il reconnaissait cette voix mutine. Il aurait bien répondu vertement si son souffle n'avait pas été coupé par le choc et ses poumons totalement vidés... Il en était presque sonné et peina à se redresser. La jeune louve aux prunelles ambrées serra ses canines autour de l'échine du mâle blanc et vert qui ne pouvait donc se débattre sans sentir les crocs pointues se resserrer autour de son cou. Peu à peu le souffle lui revint douloureusement et il expira bruyamment pour grogner.

« C'est les... tiennes que je vais cou...vrir si tu ne me lâche pas ! »

Le regard doré du solitaire jetait des éclairs. Joy, appuyé lourdement sur son dos, se mit à rire à gorge déployée en lâchant se prise. Dans le même temps, son pelage fût parcouru de petites étincelles incontrôlables qui vinrent piquer le mâle en mauvais posture, d'un bond il renversa brutalement la disciple d'Aka en grognant avant d'à son tour lui bondir dessus pour la maîtriser. La vague de colère et son orgueil bafoué le firent confondre vitesse et précipitation. Aussi quand il se jeta sur la femelle sablée, elle profita d'être déjà sur le dos pour pousser de toutes ses forces le ventre tendre du solitaire qui valsa par dessus elle. Si la petite louve ne pouvait pas espérer gagner rapidement en force physique, elle s'était néanmoins entraînée à devenir plus souple, à être plus fluide dans ses mouvements et surtout à user du poids de l'adversaire pour le retourner contre lui ! Abasourdi, Jaxx ne se releva pas tout de suite, fixant avec hargne celle qui l'avait mis au tapis. L'Etelkru se releva prestement et épousseta son pelage de quelques coups de langue narquois. Elle avait gagné en confiance et en mesquinerie à son contact. Quelque part, au fond de son esprit fâché, l'idée que c'était à cause de lui qu'elle avait redoublé d'efforts lors de ses entraînements lui fit plaisir. Bien sûr, il était loin de se douter qu'il était loin d'être la seule raison pour laquelle Joy renforçait ses muscles et ses aptitudes : il n'était pas le solitaire que les Etelkrus craignaient le plus...

Un raffale de vent vint jouer dans les pelages des deux jeunes loups, apportant au mâle l'odeur de la disciple du Grizzli. Cette fragrance était différente, plus mature, plus entêtante, plus... Enivrante. Jaxx comprit vite pourquoi. La beige était désormais une jeune adulte, au même titre que lui. Il sentit son ventre se contracter. Son premier réflexe aurait été de la charmer, de la séduire et de se faire un peu de bien mutuellement. Il était loup de peu de scrupules n'est-ce pas ? En tout cas il n'en avait jamais eu auparavant. Hors, ce jour-là, face à elle, il se retint de tout commentaires aguicheurs, il refusa également que ses pattes ne le porte plus près d'elle. Quelque chose l'empêchait d'être aussi sournois avec Joy que ce qu'il l'aurait été avec une autre femelle. Elle lui plaisait bien, elle était intéressante, intriguante même et surtout, elle était ce qui se rapprochait le plus d'une amie en ce monde qu'il découvrait à peine. Depuis son arrivée sur les terres de son géniteur, elle était la seule avec qui il avait tissé une espèce de relation basée sur le jeu et la compétition. Il ne voulait pas prendre le risque de voir cela devenir étrange ou gênant ou batifolant avec elle. Et puis, elle était un peu jeune non ? Il s'agissait forcément de ses premières chaleurs, car elle semblait ne même pas réaliser le trouble dans lequel elle le mettait. Fébrile, il plissa le museau. Joy haussa un sourcil et son sourire s'élargit tandis qu'elle le piqua à vif une nouvelle fois :

« Eh bien ? Je te fais si peur que ça ? »

Victorieuse et confiante, elle s'approcha, le regard brûlant de provocation. Elle s'était durement exercer et voulait lui montrer qu'elle était désormais un adversaire de taille ! Enfin, pas littéralement, parce qu'elle restait plutôt fine et pas très haute mais, elle avait plus d'un tour dans son sac. Voyant que le mâle ne bougeait pas, qu'au contraire il fuyait presque son regard d'or, la fille d'Aka inspira sèchement, vexée, avant de sauter pour le bousculer. Jaxx la repoussa en grondant. Les hormones en ébullition de la femelle la rendait plus audacieuse qu'à son habitude, plus présomptueuse et imprudente, plus... Tactile. Il sursauta alors que la Garde vint se couler contre son poitrail et lui asséna une violente châtaigne en riant, malicieuse. C'en était trop. Il n'allait pas non plus se coucher devant une femelle, il était hors de question qu'il la laisse gagner et croire qu'elle le dominait d'une quelconque façon ! Plus bourru et rude que les fois précédentes, il l’attrapa au collet pour la repousser. L'adrénaline inonda les veines de la beige et elle se défendit avec sérieux. Les deux jeunes loups luttèrent plusieurs minutes. Des touffes de poils volèrent, des grognements se mélangèrent aux jappements. A mi chemin entre la chamaillerie et l'affrontement bestial, la louve de meute planta ses griffes dans les côtés du solitaire, tandis qu'il l'écrasait de tout son poids. Ils finirent par s'arrêter, tout deux à bout de souffle.

Jaxx avait entre ses crocs la cuisse où palpitait l'artère fémorale de l'Etelkru tandis qu'elle avait planté ses dents autour de la jugulaire à la naissance de son cou. Situation bloquée, ils se rendirent compte qu'ils s'étaient tout deux laissés emportés. Elle par son torrent d'émotion instable et incompréhensible, lui par la frustration et par la vanité. Il lâcha tout de même le premier, s'avouant vaincu pour la première fois. Le souffle court, il ancra ses orbes étincelants comme de l'or en fusion dans ceux, identiques mais plus fiévreux encore, de Joy. Il se jaugèrent un moment en silence. Alors qu'il reprenait de amples inspirations pour calmer son myocarde, les effluves entêtantes et presque ensorcelantes de la femelle captèrent toute son attention. Ses pupilles se dilatèrent un peu plus et son rythme cardiaque resta anarchique. L'Etelkru saisit enfin la confusion de Jaxx et inspira brusquement, tétanisée. Elle n'avait pas franchement peur de lui. Une certaine complicité les liaient, mais leur rixe précédente avait été motivée par plus que de la simple émulation ou un désir de domination amicale. Elle craignit qu'il ne profite de l'instant, de son épuisement ou de sa force brute à lui pour se satisfaire. Pourtant, il ne bougea pas d'un poil, alors même que ses prunelles ambré s'enflammaient. Elle ressentit ce regard comme galvanisant, et comme une infection, ses hormones en plein chaos propagèrent les braises dans les yeux du solitaire jusqu'à ses tripes.

L'instinct fit le reste, et les deux jeunes adultes ne résistèrent plus très longtemps à l'appel de la nature. C'était la toute première fois pour Joy, motivée par ses chaleurs. Et ce fût la seule fois où le solitaire au pelage blanc fût si doux et si attentif à sa compagne du moment. Comme si une part de sentiments encerclait son désir animal. Jamais auparavant, il n'avait eu envie de combler la femelle autant que lui, ou n'avait juger la louve comme autre chose qu'un simple moyen de se détendre et relâcher la pression, entre autres. Ensuite, posés l'un contre l'autre, ils laissèrent le silence s'installer. La fin d'après-midi vit le jour décliner tout doucement et il fût temps de se séparer. Jaxx n'avait pas osé émettre la moindre parole ironique. Il aurait pu, ne lui avait-il pas dit, lors de la première rencontre, que cela arriverait, ou même quelques minutes plus tôt ? Maintenant il se sentait embêté, une désagréable impression de culpabilité étreignait son esprit. Pourtant elle l'avait laissée faire, il n'avait pas abusé d'elle. Elle l'avait même encouragé ! Le menton posé sur ses antérieurs, le solitaire feignait le repos pour ne pas trahit son agitation soudaine. Plus il pensait au corps svelte allongé contre son flanc, plus il se sentait mal à l'aise. Bien sûr elle était jolie, elle était attachante et remarquable. Mais qu'avait-il fait ? Pourquoi n'avait-il pas refuser ? Il était certain, maintenant, que leurs dialogues s'en verraient changé.

Un mouvement contre son épaule lui fit lever la tête. Il observa la jeune louve au pelage de sable. Il était temps pour elle se rentrer auprès des siens. Il ne la retint pas, toutefois il ne voulait pas laisser l'embarras entaché leur début d'amitié et surtout, il ne voulait pas paraître confus. Aussi lança t-il d'un air faussement suggestif :

« A bientôt, petite étincelle.

Joy se retourna et hésita avant de répondre, un vague sourire flottant sur ses babines, apparemment, elle gardait une bonne impression de ce moment :

« Bonne soirée... Jaxx. »

C'était trop... Formel. Il pris cela pour un mauvais signe, mais il chassa cette déplaisante sensation dans un coin de son cerveau. La jeune louve s'enfuit dans le soleil couchant. Le solitaire fixa sa silhouette en contre-jour jusqu'à ce que ses yeux d'or ne rencontrent plus que le vide. Puis, à son tour, il se leva et fit quelques pas. Le blanc s'ébroua, s'étira et fit les cents pas quelques minutes. Il lui fallait se changer les idées rapidement s'il ne voulait pas être écrasé par le blâme qu'il s'infligeait lui même. Face à cette espèce de honte, mieux valait la fuite. Et il avait un objectif tout trouvé pour rapidement se vider la tête : il avait un loup à traquer. Sans plus attendre, le mâle entreprit de retrouver la piste olfactive de celui qu'il était persuadé d'être son géniteur. Truffe au sol malgré ses muscles fatigués et tremblants, il retrouva le chemin emprunté par le probable Jagh. L'odeur le mena hors des terres de la meute où les deux Gardes s'étaient vraisemblablement séparés. Tant mieux, ainsi sa proie serait probablement seule. Minutieux et alerte, Jaxx avançait rapidement au travers de la montagne. Il lui fallu tout de même plusieurs heures de chasse pour retrouver une piste très fraîche en bordure des Plaines Savanes. Le vieux loup avait-il décidé de courir le gibier ? Jaxx étira ses épaules et son dos fourbu. Il ne voulait pas s'arrêter maintenant, il sentait qu'il était proche du but. Bientôt, il rencontrerait enfin ce père inconnu...

***

Le soleil s'était relevé depuis quelques heures déjà. Tapi dans les hautes herbes sèches, le solitaire étudiait le vieil Etelkru. Il semblait expérimenté mais le poids des années l'épuisait rapidement. N'y tenant plus, le mâle blanc aboya pour interpeller son géniteur, de qui il tenait indéniablement son pelage.

« C'est toi Jagh ?

Le ton n'était pas interrogatif malgré la question, tellement le solitaire était persuadé de la justesse de ses convictions. Le vieux loup se retourna en sursaut, sourcils froncés et crocs découverts. S'il n'avait pas eu les joues de neige, il serait devenu livide. Un image de lui plus jeune se tenait fièrement face à lui. Non, pas tout à fait lui. Il y avait sur le poil de ce jeune impertinent un signe qui ne pouvait le tromper : de l'indigo dont la provenance ne laissait aucune place au doute. Ce jeune adulte était forcément un enfant issu de son union avec une solitaire dont il avait partiellement oublié les traits, presque deux années auparavant. La louve et lui avait passé une unique nuit, puis elle avait disparue sans laissée de trace. Cela ne lui avait pas importé, puisque quelques temps plus tard Noroi avait fini par s'attacher à lui et lui rendre ses avances, faisant de lui le plus heureux des mâles. Ce gamin était à peine plus âgé que leur fille. Il n'en revenait pas, il en était vexé, outré même. Cette femelle l'avait forcément utilisé, non ? Pour lui avoir ainsi dissimulé sa descendance... La colère prit le pas sur l'incrédulité et le pelage du vieux loup doubla de volume instinctivement. Ce à quoi Jaxx répondit par l’agressivité. Cette réaction de la part de son géniteur ne faisait que confirmer la version de sa mère : le rejet et l'abandon. Apparemment rencontrer son fils ne le réjouissait pas. Mais qu'avait-il donc cru ?

« Que me veux-tu ? »
- Comment as tu pu la rejeter, lui faire autant de mal ?
- Qu... QUOI ? Cette traînée s'est enfuit avant même que le soleil ne se lève... ! »

Jagh ne savait pas que Nola avait bien pu raconter à ce gamin, mais clairement elle avait tourné l'histoire à son avantage. Qu'avait-elle bien pu dire à son enfant -leur enfant- pour que la haine brûle si fort dans ces prunelles d'or en fusion ?
La rage manqua d'étouffer le solitaire qui se jeta sur son géniteur tout crocs dehors. Ce salaud osait insulter sa mère ??! Après tout ce qu'il lui avait fait subir ?!

« Je t'interdis de...
- De quoi ?! De t'ouvrir les yeux sur le bourrage de crâne de cette catin ? »

Quand bien même le jeune loup ne supportait plus sa mère et avait fuit le giron trop asphyxiant et malsain de la louve brune, jamais il ne permettrait qu'on la traite ainsi. Il gardait un immense respect pour celle qui l'avait élevée toute seule. Et tout ça a cause d'un salopard qui l'avait violenté et chassé d'ici dès qu'il avait apprit qu’elle portait la vie ! Des grognements gutturaux s'échappait de la gorge de Jaxx tandis qu'il essayait de mordre le vieux loup. Le doyen Etelkru n'était pas encore sans reste et parvint à maîtriser le jeune impudent l'espace de quelques secondes.

« Petit con ! Je n'étais même pas au courant de ton existence !!
- Elle m'avait prévenu que tu n'es qu'un menteur !
- Evidemment ! C'est plus facile ainsi, pas vrai ? Comme ça tu n'as que ses fables à écouter ! »

Cracha Jagh en resserrant ses crocs sur le dos de son fils. Comme il parvenait encore à maintenir au sol le jeune solitaire, il en profita pour lui expliquer ce qu'il s'était vraiment passé alors que l'autre se débattait avec férocité. Il fit court parce qu'il n'y avait pas tant à dire. Nola et lui avait passé une seule nuit ensemble et à son réveil elle était partie sans un mot. Il ne l'avait jamais revue et avait continué sa vie sans plus s'en soucier. Elle n'était jamais venu lui dire qu'elle attendait des petits ! Fou de peine et de rage, parce qu'il refusait de croire que sa mère l'ai trompé depuis toujours, et profitant du manque de souffle du vieux loup, Jaxx se retourna enfin et attaqua la partie sensible du ventre de l'Etelkru qui n'avait plus la force de se défendre avec autant d'ardeur. Le Doyen fatiguait très vite et la colère de l'autre, dans la fleur de l'âge, le rendait fourbe et plus vigoureux encore. De plus, sa jeunesse le rendait plus habile et résolu. Le loup de meute sans glowstick, lui, était déjà perclus de courbatures et manquait de solidité, il ne tarda pas à se laisser dépasser par son rejeton et tomba à la renverse. Le solitaire au pelage blanc en profita pour planter ses canines dans le cou du vieux loup dont la force s'amenuisait à chaque geste. Même s'il faiblissait et qu'il sentait que ce combat serait son dernier, il avait su rendre quelques méchants coups. Le sang coulait le long du flanc de son assaillant et l'une de ses pattes était trop esquinté pour lui servir encore d'appui.

Jaxx mordit une second fois son géniteur en expiant toute la haine qu'il avait toujours nourrit en son for intérieur, il sentit le goût de l'hémoglobine se répondre contre son palais, lui indiquant qu'il avait tranché une veine plus importante. Le corps du vieux loup s’affaissa alors, vidé de toute énergie. Le solitaire dont le poil était maculé de poussière et de sang recula d'un bond, choqué de sa propre cruauté. Jamais encore il n'avait pensé à ôter la vie d'un congénère, jamais encore il n'avait réellement porté un coup aussi fatal. Et ce n'était pas du tout ce qu'il avait cherché... Une deuxième fois aujourd'hui son ressentiment avait pris le dessus sur sa raison. C'était bien la première fois qu'il se laissait autant mener par ses émotions, il n'arrivait pas à croire qu'il avait manqué de discernement à ce point ! Lui, habituellement si ingénieux et roublard, si agile et fin dans la réflexion c'était laissé complètement dépassé par l'orgueil, puis par l'envie, et enfin par la colère. Trois des péchés capitaux en une seul journée. Les prunelles de miel du loup blanc s'écarquillèrent alors qu'il réalisait l'ampleur de ses morsures. Il assimila aussi peu à peu l'erreur, le crime qu'il venait de commettre au nom de... De quoi d'ailleurs ? D'un mensonge dévoilé ? D'une fâcheuse vérité ? Le mâle déglutit difficilement alors que son souffle court devenait douloureux, insupportable. Le regard ambré si intense de Jagh se planta dans celui, identique, de son fils.

Puis, l'or s'assombrit et se voila et le corps tout entier de l'Etelkru se relâcha. Horrifié, coupable, se sentant nauséeux et sale, Jaxx recula de quelques pas. Il secoua la tête comme pour essayer de reprendre ses esprits, comme pour effacer cette image atroce, pour sortir de ce cauchemar où il s'était lui même plongé... Mais ce n'était pas un rêve épouvantable, c'était bien la triste et intolérable réalité qui le percuta, qui l’assomma presque alors qu'il fixait ce cadavre qui lui ressemblant tant. Comme si le destin se jouait de lui, la situation qu'il eut cru ne jamais pouvoir être pire qu'à cet instant-ci, gravit plusieurs barreaux sur l'échelle de l'horreur : une voix angoissée lui parvint. Il tourna la tête sur la gauche, observa sans la voir la petite louve beige qui courait à perdre haleine pour les rejoindre.

« Papa ? »

Jaxx se détestait, se répugnait même, l'effroi qui enserra sa gorge et ses poumons étaient insupportable et lui broyait la cage thoracique. Mais il ne pouvait pas resta là. Il ne pouvait simplement pas croiser le regard d'or si brûlant et sans doute si dégoûté de la femelle. Il ne pouvait simplement pas... Alors il s'enfuit, sans se retourner, du plus vite que ses pattes purent le porter, du plus loin possible de cette scène innommable qui avait mis en lumière le pire de lui-même. Un cri déchirant lui parvint tandis que Joy trouvait son père sans vie et son amant d'une après-midi s'enfuir. Tandis que le cerveau du solitaire tournait en boucle sur deux idées bien précise : il avait tué son père. Il avait grimpé sa soeur. Ne parvenait plus a respirer, secouer de spasmes violents et douloureux, le jeune mâle trébucha et vomit ses tripes. Trop d'émotions négatives compressaient son coeur, trop de haine de lui-même, trop de honte aussi. Il devait disparaître, il devait fuir. Alors il recommença à courir, encore et encore, jusqu'à ce qu'il tombe d'épuisement. Alors seulement il se dissimula dans une grotte, loin dans les montagnes, haute en altitude, et il laissa couler des larmes cuisantes. C'était la toute première fois que le solitaire pleurait. En quelques heures sombres, en l'espace d'une putain de journée maudite, sa vie prospère et libre de solitaire venait de voler en éclats. Il avait tout ruiné par arrogance, tentation, corruption et fureur.

De fier, charmeur et sauvage chasseur, il était devenu un immonde meurtrier, parricide qui plus est, et incestueux grand frère. L'idée de se jeter d'une falaise le pris mais ses pattes ne le portèrent plus et il se résigna à devoir attendre avant de mettre fin à sa jeune existence de criminel.  

La journée n'avait pourtant pas si mal commencé, si tant était qu'elle pouvait bien débuter avec l'ambiance actuelle qui régnait chez les Etelkrus. Malgré les battues, les troupes formées par Geb et Athelstan n'avaient pas réussi à mettre la patte sur l'agresseur de Cassandre, et il allait sans dire que cela déplaisait fort au Chevalier. Il commençait à sérieusement songer à étendre leurs recherches au-delà du territoire Etelkru, et ne tarderait sans doute plus à proposer à Geb d'aller prévenir leurs congénères Lazulis de la présence de cet individu. Pour le moment, ils n'avaient pas encore été voir chez les autres meutes, mais leurs recherches faisant chou-blanc sans cesse finiraient par les y convaincre. Ce serait peut-être l'occasion pour le tricolore d'aller croiser de nouveau Brienna pour... Il ne savait pas exactement pour quoi en fait. Il fallait dire qu'il essayait au maximum de ne pas laisser cette pensée trop envahir son esprit, car il savait que cette plaie dans son coeur ne se refermerait pas de sitôt. Inutile d'y mettre toujours plus de coups de griffes, de toute manière rien ne changerait la réalité. Sa soeur adoptive vivait heureuse aux côtés d'un Chef lazulis et y élevait leurs enfants. Qu'avait-il à offrir lui, après tout ? Il n'était pas Alpha, pas même Bêta. Il avait senti l'estime que sa meute lui portait lorsque Geb et lui avaient été nommés à la tête des recherches, mais ne pouvait pas rivaliser avec ce loup dont il ignorait le nom et qui occupait le trône, loin là-bas dans les terres du Sud.
Et de toute manière il était trop tard pour de tels songes.

Il secoua la tête et tâcha de ramener son attention sur la situation présente, à savoir la patrouille qu'il menait aux côtés de la jeune louve Joy. Ce jour-là, Pepper n'était pas à sas côtés, assignée sur une autre patrouille. Petit à petit, la louve bleue prenait son indépendance, et il ne pouvait qu'en être heureux. Même si une part de lui redoutait le jour où elle quitterait définitivement le nid pour devenir une guerrière. Il s'était attachée à elle peut-être même plus que si elle avait été sa propre fille. Il n'aurait sans doute jamais pu transmettre à un enfant cette hargne, cette impertinence et cette énergie, il n'en avait pas les gènes. Il la regardait s'en aller patrouiller et chasser sans plus avoir besoin d'être chapeauté avec un mélange de fierté et de tristesse. Il savait qu'il ne devait pas l'être, que c'était le cours naturel des choses. Mais les lunes durant lesquelles elle avait été son apprentie resteraient sans doute comme une période mémorable de sa vie, bien qu'entachée d'événements plus sombres. Il sentait qu'elle serait bientôt prête à aller quérir la lumière de Dairo. Et ce jour-là, elle deviendrait une membre du clan à part entière.

Ce n'était donc pas avec elle mais avec Joy qu'il se trouvait donc à patrouiller dans les montagnes abruptes de leur territoire. Ils devaient longer les Monts Célestes jusqu'au Marais, puis revenir par les terres plus au Nord. Une patrouille des plus ordinaires en somme, en compagnie d'une camarade qu'il appréciait. Elle apportait toujours avec elle un sourire, une joie communicative et un entrain qui redoraient un peu même les plus gris matins. Quoi que ce jour-là, il la trouvait un peu plus réservée, plus distraite. Mais après tout, ils ne se connaissaient que peu et il aurait été bien indiscret de sa part de lui demander ce qui la préoccupait. La période des chaleurs pouvait rendre les louves plus lunatiques, et il aurait été contraire à tous les actes d'un gentiloup que de leur faire une remarque un peu appuyée dans ces semaines-là. Il la sentit reprendre un peu d'énergie lorsqu'ils entrèrent sur les Dents du Roc. Peut-être la proximité du temple de leur divinité la grisait-elle. Lui-même se sentait toujours un peu plus assuré, sans vraiment savoir pourquoi, lorsqu'il se trouvait non loin de la demeure du Grizzli.

Tout se déroulait tout à fait tranquillement lorsque la situation dérapa brusquement. L'odeur d'un solitaire vint faire frémir les narines du Garde tricolore, qui se crispa aussitôt. Au même moment, un grand cri résonna alors que Joy se précipitait en avant. Athelstan prit sa suite, les sens aux aguets, et ne tarda pas à voir l'objet de sa détresse. Avec horreur, le mâle vit le corps de l'un de leurs doyens, étendu sur le sol de pierre. Son nom lui revint vite, en même temps que les exclamations de Joy lui rappelaient de qui il s'agissait. Il s'agissait de Jagh, le père de la jeune Garde. Le Chevalier s'approcha pour effleurer du museau la silhouette immobile, constatant sans aucun doute possible qu'il avait quitté ce monde. Sous l'odeur du sang se trouvait ce parfum désagréable qu'il venait de sentir, un instant auparavant.
Un solitaire.
Il était rare d'éveiller la colère en Athelstan, et il était fort compliqué d'y arriver. Mais ces derniers temps, voir son existence partir en vrille avait fait s'accumuler une rancoeur en lui qui se tenait prête à en allumer les braises. La nouvelle de l'union de Brienna, l'agression de Cassandre, et ces rumeurs comme quoi on aurait senti la piste d'Alys allant jusque chez leurs ennemis... Un voile sombre recouvrit les prunelles vairon du Garde, alors qu'il serrait les dents. Il fallait que cela cesse. Les choses ne pouvaient pas continuer ainsi.

Alors qu'au fond de son esprit naissaient les premiers germes d'une idée absurde, impensable jusqu'alors, mais qui ne tarderait plus à le tarauder, il se redressa. La piste était encore fraîche, le corps encore chaud. Le méfait venait d'être accompli presque sous leur nez - et pourquoi par les Sept Jagh était-il sorti seul ? Les Etelkrus ne comprenaient-ils pas le danger qui rôdait sur leurs terres ? Combien faudrait-ils de victimes encore ? Oh oui, le sang du Chevalier bouillonnait à de telles pensées. Il ne fallait pas laisser passer cette occasion, elle était trop belle, trop inespérée.
Athelstan se tourna vers Joy et vint poser le museau sur son cou, dans un geste de réconfort. Il réservait sa colère à la traque qui était imminente, conscient que la jeune louve avait plus besoin de soutien, juste à cet instant.

"Dame Joy, écoutez-moi bien." Murmura-t-il, en se détachant de leur étreinte pour chercher son regard. "Rentrez au camp prévenir les premiers loups que vous trouverez. Revenez chercher votre père avec eux, et qu'ils envoient quelqu'un suivre ma piste."

Il expira. Encore tenir un instant dans cette attitude de sagesse illusoire, dans le rôle presque paternel du guerrier vétéran.ù

"Je pars sur celle de l'assassin. Faîtes vite. Nous le vengerons."

Il lui jeta un dernier regard, profond et entendu. Puis sa haute silhouette se détacha de celle, plus frêle, de la guerrière dorée. Il fit volte-face sans lui laisser le temps de protester, banda ses muscles, et s'élança sur la piste fraîche du meurtrier. Son odeur emplissait ses narines, jetait un voile rouge sur le décors qui'l l'entourait. Il voyait sa piste comme si elle était marquée de couleurs criardes sur le sol.
Il le retrouverait, cette saleté. Pour Joy, pour sa meute.
Pour un futur qu'il dessinerait lui-même s'il le fallait.
Sa rage le mènerait jusqu'à lui.

« Un mauvais pas de trop...

« Jaxx & Joy & Athelstan & libre


...Jaxx suffoquait. Ses poumons et sa gorge le brûlait alors que la rage se mêlait à son désarroi. Il aurait voulu faire taire son esprit en ébullition, il aurait voulu sombrer dans un sommeil noir et vide. Mais le repos ne lui était pas accordé. Il avait mal, ses muscles étaient perclus de crampes, les morsures de son père pulsaient dans sa chair tandis qu'il avait le coeur au bord des babines. Ce trop plein soudain s'évapora, laissant place à désert de sensations et à une froideur telle qu'il cru geler sur place. Son cerveau, ne pouvant souffrir de tant de stimulations associées au traumatisme de la mort donnée, avait court-circuité toutes les pensées tourbillonnant en une boucle infernale et stationnaire pour laisser le déni prendre toute la place. Le solitaire blanc inspira alors avec plus de facilité tandis qu'une nette constatation calma les battements de son coeur : ce n'était pas sa faute. Rien de tout ceci n'était arrivé par sa faute. Dans les actes, bien sûr, il avait été la le pion de la Grande Faucheuse et il avait effectivement trempé son biscuit dans la tisane. Mais. Rien de tout cela n'entachait foncièrement sa culpabilité. Tout d'abord, Joy et lui avait flirter, tous les deux, sans savoir qu'un lien de parenté les unissait. Pire même, elle seule aurait pu s'en rendre compte puisqu'elle avait en face d'elle un jeune mâle ressemblant de manière assez évidente à son paternel. De ce fait, elle était soit terriblement naïve et stupide, soit le vice chez elle était plus insidieusement ancrée que sa raison et son honneur. Le museau du loup se plissa de dégoût. C'était elle la traînée qui l'avait séduite. C'était elle qui avait cherché ce contact immorale. Pernicieuse femelle.

De même qu'il ne pouvait être complètement tenu responsable pour le meurtre de son géniteur ! Il n'avait fait que défendre sa mère. Il n'avait fait que protéger celle qui l'avait mise au monde seule et élevée dans l'aigreur et la rancoeur envers ce paternel absent ! Ce dernier l'avait insultée ! Il l'avait repoussée avec force, non sans coups et violences alors qu'elle venait lui avouer qu'elle portait la vie ! Il n'avait fait que préserver sa mère, il n'avait fait que la venger d'un mauvais bougre trop prompt à brutaliser une pauvre et fragile femelle ! Un grondement s'échappa d'entre ses crocs si serrés qu'il en avait mal au crâne. Jagh n'avait eu que ce qu'il méritait : un salaud de son espèce devait même souffrir milles fois des sévices qu'il avait fait pleuvoir sur autrui. Jamais Jaxx ne pourrait se sentir coupable d'avoir rendu à ce loup toute la haine qu'il avait fait naître de ses actes ! Et quand bien même, l'Etelkru avait pu donner une once de vérité dans ses dernières paroles, si la version de ce mâle était plus proche de la réalité que les histoires de la manipulatrice Nola... Parce qu'au tout au fond de lui, le solitaire au regard d'or connaissait bien sa névrosée de mère, et il était tout à fait possible qu'elle est déformé sans gêne son histoire afin de mieux servir ses intérêts et laisser la rage grandir dans le ventre de son unique enfant... Donc, même si le vieux loup blanc avait eu raison, alors la culpabilité devait tomber sur la louve brune qui l'avait élevé dans ce funeste but : qu'il s'en prenne à son géniteur. La suite n'avait été qu'échange de crocs dans les deux sens et donc la plus fort l'avait emporté pour se sauver la vie. Simplement.

Qu'il s'agisse de Joy, de leur père commun, ou de Nola... Tous n'avaient œuvrer que pour lui faire porter le poids de leurs erreurs alors qu'il était le seul innocent dans le lot ! Lentement, le mâle fourbu se redressa, tourna en rond dans sa cachette de fortune avant de réaliser qu'il devait cacher ses traces et faire comprendre à tous qu'il n'était que le dindon de la farce. Jaxx se secoua vivement, ébroua son pelage sale de poussière et de son sang mélangé à celui de son père. Ses prunelles ambrés avisèrent la lumière qui entrait par l'ouverture de la petite grotte. Il devait sortir de là. L'endroit lui paraissant soudain étriqué et étouffant. Le meurtrier sortit à pas mesurés de son trou et avisa un ruisseau non loin. Il décida d'aller nettoyer ses plaies et son pelage rapidement. Une fois fini, après de nombreuses grimaces de douleur, le fier paria dégota quelques toiles d’araignées qu'il déposa avec dextérité sur ses morsures afin de les protéger et d'en limiter les saignements, qui déjà s'amenuisaient. Enfin, il inspira profondément, le calme retrouvé. Maintenant, il devait effacer son odeur et disparaître quelques temps, afin d'apaiser les esprits tourmentés et de schématiser dans son cerveau une stratégie qui lui sauverait la mise. En effet, il venait tout de même de voler la vie d'un loup de meute, bien que vieux et ne méritant plus de s'épanouir sans jugements de ses possibles actes. Les apparences étaient contre lui, et il faudrait être malin et réfléchi pour faire éclater la vérité et mettre à mal les véritables coupables de ce drame familial. La truffe pâle du solitaire capta une nouvelle odeur et il se tapi. Quelqu'un arrivait. Très probablement pour lui.

Les oreilles de Jaxx s’affaissèrent et se fondirent dans les poils derrière son crâne tandis qu'il relevait les babines. Il devait s'éloigner prestement. La fuite était plus sage, vu son état de fébrilité et de fatigue... Aussi discrètement que possible, le loup redevenu presque blanc décida de remonter le ruisseau, les pattes dans l'eau, pour éviter d'être pisté trop facilement. Il se savait devenu une proie, alors qu'il avait toujours été le chasseur. Maudite Joy. Maudit Jagh. Maudite Nola. A cause d'eux, sa vie était devenu un enfer sur tous les fronts !
De son côté, la petite louve au pelage de sable se laissa dicter sa conduite par le grand Guerrier tricolore, trop choquée pour penser par elle-même. Elle ne pouvait que repenser à ce mâle si semblable à son père, qui ne pouvait être qu'un frère ou un oncle ou au mieux un cousin par rapport à elle, et avec qui elle avait... Joy déglutit et fût secoué de spasmes. Ses sanglots lui brouillèrent la vue, et pourtant, à l'instant, elle retrouvera le chemin de la maison, du campement Etelkru, où elle peina à expliquer la situation. La disciple d'Aka finit par lâcher ce qu'elle ne pouvait encore réaliser : Jagh avait été tué par un solitaire qu'Athelstan avait prit en chasse immédiatement. Elle ne se garda pas de détailler au maximum le loup qu'elle avait vu : un jeune mâle blanc, vert et indigo qui ressemblait beaucoup au Doyen assassiné. Un poisson sur l'épaule, des plumes à l'oreille, des accessoires en en écaille et un regard de miel identique au sien. Le portrait qu'elle fit de Jaxx fût très détaillé tellement sa haine à son égard s'envolait. Trois loups l'accompagnèrent alors pour récupérer la dépouille de son père. De ces trois, un partit à la va-vite rejoindre la traque du meurtrier tandis que les deux autres portèrent Jagh dans un endroit plus serein pour un défunt.

Joy, sur leurs talons, semblait perdue et absente. C'était si... Impossible. Tout ça n'était tout bonnement pas... Possible.

La colère qui l'avait envahi laissa pas la moindre place à la fatigue, en imaginant qu'elle ait voulu se manifester chez le grand loup tricolore. Il avala la distance sur laquelle la piste était claire à grandes foulées, pas des plus discrètes mais qui lui permirent d'atteindre rapide la proximité de sa proie. Ce fut seulement lorsqu'il sentie la piste plus récente que jamais qu'il ralentit l'allure pour adopter un pas plus mesuré, plus léger, plus velouté. Sa truffe frémissait sans cesse, humant chaque particule d'ai qui lui permettait de comprendre par où était passé l'assassin, combien de temps auparavant. Il n'avait que très peu d'avance sur lui, et en était certainement conscient. Quoi que. Les solitaires avaient la fâcheuse manie de se croire immunisé à toute répercussion de leurs actes sur les terres Etelkrus ces derniers temps. Celui-ci pourrait au moins avoir le mérité de servir d'exemple aux autres, car le Chevalier comptait bien lui tomber sur le coin du museau. Les oreilles plaquées contre le crâne et les muscles tendus, Atheltan finit donc par retrouver la piste jusqu'à l'endroit où elle filait droit dans la rivière.

Alors qu'il atteignait la berge, une odeur familière vint lui chatouiller les narines, et il ne put empêcher un petit sourire de venir se dessiner sur ses babines qui n'attendaient que de montrer les crocs. Lucie. La guerrière était venue en renfort, et visiblement avait continué vers l'amont. Le Garde s'approche suffisamment pour mettre les pattes dans l'eau, et en se tordant le cou il parvint à apercevoir plus loin, entre les rochers et les roseaux, une silhouette pâle. Le pelage de son échine se hérissa, et il lui sembla que sa chaîne frémissait elle aussi autour de son poitrail.
A nous deux, saleté.
La tête basse et le pas silencieux, il se mit à longer la berge à foulées tranquilles. Même en courant dans l'eau, le solitaire se fatiguerait vite et finirait par prendre un rythme bien moins soutenu que le sien. Même s'il mourrait d'envie de se précipiter sur lui à même le ruisseau, Athelstan savait bien que la patience lui apporterait bien plus. Il pourrait peut-être détecter plus précisément où se trouvait Lucie, par exemple, et profiter encore davantage de l'état potentiel de fatigue du meurtrier. Il avait donc adopté l'attitude du véritable prédateur, aux aguets, qui attendait son instant. Chaque pas le rapprochait un peu plus du corps clair qui pataugeait plus haut, dans l'eau. D'une certaine manière, ce solitaire n'avait pas eu de chance. Il aurait suffi que la patrouille passe un peu plus tard pour que le ruisseau lui permette complètement d'effacer sa piste, car personne ne l'aurait alors vu. Il existait peut-être une sorte de justice, dans ce bas-monde, après tout.

L'instant qu'il attendait se présenta alors qu'il se rapprochait d'un gué aux larges pierres. Une échappatoire facile pour le solitaire s'il se sentait traqué, car il était simple de remonter sur la terre depuis cet endroit. Athelstan banda ses muscles et bondit en avant. Il fit irruption sur la berge avec un grondement sourd, le regard noir et les oreilles plaquées sur le crâne, autour de ses cheveux attachés. Il ne désirait pas tuer ce solitaire, pas maintenant du moins. Il ne voulait pas salir l'honneur de la meute qu'il représentait, ne pas passer outre les valeurs qu'il avait toujours défendues. Mais il ne fallait pas qu'il leur échappe, et il avait tué l'un des leurs. Il essaierait donc la force avant la diplomatie afin de le mettre à terre.

La silhouette haute du Garde se précipita donc vers le solitaire dans le ruisseau, la mine féroce et tous les muscles bandés. Il lança un jappement rauque, visant tout autant à prévenir Lucie, qu'il devinait dans les parages, qu'à avertir sa proie. Qu'elle ne tente pas de lutter, qu'elle se soumette.
Sans quoi il ne saurait faire montre de la moindre pitié.

« Un mauvais pas de trop...

« Jaxx & Athelstan & Lucie & libre


Un flot incessant d'émotion trop lourdes grondaient dans les entrailles de Jaxx et lui donnait le tournis. Il glissait entre la culpabilité et la honte, il dérapait entre la colère et la peur. Jamais encore il ne s'était senti aussi sale qu'en cet instant, jamais il n'avait éprouvé le moindre remords ou regrets pour ses actes, odieux ou non. Il peinait presque à croire que les événements de cette dernière journée écoulée se soient réellement passés. N'avait-il pas simplement imaginer tout cela ? Son esprit engourdi et fébrile l'avait sans doute fait halluciner... La proie qu'il avait mangée plus tôt avait peut-être consommé des psychotropes ? Des plantes vénéneuses ou des champignons non consommables ? D'un autre côté, une petite partie de son cerveau restait alerte et diablement pragmatique. Comment se sortir de ce mauvais pas ? Comment amener en grande lumière sa vérité ? Comment sortir indemne de ce jour infernal ? Le soleil dardait ses rayons assommants sur le dos du solitaire qui, déjà épuisé, n'avançait pas très vite. L'angoisse d'être attrapé primait pourtant, et l'adrénaline du traumatisme le maintenait en éveil. Pas après pas, vague après vague, le meurtrier fuyait vers l'amont de la rivière qui s'étrécissait. Bientôt Jaxx avisa un guet lui permettant de remonter aisément sur la berge pour bifurquer, quand qu'un aboiement grave attira son museau sur la droite. Un mâle plutôt large d'épaule et à la mine furieuse se jetait à sa rencontre.

Lent, et plus maladroit dans l'eau que sur la terre ferme, le loup blanc aux yeux de miel se jeta de côté pour éviter l'assaillant et trébucha sur une pierre glissante. Sa vision se troubla instantanément alors que l'eau se frayait un chemin jusqu'à ses poumons. Il se redressa vivement toussant et crachant pour reprendre de l'oxygène. Il était bien trop affaiblis par son combat contre son père et par la peur qui vrillait son estomac pour réussir à se défaire du clanique l'ayant prit en chasse. Il était pourtant leste et souple, aguerri à l'exercice de la survie malgré ses deux courtes années de vie. Aujourd'hui, cela serait sans doute insuffisant. Parvenant finalement à retrouver son équilibre juste à temps pour se retourner vers son adversaire, Jaxx se rua contre lui pour le faire basculer sous l'eau et récupérer son passage de sortie. La raison le ramenait à peu près sur terre et chassait son trouble du moment. A rapidement observer l'Etelkru qui lui faisait face et qui irradiait la haine, en comptant ses morsures et ses muscles perclus, le paria ne faisait pas du tout le poids et sa seule chance résidait dans son bagou pour gagner du temps et courir aussi vite qu'il lui était encore possible. Sauf que là... Toute sa morgue s'était envolé et il ne trouva rien d’intelligent ou d'ironique à dire. De toute façon, vu les étincelles dans les prunelles froides de son ennemi, pas sûr qu'il aurait pu détendre l'atmosphère en quelques mots...

La seule idée qui percuta son esprit à cette seconde précise fût de regarder sur le côté avec une surprise feinte, peignant sur son museau un masque d'horreur parfaitement exécuté pour laisser supposer au loup tricolore qu'un monstre plus gargantuesque que lui leur tombait sur la truffe. Jaxx en profita alors pour plonger sous le ventre du guerrier et grimper sur l'autre rive en quatrième vitesse. Cela lui laissa peut-être une bonne seconde de réaction de la part de l'autre d'avance pour sa fuite. Brave survivant qu'il était, il n'aurait pas hésité un instant de plus à partir si ses pattes avaient pu le porter plus loin. Mais fournir les efforts nécessaire pour éviter le porteur de glowstick et quitter le lit de la rivière avaient vidé ses batteries. Et comme si cela ne suffisait pas... Il réalisa que celui qui l'avait prit en chasse n'était pas seul. Quel idiot ! Il sentait la présence du prédateur, il se savait observé. Par la terre il n'arriverait à rien. Par l'eau, ses chances de survie étaient considérablement diminuées. Le blanc était dans une impasse entre un assaillant dans le dos et un ennemi encore invisible devant.

« Sors de là ! Je peux te sentir guetter ! »

Gronda le jeune assassin, flageolant, le souffle court et l'oeil suspicieux.