Évaluation · Ama/Rowena

Voilà qui serait un moment relativement décisif. Anne avait déjà mal au crâne à force de se demander par quel angle aborder tout e moment. Oh, elle avait bien déjà une idée du genre de méthode à adopter, en se basant sur ce qu'il ne fallait pas faire, mais tout restait flou. Très flou. Ça ne lui donnait certainement pas quoi dire, comment temporiser tout cela. Mais elle voulait évaluer, s'enfoncer dans cette mer de questions qui lui taraudaient l'esprit.

Elle passa en revue quelques options de phrases, pour les écarter immédiatement. Elle décida qu'il fallait qu'elle joigne le geste à la parole : elle s'assit, sans cérémonie, mais sans brutalité. Puis elle inspira et expira lentement. Garda un visage neutre, voir à peu près serein. Et elle partit sur une question simple pour commencer ; il n'y avait pas toujours besoin de grands jeux d'esprits.

"Bien. Et si tu me donnais ton nom, déjà ?"

Elle ne pouvait pas se faire appeler Rowena si elle n'avait jamais entendu ce nom.

On l'avait escortée ici de force, techniquement. En réalité, elle n'avait de toute manière pas la force, du haut de ses trois mois, de résister au loup gris et orangé qui la poussait à la suite de la louve beige, mais il était hors de question qu'elle admette y être allée de plein gré. Elle commençait à comprendre que le loup blanc l'avait emmenée dans une sorte de traquenard, car de toute évidence ces loups-là n'avaient aucune intention de la relâcher pour la laisser rentrer près de Mère. Et cette pensée était des plus désagréables, même si elle s'efforçait de contenir ses mots, serrant très fort entre ses crocs le petit squelette volé. La cheffe n'avait pas réagi à sa provocation, et elle ne avait trop comment le comprendre. Il était évident que tous ceux qui se trouvaient ici lui obéissaient au doigt et à l'oeil - quelle bande de faibles. Ce serait donc elle, sa cible principale. Celle à attendrir ou à attaquer, selon ce qui serait le plus intelligent.
Les faibles sont bêtes comme des moutons, lui avait dit Mère. Ils ne comprennent pas les grands desseins du monde. Ils ne nous comprennent pas nous. Ils ne nous comprendront jamais.
Ou quelque-chose comme ça.

Elle se campa sur ses pattes et regarda fixement la louve faire quelques pas, puis s'asseoir en face d'elle. Derrière, elle entendait le loup gris s'éloigner, mais son odeur était toujours présente, perdue dans le parfum lourd que portaient tous les membres de ce groupe. Comment pouvait-on être discret et furtif en promenant une odeur pareille ? Elle laissa tomber au sol, entre ses pattes, son trophée, et planta son regard de glace dans les prunelles sombres de la louve. Elle devait tordre légèrement le cou pour l'observer, car elle était vraiment plus grande qu'elle, et elle n'aimait pas ça. Mais elle se refusait à faire un pas en arrière, parce que ça aurait pu montrer qu'elle avait peur. Et l'espèce de colère qui l'habitait chassait pour le moment toute peur de son esprit.

"Je le donne en échange du tien." Gronda-t-elle, la tête haute et les oreilles plaquées contre le crâne.

De toute façon, elle ne pouvait pas s'échapper. Autant essayer de récolter pour Mère des informations sur ce clan.

La réponse lui en apprit un peu. Pas autant qu'elle l'aurait voulu cependant et cela la frustra un peu. Elle sentit qu'il faudrait qu'elle soit plus subtile que ce qu'elle avait prévu : si, il faudrait de grands jeux d'esprits. La petite semblait s'y attendre et avait l'esprit beaucoup plus affûté que d'autres enfants de son âge. Anette retint un soupir pour ne pas dévoiler ses intentions. Elle soupesa sa réponse, savoir ce qu'elle pouvait dire ou non. Ce qui leur nuirait ou pas.

"Anne."  déclara-t-elle sobrement.

La louve beige et verte se réinstalla.

"Mais peut-être ta mère t'avais-t-elle déjà fait part de nos noms, ainsi que d'histoires fabuleuses sur nous."

Elle releva un sourcil, son ton légèrement sarcastique et son visage d'apparence blasée désormais. Elle se permit même de changer sa position pour balancer son poids sur une patte, laissant l'autre pendre un peu dans le vide. Elle était... désabusée. Comme si elle savait déjà à quoi elle faisait face.

La grande louve devant elle attendit un peu avant de lui répondre. Le nom qu'elle lui donna ressemblait un peu au sien. Mais en plus court, en moins mélodieux. Un nom facile à retenir, pour un cafard. La petite fut légèrement surpris,e car elle ne s'attendait pas à ce que ce soit si simple. Elle ne craignait pas de donner son nom, parce qu'elle savait qu'il signifiait quelque-chose de puissant. Mère lui avait dit qu'un jour, les faibles trembleraient rien qu'en l'entendant, comme ils tremblaient en entendant celui d'Oxomo. Alors elle répondit sans se départir de sa mine sombre :

"Amaniliztli."
La tempête.

Elle se sentait légèrement nerveuse, un peu plus à chaque instant, enfermée ici à la portée de cette louve immense. Ce n'était pas juste. Elle n'avait pas encore l'âge et l'entraînement pour pouvoir la battre à plate courture - car elle ne doutait pas qu'à armes égales c'eut été le cas - et se retrouvrait dans une position de pseudo-infériorité qui lui était très désagréable. L'échine hérissée, elle passa sa petite langue sur ses babines, et son regard se détacha involontairement d'Anne pour balayer les alentours rapidement. Il n'y avait aucune issue, bien-sûr, à l'exception de celle derrière elle gardée par le loup gris. La part d'enfant en elle fit enfler une détresse inexplicable, et elle eut une folle envie de se mettre à hurler. Hurler que mère vienne la chercher.

La fatigue du voyage, son dos douloureux et la colère qu'elle éprouvait à l'égard de ces inconnus qui voulaient la garder près d'eux faisaient vrombir dans son esprit des vagues qui lui piquaient les yeux. Un tremblement léger agita ses pattes alors qu'elle fichait à nouveau son regard dans celui d'Anne. Une question lui traversa l'esprit. Si elle se montrait trop offensive, est-ce qu'ils la tueraient ? Une pensée effrayante dans l'esprit d'un enfant, tout juste conscient de ce qu'était la mort.

"Je connais des noms." Répondit-elle. "Je sais que je dois vous détester. Et que vous nous détestez."

Elle finit par céder à cette pression invisible de l'animal hiérarchiquement plus haut qui pose sur ovus le regard, et se rassembla sur elle-même autour de son petit squelette. Il était à cet instant une ultime accroche. Elle devait garder ce trophée pour le ramener à Mère. Quoi qu'il lui en coûtât. En boule sur ce petit tas d'os qui menaçait à tout moment de se rompre, fragilisé par le voyage, elle lança d'une voix qu'elle ne put retenir de se casser sur la fin :

"Pourquoi je suis ici ? Mère vous tuera si elle le sait."

C'était là une certitude dans son esprit.

Anne serra les crocs et courba le cou pour regarder au sol, quand Amaniliztli se rassembla et quand sa voix se brisa. C'était une façon de cacher en partir l'expression douloureuse qui traversa son visage, venant tout droit des pensées qui résidaient en elle. Elle grogna, tout bas, de façon presque inaudible, mais ce son n'eu rien, absolument rien de menaçant. Juste emprunt d'un sentiment indéchiffrable.

"Rowena." dit-elle, simplement.

La louve inspira une grande rasade d'air, comme si chaque molécule d'oxygène pourrait l'aider à reprendre contenance.

"Si les circonstances avaient été différentes, tu aurais pu t'appeler Rowena."

Elle reposa ses yeux noirs sur l'enfant encerclant ce petit squelette, si petit. Sur l'enfant si petite. Elle se lécha les babines, pas de faim seulement, mais d'un autre sentiment qu'encore une fois elle camoufla. Mais Anette à cet instant précis, ne parut plus si à l'aise, si écrasante de sa présence.

"Nous la détestons elle. Mais pas toi."

L'Alpha se leva, amorçant un mouvement vers la sortie de cette grotte, et émit un son pour que la jeune la suive.

"Suis-moi, Amaniliztli, je vais t'amener là où tu te reposeras. Demain, nous verrons pour te désigner un mentor."

Elle signa la fin de cette entrevue de cette phrase.
Elle prendrait la suite de ses décisions le lendemain, alors.