Froide aura et âme tourmentée | Crystal

La nuit était tombée sur les terres Nakhus, et Azkaban avait tardé ce jour-là à rentrer. Il était allé jusqu'à la mer, près de l'Île des Brumes, pour aller chasser dans l'élément dans lequel il était le plus à l'aise : le bord de mer. Cela faisait quelques temps maintenant qu'il vivait sous la protection de Yurai, et il faisait son possible pour mettre la main à la pâte et garder une bonne activité quotidienne. Il tâchait de faire profiter sa nouvelle famille de son expérience, et ce jour-là ce fut en ramenant quatre poissons - qui tenaient à peine entre ses mâchoires, il n'aurait pas fallu que la route soit plus longue - pour le dîner. Caché derrière les nuages, le soleil avait disparu un peu plus vite qu'il ne l'avait prévu, et le jour avait déjà quitté les terres lorsqu'il parvint à l'entrée du Dédale. Comme lorsqu'il était plus jeune, il marqua un arrêt à l'entrée du labyrinthe, les pattes posées sur les premières marches et le souffle court.

Il y avait toujours eu une faiblesse dans son existence : sa vision nocturne. Contrairement à ses camarades, le loup sable se repérait très mal dans l'obscurité et n'y était donc pas des plus à l'aise. Cependant, le Dédale était une terre familière, et les quelques bribes qu'il en apercevait suffisaient à lui indiquer le chemin. Il reprit donc sa marche tranquillement, laissant à ses prunelles le temps de s'habituer autant qu'il leur en était possible aux flaques d'encres qui masquaient les alentours. Un long moment après, il entra enfin dans le Sanctuaire, où les odeurs de ses camarades lui chatouillèrent le nez, par-dessus celle du poisson. Il se dépêcha de déposer ses proies et lança un léger grondement - presque un ronronnement - pour indiquer à ceux qui seraient affamés la présence d'un dîner fraîchement servi.

Mais alors qu'il se redressait, une impression qui lui était devenue bien familière l'envahit. Il avait mis très peu de temps à comprendre quel était le pouvoir que lui avait octroyé son glowstick : il s'étendait autour de lui une aura de peur et de froid qui intimidait ses congénères. Ce qu'il avait mis plus de temps à découvrir, c'était la manière de s'en débarrasser. Il fallait en effet que lui et le loup sur lequel agissait ledit pouvoir aient une conversation, c'est à dire que chacun s'adresse à l'autre. Si ce n'avait été contrebalancé par moult inconvénients, il aurait sans doute trouvé cela subtil et malin. Toutefois, le poids de ce pouvoir s'était fait largement ressentir durant les premières semaines, jusqu'à ce qu'il ne le rompe en allant parler à chacun des loups présents chez les Nakhus. Il avait découvert que cette aura jetait également sur lui un profond pessimisme, et faisait ressortir de ses souvenirs les images les plus tristes et celles qu'il aurait aimé laisser prendre la poussière loin, très loin dans son esprit. C'était entre autres cela qui l'avait convaincu d'aller faire le premier pas auprès de tous les autres Nakhus afin de ne pas jeter une ambiance glacée dès qu'il entrait dans le sanctuaire, et être assailli lui aussi de choses qui mettaient son moral à zéro.

Le fait qu'il se déclenche à cet instant lui montra qu'il n'avait visiblement pas été très rigoureux, puisqu'il restait un Nakhu avec lequel il n'avait pas eu de conversation. Et ce pauvre hère était entrain de subir les affres de son pouvoir.
Il se redressa et balaya les alentours de son regard de glace. Son expression était soudainement devenue sérieuse, alors qu'il avait cette affreuse sensation que toute joie s'effaçait de son esprit pour ne plus jamais y revenir. Un frisson parcourut son échine, alors que ses yeux glissaient sur les différentes silhouettes non loin de lui. Lorsqu'il tomba enfin sur celle à qui il n'avait jamais parlé encore, elle lui sauta aux yeux. Et cela fut confirmé par l'accentuation de son aura - désormais, il avait l'impression de se trouver dehors en plein hiver, et ses pensées commençaient doucement à tâcher de le convaincre qu'il avait véritablement raté son existence - lorsqu'il s'approcha d'elle.

C'était une petite louve, jeune sans nul doute. Avant qu'elle ait pu fuir, il lança :

"Je ne te veux aucun mal, parle-moi et l'enchantement sera rompu."

Il planta ses yeux dans les siens, et pria pour qu'elle ne prenne pas les pattes à son cou.

Fort heureusement, la jeune louve ne prit pas peur - il vit son regard s'accrocher à son glowstick, et ce fut sans doute ce qui la rassura - et finit par lui parler. Il sentit avec soulagement la chaleur revenir en lui, et les mauvaises pensées être chassées par cet espèce d'optimisme assagi que l'âge lui avait donné. Il adressa un sourire franc à son interlocutrice et répondit :

"J'imagine que je peux dissuader un ennemi de venir me chercher des noises avec un tel pouvoir."

Il ne voyait pas vraiment d'autre utilité dans sa situation, mais cette simple chose était sans doute suffisante. Il se faisait de plus en plus vieux et n'avait plus sa forme d'antan. Eviter une attaque surprise pourrait peut-être lui sauver la vie. D'autant que depuis quelques temps, il sentait une sensation désagréable s'emparer de lui à chaque effort. Il toussait, avait l'impression que des aiguilles poussaient dans ses poumons. Il mettait cela sur le compte de l'âge, incapable de savoir qu'il s'agissait là des conséquences d'une maladie qui avait aussi emporté sa mère. Everbloom. Le virus qui perdurait dans les longues générations, et qui le destinait à quitter cette terre plus jeune que la majorité de ses congénères. Au moins, il n'avait pas eu d'enfants à qui le transmettre. Ce n'était sans doute pas une mauvaise chose, dans le fond.

Elle se présenta ensuite, et alors qu'elle le faisait il eut une étrange sensation de... familiarité, en la détaillant du regard. Il ne savait trop s'il s'agissait des couleurs ou des motifs qui ornaient son pelage, mais elle lui rappelait quelqu'un. Il lui fallut un instant pour remettre un nom sur ce visage dont il avait un souvenir lointain. Sayuri. Elle ressemblait à Sayuri. Cette louve qu'il avait croisé brièvement durant la longue sécheresse, à moitié atteinte de folie certainement à cause du soleil et de la déshydratation. Se pouvait-elle qu'elles soient de la même famille ? Ce serait un drôle de hasard. Mais un dicton populaire ne disait-il pas que le monde était bien petit ?

"Enchanté Crystal. Mon nom est Azkaban." Répondit-il en s'asseyant à côté d'elle. "Je suis nouveau, oui et non... Je suis né ici, et je suis parti quand j'étais jeune. Après avoir appris de la vie, je suis revenu ici et Yurai m'a accueilli parmi ses enfants."

Il secoua doucement la tête et ajouta :

"Ne connaîtrais-tu pas une louve dénommée Sayuri ? Quelqu'un de ta famille peut-être ?"

Cette étonnante ressemblance le travaillait.

Il eut un sourire lorsque la petite louve lui demande ce qu'il avait appris. C'était également ce que la déesse Corneille lui avait demandé à son retour - elle avait d'ailleurs fait du bilan de son grand récit son épreuve de glowstick. Cette vie menée d'abord avec sa soeur, puis de longues années en solitaire lui avait au moins appris la seule chose qu'il était nécessaire de posséder pour l'obtenir : une once de sagesse, glissée dans son esprit qui avait toujours été bon. C'était surtout cela qu'il en avait tiré, même s'il lui avait fallu bien du temps avant de le comprendre et de l'admettre. Mais ce n'était peut-être pas à ce genre de réponse que s'attendait la petite Crystal. Les jeunes loups - comme lui dans ses années d'enfance et d'adolescence - étaient généralement friands de récits d'aventure et chargés d'instants d'héroïsme.

"Oh, bien des choses. En une vie entière, tu penses." Répondit-il avec un petit rire. "J'avais une tanière près de la mer, sous un vieil arbre recouvert par le sel. J'ai appris à chasser et pêcher à peu près tout ce qu'on y trouvait, à vivre avec les caprices de l'Océan et de ses marées, à connaître les plantes qui poussent là-bas."

En somme tout ce qui lui avait permis d'y survivre, de s'y faire ce petit cocon en dehors de la réalité et dans lequel bien peu de loups s'étaient aventurés. Malheureusement, l'Histoire non plus n'y avait pas mis les larges pattes de la destinée, et il n'avait jamais vraiment eu d'importance dans celle-ci. Il admettait maintenant avec une calme résolution que son nom ne serait jamais écrit dans les livres, tournant le dos à une sorte de rêve d'enfant - mais sans doute le rêve de bien des enfants, alors qui était-il pour vouloir que ce soit lui plus qu'un autre. Il avait eu une vie simple et riche de réflexions. Maintenant il comprenait que c'était de cela qu'il devait se satisfaire, puisqu'il était de toute manière trop tard pour revenir sur ses pas.

"C'est une louve que j'ai rencontré il y a bien longtemps, pendant la grand sécheresse." Ajouta-t-il pour interrompre la pluie de questions qui faisait suite à la sienne. "Je ne l'ai pas vraiment connue, mais elle te ressemblait de pelage. Voilà pourquoi je me posais la question."

Ce n'était peut-être que le hasard, après tout. Les formes et les couleurs des loups du continent étaient si variées qu'il y en avait invariablement qui se ressemblaient sans partager de sang. Lui-même n'avait pas une allure très originale, loup de sable aux cheveux blancs. Il n'y avait que les marquages sur ses pattes arrières, légèrement fluorescents, qui marquaient son appartenance à une faille bien plus vaste que ce dont il avait idée.