Retrouvailles l Cro

Elle n'avait pas eu beaucoup à chercher pour comprendre quel loup elle allait trouver au bout du fil l'intimant d'aller au cimetière. Il n'y en avait pas tant que ça qui passaient leur temps à parcourir les tombes, les creuser et les remplir. C'était bien quelque chose qu'elle serait incapable de faire, comme travail. Ce contact permanent avec la tristesse des autres, voir la douleur sur le visage de ceux qui restent, sans aucun filtre. Être leur interlocuteur pendant ces moments de peine, où il fallait tout organiser, alors qu'on avait qu'une seule envie : se rouler en boule dans un coin et oublier. Oublier.

Oublier oublier oublier. Jusqu'à ce que la balle ne retombe sur l'interrupteur et que l'on ne se rappelle que...

La vie n'est qu'une sale chienne, et elle prend sans distinguer les bons et les mauvais, toujours trop tôt. Et elle nous prendra aussi, un jour, qu'on le veuille ou non. Eva frissonna, alors qu'elle survolait la langue d'eau qui séparait l'Île Fantôme du reste du continent. Elle était souvent allée sur cette île, pour son cimetière, mais aussi sa bibliothèque. Oh, elle ne savait pas lire, non. Mais elle aimait quand même énormément l'ambiance qui régnait au sein de cette bâtisse si ancienne et emplie d'Histoire.

Mais aujourd'hui elle n'allait pas à la bibliothèque. Aujourd'hui, elle allait au cimetière. Elle avait envie de se recueillir, de fouiller ses souvenirs en contemplant une tombe qu'elle savait trouver fraîchement retournée. Elle n'avait pas eu l'occasion de beaucoup converser avec elle de son vivant, mais aujourd'hui elle voulait rendre visite à Hanna. Et elle savait, au petit pincement qu'elle éprouvait dans sa tête et dans son coeur, qui elle trouverait là bas.

Boîte à Clous, évidemment.

Elle avait fini par comprendre que les liens qui la tiraient sans relâche comme les aiguilles d'une boussole menaient toujours à des loups en lien avec les évènement de La Chose. Les choses, plutôt. Les Monstres. Et celui qui devait se trouver au bout de ce fil serait, sans contexte, le fossoyeur. Qui d'autre ?

Alors lorsqu'elle arriva au dessus de la grève, elle se posa délicatement avant de trottiner vers le cimetière, et y entrer en marchant religieusement. Elle ne savait pas où était Hanna, mais sûrement Clou pourrait le lui indiquer. Elle sentait que le lien était de plus en plus fort, comme une folle envie de se gratter, et elle finit par sentir, au détour des tombes, l'odeur forte des Etelkrus. Un peu différente, toutefois, que celle à laquelle elle s'attendait. Plus... Fraîche ? Elle pencha la tête sur le côté, apercevant enfin une tâche crème.

Boite à Clous ?! Excuse moi de- oh !

Elle se sentit très bête. Vraiment très, très bête.

Ca n'était pas Boite à Clous en face d'elle. C'était le loup crème, beaucoup plus jeune, avec qui elle s'était retrouvé à se battre contre le monstre.

Horus ?

< Horus

Tout avait changé depuis ce jour-là. Son enfance avait disparue, évaporée dans ce monde rouge dont il cauchemardait encore, se réveillant en sueur le matin. Il s'était trouvé pourtant là-bas, se découvrant une bravoure qu'il avait toujours douté posséder. Et un but également. Protéger, servir, secourir. Hors les loups de sa meute avaient grandement besoin d'aide pour apprendre à apaiser les tentions et les colères, pour commencer. Face à tous ces congénères aux comportements dictés par la peur, la haine, l'incompréhension. Lui, dans tout ça, s'était détaché pour mieux reculer et observer l'existence d'un point de vue plus neutre, plus tolérant. Et son travail au cimetière lui permettait ces longues introspectives loin des bouillonnements et éclats de voix majoritairement venus des disciples de l'Ours rouge. Horus soupira. Il se sentait pourtant vide, seul. Il avait obtenu la lumière solaire de Kiro mais cela ne suffisait pas à calmer ce manque qu'il ne savait identifier clairement. Parfois il se sentait attiré vers un ailleurs, vers d'autres territoires que son chemin habituel, mais il ne pouvait se permettre de se perdre. Ses parents ne supporteraient un nouveau déboire familial. Alors il faisait taire ce besoin impérieux de partir et de suivre cet instinct qui soufflait dans son esprit comme une tornade pour, à la place, prendre soin de ses proches.

Ce jour-là, alors qu'il venait de terminer de creuser un trou, qui bientôt accueillerait le corps d'une âme en voyage vers l'au delà, ce manque revint serrer son coeur à lui en donner le tournis. Il parvenait si souvent à le faire taire. Cette fois pourtant, il l'entendit sous la forme d'une voix féminine. Il réalisa bien vite son erreur en découvrant la présence de... Oh. Eva.

« Euh... Salut ! Eva, c'est ça ? Tu vas... Bien ? »

S'enquit l'apprenti Croquemort, maladroitement en s'ébrouant pour faire tomber de son dos les restes de terre fraîchement creusée.

« 'Clou est au Castel, aujourd'hui. »

Jugea t-il bon de préciser. Puisque c'était lui qu'elle semblait chercher. Un bourdonnement à ses oreilles le força a s'ébrouer une nouvelle fois, comme si son esprit cherchait à lui mettre en lumière un détail, comme s'il lui manquait une infirmation pourtant sous ses prunelles vert d'eau. Il afficha un sourire avenant et s'assit, les oreilles attentives à la louve ailée et la tête légèrement penchée sur le côté. Une idée vrombissait dans sa tête sans qu'il parvienne à l'agripper assez de temps pour la comprendre. C'était une sensation. Comme s'il n'était plus si esseulé.

Le loup crème était exactement comme elle pensait trouver Clou : en train de creuser une tombe, les pattes dans la terre si dure et le museau encore couvert de boue. Voilà qu'elle le surprenait dans une bien curieuse position, à gratter la terre pour autrui ! Malheureusement la situation n'avait rien de cocasse, c'était au contraire un sombre présage, l'annonce de coeurs de proches qui se serrent et de larmes qui roulent sur les joues.

Elle chassa cette idée. Elle était bien trop morne, elle ne voulait pas s'y attacher. Par contre, elle ne savait pas qu'Horus avait repris la suite du petit loup épais au cimetière. Il serait donc probablement amené à passer beaucoup de temps sur les terres Nakhus, comme son... Mentor, supposait-elle. La louve noire et blanche à ses explications claqua un large sourire sur ses babines et se fit fort avenante, comme à son habitude.

Oh ! Je ne le cherchais pas spécifiquement, j'ai juste cru que- que c'était lui.

Le lien. Le cimetière. Tout ça. Elle bloqua ses paroles pour ne pas se répandre en explications alambiquées qu'elle n'était de toute façon pas sûre de réussir à rendre claires. Elle recula d'un pas et recommença du début.

Ca... Va, oui, merci beaucoup. Et c'est bien Eva, bien retenu ! Et toi... Bien remis ?

Elle lui offrit un second sourire, plus spontané encore. Qui se fendilla, très légèrement, alors que lui revenait en tête la raison qui l'amenait en cet endroit précis.

Tu sais-

Sa voix se fendilla, de manière imperceptible, mais Eva l'anticipa et passa une patte sur son museau comme si ce dernier la grattait.

Pardon- Tu saurais me dire où est la tombe d'Hanna, s'il te plait ?

Elle se sentait un peu bête, de ne pas savoir. Mais bon.

Horus ; 3 ans
F A E I

Un grand sourire lui répondit, qu'il ne pu qu'imiter instinctivement. Horus était de ces loups bienveillants et chaleureux, d'autant plus depuis... Depuis ça. Il avait simplement perdu la légèreté, la naïveté de l'enfance. Ses oreilles se dressèrent alors que venait l'aveu : la femelle ailée l'avait prise pour le Croquemort. L'Etelkru se sentit étrangement flatté, d'être ainsi pris pour son tuteur. Il n'en avait pas tout à fait la carrure -du moins l'embonpoint-, mais cela restait agréable à entendre. Sans doute avait-il fini par mimer les habitudes gestuelles de Clou à force de le côtoyer.

« Oui, cela m'aura beaucoup appris sur moi. »

Lâcha le beige sur un ton qui se voulait badin, son sourire pourtant s'échappa lentement, en voyant la mine d'Eva. Evidemment, la raison de sa présence était évidente. Le coeur d'Horus se serra brutalement, alors qu'il subissait le chagrin de la Pie. Étrange ! Jamais il ne s'était senti aussi proche d'autrui. Bien sûr il était la compassion et la sympathie personnifiées mais, de là à se sentir aussi touché... Le futur fossoyeur se râcla la gorge et hocha la tête, à défaut de pouvoir répondre d'une voix qui aurait flanchée, il le savait. De fait, il invita la louve bicolore à la suivre dans un sourire engageant. Il se voulant rassurant, accompagnant. C'était aussi ça le travail du gardien du cimetière. D'un pas sûr mais lent, il guida la Nakhu jusqu'à la stèle nouvelle.

« J'ai changé les fleurs ce matin. Connaissais-tu celles qu'elle préférait ? Ca me permettrait de la rendre plus... Personnelle. »

Questionna t-il, désignant la pierre tombale, offrant un regard bienveillant au beau travail de son mentor. Chaque âme méritait d'être traitée avec égard, qu'on prenne soin de leur dernière demeure.

A sa réponse, Eva chassa les environs du regard. Beaucoup appris sur lui. Oui, ils avaient probablement tous beaucoup appris sur eux-même, ce jour là. Elle aussi, s'était découvert une verve qu'elle ne pensait pas posséder pour des loups rencontrés si peu de temps auparavant. Et une peur, aussi. Une peur, enfouie au plus profond d'elle même,qu'elle ne pourrait plus jamais déloger. Ancrée sur la face cachée de son coeur, accrochée telle une tique sur le dos d'un chien.

Elle avait du mal à se concentrer sur ce qu'il y avait autour d'elle, la tête encore emplie de chagrins, questionnements, et de bêtes noires étranges et au cuir épais.

Qu'Horus lui propose de le suivre la rassura : elle n'était venue qu'une fois ici, et craignait de s'y perdre autant que de ne jamais trouver la tombe voulue. Quelle honte, de venir jusqu'ici et partir sans même réussir à lui jeter un coup d'oeil. Elle lui emboita le pas. Elle n'était pas dupe de son attitude un peu forcée, mais ne pouvait pas lui en vouloir : il n'était que le miroir de ses propres émotions à cet instant.

Ils s'arrêtèrent devant la stèle. La terre, fraîchement retournée, brillait en comparaison de celle qui l'entourait. Le coeur d'Eva fit un bond dans sa poitrine, et elle serra les mâchoires pour retenir les larmes qui menaçaient de perler à ses yeux. Cette simple vision, une pierre délicatement gravée surplombant un monticule fleuri, suffisait à lui donner envie de vomir. Elle n'était pas de ceux qui pourraient oeuvrer ici. Venir au cimetière alors qu'elle n'y connaissait personne ne lui posait aucun problème, mais maintenant qu'une de ses rues portait un nom, un visage...

Venir ici lui serait plus difficile, dorénavant.

La question d'Horus faillit lui échapper, elle répondit cependant dans un souffle, à peine audible :

Non, je l'ignore... Je ne la connaissais pas très bien. Sa fille, Kerguelen, doit le savoir. Je le lui demanderai.

Elle n'avait fait que croiser Hanna, lors de ses pérégrinations au dédale et sur les terres Nakhus. Mais ça lui avait suffit.

Pour s'attacher.

Pour avoir mal.

De mauvaise compagnie, Eva se laissa tomber, assise, devant le souvenir de la louve grise. Elle se contentait de fixer d'un air triste le travail, pourtant formidable, des fossoyeurs. Une boule, au fond de sa gorge, l'empêchait de parler.

Horus ; 3 ans
F A E I

La détresse soudaine d'Eva le fit frisonner. Enfin, pas exactement. Sentir avec cette étrange acuité les émotions qui la traversait elle, le bouleversait. Sans trop savoir pourquoi ni comment, il se sentit proche de la louve ailée. Comme si elle avait fait partie de sa famille. Alors que le beige la connaissait si peu... Malgré le chagrin pesant, il sentit ses épaules se libérer du fardeau de la solitude qui ne le quittait plus depuis son retour de là-bas. La présence de la Nakhu le rassurait en quelque sorte. Savoir qu'il n'était pas seul à avoir enduré cet enfer devait l'apaiser, sans doute. Savoir qu'il n'était pas seul à avoir vécu ça, à en avoir des souvenirs. Devait-il en discuter avec la louve noire et blanche ? Ce serait déplacé. Elle était ici pour faire son deuil, pas se remémorer l'horreur de ce jour sombre. Horus se racla la gorge. Il était de son devoir de dire quelque chose et d'aider la pie dans cette nouvelle épreuve.

« C'est une héroïne. Tout le monde connaîtra son nom. Dans toutes les meutes. »

Ce n'était pas grand chose et ça n'aiderait peut-être pas. Le jeune mâle apprenait encore à être l'oreille attentive, l'épaule solide qui soutient. Un travail de tous les instants, un enseignements constant mais le fils de Kiro mettait beaucoup de coeur à l'ouvrage. Il offrit un sourire doux à Eva s'assit non loin d'elle. Il la laisserait seule si elle le désirait, bien sûr, mais il lui sembla que pour le moment, de la compagnie lui ferait plus de bien que de mal.

Elle resta ainsi un long moment, son regard figé sur la tombe. C'était... Etrange. Elle ne l'avait pas connue, que de vue, mais pourtant elle ressentait son absence comme un coutelas planté dans son coeur. Etait-ce vraiment elle, qu'elle regrettait ainsi... Ou ce que représentait son départ ? La réminiscence, que nous sommes tous éphémères, que la vie n'est qu'un passage bref de notre esprit dans l'univers, que bientôt plus rien ne sera ?

Eva se sentit plonger, profondément, dans ces pensées sombre qu'il faut dès qu'elles affleurent chasser, au risque de s'y noyer.

Les paroles d'Horus, étrangement, la tirèrent de sa torpeur, de ce trou sans fond qu'elle contemplait. Se rendant compte qu'elle avait failli s'y enfoncer bien trop profondément, elle déglutit, un frisson parcourant son corps. Et elle s'intéressa aux paroles du grand loup jaune.

Elle eut un très léger rire, un peu absent. Ces paroles avaient le gout de celles que l'on offre lorsqu'on ne sait pas vraiment quoi dire, lorsque les mots nous manquent mais qu'il faut quand même dire quelque chose, et malgré sa maladresse, la sollicitude d'Horus toucha Eva.

Merci, Horus. Je pense que j'ai fini pour cette fois.

Et surtout, tout à coup, elle souhaitait être n'importe où, mais pas ici. Elle se releva un peu brusquement, avant d'indiquer le chemin d'où ils venaient. Pour accompagner leur démarche, elle se racheta de son humeur auparavant morose et engagea la conversation sur un ton léger. Cela lui coutait, bien évidemment, mais elle réfléchirait à tout ça un autre jour. Quand elle serait seule. Ailleurs.

Alors, tu es l'apprenti de Boite à Clou je suppose ? Nous allons te voir souvent, sur les terres Nakhus. N'hésite pas à passer au Dédale, ou à t'arrêter en chemin, si jamais cela s'avérait nécessaire ou si tu avais besoin d'aide.

Elle eut un large sourire, franc et joyeux :

Tu seras toujours le bienvenue !

Comme tous chez les Nakhus, après tout.

Horus ; 3 ans
F A E I

Le mâle sourit avec chaleur. Il pouvait comprendre son besoin à quitter un lieu aussi triste. Pour lui le cimetière était non pas un endroit de malheur, mais plutôt un sanctuaire. Un quelque part où se rassemblaient les âmes perdues, les sereines, les blessées. Les quatre murets entourant les rangées de sépultures étaient comme un bouclier et tout être passant la porte en ferraille s'y voyait protéger. Enfin, c'est l'image qu'il s'efforçait d'avoir, bien que parfois, il lui arrivait encore de se retourner en sursaut, persuadée qu'une tête noire au sourire dément allait sortir d'un trou fraîchement creusé dans le sol et rire comme une hyène. Il en avait parfois des suées glacées dans le dos lorsqu'il était seul ici, et parvenait difficilement à rationaliser son angoisse. Et pourtant, même cela, ne l'empêchait pas d'officier auprès de Clou, et de revenir, jour après jour, pour nettoyer et prendre soin des tombes. La vocation était plus grande que la peur. A son tour, Horus secoua le museau, accompagnant Eva vers la sortie.

« Oui, je l'aide autant que je peux... »

Il répondit au sourire chaleureux de la louve ailée. avec le même entrain et la même bienveillance. Avant de s'affilier à Kiro, il avait longuement imaginé sa vie chez cette meute pacifiste et joviale. Enfin c'est ainsi qu'il les voyait de l'extérieur. Mais il savait que cela ne lui correspondait pas. Plus. En fait. S'il avait pu grandir sans passer par ce Monde de cendre et de monstres, peut-être bien que son cheveux aurait été différent. Il y avait des voie qu'on ne choisissait pas tout à fait. Parfois un éboulement de terrain forçait à se creuser une autre route... Ainsi allait l'existence.

« C'est gentil, je n'y manquerais pas. Merci beaucoup ! »

Ils arrivèrent jusqu'au petit portail de fer forgé un peu rouillé, grinçant sur ces gonds. Tiens, il allait remettre en état l'entrée du cimetière, ça l'occuperait un peu et lui changerait les idées ! Après un court échange tout à fait agréable, le disciple du Croquemort salua la femelle disciple du Pourpre et lui souhaita une bonne continuation, alors que lui entreprit de remettre en ordre le parvis de la dernière demeure des défunts.