Last dreamer [Fin/libre]

Les temps avaient changé et jamais plus rien ne sera pareil. Afin de trouvé la libération, afin de convaincre les monstres des fonds marins de leur faire don d'une solution, ils leur avait offert le sang d'autres loups, provoquant probablement une guerre entre eux et le Continent. Chulhei n'y avait pas participé, il ne cautionnait pas cet acte mais que pouvait-il bien leur dire ? Il était de la génération de ceux qui les avaient condamné, l'île ne lui appartenait plus, elle était à eux maintenant. Le vieux loup brun était fatigué, l'âge avait fini par le rattraper et hors de l'eau, son corps lui semblait si lourd.
Cette nuit, il n'y avait pas de lune dans le ciel, seulement les étoiles qui se reflétaient dans la mer comme deux immenses nébuleuses qui l'appelaient. C'était comme si elles lui offraient une chance de ne pas choisir entre le ciel et la mer, ça serait le seul soir, sa seule chance. Le vieux mâle regardait l'horizon de ses yeux verts, au loin se découpait les terres en ombre noire des mères de ses enfants, que ce soit celle de Safran à qui il avait arraché une fille pour lui avoir voler un amour, celle de Limule et d'Ajani pour qui il offrait un dernier regard.
Il aurait aimé la voir une dernière fois, sentir son pelage dans sa truffe, l'emmener explorer avec lui une dernière fois les splendeurs de l'Océan avant que lui, à l'instar de son frère qu'il n'avait plus revu depuis quelques semaines déjà. Il aurait aimé partir avec en tête, une dernière image de la silhouette blanche venue de la terre où il était né bien avant qu'elle ne soit refaite. Ces temps étaient fini, une nouvelle ère s'était levé, une ère où il n'était plus temps de batifoler de côtoyer encore un peu ses ennemis pour apprendre à les aimer. Il n'était plus qu'un être obsolète qui croyait encore à la paix alors que les jeunes se préparaient tous à une ère bien plus sombre. Etre né d'un rêve, il en était le dernier héritage, eux né de la frustration, ils en étaient le courroux.

Assis sur des rocher au l'eau, sa queue trempait dans la mer. Son apparence avait continué de muté au fil des années. Son pelage s'était fait plus court jusqu'à ne faire que quelques millimètres de longueur, sa peau avait adopté à certain endroit des écailles aussi rosées que celles de sa queue aquatique, surtout sur le dos et du le museau. Ses doigts s'étaient agrandis, ressemblant à ceux de sa pattes atrophiée ou à celles avant de sa fille Safran, entre s'étaient développées des palmes plus adaptée à la vie aquatique que ses anciennes pattes de loup. Les ouïes dans son cou avait continué à grandir tandis que sa truffe elle, s'atrophiait petit à petit. Parfois l'air hors de l'eau était difficile à prendre et ces derniers temps, tout son corps réclamait l'océan. Mais lui, se nourrissant à peine, restait là sur son rocher depuis des jours, regardant l'horizon en espérant peut-être voir un soir apparaître la silhouette blanche de son ange bien qu'une autre partie de lui même croisait les doigts pour qu'elle ne vienne jamais.
Morne-oeil et ses habitants s'étaient détourné du Continent, ils auraient été hostile avec n'importe quel loup venant de là bas, même avec elle, cette louve blanche qui leur avait offert deux âmes en échange de la sienne. Si elle revenait, elle ne repartirait plus, il l'avait toujours avertie mais cette fois-ci, la menace était réelle. Si elle revenait, elle leur appartiendrait. Elle deviendrait Raeders ou serait offerte à l'Océan. Et lui ? Lui il était grand temps qu'il s'y offre également. Sa vie à la surface était finie et il était grand temps qu'il paie son droit d'avoir vécu sur Morne-oeil, les profondeurs devenaient insistantes.
Doucement, il leva son museau vers le ciel, vers l'ombre du Continent pour y laisser échapper un dernier hurlement. Un qui disait au revoir à ceux qui sauraient l'entendre. A sa meute où vivait ses enfants, à la Terre où vivait l'Ange, à la surface qu'il ne reverrait plus.
C'était également un avertissement. Le dernier rêveur n'était plus, il n'y avait plus que monstres et démons sur l'île. Le dernier héritage de Paprika s'en allait, ne restait plus que celui d'Illidan.

Il n'en lança qu'un, un seul hurlement, long et mélancolique mais unique. Un seul au revoir, une seule dernière parole. Sur ce rocher où une créature monstrueuse avait si longtemps attendu des nouvelles de l'autre bras de la mer, il n'y avait plus personne, ni dernière touffe de poil, ni dernière écaille, les vagues s'en étaient assurées. Ne restait sur ce rocher plus qu'une place vide qui était à prendre tandis que sous la surface, ayant crevé les étoiles du ciel, se mêlait une nouvelle ombre à celles déjà tapis au fond des abysses.

Le hurlement vola, porté par le vent et la mer.
Le chant d'une déchirure insupportable.
Le sens d'une vie qui s'en allait.

Combien de temps s'était écoulé ? Elle n'aurait su vraiment le dire. Une minute. Une heure. Une lune entière. Qulle importance au fond ? Sa vie ne dépendait plus du temps depuis longtemps déjà. Elle avait cessé de compter les jours qui passaient car ils ne portaient plus avec eux la même importance. Son coeur était resté déchiré entre le désir profond de rejoindre sa famille, et celui de la protéger du courroux de sa meute. Avec les tensions qui régnaient partout sur le continent, ç'avait sans doute été une bonne chose. Leurs enfants étaient à l'abris, chez les ennemis les plus redoutables. Ils en faisaient partie, et par conséquent ne pouvaient s'attirer leur courroux. Ceux du continent, la plupart trop faibles pour aller même jusqu'à s'aventurer sur Morne-Oeil, ne viendraient jamais les y dénicher. Ils étaient en sécurité là-bas. C'était la bonne décision.

Et elle alors, où était-elle ? Fantôme dans sa meute, elle regardait les Lazulis tomber lentement en décadence sans plus avoir l'impression d'en faire partie. La disparition de toute sa famille remontait à quelques années maintenant, et pourtant elle avait été consciente qu'ils étaient là les seuls filins qui la liaient à son clan de naissance. Même la lumière verte, accordée par Mido en récompense de son intelligence, n'était plus chose suffisante pour maintenir en elle cette identité envolée depuis longtemps. Peut-être même depuis ce premier jour où elle avait franchi la frontière en posant les pattes sur un vaste navire échoué. Elle ne vivait plus que par la peine sourde qui la rongeait doucement, et ces souvenirs si puissants. Il restait Spleen, seule membre de sa famille qui n'ait pas disparu dans la mort ou les responsabilités. Avant de partir, elle avait déposé à l'entrée du temple de Mido son glowstick, une montre à gousset aux cliquetis discret. Elle s'en était allée avant que la lumière ne s'y éteigne, sans regrets, une seule pensée en tête.

C'était une manière pour elle de dire au-revoir sans ces mots avec lesquels elle n'avait jamais été vraiment à l'aise. Elle ne doutait pas que sa demi-soeur comprenne ce qui s'était passé. Avec le secret qu'elles partageaient, elle lui devait au moins cela. S'il y avait des loups qui avaient marqué son existence, la prêtresse du Raptor en faisait indéniablement partie, bien que le destin n'ait au début pas été favorable à cette sorte d'entente entre elles. Elle trouverait sans doute l'objet au petit matin. Le reconnaîtrait-elle seulement ? Impossible d'en être sûre, mais a louve de neige aimait à le croire, comme elle savait qu'elle aurait reconnu la sombre fleur que portait Spleen dans les cheveux. Si ce n'tait pas le cas, autant partir en se berçant d'une douce illusion.

Elle se trouvait là, perchée sur ce rocher terriblement vide. Un visiteur lointain n'aurait sans doute su la reconnaître. Elle avait délaissé sa lourde écharpe, son bonnet de laine, et ses longues boucles blanches se mêlaient dans le vent à des filaments brillants qui hérissaient son échine. Son pelage était devenu par endroit si lisse que la lumière du jour mourant y jouait comme jamais elle n'avait pu le faire. Sa truffe, ses coussinets, sa langue, étaient devenus d'un bleu transparent, accordé à ses yeux. L'Ange n'était plus, ou bien était désormais Déchu. Dans l'ombre d'une caverne cachée, on lui avait accordé le droit à une ultime requête. Elle ne pouvait rejoindre son bien-aimé que d'une seule manière : en devenant elle aussi un Monstre, un être offert à la mer et qui n'en ressortirait jamais. Elle se savait souvenir éphémère sur le continent. personne ne garderait cette louve de neige en mémoire, pas après son père et pas avant son fils. Le maillon invisible et inconnu entre deux rois.

Elle contempla une dernière fois l'horizon, les formes irrégulières de cette terre qui ne la reverrait plus et qui avait tenté de la retenir en son sein. Elle aurait sans doute dû se résoudre à accepter ce que la vie lui tendait bien des années auparavant. Mais.. Il n'était pas trop tard. Après tout, les monstres des abysses ne vivaient-ils pas des milliers d'années, traversant les âges, insensible au temps, êtres immortels des fonds marins et des légendes ? Le plus beau était peut-être encore devant elle. Il lui fallait le croire, pour prendre cette décision.
Celle de tuer l'Ange, pour renaître pour Lui.

La brise marine effleura de nouveau le rocher désert, la place laissée vide.
Sous les eaux, dans l'ombre du coeur de la mer, une créature déployait ses voiles et filins de neige, s'enfonçait dans les profondeurs. Elle le reconnaîtrait.
Il la reconnaîtrait peut-être.
Cet espoir était son ultime promesse.