Je n'aurais pas le blues ✩ Ao

« Bonjour Ao ! J'aimerais passer votre épreuve, s'il vous plait, comme ma maman bien avant moi..! Et je suis aussi venue vous rapporter un cadeau. »

Devant l'autel de la déesse, je déposa une couronne de fleurs fraiches et d'une couleur rappelant la multitude de nuance de son glowstick. Le bleu léger des aconits, l’intensité de l'althéa, l'azur de la bourrache, la clarté si pâle d'une jacinthe ou si sombre d'une primevère... Composition en camaïeu, une fleur pour chaque disciple qu'il pouvait bien y avoir dans le clan, parmi toutes ces lumières qui dansaient la nuit devant les grottes où partaient dormir les disciples. J'espérais que, ce soir, une lumière danserai aussi dans mon sillage, marquant la réussite d'une épreuve à laquelle je prétendais aujourd'hui.

Pourquoi celle-ci, d'ailleurs ?
Parce qu'il n'y avait qu'elle pour me convenir, je crois. Je n'étais pas assez intelligent pour prétendre à l'épreuve du glowstick vert, comme pourrait le faire Nocera aujourd'hui. Je me demande si Edmund, lui aussi, allait passer cette épreuve-là : c'est celle que je lui voyais le plus. Je ne me trouvais pas, non plus, particulièrement beau. Alors, prétendre au glowstick rose... La prêtresse me faisait peur, en plus.
Ne restait plus que ce glowstick bleu. Celui de la force mentale et de la détermination. Ce n'est pas des adjectifs dont je me serais qualifié : je me considérais comme étant quelqu'un de doux, de gentil, d'un peu naïf... De très optimisme, aussi. C'est quelque chose qu'on me disait souvent, quelque chose qui dopait alors les valeurs de la déesse bleue. C'était grâce à ça, oui, à cette faculté de toujours voir le verre à moitié plein, que j'espérais trouver ma place au sein de ses disciples.
Trouver la lumière, même si tout était noir autour de moi.

Je reste devant la statut de la déesse, à regarder avec humilité ses pattes de marbre plutôt qu'à chercher à trouver son regard pour lui faire face. Je me demande ce qu'avait éprouvé Maman Anastasia, lorsqu'elle avait dû elle aussi venir ici... Je lui demanderais, en rentrant de cette épreuve. Si elle s'était sentie aussi impressionné que ce que je pouvais être en ce moment même...
Inspirant profondément, je lâcha ces quelques petits mots, comme pour me convaincre moi-même.

« Je suis prêt... »

Moi, qui avait peur de beaucoup de choses et de rien à la fois. Moi, idiot optimiste. J'étais prêt, à affronter cette difficile épreuve, prêt à calmer mon cœur qui s'emballerait trop vite et mes nerfs à fleur de peau.

Je sentis le froid monter sur mes coussinets, longer mes pieds et se saisir de mes pattes. Il grimpait en moi, parasitant tout mon corps. A la première impression, je fus surpris d'une telle sensation. J'essaya de m'en défaire, cherchant à agiter mes membres. C'est à ce moment précis que je constata mon immobilité forcée.
Bouger m'était devenue impossible.
Même ouvrir la gueule pour appeler à l'aide ne me fut permis, je fus muré à un silence aussi glaçant que mon être. Coincé dans mon propre corps, avec seulement mes yeux pour scruter d'un air affolé.

Est-ce que j'avais peur ? Je crois, oui. Je sentais mon cœur battre si vite, si vite, si vite ! Dans cette poitrine qui le faisait prisonnier...
Autour de moi, des loups bougèrent. Ils vivaient. Et moi, je les observais. Parmi ces vivants, des êtres connus. Maman fut celle qui se coucha la première, devant sa grotte. Et elle disparue, ne laissait derrière elle qu'une trainée de poussière.
Comme ce fut le cas pour Edmund. Puis Nocera. Puis Mozarthamès.
Et moi ? Et moi, je restais là. A les regarder partir. A sentir mes yeux me piquer, cette peine me saisir. Ils étaient là, puis ils n'étaient plus.
J'aurais voulu les enserrer de mes pattes. Leur crier mon amour, pour qu'il ne m'oublie pas ! Mais tout semblait trop tard. Le temps passait. Les loups aussi. Bientôt, il n'y eut autour de moi que des inconnus.
Était-ce ça, que l'on finissait par ressentir, lorsqu'on se faisait vieux papi ?

Je me sentis seul.
Et ça me fit si mal.

Lorsqu'il n'y eut plus le moindre vivant autour de moi, je ressentis la vie se saisir de mon corps. Elle, qui avait finit de partir, là voilà qui revenait... Tendu, ma première action fut de tomber sur se sol trop poussiéreux, nimbé des ersatz de tous ces loups ayant un jour foulé cette même terre, m'écorchant contre ces si petits cailloux. Je me redressa, tremblotant, tournant et me retournant sur moi-même.

« Y-y a quelqu'un ? »

Le silence comme réponse me fit l'effet d'une lame. Sans sourire sur mes babines, je fis quelques pas dans ce temple dévasté, qui avait vu s'écouler tant de jours. Des dalles perçaient les plantes, la fontaine d'Ao elle-même ne semblait plus qu'un souvenir longtemps. Dans le futur, on ne vénérait même plus les dieux ? Parce qu'il n'y avait plus personne, sans doute.
Personne pour venir déposer aux pieds d'Ao une couronne de fleurs, comme j'avais pu le faire.
Personne pour lui dire une louange.
Le monde n'était plus.

Je me sentis perdu.
Et ça me fit si mal.

Je fis taire le gémissement qui s'échappait en crescendo de ma bouche, la fermant pour respirer. Calme. Calme-toi, Bibi... Tu es seul ici, mais l'es-tu vraiment partout ? Je ne pense pas. C'est impossible, qu'il n'y ait plus d'âmes vivantes sur une planète. Et si c'était le cas ? Il resterait moi. Et tant que je serais là, la vie existerait. Je pourrais honorer Ao à nouveau, pour peut-être la réveiller d'un grand sommeil. Je pourrais organiser les plantes, pour qu'elles deviennent plus belle encore au sein de ce temple investi.
J'expira un long souffle tremblant, une respiration venue du plus profond de mes poumons dans l'optique de calmer les battements de mon cœur. Puis je tourna le dos à la statue, partant fouler cette terre poussiéreuse.

Sur mon dos bougèrent les constellations, myriades qui prenaient vie pour me tenir compagnie. Et sortie le merle, mon merle, mon petit patronus qui chanta pour moi un chant si réconfortant. Celui qui portait en lui le goût de mes souvenirs, qui ne me firent oublié ceux qui, pour toujours, logeraient dans mon cœur.
Vous étiez là, vous tous !

Je devins optimiste.
Et revint le sourire.

« Tant que je me souviendrais, je ne serais jamais seul ! »

Je n'abandonnerais pas, même si autour de moi seul mon merle était là pour m'entendre. Comme toujours, je me redresserais, avec l'espoir de toujours trouver une lumière dans l'obscurité. Même si je devrais marcher mille kilomètres. Même sans cette certitude de trouver quelqu'un au bout du chemin.
Je tiendrais bon.

Par espoir naïf ou par simple optimisme.

Le temps passa.
C'est l'impression qui me vint, du moins, alors que l'épreuve d'Ao ne semblait plus trouver sa fin. Devais-je moi-même la provoquer ? N'avais-je pas encore mériter d'en sortir ?
Ou était-ce désormais ma réalité ? Là où je vivrais jusqu'à la fin de ma vie.
Mon museau se leva vers ce ciel gris, dans l'attente d'un signe. Mais il n'y eu rien d'autre que le silence du vent dans mes oreilles, qui profita de sa présence à mes côtés pour caresser le poil plus long de mon encolure.

Cette situation était pesante, mais je finissais par m'y faire, avec une force que je ne me serais pas vraiment soupçonné. Oh, pas que je doutais de mes compétences ! ...Un peu, en fait. Mais je savais, que je pourrais me débrouiller. Pour me soigner, surtout. Manger des plantes, attraper des proies pas trop compliquées à avoir...
J'étais un peu comme Chuck Noland. Seul au monde, à reconstruire une vie sur une île déserte. Bon, je n'étais pas sur une île ! Mais nos situations avaient d'autres et nombreux points communs.
Je cessa de marcher vers l'horizon, préférant revenir vers le temple d'Ao. C'est peut-être parce qu'elle était si négligée, sa statut, que la déesse ne pouvait plus me réapparaitre et me donner ou non la clé de ma réussite ?

« Vous êtes coincée, madame Ao, vous pouvez plus m'apparaître parce que les plantes vous bloquent les pattes ? »

Mes crocs trouvèrent les lianes, tirant pour en faire céder les tiges, dégageant la vaste fontaine. Même si ça ne marchait pas, au moins éliminais-je ma solitude en parlant, avec la certitude que vous m'entendiez, d'une façon ou d'une autre. Cet espoir me rassurait, je le portais en mon cœur, au même titre que les bons souvenirs en présence de mes amis ou de ma famille.
Et puis, ça m'occupait, d'ainsi éliminer les plantes de votre temple. Vous verrez, madame Ao ! Vous retrouverez bientôt la splendeur de la dimension d'où je venais à la base, avant que vous ne me transportiez ici.

« C'est mieux comme ça ! Maman aurait été contente, de voir comment j'ai nettoyé votre statut. C'est qu'elle vous aime et vous respecte beaucoup, il ne faut pas l'oublier ! »

Je me demandais comment c'était passer l'épreuve de Maman Anastasia. Comment elle avait fait, pour la vaincre.
Un battement d'aile inaudible, mon petit patronus de merle s'envola, allant se percher sur une ouverture du temple. Sa douce lumière était semblable à celle d'une veilleuse : discrète et rassurante.
Un sourire sur les babines, celui qui ne me quittait plus, je poursuivis avec entrain la rénovation de votre temple, désherbant cette végétation invitée en votre demeure, Ao.