Betta get right

Il avançait tête basse, l'allure presque voutée. Se coulant dans la nuit comme un serpent glisserait le long de la roche, tous ses sens aux aguets, l'oeil vif, scrutant le moindre mouvement.
Chaque brin d'herbe qui tressaillait sous la caresse du vent.
Il ne voulait pas être là.
Chaque grain de poussière qui aurait eu la témérité de se soulever sur son passage.
Mais il n'avait pas le choix.
Chaque bruissement d'aile, chaque mugissement.
Parce que ça ne le quittait pas.

Il avait dans un premier temps tenté de le nier. Supposant un éventuel choc post-traumatique — encore quelque chose qu'il lui était difficile d'admettre, mais fait était qu'il n'y avait strictement aucune raison pour qu'il y soit immunisé –, peut-être bien des séquelles dues à un coup un peu trop violent au niveau du crâne, quand il s'était fait rétamer par cette chose. Il avait vraiment, vraiment fait de son mieux pour l'ignorer. Il avait essayé comme jamais.
En vain.
C'était toujours revenu.
Ca prenait parfois la forme de flashes, comme des visions d'un autre monde, baigné dans le sang. Il avait remarqué que ça variait selon le lieu où il se trouvait. C'était extrêmement désagréable et intrusif. En prime, ça lui filait mal au crâne.
A partir de là, il aurait pu tenter de se contenter d'esquiver les lieux en question. Il avait bien tenté : le problème était qu'il y avait autre chose. Quelque chose qu'il ne contrôlait pas. Quelque chose dont il se sentait l'esclave.
Un sentiment, un besoin. Un instinct et une faim insatiable.
Celle-là même qui le poussait à revenir ici, dans cette maudite Savane où il aurait souhaité ne jamais refoutre les pattes, si peu de temps après y avoir frôlé la mort aux mains d'il ne savait trop quoi.
C'était comme un appel. Un sifflement dans sa tête qui lui disait qu'il devait y aller. Il avait cru en devenir fou, puis, après de nombreuses journées à repousser l'échéance, avait fini par capituler. Au moins était-il plus ou moins remis de ses mésaventures, et apte à se défendre. Quand bien même il doutait que cela lui serve à quoi que ce soit s'il recroisait cette absurdité de la nature.

Ainsi donc Joaquín se retrouvait de nouveau à errer au sein des Plaines Savanes. Peu serein, en dépit de son habituelle nonchalance, cette fois-ci peut être un peu raidie, il déambulait, et cherchait visiblement quelque chose. Sauf qu'une fois de plus, il ne savait pas quoi.
C'était un peu le grand refrain de sa putain de vie.
Et ça commençait à lui taper sur le système.

< Geb ; 11 ans ½ : 8PVs ( cause fatigue / manque des repas )


Y a t-il une limite à ce que peut supporter une âme ? Y a t-il un plafond à atteindre où l'esprit n'est plus apte à gouverner les émotions ? Il semblait bien au guerrier vieillissant qu'il en était là. A un pas de cette foutue ligne imaginaire qui le ferait basculer définitivement. A croire qu'il avait été plus mauvais bougre que ce qu'il ne pensait. Faire de son mieux en tant que loup, en tant qu'Etelkru, en tant que compagnon et père n'avait pas été suffisant. Le Karma tranchait en sa défaveur. Il avait fallu que Korra et lui payent de la vie de leur premier-né leur amour trop ardent et précoce. Il avait fallu qu'ils vivent cette première tragédie que de perdre un enfant dans lequel on plaçait tant d'espoir. Alors qu'il se remettait à peine de ce chagrin, ils devaient veiller à la santé de leur petite Nòtt, fragile et passant avec difficultés chaque nouvelle lune. Parce que la mort de Meleth n'était pas une punition suffisante ? Alors parents adolescents qu'ils étaient, voilà qu'on leur ravissait ensuite une fille. Combien d'heures ? De jours ? De semaines ? Avait-il passé à courir les terres en long en large et en travers en quête d'un minuscule petit indice pouvant le mener à Lüun... Il en avait oublié de dormir et de manger, il en avait oublié la perte éprouvée par sa belle et douce compagne, il en avait oublié le vide laissé dans le coeur de Thalion et de sa soeur enfermée chez les guérisseurs, restants observateur de ce drame. Alors que le deuil ne serait jamais terminé, sans savoir pourquoi ou comment leur louvette avait disparue, le mâle beige à la queue reptilienne avait repris en patte son existence et fait amende honorable envers louve et rejetons.

Tous le reste de sa vie avait été régit par la disciple de la Renarde et par son fils et sa fille bien-aimés. Ramenés au premier plan, il en avait décidés que jamais plus rien ne se mettrait en travers de sa famille et lui. C'était sans compté sur le départ stupéfiant et inattendue de sa propre soeur, qui abandonnait la vie pour laquelle il se battait tant. Il avait fallu à ce moment là encore que la vaillante Matriarche, Nout, succombe à la Grande Sécheresse. Il était chose naturel de voir partir ses parents vers un repos éternel mérité... Il l'était moins de subir, impuissant, la perte de deux femelles importantes à son coeur en quelques mois d'intervalles. Darius, leur Viking de père, toujours en vadrouille, avait rejoint la forte mais vieille hybride, l'âge le prenant à son tour. Geb en était à croire que le sort s'acharnait à lui prendre tout ceux qu'il aimait les uns après les autres. Pourquoi tant de malheur accumulé sur ses frêles épaules de jeune adulte ? Parce qu'il était père, compagnon et brave guerrier de la meute, c'est sur lui que se reposèrent ses frères et Diantre. Leur aîné n'ayant la carrure d'un chef de famille, il incomba au benjamin de la fratrie d'être ce pilier immuable pour la tribu des Hybrides loup-crocodiles. Et il fit de son mieux, le disciple du Grizzli. A l'instar de la divinité qu'il priait, il endossa le rôle de force de la nature pour ses proches. Il protégea les siens avec coeur et courage. Il mena sa famille avec confiance, tendresse et honneur. Et c'est pourtant Grimm qu'on jugea apte à être Bêta. Des années plus tard, c'est Ptah qui y eu droit.

Et lui ?

Qu'avait Geb pour se rassurer de son bon travail ? La fierté d'une belle famille, la joie d'être un bon élément pour sa meute. Aucune gratitude extérieure si ce n'est l'amour de Korra et le regard heureux de Thalion et de Nòtt. Cela aurait dû être suffisant. Il s'en mordait les babines maintenant, d'avoir osé pensé ainsi, car sous les traits d'un monstre de solitaire, la Vie lui vola son grand frère, la compagne de ce-dernier et leur fils. Il l'avait pourchassée cette catin emplumée, cette étrangère sauvage et meurtrière, jusqu'à ce qu'elle s'en prenne à son fils dernier-né. Était-ce un signe que la Nourrice et lui n'aurait jamais dû essayer d'être de meilleurs parents pour de jeunes enfants ? Pourtant le Hasard avait placé Noé sur leur chemin alors que la louve pâle portait en elle la promesse d'un avenir plein de nouveaux bonheurs. Pourquoi les Dieux leur faisait cadeaux de louveteaux à nouveau, pour les mettre en danger ensuite ? La colère remplaçait peu à peu la peine dans le poitrail du loup crocodile. Dans ses prunelles d'or brûlait une haine pure. Bien sûr il n'en avait jamais voulu à Aka ou aux autres du Panthéon, il n'avait fait que le prier pour avoir la force d'affronter tout ça, il n'avait fait que le remercier de lui insuffler le courage nécessaire pour sa battre encore et toujours contre le sort qui s'acharnait. Il dirigeait cette rage grondante contre l'Aztèque. Celle qu'il tuerait un jour. La seule pour qui il aurait été prêt à jeter tous ses principes. Elle avait eu de la chance de disparaître des radars a ce moment-là.

Car seul le prix du sang l'aurait apaisé.

En dehors de sa propre petite existence égoïste, le clan Etelklru avait subit perte sur perte, attaque sur attaque et d'autres solitaires s'en étaient prit à l'intégrité de la meute avec régularité. Le temps était à la violence et les porteurs de rouge, d'orange et de jaune voyaient le temps s'assombrir pour eux. Cassandre, leur Alpha un court laps de temps, avait été violée par une brute sanguinaire. Gran'Pa avait été enlevé puis sacrifié par les pirates, leur cousine Neït, Prêtresse de la meute adverse également. Karigan avait pu en réchapper de justesse mais avait subi un grave traumatisme. Jagh avait été assassiné, ainsi qu'un autre guerrier par le jeune Lucky, actuellement prisonnier. Trop d’événements rapprochés qui avait forcer le mâle beige à s'oublier au profit des siens et de la meute. Il avait tout donné pour eux. Il avait pu ainsi faire taire son chagrin au profit d'une colère toujours plus venimeuse et explosive. Il l'avait longtemps contenu pourtant. Après tout n'était pas un modèle d'honnêteté, de bravoure, de confiance ? La reconnaissance était arrivée là où il l'avait le moins attendue. Nommer membre du Heaume, conseiller des Alphas Pepper et Anette pour lesquelles il avait pourtant émis des réserves quand à leur manque d'expérience de terrain. La vie n'avait épargné personne chez les Etelkrus et la meute s'en voyait plus soudées que jamais. C'était un bien pour un mal. Cela en valait-il vraiment le coup ?

Le sang avait coulé, dans le mauvais sens.

Et cela n'avait fait qu'attiser toujours plus la hargne, tel un brasier qu'on alimenterait bien trop. Il en avait eu des idées mesquines, mauvaises, méchantes. Il en avait prié le dieu de lui permettre de lâcher la haine vorace qui rongeait ses barreaux dans la cellule qu'était devenu son coeur. Il en avait apprécié le spectacle macabre et fanatique offert par Kalashnikov pour l'offrande au Dieu Grizzli. Il en avait aimé voir les crocs de ce pauvre adolescent arrachés par Athelstan. Jamais il ne l'avait pourtant avoué. Qu'en aurait dit Korra ? Qu'en aurait pensé son fils si intègre et innocent des bassesses de ce monde ? Qu'aurait vu Nòtt en lui, elle qui soignait avec compassion et tendresse toute âme blessée ? Qu'en aurait pensé les jeunes Sokaris et Horus de tant de violence gratuite ? Il n'avait voulu fissurer cette image du père honorable et fort qu'il avait su imposer au fil du temps. Mais petit à petit, cela n'avait été plus qu'une façade. Un sourire factice alors qu'il bouillonnait. Puis il y avait eu le décès de Lucie. Il avait vu son ami et compatriote de toujours, Athelstan, sombrer dans un chagrin trop lourd à porter alors que compagne et fille s'étaient envolées. Et l'odeur, obsédante, de cette même saloperie à abattre. Geb n'avait plus eu que ça en tête. Tuer la sauvage et déchirer ses entrailles à coup de crocs. Il en avait presque déjà le goût du sang sur sa langue. Mais ce n'était pas tout bien sûr.

Parce qu'il était le pilier de toute une tribu, c'est lui que le destin voulait mettre à terre !

Sokaris avait été blessée lors d'une patrouille où son mentor avait été tué par un ami de la solitaire meurtrière. Grièvement atteinte, elle en avait passées des heures inconsciente entre la vie et la mort. Nòtt avec tout l'amour d'une grande soeur et l'efficacité d'une excellente soigneuse, s'était battue pour elle avec les autres guérisseurs pour qu'elle survive. La jeune louve pâle était une battante, elle avait ça dans le sang. Même si le soulagement avait été salutaire pour le Patriarche hybride, voir sa petite dernière dans un si triste état l'avait rendu fou de hargne. Ayant passé ces dernières lunes en mangeant peu et en dormant moins encore, le discernement faisait de moins en moins parti de son quotidien. Il avait assuré pourtant, son poste de conseiller, il avait gérer les patrouilles, les chasses, il avait fait de son mieux pour alléger les charges de l'Alpha qui devait en soigner une autre et de son compagnon d'armes en deuil. Il avait tout donné pour cette meute devenue comme une extension de sa famille, il y avait laissé une grande partie de sa santé. Ces dernières lunes avaient été dures, éprouvantes. Et même si la disciple de Kiro s'en sortait et se remettait doucement, le guerrier savait, il sentait, que ce n'était pas le moment de faiblir. Alors même qu'il perdait patte et haleine dans ce combat de tous les jours, la goutte d'eau qui fit déborder ses émotions trop longtemps contenues arriva du seul endroit qu'il pensait intouchable : le Cimetière où Horus travaillait avec le Croquemort.

Son fils avait été tué. Dévoré par un Monstre sorti d'une tombe.

C'était là les paroles de 'Clou, revenu si amoché de la terre des Nakhus que le disciple d'Aka aurait été prêt à leur déclarer la guerre sans cérémonie. Le Cimetière et son seul occupant vivant -ses- n'étaient pas hors de tout conflit, hors de toutes violences ? Ils étaient là pour creuser des trous et offrir aux morts une dernière demeure décente, peu importait l'horozon de ces loups, leurs croyances où les raisons qui les avaient menés là. Il était impensable qu'on s'en prenne à eux ! Garants des mémoires des défunts et protecteurs de leur repos éternel. Qui pouvait bien s'en prendre à eux ? Il avait osé espérer que même les étrangers comme l'Aztèque respecte cela. Puis le fossoyeur avait pu expliqué, plus ou moins, ce qu'il s'était passé. Incompréhension et la peine incommensurable de perdre encore un fils s'était muée, à son tour, en rage dévorante, tourné vers les seuls coupables tangibles de son malheur : les deux étrangers à l'accent similaire et porteurs de plumes décoratives. Nul doute qu'ils étaient de mèche. Peut-être un couple de sanguinaires, peut-être des frère et soeur. Il s'en foutait royalement. S'il en trouvait un, il trouverait l'autre, il en était tellement certain que cette idée l'obnubilait. Alors il se glissa hors de leur tanière familiale en douce, la nuit, et commença à pister les odeurs que jamais il ne pourrait oublier, tant il les avait graver dans sa mémoire en les trouvant successivement sur le pelage de ses deux derniers enfants.

Comme une ombre dans la nuit, il quitta le camp.

Un air dur collé au museau, un regard concentré et assassin, Geb avança avec la résolution que ce jour ou le suivant verrait le sang couler. Il était las de subir toujours plus. Il était désespéré de perdre encore. La mort d'Horus, quoi qu'en dise son mentor, était trop à supporter pour ses vieux os. Et s'il devait abandonner ici son existence misérable de père incapable de protéger ses petits, il le devait en faisant un maximum de dégâts chez l'ennemi. La piste ne tarda pas à s'ouvrir grand devant lui : entre son odorat et la bénédiction du Dieu Ours, le guerrier au cheveux de neige avait toutes les armes en pattes pour retrouver ces deux salopards. Et une fois que ce serait fait... Une fois qu'il croiserait les yeux de l'un ou de l'autre, ou des deux, il leur déchirerait la gorge sans sommation. Parce qu'il n'était plus temps au palabre, il n'était plus temps à la compassion ou l'écoute. Il serait à son tour synonyme de mort. Tel un prédateur en traque, le vieux loup qui ne dormait presque plus et n'avait rien mangé depuis bien trop longtemps, poussant encore dans l'énergie du désespéré pour avancer comme un zombie, parvint aux Plaines Savanes. La seule pensée qui lui vint alors, était qu'il y aurait des charognards pour effacer les preuves de l'existence de ces deux étrangers et que personne ne les pleurerait. Et même si c'était le cas, il s'assurerait que personne ne vienne les pleurer. Son coeur était désormais vide de miséricorde comme ses yeux d'or étaient vides de larmes. Il n'était plus qu'un ouragan furieux dont le besoin primaire était de détruire.

Jusqu'à ce qu'il le vit. Lui, sa proie.

Parce que physiquement, il ne pouvait y avoir de doute quand à la description faite par Cookie et sa fille. Parce que sa truffe lui hurlait que c'était lui. Parce qu'il ne pouvait plus réfléchir avec lucidité par manque de sommeil, de nourriture et de chagrin mêlé, il se jeta à corps perdu contre ce solitaire au pelage noir et rouge, qui au fond ne méritait pas un quart de ce qui lui était reproché par Geb... A l'instar d'une bête féroce et sans cervelle -de première abord-, le guerrier Etelkru se propulsa contre l'épaule du solitaire de toute sa force brute pour le déstabiliser avant toute autre chose. Ensuite il verrait pour planter ses dents là où il avait mordu sa fille, pour bien lui faire sentir ce que c'était que de s'en prendre à sa tribu.

Joaquín - 11PV (13 PV de base)
Geb - 8PV

A mesure que le temps passait, il reprenait peu à peu ses aises. Ces lieux ne lui semblaient finalement pas si hostiles que ça. Il y avait passé la majorité de son temps depuis son arrivée ici, quelques années plus tôt : il connaissait l'endroit comme sa poche, et pas une touffe d'herbes ne lui était inconnue. Il retrouvait ses marques et sa confiance revenait. Son pas se faisait plus souple. Son regard n'allait plus de droite à gauche, en quête d'un monstre, d'un assaillant. Il ne se sentait plus proie.
Il était de nouveau prédateur.
C'était avec une certaine satisfaction qu'il rejoignit la petite flaque où il avait rencontré l'autre solitaire moins chanceux que lui, quelques temps plus tôt. Il supposait que c'était de là qu'il devait partir, pour tenter de comprendre quelque chose à ce qui lui arrivait. Oh, certes, il n'était pas totalement rassuré. Il craignait à tout moment de voir la silhouette difforme de la Chose émerger de derrière un arbre, ou d'entre les rochers, comme ç'avait été le cas la première fois. Les ombres se faisaient menaçantes. Il entendait son coeur qui pulsait plus vite qu'il n'aurait dû.
Approchant lentement son nez du sol, il se mit à inspecter les lieux, en quête d'une effluve qui aurait pu l'aider, le guider, ou au moins éclaircir ce foutoir incompréhensible dans lequel il se retrouvait. Cette tension qui semblait le lier à ce lieu était plus forte que jamais, à présent. S'il gardait les paupières closes, il avait presque l'impression d'être ailleurs. Dans cette version crasseuse et stérile de leur monde. Avec ses silhouettes menaçantes, dont il peinait à savoir si elles étaient des arbres, des gens, ou bien...
... autre chose.
Après s'être assuré qu'il était bien seul, Joaquín se risqua à fermer les yeux. Dans la nuit noire se détachaient lentement des formes, des couleurs. C'était comme si on peignait lentement un tableau devant lui. Un tableau qui changeait comme bon lui semblait. Et voilà que là, dans cet endroit qui semblait si proche, il croyait apercevoir l'autre mâle. Ce pauvre mec qui ne connaissait même pas le mot fête.
Mais il n'était pas seul.
A ses côtés, quelqu'un d'autre. Quelqu'un qu'il reconnut aussitôt.
La louve ailée du temple mauve.
Joaquín ouvrit les yeux, interloqué, mais n'eut pas le temps de réfléchir ni même de se redresser que quelque chose heurtait violemment son épaule.

Son sang ne fit qu'un tour et tandis qu'une effroyable sueur froide lui gagnait instantanément toute l'échine, il fit volte-face dans un aboiement rauque, tous crocs dehors, et mordit à l'aveugle dans la première chose qui passa sous son nez.

[2 dés attaque contre Geb]

Contre toute attente ce n'est pas dans de la peau nue ou une fourrure noire crasseuse que ses dents s'enfoncèrent, mais dans le poil épais d'une encolure de loup. Sa bouche s'emplit bien vite du goût acide du sang de celui qui venait de le heurter et si sa première tentation fut de ne plus lâcher prise et de secouer comme un forcené la tête jusqu'à ce que quelque chose cède, il réalisa qu'il n'avait strictement aucune idée de qui pouvait bien l'attaquer, et qu'il savait encore moins pourquoi.
Etait-ce une attaque, au juste ?
Il était clairement à cran depuis des jours et ses récentes difficultés à trouver le sommeil ne l'aidait en rien à faire preuve de discernement. Il était certes un connard, mais même un connard se devait d'avoir un code. Et il était justement en train de flirter très dangereusement avec les limites de sa doctrine personnelle. Chose qui n'engendrait jamais rien de bon.
Lâchant prise, Joaquín se recula d'un rapide bon en arrière, le souffle court, le poil gonflé. Se tenait face à lui un vieux mâle qui pour ne rien changer à la routine qui était devenue sienne depuis qu'il vivait ici n'était pas tout à fait un loup, et ressemblait de manière assez effrayante à un reptile. Un nouveau frisson remonta le long de son dos et il se demanda durant un court instant s'il ne s'agissait pas là d'un monstre de plus.
Non. Ce type avait saigné. La chose ne saignait pas.
S'efforçant de garder les idées un minimum claires, Joaquín tâcha de humer l'air. Perdu au milieu des effluves d'hémoglobine, l'odeur d'un clan. Son dernier passage chez eux n'était pas un souvenir très agréable. C'était une putain de blague. Même chez lui ?

— C'est coutume chez vous d'attaquer les gens sans raison ? gronda-t-il avec colère.

Furieux, il cracha un épais caillot de sang par terre sans quitter l'autre des yeux.
Car s'il s'était bien trouvé sur les terres de son clan, la dernière fois, les membres de la patrouille qui l'y avaient cerné ne lui avaient donné en aucun cas la possibilité de se justifier, ni même de dire quoi que ce soir. Ils s'étaient jetés sur lui comme des sauvages, visiblement fermement décidés à le mettre en pièces.
Certes, il n'avait pas particulièrement tenté de communiquer, ce jour-là. Joaquín était du genre réactif et une fois le combat engagé, il s'y jetait corps et âme, sans que plus rien d'autre n'existe. Mais s'en étaient alors suivi des faits qu'il regrettait aujourd'hui et c'est pour cela qu'il faisait l'effort, aujourd'hui, de tenter de discuter, avant de frapper sans réfléchir.

Que faisait ce meutard ici, d'ailleurs ? A l'attaquer gratuitement ?
Peut-être était-il là pour les mêmes raisons que lui. Peut-être avait-il été confronté au monstre, lui aussi. Peut-être cherchait-il des réponses.

Mais voilà qu'avant que l'autre ne réponde, une exclamation détourna son attention. Faisant volte-face, Joaquín se retrouva nez-à-nez avec la personne qu'il avait probablement le moins envie de voir sur terre, plus particulièrement tout de suite. La petite femelle qu'il avait involontairement blessé lors de l'escarmouche. Face à lui. Avec un de ses potes pas loin. Pote qui lui ressemblait beaucoup. Qui était probablement de sa famille, à moins que tout le monde n'ait eut la même tête dans leur clan, qu'en savait-il.
Il écarquilla les yeux de surprise, et eut un léger mouvement de recul.
Pas.
Encore.
Etait-ce un cauchemar ? Une énième dérive de son altercation avec la Créature, un délire dû au manque de sommeil,à la constante tension qu'il ressentait depuis qu'elle lui avait collé la raclée de sa vie ? Ou juste son putain de passé qui décidait de le rattraper plus vite qu'il ne l'avait pensé, et venait se présenter à lui pour lui demander de rendre des comptes ? Il continua de reculer d'un, deux pas, mettant de la distance entre la femelle et lui. Dire qu'il n'avait pas pensé la recroiser un jour aurait été mentir. Il avait même envisagé cette éventualité comme une opportunité pour lui de s'excuser, ou... merde, faire quelque chose. Au moins, il ne l'avait pas tuée. Mais elle n'avait pas l'air en super forme. Merde, si ça se trouve, c'était à cause de lui. Elle avait quand même l'air sacrément amochée, quand il l'avait laissée avec son petit copain et le cadavre de leur... mentor ? Qu'en savait-il ?

— Qu'est-ce que tu fais là ? souffla-t-il en direction de la femelle, avant de tourner de nouveau la tête vers l'autre mâle.

De toutes les journées qui s'étaient écoulées depuis qu'il avait blessé cette louve, il avait fallu qu'il la recroise aujourd'hui. Alors qu'il avait clairement d'autres tracas en tête et qu'en prime, un mec sorti d'on ne sait où l'attaquait sans raison.
A moins qu'ils ne soient ensemble ?
Et ces putains de vision qui continuaient de lui flasher à la gueule.
Pris de court, Joaquín grogna derechef — la seule chose qu'il pouvait bien faire, en l'état actuel des choses –, son attention allant de l'un à l'autre, puis de l'autre à l'un, inlassablement. C'était à croire que tout se liguait contre lui ces derniers temps.
Plus jamais il ne foutrait les pattes dans cette foutue Savane.

< Geb ; 11 ans ½ : 8PVs


Le manque de réflexion et de discernement avait rendu son acte désespéré et franchement idiot, il le réalisa en sentant les crocs piquer sa chair alors que l'autre se défendait. En même temps, il s'était attendu à quoi au juste ? Plus leste que Geb, le solitaire s'écarta brusquement pour observer son agresseur. L'Etelkru planta ses prunelles d'or venimeuse sur lui. S'il avait pu le tuer d'un regard, le paria agoniserait déjà dans la pire des souffrances. Pour avoir osé blesser ma petite fille. Le poil levé, les crocs visibles, l'étranger semblait outré d'être ainsi attaqué. Mais que croyait-il ? Qu'il pouvait s'en prendre à la meute des guerriers les plus bafoués et énervés de l'histoire et s'en sortir tranquille ? La peine de mort était encore trop douce pour ce genre de bête. Vois tu, Geb, que tu deviens comme lui ? Il fixa avec haine ce mâle sombre aux jolies plume colorées qui ne pouvaient que rappeler celles de l'assassin de son frère. Plus malin sûrement, l'autre préféra lancer la discussion. Son accent ne fit que renforcer la colère du vieux loup hybride. Les oreilles couchées du membre du Heaume se redressèrent un instant. Toutefois son esprit n'était pas prêt à comprendre, juste à rétorquer sur le même ton.

— C'est coutume chez vous d'attaquer les gens sans raison ?
« Et chez vous, de vous en prendre aux enfants ?! »

Alors oui. Certes Sokaris n'était plus une gamine, elle arrivait dans l'âge adulte et était une belle et fière combattante. Mais bordel, elle restait sa petite-dernière, son adorable louvette. Il y avait aussi la fille d'Athelstan et de Lucie enlevée le jour même de sa venue au monde. Ces Aztèques étaient pourris jusqu'à la moelle. Le reste ne comptait pas. Et si une voix bien trop familière n'avait pas subitement retentit, le disciple d'Aka aurait attaqué à nouveau. Sauf que l'apparition aussi inentendue qu'angoissante de Sokaris plongea Geb dans la panique. Non. Pas encore. Pas sous ses yeux. Il gronda pour prévenir la louve et avança pour s'interposer tout en remarquant que l'autre mâle reculait. Avait-il peur maintenant ? Bien. Continue a craindre, paria. Il fallait que ce loup comprenne qu'on ne touchait pas à ses petits impunément, ni à aucun Etelkru et que son meurtre était une dette a payer de sa vie. Cependant quelque chose dans l'attitude du solitaire força le guerrier à la patience. Ca et la présence de Sokaris. Il ne voulait pas lui montrer quel bête féroce son coeur lui dictait de devenir. Il voulait rester le père aimant et bienveillant aux yeux de sa cadette. Alors, se forçant au calme et à l'attente, ses muscles pourtant crispés comme jamais, un lourd roulement menaçant de sortir d'entre ses crocs, il vint se placer directement entre le noir et la femelle pâle.

« Sokaris, rentre à la maison. »

Ordonna le patriarche. La louve était adulte et il se doutait bien qu’elle n’obéirait plus aussi facilement qu'avant, il espérait toutefois que son autorité suffirait à la mettre en sécurité, auprès de Korra. Il avait un loup a déchiqueter, et tant qu'elle était là, il ne pourrait rien faire, ni prendre des risques, ni démembrer ce paria.

La tournure que prenaient peu à peu les évènements avait de quoi laisser pantois. Il dévisagea le vieux mâle sans comprendre lorsque ce dernier lui répondit. Ses yeux allèrent de nouveau chercher la gosse du regard, et il l'observa, agacé. Joaquín n'aimait pas ne pas comprendre. Etant par nature franchement plus malin que la plupart de ses concitoyens, il avait plus ou moins toujours évolué dans ne certaine quiétude intellectuelle, sachant qu'il pourrait toujours répondre aux éventuelles interrogations de ses pairs, et surtout toujours se débrouiller pour retomber sur ses pattes, là-bas. Ces grands nigauds pouvaient être sacrément faciles à duper. Et à embobiner.
Pas difficile de comprendre comment Miguel avait pu réussir son putsch, à l'époque. De ce qu'on lui avait raconté, Daniel, s'il excellait sur le champ de bataille et dans l'art d'enchainer cul-sec sans jamais prendre de pause les shots de téquila, n'était pas franchement un fin penseur. Peut-être un poil plus futé que les autres rustres dont il se plaisait à s'entourer. Suffisamment pour manigancer des braquages qui avaient un peu plus de chance de réussir. C'était globalement tout ce qui était nécessaire à un loup, chez lui, pour pouvoir espérer être chef de gang. Etre un tout petit peu moins con que les autres. Mais juste un peu.
Pour Miguel, endoctriner les autres membres du groupe avait dû être un véritable jeu d'enfant.
Joaquín avait grandi avec l'impression qu'il pourrait faire de grandes choses, peut-être. Ou en tout cas, qu'il avait un bon potentiel.
Malheureusement, cette sensation de toute puissance n'était pas sans contreparties, et il avait bien vite appris qu'être un peu plus malin que les autres dans un monde d'idiots finis ne pouvait qu'engendrer rapidement une profonde frustration intellectuelle. Et une fâcheuse tendance à chercher les emmerdes, histoire de tromper l'ennui, et d'égayer sa vie avec des petits défis personnels.
C'était sans doute ça qui l'avait amené à fréquenter des mecs peu commodes.
C'était sans doute ça qui l'avait conduit sur les terres de la meute des deux autres, avec les résultats qui en avaient découlé.
Et c'était également ça qui le conduirait à recommencer, encore et encore et jusqu'à ce qu'il y laisse sa peau, parce qu'il ne pouvait tout simplement pas faire autrement.

Dans tous les cas, sa capacité à appréhender sans véritables problèmes toutes les situations se trouvait sérieusement mise à mal, depuis qu'il était arrivé ici. Des loups loufoques, des créatures sordides, et maintenant des gens qui lui balançaient des trucs à la gueule sans qu'il ne sache réellement pourquoi.
Et ça n'était pas dû à la barrière de la langue. Il en était certain.
Peut-être était-ce réellement sa fille ? Cela justifierait la manière qu'il eut de la congédier ensuite. Ce qui, au vu de la réaction de la petite femelle, n'eut pas l'air de lui plaire. Elle tenait à peine debout mais semblait sérieusement remontée contre lui. Et semblait oublier, outre le fait qu'elle était celle qui avait attaqué, qu'il avait tout fait durant leur affrontement pour éviter de la blesser, se concentrant uniquement sur les deux mâles qui l'accompagnaient, quitte à sérieusement morfler parce qu'elle, en revanche, faisait tout pour l'emmerder. Et putain, quelle teigne.
Les terribles blessures qu'il lui avait infligées n'étaient pas volontaires. Enfin. Il n'avait pas vu que c'était elle qu'il mordait sauvagement, et non pas l'un de ses deux camarades. Un faible grondement remonta dans sa gorge, tandis qu'il s'efforçait de chasser ces souvenirs dont il ne voulait pas.

— C'est elle qui a attaqué, grommela-t-il en reportant son attention sur le mâle. Tout choix a conséqu...

Il se stoppa net tandis qu'une vive brûlure dans son encolure le prenait de court. Serrant les dents, il porta l'une de ses pattes avant à son cou, cherchant en vain la cause de sa douleur. Il réalisa bien vite que cette dernière venait de sous son épais collier, là où il avait récupéré les deux griffes d'argent de l'autre solitaire. Les extrayant le plus rapidement possible, il les laissa tomber à ses pattes, mais ne s'en rendit pas vraiment compte, puisqu'il était ailleurs.

Voilà qu'il se trouvait de nouveau dans ces plaines gelées, avec ses arbres bigarrés et ses silhouettes distordues. Ses oreilles déchirées par d'affreux rires comme des roulements de tonnerre qui se répercutaient encore et encore contre les parois de son crâne.
L'autre solitaire galopait, à présent. Joaquín eut le réflexe de se tourner, comme pour le suivre. Il n'eut cependant pas le temps de lui emboîter le pas puisque le fantôme se stoppait net et revenait vers la louve ailée. Il lui dit quelque chose, quelque chose que Joaquín ne comprit pas.
Trois battements de cils plus tard, la louve prenait difficilement son envol, et Joaquín levait le nez, la suivant du regard, tandis qu'elle s'élevait dans cette mare de sang qu'était maintenant le ciel.
Mais à présent la vision faiblissait et le monde tel qu'il le connaissait reprenait sa place. A moins que ce n'ait été Joaquín qui reprenait pieds, tanguant dangereusement entre deux réalités. Réalisant qu'il s'était bel et bien déplacé ici aussi, il fit quelques pas en arrière, songeur, et attrapa précautionneusement les deux griffes dans sa gueule. Elles étaient de nouveaux froides.
Les replaçant à la va vite dans son collier, il jeta un nouveau coup d'oeil aux deux autres. S'ils avaient pu continuer leur petite engueulade familiale et le laisser faire ça vie, ça l'aurait quand même pas mal arrangé. Parce qu'il avait tout à coup l'impression que ces tracas étaient bien loin de lui.
Se déportant de quelques pas sur la droite, vers l'endroit exact où il avait eu l'impression que les deux autres se trouvaient, il se retrouva avec ses pattes qui trempaient dans l'eau stagnante de la flaque où tout avait commencé. Celle-ci lui renvoyait son reflet, une forme sombre et hirsute qui se découpait sur un lit d'étoiles. Il aurait presque pu voir d'ici Eva qui voletait au-dessus de la plaine, en quête de quelque chose. Il lui aurait suffi de tendre la patte pour la toucher, là, dans l'eau.

Un instant plus tard, Joaquín se mit à creuser, envoyant derrière lui de grandes gerbes d'eau mêlées de boue.

Il avait beau creuser, cela ne menait à rien. Cette maudite flaque n'était bien le miroir que de leur propre monde, et la seule chose qu'elle lui renvoyait, c'était son propre reflet, distendu par les remous, à demi noyé dans la fange.
Pourtant voilà qu'une décharge électrique sembla de nouveau parcourir son échine et qu'il se sentit comme planer au-dessus de l'autre monde. Ces steppes gelées semblaient dominer tout le reste, et depuis les cieux il pouvait voir l'une de ces Choses qui galopait droit vers eux. Et là-bas, au loin, coincé dans un édifice qui semblait à s'y méprendre à l'Eglise qu'il avait visitée chez les Nakhus, à l'exception que celle-ci était noire, il y avait quelqu'un d'autre.
Comment parvenait-il à le voir d'ici ? Aucune idée, mais il n'en était plus à se formaliser pour de telles broutilles.
Une chose était cependant notable : le jeune mâle n'était pas sans lui rappeler les deux meutards qui l'avaient accosté. Une grande et belle famille de chieurs.
Sentant sa vision de l'autre monde qui peu à peu lui échappait, et la gravité qui reprenait ses droits, Joaquín s'arracha à l'emprise de cette dimension infernale et, cessant de creuser, se recula de quelques pas. Son poil était désormais maculé d'eau et de boue et il avait le souffle court. Tournant la tête vers les deux autres, il les interpela :

— Il y a un loup comme vous là-bas.

Si ces derniers avaient perdu un proche aux mains de ces putains de girafes galeuses, il y avait peut-être moyen de remettre leur altercation impromptue à plus tard. Joaquín n'était pas du genre à se défiler face à son destin. Mais pour le moment, il avait vraiment autre chose à faire que de se fritter avec des clanistes qui n'étaient même pas chez eux, mais d'une certaine manière plutôt chez lui, et se permettaient qui plus est de venir l'emmerder alors que :
A. il n'était pas d'humeur
B. pour une fois dans sa vie de solitaire désoeuvré et las, il était occupé à quelque chose.

— Quelqu'un de votre famille a été bouffé par le monstre ? demanda-t-il, ses deux yeux jaunes se baladant rapidement de l'un à l'autre.

Ses oreilles s'agitèrent nerveusement. Il manquait clairement de patience. Il sentait qu'il pouvait arriver à quelque chose, et craignait qu'à trop trainer, toute possibilité d'agir en quoi que ce soit ne lui échappe.

< Geb ; 11 ans ½ : 8PVs


Le monde devenait-il fou ? Ou bien était-ce lui qui devenait dingue ? Un grondement rauque gagnait en puissance dans sa gorge alors que tout ce qu'il voulait était plonger ses crocs dans la chair du solitaire et sa fille choisissait exactement ce moment là pour braver l'autorité paternel et jouer sa petite bonne louve vaillante et fière. En d'autres circonstances, Geb aurait été ravi, il aurait encenser son enfant, des étoiles pleins ses iris de miel. Mais là ? Là ? Ce n'était pas le moment ! Le museau du mâle beige était plissé et son regard s'entrechoqua à celui de la jeune femelle pâle. Oh, il pouvait comprendre cet esprit revanchard, ce besoin de s'affranchir d'un ennemi qui vous avait mis à mal... Ne ressentait-il pas la même chose pour l'étrangère qui avait tué son frère ? La complice de celui-là ! L'Etelkru redirigea son attention sur le noir, visiblement bien agacé par la situation. Il préféra ne pas répondre tout de suite à Sokaris, ne sachant quoi lui dire sans mentir. De plus la réplique du solitaire le mit plus en rogne encore. Comme si sa fille allait attaquer un salopard de solitaire sans raison ! Elle était en patrouille, il avait donc forcément quelque chose à se reprocher pour que les trois loups lui tombent dessus. Geb espérait que la culpabilité étoufferait rapidement ce paria assassin si lui ne pouvait pas le démembrer. Le guerrier d'Aka montra les crocs alors que le mâle en face semblait piquer par un insecte.

Il se tortilla jusqu'à faire tomber quelque chose de son collier et... Fixer un point dans le vide. Etait-il stupide ? Inconscient ? Fou à lier ? Ainsi déconcentré il était vulnérable. Et si Sokaris n'avait pas été là, Geb en aura profiter sans la moindre once de pitié pour lui. Il se contenta d'observer alors les mouvements visiblement incontrôlés de l'autre tout en restant sur ses gardes au cas où il s’agirait d'une feinte pour mieux s'en prendre à eux, à elle encore, ou peut-être pour fuir. Au lieu de tout ça, le solitaire à l'accent étranger se mit à creuser dans une flaque d'eau sans prendre garde aux éclaboussures qui salissaient son pelage. Un dingue. C'était la seule explication. Geb jeta un œil à sa fille, entre incrédulité et agacement, avant de se reprocher lentement de l'ennemi, pourquoi donc se mettait-il à creuser aussi subitement la terre alors qu'il était plus ou moins aux prises avec deux Etelkrus le voulant mort ? C'était idiot ! Une nouvelle fois, l'autre fput happée dans une de ces hallucinations dont il semblait souffrir. Impatient et plein de rage, l'hybride aboya pour avertir le solitaire qu'il en avait assez. Puisque Sokaris était là, ils en feraient un prisonnier pour remplir les geôles Etelkrus ! Quelques mots de la part du noiraud, pourtant, le firent changer radicalement d'idées : là-bas, bouffé, famille, monstre. Geb crû s'étrangler. Comment pouvait-il savoir ??! Comment ce solitaire pouvait connaître le destin tragique de son fils ??

« Comment sais-tu ça ?! Qui es-tu ??! »

Gronda l'Epée au glowstick rouge en avançant, menaçant vers l'autre.

« Mon fils est mort a cause de ce truc ! »

Ajouta le vieux loup beige d'un ton plein de certitude. Ses yeux mordorés aurait pu l'incendier sur place s'il n'avait pas éveillé dans le coeur de Geb un infime espoir. Il avait dit là-bas. Comme s'il s'agissait d'un endroit existant. D'un endroit qu'il connaissait. Etait-il de mèche avec les monstres dont on lui avait parlé ?! Après avoir presque tué sa fille, il s'en était ^rit à son fils ?! le loup-crocodile n'était plus tout à fait lucide et ne parvenait à aligner deux idées cohérentes. Fatigue, faim, stress, deuil, avait fait de lui une épave mentale dirigée uniquement par ses instincts les plus primaires. Le poil de l'Etelkru était gonflé et ses muscles étaient tous courbaturés d'être soumis à une telle crispation constante, mais le disciple du Grizzli ne pouvait simplement pas se calmer aussi facilement.

Bravant la haine et la colère qui les habitait, ses propos étaient visiblement parvenus à se frayer un chemin dans l’esprit des deux loups : cela confirma son idée. Dans d'autres circonstances, Joaquín aurait sans doute ri de la situation. Voire ces deux meutards presque suspendus à ses lèvres alors qu'ils trépignaient d'envie de se jeter à son cou avait, selon lui, un côté comique. Mais Joaquín était peu disposé à faire dans la provocation. Il avait réussi à attirer leur attention et à leur faire oublier ne serait-ce qu'un tout petit peu leur agressivité à son égard, il aurait été dommage d'éclipser ça pour le seul plaisir d'une petite boutade arrosée d'une bonne dose de cynisme.  
Le loup en question était apparemment le père de celui qu'il avait aperçu, lorsqu'Eva avait pris son envol. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il pouvait advenir de lui à présent : ni la louve ailée ni le loup solitaire n'étaient plus là à présent. Cependant, il pouvait toujours suivre les mouvements et actions du deuxième. Preuve que ces deux griffes d'argent étaient, d'une certaine manière, liées à lui.

— Pas mort, répondit-il, ignorant les railleries de la femelle.

Bientôt, peut-être, si cette chose qui l'attaquait était aussi redoutable que celle qu'il avait croisée ici quelques temps plus tôt.

— Il est avec d'autres dans le monde rouge.

Il fallait reconnaître que ses qualités d'orateur laissaient fortement à désirer pour le coup et que sa capacité limitée à s'exprimer ne lui facilitait pas la tâche. Comment pouvait-il savoir que son fils avait été pris par la Bête sans pour autant réussir à le voir ? Ne lui était-il pas connecté, également ? N'avaient-il pas vu ces Choses lui aussi ?

— Il est certainement complice de ce monstre… ils doivent avoir une dent envers notre famille.

Les babines de Joaquín se retroussèrent et il tourna la tête vers la femelle. Faisant deux pas dans sa direction, poil gonflé, un grondement monta dans sa gorge tandis qu'il la fixait, l'oeil mauvais. Quand bien même il se montrait bien plus laxiste avec les femelles qu'avec les mâles, il n'allait clairement pas se laisser insulter par cette gamine, et avait bien mieux à faire que d'écouter les jérémiades stridentes d'une ado rancunière.

— Je n'ai rien à voir avec ça ! Maintenant si tu n'as rien constructif à dire je te conseille rentrer chez toi porque tengo cosas más importantes que hacer que escucharte quejar, ¡joder!, aboya-t-il, ses dents claquant dans le vide, non loin du visage de la louve.

Il cracha par terre puis fit volte-face, la démarche courroucée, et revint vers le mâle. Il ôta de son collier l'une des deux griffes métalliques qui s'y cachaient, avant de la jeter à ses pattes

— Ca appartient à quelqu'un qui a été mangé aussi. Si tu le touches tu pourras peut-être le voir. Ton fils est à l'Eglise Nakhu avec d'autres. Si tu as objets qui lui appartiennent peut-être tu pourras essayer de le trouver.

Il se campa devant l'autre loup, attendant de voir s'il comptait essayer de toucher la griffe, sa cage thoracique se soulevant lentement tandis qu'il prenait de grandes inspirations dans l'espoir de se calmer. Il attendait pour récupérer l'objet, et se mettre en direction de la côte, qui se trouvait par chance non loin d'ici. Ce faisant, il pourrait peut-être trouver un moyen d'aider le solitaire, peut-être même les autres dans la foulée. Dans tous les cas il ne repartirait pas sans la griffe, et si le claniste comptait faire quelque chose, qu'il le fasse rapidement, parce que Joaquín n'avait clairement pas de temps à perdre.

L'attitude du noiraud était bien trop étrange pour être saine. Pourtant il savait que c'était plutôt lui qui manquait de clairvoyance ces derniers jours. La haine de Sokaris était justifiée, bien que son état ne lui permettait pas de se mettre ainsi en danger face au solitaire. Elle n'avait pas tort que tout ça n'avait pas de sens. Et pourtant... Pourtant ça faisait écho aux paroles du Croquemort : un monstre avait mangé Horus et il avait ressenti une connexion avec lui par delà la barrière censée être infranchissable du monde de l'outre-tombe. Il avait même dit le voir à travers une espèce d'ouverture spatio-temporel et avait aussi mentionné une atmosphère sanguine. Ce paria souffrait-il des mêmes hallucinations que leur fossoyeur ?
C'était irrationnel. Et pourtant le père en deuil ne pouvait ici qu'y voir une lueur d'espoir. Peut-être que le disciple d'Aka n'avait pas juste fou de chagrin, peut-être que les visions de Clou n'était pas que pure folie... Il vit bien en observant sa fille, qu’elle ne croyait pas un mot de tout cela. Lui aussi, entre sa rage et sa peine, avait du mal à trouver une réponse logique à celà. Mais il restait un père qui avait déjà trop perdu d'enfants et dont l’infime possibilité d'en sauver un faisait palpiter son vieux coeur.

Lorsque le loup étranger s'énerva contre Sokaris, Geb intervint immédiatement en bondissant vers le noiraud, au grondant avec rage, l'avertissant de ne même pas essayer de toucher sa petite fille mais déjà il jetait à ses pattes un morceau de métal. Interloqué, le guerrier observa ce qui ressemblait à une griffe finement ouvragé, en argent. Pourquoi lui jetait-il cela au museau ? Geb releva son regard d'or brûlant vers le solitaire et le fixa, sans comprendre. Puis les mots arrivèrent à son cerveau embrumé : cela appartenait à un disparu que connaissait le paria. L'artefact de métal se mit à briller étrangement et Geb y posa la patte comme le lui suggérait l'étranger, sans toutefois caché son scepticisme. Il ressentit une chaleur contre son coussinet et quitta son ennemi des yeux quelques secondes pour observer le phénomène sous sa patte.

( 1 PC ING - Réussite pour partager les visions de Joaquin )

A peine eut-il fini de jeter l'une des deux griffes aux pattes du vieux mâle que celle-ci se mit à briller d'un éclat aveuglant. Fermant les yeux, il eut le réflexe de détourner la tête, cherchant à fuir cette lumière désagréable, puis finit par entrouvrir légèrement ses paupières, se forçant à regarder, les dents serrées.

Joaquín ne vit pas l'autre qui posait sa patte sur la griffe, la mine interloquée. Il n'était déjà plus là, voguant de nouveau vers des horizons écarlates.

Sous le ciel rouge, la Bête, de nouveau. De nouveau aveugle, aux prises avec deux femelles. Il tenta de s'approcher, peinant à trouver ses marques sur un sol qui ne semblait pas stable. Mais fut de nouveau happé par cet univers distordu, pour se retrouvé sous l'eau, avec quelque chose qui brillait du même éclat aveuglant que celui qui semblait l'avoir projeté ici dans la gueule.
Etait-il cette fois-ci à la place de ce Solitaire, dont les griffes arrachées luisaient à l'identique ?

Et puis, la Savane.
Où la petite femelle maugréait Dieu seul savait quoi entre ses crocs, visiblement toujours agacée, et où le sol s'éloignait étrangement de ses pattes.
Joaquín crut un instant être toujours sous l'eau, battant des pattes à tenter de rallier la surface, son butin dans la gueule. Mais le ciel était d'un noir charbonneux et l'air était pur. Il n'y avait pas de monstre, il n'y avait pas de terres imbriquées les unes dans les autres, rien n'avait changé, si ce n'est qu'il ne touchait plus cette putain de terre.
Il.
Lévitait.
Comme.
Un.
Connard.
Et il n'était pas le seul.

Ecarquillant les yeux sans comprendre, il jeta un regard furtif aux deux autres, se demandant s'il s'agissait là d'un des effets de leurs fameux glowsticks, mais rien ne semblait l'indiquer. Crachant un aboiement rauque, observant la petite griffe brillante qui s'éloignait à vue d'oeil, il battit frénétiquement des pattes, avalant centimètre par centimètre au prix d'interminables efforts pour se rapprocher du sol, et parvint à se saisir du petit objet entre ses crocs avant d'être de nouveau happé par cette force invisible qui semblait fermement décidée à faire de lui un putain de ballon de baudruche. Un ballon de baudruche passablement énervé, qui commençait à sérieusement saturer de toutes les conneries de ce pays de bouseux enchantés.
S'agitant rageusement, se sentant la victime impuissante d'un prodige qui dépassait une fois de plus son entendement, il s'éleva inexorablement, et commençait à envisager que cela ne s'arrête jamais et qu'il soit condamné à souffrir une mort si merdique qu'elle n'aurait même pas eu sa place aux Darwin Awards lorsqu'un nouvel éclat, qui ne provenait pas de sa gueule cette fois-ci, lui fit tourner la tête vers les dunes sablonneuses qui encadraient la plage, à une petite centaine de mètres d'eux.
Là, la réalité, comme une membrane, était affublée d'une large entaille brillante.
Le voile s'était déchiré.
Il devait aller là. Maintenant.

Avisant la petite chieuse qui flottait non loin au-dessus de lui — ils devait se trouver à trois ou quatre mètres du sol, à tout casser –, il cessa de s'agiter, se laissant monter un peu plus vite, jusqu'à la rattraper. Pivotant pour se retrouver face à elle, il se ramassa alors sur lui-même avant de prendre appui sur la louve — prenant au passage un malin plaisir à lui abattre ses pattes dans la gueule – pour se projeter dans la direction de la faille. La vitesse n'était pas transcendante mais c'était toujours plus rapide que s'il s'était débattu désespérément pour se déplacer, et il n'était pas contre mettre un peu de distance entre cette teigne et lui.
Cinq mètres plus loin, la gravité revint brusquement à la normale, et il tomba brutalement au sol, heureusement à-même de se réceptionner sans trop de dégâts. Il sentir une douleur désagréable dans sa gueule, lui indiquant qu'il venait de toute évidence de s'entailler la lèvre avec la griffe argentée qu'il tenait toujours entre ses crocs, puis se releva rapidement avant de détaler droit vers la Faille, sans un regard en arrière pour le père et sa fille.

Suite à la Plage