Time — Limule

Cela faisait plusieurs mois maintenant.

L’océan noir l’avait recraché, alors même que Pepper s’était remise de la trop pleine utilisation de son pouvoir. Les tourments et les inquiétudes s’étaient éteintes. Désormais, plus grand chose ne semblait atteindre Sheina, qui avait laissé ses fantômes du passé derrière elle. Que les loups murmurent sur son apparence, qu’importe. Que Pepper la rejette si cela lui faisait du bien, qu’importe. Que plus rien ne l’atteigne, elle, pour ne plus être blessée, qu’importe si cela lui permettait d’avancer. La disciple de Kiro ne vivait pas pour elle, ni pour les autres, mais pour ses convictions, car elle été convaincue de l’existence d’un monde sans violence. Loin des traques de solitaires, loin de la vengeance, loin des maux sombres qui les affectaient tous.

Les cheveux de Sheina furent soulevés par une brise marine, tandis que ses yeux mauves observaient au loin. Assise sur le sable, la louve attendait qu’une présence se manifeste. C’était devenu une sorte de rituel depuis son enlèvement. Ces derniers temps, l’hybride ressentait plus que jamais le besoin de se ressourcer, de réfléchir au sens de toute chose, peser le pour et le contre de chaque acte, de pousser ses réflexions. Le trajet jusqu’aux côtes de nacres ne prenait guère de temps, surtout en volant, quand bien même, il était nécessaire pour maintenir l’équilibre dans l’esprit de la louve.

L’hybride entrouvrit sa gueule en fermant ses paupières, méditant avec le son des vagues en arrière fond. Cette fois encore, personne ne vint, malheureusement. Un doux sourire vint étirer les babines de Sheina qui se détourna de la mer, s’apprêtant à battre des ailes pour prendre son envol… Jusqu’à…

Les yeux mauves de la louve se posent sur cette silhouette, la stoppant nette dans ses mouvements.

L'oreille qui frémit au bruissement des feuilles sous le vent marin, le corps tendu de chacun, la pression de ce moment de flottement où le premier à agir prendrait des risque considérable qui l’amènerait soit à la victoire, soit à une défaite mortelle. Ils se regardaient, immobile, l'oeil bleu dans l'oeil jaune.
Les actions de Limule n'avait que rarement des objectifs particuliers, elle aurait vécu sa vie entière enfermée sur Morne-oeil qu'elle n'en aurait pas souffert. Elle connaissait tout de l'île, les meilleurs endroits pour pêcher, où ramasser crustacés et coquillages, sur quelles falaises on trouvait les nids d'oiseaux, quelles algues il fallait ramener aux médecins. Aller sur le Continent n'avait rien d'obligatoire pour elle, sauf pour les nuits qui ne lui appartenait pas et encore, elle avait des solutions en cas de mauvais temps. La pirate blanche se laissait porter au gré de ses envies comme elle aurait pu se laisser aller par les marée. Elle ne cherchait même pas à retrouver quelques connaissances, elle avait confiance, un jour ceux qu'elle devrait recroiser reviendront à elle. Elle en attendait certains plus que d'autres et laissait ses instincts la guider pour le reste.
Il y avait toutes ces voix aussi, depuis cette fameuse nuit, de ceux qu'elle connaissait ou non, plus que non que de connaissance d'ailleurs. C'était comme s'ils appelaient et parfois, elle restait là, tendu, à les écouter mais toujours l'Océan et le Démon lui rappelaient que c'était à eux qu'elle appartenait.

Croiser ce serpent n'avait pas été un acte volontaire, choisir de ne pas l'ignorer un peu plus. Elle n'avait plus le squelette de celui qui était à sa patte, étrangement il avait disparu et elle ignorait où. Le reptile n'avait pas choisi de fuir non plus, c'était à deux qu'ils avaient pris la décision de tuer l'autre. Un sifflement chassa le calme du sous bois et il se jeta en avant, gueule ouverte, crochets prêt à l'emploi. La louve blanche évita la morsure mais en se retournant, elle s’emmêla dans le corps. Ils roulèrent, surgissant de la végétation pour s'enfoncer dans le sable de la plage et les deux se séparèrent. Nouveau moment de tension où chacun regardait l'autre, le serpent se redressa, agitant sa langue, furieux, en dehors de sa gueule. Action des muscles en harmonie, comme si un coup de feu venait de retentir, les deux êtres se jetèrent en avant l'un sur l'autre. Les crocs trouvèrent prise, les crochets non. Etouffer, incapable de refermer la gueule, la tête vers le ciel, le reptile se savait vaincu alors que d'un geste vif, le cou fut rompu sans la moindre empathie.

Ça n'avait duré que quelques secondes, Limule était à l'instar de ces créatures marines qu'elle admirait, un prédateur vif et agile. Elle avait été laissé en arrière, cette époque de petite adolescente un peu distraite, le temps avait fait son effet, la vie sur Morne-oeil aussi.
Elle remarqua alors soudainement l'autre présence sur la place, à quelques bonds d'elle. Doucement, la pirate blanche tourna sa tête, pointant son museau et celui du crâne sur sa tête par la même occasion vers la silhouette mauve, le corps encore tendu du serpent toujours en gueule.

« Oh ! »

Limule se tient là.

L’âge avait fait ses effets. La louve blanche avait grandi depuis. Sheina aussi. La revoir était chose étrange. La disciple de Kiro demeura figée un instant, afin de rebattre des cils doucement, alors qu’un air satisfait apparaissait sur ses traits. Lors de leur première et dernière rencontre, l’Etelkrus avait été kidnappé par une créature mystique avant de devenir captive des pirates, du moins jusqu’à ce que ses alphas ne viennent les sauver. Loin d’haïr ses agresseurs, la louve avait même réussi à accepter son côté hybride, grâce à Limule notamment. La continental s’approcha doucement, repliant ses ailes dans son dos.

« — Ne t’avais-je pas promis que l’Océan ne souffrirait pas de répercussions ? »

Aucune attaque n’avait eu lieu à l’égard de l’île et de ses habitants. Au moins en cela, les Etelkrus avaient su réfréner leur violence, pour une fois. Même en ces terres sans appartenance, Sheina se doutait que certains des siens auraient attaqué la pirate blanche sans nul remords.

Les yeux mauves de la louve chauve-souris se posent sur le serpent, dont le corps encore raide pendait dans la gueule de Limule. En tant que prêtresse de l’Anaconda, Sheina aurait probablement dû être contrariée par la mort du reptile, mais cela ne l’affectait nullement. Après tout, ce n’était pas le dieu qui ici avait été abattu. Un sourire doux vint étirer ses babines.

« — Les méduses ne t’intéressent plus maintenant ? »

Parce qu’elle se rappelait encore des mots de la pirate à ce sujet.

Alors que la louve violette replia ses ailes d'hybride, se rapprochant doucement et tranquillement d'elle, Limule posa son serpent dans le sable, l'oreille attentive à d'éventuelles mouettes qu'elle saurait dissuadée puis avala la distance qui séparait les deux louves en quelques bonds pour venir se placer juste sous la truffe déformée de la violette. Sur son visage un sourire, elle était contente de revoir une connaissance et sa queue relevée se courbait derrière elle, démonstrative également.

« Oh ça, c'est surtout parce que le Continent avait d'autres choses à faire, certains sont venus quand même. »

Elle était un peu penché en avant, à force de bonds et pour passer sous le menton de la continentale alors elle se redressa, toujours plus petite mais un peu moins qu'avec d'autres loups qu'elle connaissait, pour avoir ses yeux au niveau de ceux de l'hybride bien que la pirate blanche n'en montra qu'un seul des siens.

« Il porte la même odeur que toi, celui qui a l'oeil fou et la queue rayée, pourtant, lui, il est venu et a mordu. »

Ils restaient haïs même si aucune grande action avait été faite à leur encontre. Ce n'était qu'une question de temps, les choses bougeront à nouveau un jour, qu'importe par qui, les deux camps n'étaient pas fait pour s'entendre, c'était ainsi. Un équilibre fragile où chacun se battait pour sa survie ou son confort.
Limule recula finalement d'un pas pour prendre le temps d'étirer ses pattes et son dos avant de suivre la direction du regard vers le corps du serpent.

« Oh pas tout les jours, moi les méduses je les connais, toi tu ne les connaissais pas »

A nouveau son regard bleu revint sur celui mauve de la chauve-souris.

« Et il paraissait qu'il faut parler à ceux qui sombrent doucement pour éviter qu'ils ne partent trop loin. »

Et elle élargit un sourire, penchant la tête dans un air bon enfant et léger. Les choses changeaient, les événements se déroulaient, parfois agréable, parfois non mais elle,elle restait encore cette petite louve qui avait de la sympathie pour autrui malgré une connaissance d'un monde bien cruel.

« En tout cas, tu es plus jolie lorsque tu n'es pas en train de mourir ! »

Plus colorée, plus vivante.

Ainsi donc, certains n’avaient su contenir leurs pulsions… Imbéciles. Sheina secoua doucement la tête, se demandant bien à quoi jouaient certains. N’y avait-il que la violence comme langage universel en ce monde de brutes ? Pourquoi les Etelkrus ne parvenaient à oublier ? Si il y avait quelqu’un qui aurait dû se venger des Raeders, c’est bien Sheina, pourtant… Pourtant cela ne l’intéressait guère, n’avait nul intérêt à ses yeux.

« — Stupide loup… Certains sont aveuglés par la violence et versent le sang sans en mesurer les conséquences. Qu’ils sont idiots de se croire surpuissant une fois leurs méfaits commis. »

La puissance n’était rien de plus qu’un sentiment qui engendrait la folie. Les loups puissants étaient les plus craints car plus imprévisibles, plus dangereux dans leurs manières de penser. Nullement inquiète, Sheina ne fit nul mouvement alors que Limule se positionnait pour mieux l’observer.

« — Mais le temps finit par les rappeler à la raison, pour qu’ils n’oublient ceux qui leur sont chers. »

Un sourire doux étira les babines de Sheina qui toucha du bout de son aile la joue de la pirate.

« — Merci Limule, je suis heureuse que tu me vois ainsi, le coeur apaisé. »

Loin des tourments et de la douleur. L’esprit et le coeur en parfaites harmonie.

« — Toi aussi, tu sembles en forme. Je suis réellement heureuse de te trouver ici. »

C’était des paroles sincères, quand bien même Sheina allait à l’encontre des principes de sa meute.

Aux paroles de la louve chauve-souris, la pirate blanche fit un signe négatif de la tête, l'information semblait avoir mis en colère la violette dans tout les cas.

« Non, ils ne se sentent pas puissant, au contraire, ils ont peur d'être trop faible. Ils ont peur, toi aussi tu as mordu lorsque tu as eu peur. »

Ils avaient cette image de menace qui frôle les flans du Continent jusqu'à finir par l'attaquer. Ça aurait été un mensonge de croire que ça ne leur faisait pas un peu plaisir, à eux, habitants de l'Océan, ça leur donnait un petit mystique, des rumeurs qui les protégeaient en écartant les autres. Le regard de Limule se fit plus sombre.

« Ils craignent de ne pas pouvoir protéger ce qui leur est le plus cher, ils ignorent que c'est eux même qui tueront ou détruiront leurs trésors. »

Le dur destin qui attendait chacun. La louve blanche redressa les oreilles et offrit un sourire, reprenant son air léger et enfantin lorsque la violette lui poqua la joue du bout de son aile. Elle sautilla d'une patte à l'autre, comme si elle se préparait à une course, remuant la queue et prouvant son énergie.

« Il faut toujours être en forme sinon, on finit manger par quelque chose qui l'était plus. Et je n'ai pas très envie de me faire manger tout de suite »

C’est vrai. Ses crocs avaient pénétré dans la chair des pirates. Au début par devoir, puis par instinct pour se protéger. Les yeux mauves de la louve se voilèrent un instant, alors qu’elle fixait le ciel étoilé.

« — J’ai mordu par douleur. Parce que le loup noir se jouait de ma souffrance. »

Parce que visiblement il avait trouvé cela fort plaisant. Sheina sourit en voyant une telle énergie chez la petite blanche, alors qu’elle remuait le bout de ses ailes, signe de satisfaction chez elle, à la manière des chats lorsqu’ils ronronnent.

« — Toi et moi ferions des repas bien curieux, je ne suis pas sûre que les prédateurs se risquent à nous goûter. »

Entre la pirate à l’odeur de marée et l’Etelkrus à l’allure étrange…

« — N’est-ce pas ennuyeux de ne se nourrir que de créatures marines ? »

Limule fit une moue non convaincue aux paroles de la chauve-souris, se balançant d'une patte à l'autre de gauche à droite distraitement, visiblement peu convaincue.

« Je ne pense pas qu'ils soient difficiles. Moi en tout cas, ça ne m'aurait pas dérangé. »

Si elle avait été un monstre marin géant comme Céto ou ceux encore inconnus, elle aurait volontiers croquer une louve chauve-souris qui vole au dessus de la mer ou une petite Limule blanche qui traverse les flots pour rejoindre le Continent.
A la dernière question la pirate blanche pointa ses oreilles vers la louve violette, fronçant un instant les sourcils avant de prendre un petit air malicieux en regardant l'Etelkru d'en dessous.

« Et ce n'est pas ennuyeux de ne manger que des créatures du Continent ? J'ai déjà goûté un de vos poissons une fois, il avait le goût de la boue. L'Océan n'est jamais ennuyeux lui, ce qu'il offre non plus. Si je veux, je peux grimper sur les falaises rocheuses et manger les poussins des oiseaux dans leurs nids ou alors je peux attendre que le soleil cuise et ouvre les coquillages à marée basse. Je peux attraper une pieuvre à la chair molle mais aux muscles puissant ou alors écraser les crabes pour casser leurs carapaces. »

A chaque fois, elle mimait le lieu, l'action où l'animal qu'elle évoquait, s'éloignant un peu de Sheina pour laisser libre cours à ses gestes, tournant autour de la chauve souris avec des pas et des petits sauts agiles, prise dans ce qu'elle racontait, l'oeil pétillant.

« Il y a les poissons, parfois vif qui brillent avec le soleil ou plus gros qui voudraient bien aussi manger la queue. Il y a ceux qui ont des couleurs et ceux où il faut faire attention parce qu'ils sont empoisonnés. Les raies aussi le sont, il faut faire attention parce qu'elles ont la queue qui a du venin aussi mais tu savais que leurs ailes ont aussi des os ? »

Elle s'arrêta quelques instants, se s'intéressant à nouveau, l'espace d'une seconde ou deux à la louve avec qui elle conversait, les oreilles en avant mais rapidement elle repartit, dansant limite sur ses pattes dans le sable comme une nage au fond de l'Océan.

« Il y a aussi les baleines qui des fois s'échouent sur la plage,il faut faire attention, si elles y reste trop longtemps, elles finissent par exploser mais leur viande est grasse, c'est pratique pour l'hiver quand les vents froids balayent l'île. Oh, c'est aussi la période où les phoques reviennent sur les plages également, quand c'est les éléphants de mer il faut être prudent, les mâles sont énooooormes. »

Limule pouvait continuer comme ça pendant des heures sans jamais se fatiguer, elle était d'ailleurs bien partie pour.

Au moins, les Raeders n’étaient pas cantonnés au domaine du poisson pour leur repas…

« — Les continentaux ont souvent une nette préférence pour le gibier. »

C’était chose rare. pourtant, un éclat de rire échappa à Sheina alors que la pirate faisait des mimes. Limule était clairement impliquée dans son récit, évoquant des créatures dont l’hybride ignorait totalement l’apparence.

« — Non je l’ignorais… pour tout te dire, je n’ai jamais vu de raie. J’ignore même à quoi cela ressemble, une sorte d’oiseau poisson ? »

L’océan était si différent des terres où elle avait grandi, un autre monde empli de secrets qui ne demandaient qu’à être découvrir. Cela rendit la prêtresse de Kiro un poil nostalgique, elle qui, avait délaissé ses désirs d’aventures en acceptant de servir l’Anaconda, en rejoignant le Heaume Etelkrus… Tout cela en valait-il réellement la peine ? Maintenant que le Heaume ne se réunissait presque plus, que Pepper avait trop changé pour mériter que Sheina la suive aveuglément… Un jour. Un jour, la chauve-souris reprendrait ses aventures, lorsque le temps le lui permettrait.

Limule aussi avait un contrainte, en tant que pirates. Les continentaux le savaient bien qu’ils ignoraient ce qu’il en était réellement.

« — Et vos malédictions… ne sont-elles pas trop contraignantes ? Lors de mon… séjour, la créature vous avez offert des médaillons, est-ce efficace ? »

Mieux valait le terme « séjour » que « kidnapping »…

Limule fit une moue avant de faire un signe négatif de la tête à la question de la chauve-souris. Ah lala, ce n'était pas la première fois que Limule se faisait la réflexion mais... ils n'y connaissaient vraiment pas grand chose, ces loups du Continent.

« Non, les oiseaux ne ressemblent vraiment pas aux raies. C'est plus comme... hum... des espèce de tapis avec une queue. Attends ! Tiens vas là bas un peu. »

Quelques petits bonds autour de la louve violette et la blanche se trouva à son arrière train qu'elle poussa sans vergogne jusqu'à la zone plus humide du sable de la plage. Puis Limule chercha quelques instants un bâton ou quelque chose de pointu avant de jeter son dévolu sur une branche de bois flotté dont la vie dans la mer avait ôté de toute écorce. Revenant près de la chauve-souris avec son bâton en gueule, la pirate blanche pencha la tête pour tracé dans le sable un motif ressemblant relativement à une raie manta, avec un grand rond pour la bouche, des triangles pour les ailes et un long trait en arrière pour la queue. Les traits étaient très appuyés, signe de la non habitude de l'exercice, de plus, il fallait l'avouer, Limule était plutôt mauvaise dessinatrice.
Les yeux bleus de la louve blanche se relevèrent vers ceux mauves de la chauve-souris lorsque celle-ci évoqua les contraintes des malédiction. Dans son regard, une émotion indescriptible, brillant, sérieux mais pas agacé, pas en colère mais pas non plus joyeux.

«Nos malédictions sont tout comme vos Lumières à vous. Peut-être que les conséquences des dons qui nous sont offert paraissent plus cruelles, plus brutales, nous devons être plus patients que vous mais c'est parce que ce monde que nous avons choisi n'est pas fait pour les loups. Les loups sont fait pour vivre en forêt, en montagne, vos dieux l'ont bien compris, c'est pour ça qu'ils haïssent autant la mer et pourtant nous, nous l'avons choisi, c'est pour ça que vos dieux nous haïssent.
La Malédiction, c'est l'Océan qui nous forge petit à petit à son image, pour que nos cœurs résonnent avec lui, pour que nous vivions en harmonie avec lui. Ce n'est pas donné à tout le monde, certains ne le supportent pas, alors ils s'en vont. Ceux qui viennent, qui demandent à rejoindre l'Océan, sont les parias du Continent, ceux qui ont été rejeté. Plus nous devenons monstre de l'Océan plus la terre nous refuse, jusqu'à nous transformer en cendre si on ose remettre les pattes là où on ne doit pas. »

Elle laissa un moment de flottement, un instant, peut-être pour  reprendre son souffle.

« Mais Ceto, elle a la magie, l'Océan est capable de dévorer chaque jour un peu de falaise, un peu de plage, toujours plus, parfois c'est l'inverse, c'est le Continent qui gagne. Alors Ceto, elles nous accompagne, elle nous aide à avancer nous aussi sur la terre et le sable, ce qu'elle nous a offert nous permet de ne pas disparaître. »

Elle recula un peu, lâchant un sourire.

« A cet instant, là, sans le médaillon, je devrais moi aussi devenir cendres. »

Sheina pencha sa tête sur le côté pour mieux observer le dessin. Ainsi, voilà ce qu’était une « raie ». La louve avait bien du mal à visualiser à quoi cela ressemblait en réalité malgré le petit dessin, probablement qu’elle ne le pourrait jamais. Ces créatures maritimes ne devaient pas se montrer facilement. Limule parla des malédictions qui affectaient les siens, une malédiction sur la durée, à vie, à laquelle il ne pouvait renoncer que par le chemin sinueux de la mort.

« — Tout comme certains dons que nos dieux nous accordent, vos malédictions peuvent aussi bien vous consumer. »

Limule parla. Beaucoup.

Sheina ne s’était pas attendu à ce qu’elle lui explique aussi bien leur malédiction, leur médaillon voir même l’emprise de leur entité maritime. Certains auraient fait bon usage de ces informations, les auraient transmises aux supérieurs, mais l’hybride, elle, n’en avait que faire de ces petites querelles, du désir de vengeance de certains. Tous les raeders n’étaient pas forcément mauvais, tous ne méritaient pas punition. La prêtresse ne se considérait pas comme ennemi de Limule, mais plus comme une sorte d’amie, une personne qui ne pouvait qu’admirer la force et la volonté de cette petite louve blanche.

« — C’est pour cela que vous avez tué, pour que l’océan gagne un peu plus sur le continent ? »

Nul reproche dans cette question, simplement de la curiosité, parce que Sheina aimait comprendre.

Elle continua de regarder Sheina de ses yeux bleus, de ce même regard, comme si elle reflétait elle même cet Océan dont elle parlait, elle qui en portait la couleur d'iris. Ses oreille étaient pointée vers l'avant, Limule écoutait la chauve-souris, ses questions, malgré son flux de parole et la fascination que lui provoquait le sujet. Elle pouvait presque de se vanter de tout savoir bien que les légendes des Raeders ressemblaient surtout à de l'interprétation de chacun.

« C'est parce que d'autres solution n'avaient pas été trouvé. Sous le commandement d'Illidan, les Raeders ont cherché du mieux qu'ils ont pu à rappeler Pontos, à recontacter l'Océan pour alléger la malédiction. Morne-oeil est une île maudite, avec le temps, elle rend fou, on finit tous par le devenir. Tatch, Creek et Kéran ne voulaient pas que ça continue, sans doute qu'ils ne voulaient pas devenir fou eux aussi alors ils ont essayé quelque chose qui n'avait pas encore été imaginé avant. »

Limule recula un peu pour laisser tomber son arrière train dans de sable et s'asseoir.

« Sans doute qu'il faudra recommencer un jour. Je lui ai donné beaucoup de chose à l'Océan mais il est gourmand, il veut toujours plus. Au fond de lui, il doit y avoir un sacré trésor. »

Leur monde était plus cruel, plus dangereux que celui du Continent. Les puissances qu'ils vénéraient n'offraient pas beaucoup, elles prenaient surtout mais ensuite, alors que l'emprise de l'Océan se faisait de plus en plus sentir sur leur corps, ils devenaient au final eux aussi un de ces monstres gardiens, ceux qui veillent sur les noyés, ceux surveillent la porte de la mort.

Tuer.

Encore. Tout ne résumait qu’à ça dans ce monde ? User de la violence pour obtenir quelque chose ? La louve ferma ses paupière un instant, attristée de savoir, qu’une fois encore, la vie serait sûrement arrachée, qu’une fois encore, cela aurait des conséquences. Parce que les Etelkrus ne laisseraient pas passer une deuxième vague de sacrifices, pas cette fois, ce serait bien la goutte de trop pour eux, la goutte qui justifierait la guerre. Sheina réouvrir les yeux, le regard plus dur tandis que ses traits trahissaient une certaine tristesse.

« — Limule, tu ne peux pas faire ça. Tu ne peux pas arracher des vies, pour satisfaire l’Océan sur de simple suppositions, il doit bien avoir d’autres solutions. »

N’en existait-il pas ? Ne pouvaient-ils pas offrir des glowstick au lieu de vie ? Ne pouvaient-ils pas prier au lieu de tuer ?

« — À quoi bon prétendre défendre une cause, si on n’est capable que de la servir par la violence ? »

À quoi se prétendre être loup, si on se comportait en bête ? L’hybride vint effleurer la joue de la pirate avec douceur, de la patte où brillait son glowstick, un sourire triste venant étirer ses babines.

« — Ne tues pas Limule, sois meilleure que ce que l’Océan attend de toi, sois meilleure que ce que les autres pensent. C’est comme cela, que tu changeras les choses. »

Et non pas par les désirs de vengeances et de sang…

La queue pointue de l’hybride remua doucement, alors qu’elle faisait volte-face, étirant ses longues ailes, le regard perdu dans ses pensées.

« — Je dois te laisser, mais j’espère que nous nous rencontrerons de nouveau et pas autour d’un bain de sang. »

La prêtresse prit son envol, laissant la petite louve blanche sur le sable.

La chauve-souris avait peur, elle craignait, elle n'approuvait pas.C'était normal, logique même, si les enlevés des cœurs n'avaient pas connus le même sœurs que ceux de l'appel, ça aurait très bien pu être le cas. L'île elle-même avait été sur le point de tuer la louve violette à l'époque. Morne-oeil était maudite, ceux qui n'y avaient pas leur place dépérissaient très vite.
Limule ne la coupa pas alors que la chauve-souris argumenta point de vu et inquiétude, la regardant simplement de ses grands yeux bleus, calmement, comme un enfant sage qui écoutait un adulte. Mais en réponse à l'inquiétude et aux sages paroles, à la caresse affectueuse sur sa joue, alors que le glowtick illumina quelques instant son visage sous le crâne du crocodile, la petite pirate blanche offrit un sourire malicieux, sa queue haute au dessus de son dos ondulant dans un mouvement léger et fluide.

« C'est drôle, c'est comme si tu considérais que ce serait forcément à nouveau des loups. »

Ils n'étaient pas obligé de recommencer de cette façon là, n'est-ce pas ? Mais est-ce qu'elle l'entendit au moins ? Pas si sûr, voilà que la chauve-souris s'envola, rejoignant le ciel qu'elle avait le don de pouvoir parcourir. Limule la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle ait disparu, puis, comme si cette rencontre n'avait jamais eu lieu, elle reprit ses activités, bondissant sur le serpent tué quelques instants plus tôt pour le saisir entre ses crocs et reprendre la direction de l'île maudite qu'était chez elle.