Oisillon veut voler [PV Eva]

Eva avait été touchée que Raison lui demande de l'aide pour apprendre à voler. Elle tirait une certaine fierté de ses talents d'aviaire, et elle ne se sentait vraiment dans son élément que lorsqu'elle était dans les cieux. Et c'était en rougissant qu'elle avait accepté, du mieux qu'elle pouvait, d'apporter son concours au loup rose et pourpre. Ce dernier lui avait proposé de se retrouver dans la vallée des murmures et Eva avait accepté.

Elle était presque à l'heure lorsqu'elle arriva sur le lieu convenu. Mais à sa décharge, elle était en train de réfléchir à comment elle pourrait bien apprendre à Raison à avoir un vol plus harmonieux mais, surtout, moins fatigant. Parce que ça elle s'en était rendue compte : Raison forçait beaucoup trop sur ses ailes. Il avait un vol brut : il utilisait ses appendices comme d'un simple outil et pas comme une extension de lui-même, il ne prenait pas le temps de sentir ce qui l'entourait. Là où la buse se laisse porter délicatement par les courants ascendants, Raison se hissait à la force de ses muscles vers les nuages.

C'était son principal problème. Le reste viendrait avec la pratique - mais il devait apprendre à observer son environnement, et sentir l'air autour de lui.

Elle lui offrit un grand sourire en se posant à côté de lui.

Raison !

Elle sautilla.

Désolée pour le léger retard, j'étais prise dans mes pensées. Tu es prêt à commencer ?

Le voir s'étirer tout ce qu'il pouvait provoqua chez la jeune louve un léger rire cristallin qui se propagea dans les environs, ricochant sur les troncs pour se perdre dans les ombres épineuses. Elle s'en voulut lorsqu'elle lut le doute et la peur de l'inconnu dans les yeux de Raison. C'était si naturel pour elle, et un obstacle si grand pour lui ! Elle devait respecter sa volonté d'apprendre, même mieux, sa ténacité à vouloir dépasser les problèmes qu'il rencontrait. Elle s'excusa.

Pardon, tu fais bien de t'étirer un peu, c'est toujours bon. Mais je ne suis pas sûre que nous allons voler pour ta première leçon !

Un sourire mystérieux plissait ses babines en une grimace mutine, et ses yeux pétillaient.

Et ne t'en fais pas, nous apprenons tous un jour à voler. Même si le mouvement est inné pour certains, les meilleurs voltigeurs sont ceux qui prennent le temps d'étudier et de s'entrainer. Nous ne devons notre maîtrise qu'aux heures que nous passons à nous exercer, et si je vais tenter de te mettre sur la voie, ce sera à toi, entre nos séances, de travailler et de te donner les moyens d'atteindre tes objectifs.

Elle étendit ses ailes au maximum. Raison avait bien choisi son lieu de départ, la plaine était assez large pour leur permettre de se mouvoir à souhait, et surtout ils avaient une assez bonne vue sur la forêt environnante. Le temps aussi était idéal : il faisait frais, mais beau, et le ciel bleu se parsemaient de magnifiques nuages cotonneux, propices à un vol sans fatigue.

Si tu veux apprendre à voler, il te faudra observer ceux qui savent. Tiens, regarde cette buse qui nous surplombe. Que remarques tu chez elle ?

En guise de buse, il y en avait même cinq qui se côtoyaient dans un tunnel restreint du ciel, pointées du museau pas la louve bicolore.

Devant la réponse de Raison, elle se redressa et agita ses ailes, toute contente. Son sourire appuyait de fossettes ses yeux amusés.

Oui ! C'est exactement ça. Elles volent pendant des heures parce qu'elles ne battent pas des ailes.

Elle agita sa longue queue blanche.

Mais ça n'est pas tout ! Observe les bien, elles sont en groupe. Que peux-tu remarquer d'autre ?

Ils n'en était pas loin, du concept du vol. Mais avant d'embrayer sur une longue tirade pastorale, elle préférait le faire participer. Déjà, il retiendrait mieux comme ça, et ensuite ce serait beaucoup moins rébarbatif.

Elle recula d'un pas, et se reprit tout de suite, un peu effrayée :

Oh, désolée je ne voulais pas te vexer ! Je voulais juste éviter une formule un peu trop académique, mais n'aies pas peur de dire que tu ne voies ni ne comprends, de toute façon je suis là pour ça. Je ne cherche pas à te mettre en défaut, au contraire !

Elle écouta ses craintes et un sourire rusé se glissa sur ses babines.

Raison crois moi, je te promets que comme elle tu pourrais faire des centaines de kilomètres sans te fatiguer. J'ai déjà vu des loups plus grands, plus lourds que toi effectuer des voyages de milliers de kilomètres en migration. Ca n'est pas une histoire de taille ou de poids, mais de portance.

Elle agita ses ailes et tourna trois fois sur elle-même, chenapan.

Ces buses, elles tournent ! Et elles montent !

Elle étendit ses ailes.

Et elles sont sous un énorme nuage. Quand tu vas voler, tu vas te servir de tes yeux et de ton sens de l'orientation bien plus que de tes ailes.

Elle les agita doucement.

Tu dois apprendre à planer, mais pas que pour te déplacer, pour monter aussi. Les buses sont dans ce qu'on appelle une ascendance. C'est une pompe d'air chaud qui monte jusqu'au nuage. Mais cette pompe, c'est un cercle. Pas un disque. Si tu vas au milieu, tu descends. Si tu restes autour, tu montes, il te suffit d'étendre tes ailes et te laisser porter vers le haut.

Eva pointa son museau vers les buses.

Tu peux tourner dans le sens que tu veux, ça n'a pas d'importance. Ce qui est important, c'est de ressentir le flot d'air sous tes ailes, sous ton corps, pour comprendre où il te mène. Ne reste surtout pas à tourner à un endroit où tu perds de l'altitude !

Une fois lancée, il était difficile de l'arrêter.

Les buses sont tes meilleures amies pour repérer les pompes : tu es sûre que là où elles sont, ça grimpera ! Attention toutefois : elles sont plus légères que toi, et peut-être que ça ne te sera pas suffisant. Ton deuxième indicateur le plus fiable sont les nuages. C'est rare qu'un nuage ne comporte pas d'ascendance en dessous de lui, surtout lorsqu'il est bien formé comme celui là.

Elle se tut un instant et fixa de nouveau son attention sur le loup violet, avant d'agiter la queue, gênée.

Ca va, tu suis ? Hésite pas à me dire si tu ne comprends pas quelque chose...

Elle rit en le voyant décoller et flotter dans les airs, avant de planer sans efforts. C'était extrêmement plaisant à voir, surtout qu'il était très appliqué et dès le début avait très bien compris comment ça fonctionnait. La base, c'était d'écouter son corps et comment il réagissait pour réussir à lire les courants aériens. Une fois que c'était acquis, tout était beaucoup plus simple.

Lorsqu'il redescendit avec toute sa panoplie de questions, elle rit. C'était agréable d'avoir élève aussi assidu à la tâche ! Et curieux ! Elle désigna le ciel du bout d'une aile.

C'était parfait ! Tu as du le sentir, c'était plus simple non ? De toute façon si tu fais quelque chose de bien ou de mal, tu verras le résultat instantanément. Comme là. Donc ne t'inquiète pas pour ça.

Eva caracola de quelques pas et battit des ailes pour décoller, incitant Raison à la suivre. Pour la suite du cours, ce serait beaucoup plus simple de se le représenter en l'air. Elle cria pour se faire entendre par dessus les vents :

Il y a des ascendances partout ! Les nuages sont les plus simples à trouver, et probablement celles qui vont le plus haut. Une fois que tu es en haut, il te suffit de planer en essayer de prendre un maximum d'air avec tes ailes pour augmenter la portance, et te diriger où tu veux aller. C'est à toi de doser ta vitesse et ta portance pour optimiser tes trajets. Voler, c'est avant tout réfléchir, surtout au début. Après, ça viendra plus naturellement !

Elle battit une nouvelle fois des ailes, et le sol commença à se décomposer en camaïeux de couleurs sous eux.

Une ascendance, c'est simplement un courant d'air qui monte. Généralement ça s'explique par une différence de température : l'air chaud monte, provoquant une "pompe" dans un environnement d'air froid. L'effet est flagrant sous les nuages, mais se retrouve dans les éléments les plus simples comme une différence de couleur au sol.

Elle battit des ailes encore, pour se diriger vers les Champs Mystiques quelle pointa du bout de la griffe.

Regarde les champs ! Ils sont très sombres, avec leur terre retournée, à côté des herbes claires à côté. On peut supposer que la restitution de la terre va provoquer des pompes ascendantes. Il faut tenter, comme tu peux, de passer d'une ascendance à une autre, en essayer de garder ton cap. L'idéal, ça reste une "Rue de Nuages", comme on les appelle. Tu peux avancer pendant des heures sans la quitter, en montant, sans te fatiguer.

Elle commença à décrire d'énormes cercles.

Voilà la base de ce que je peux t'apprendre pour voler avec beaucoup moins d'efforts, déjà. Le reste,sur le sujet, tu pourras l'acquérir en volant sur de longues distances et te faire ton expérience. Ah, et évite toujours d'entrer dans les nuages si tu ne sais pas trop où tu vas atterrir : ça peut être très dangereux. Traverse les toujours le plus rapidement possible. En plus, il y fait vraiment très froid, tu risques de t'engourdir le bout des ailes et de ne plus pouvoir voler.

Elle ne s'était pas rendue compte, à parler parler et parler sans cesse, que Raison avait de plus en plus de mal à suivre. Pourtant ses mouvements se faisaient moins fluides, son regard fuyait, son oreille se faisait plus passive au fur et à mesure qu'elle avançait dans ses explications. Il est vrai qu'elle n'avait absolument aucune idée de ce qu'était le vertige. Quelle absurdité, pour un oiseau ! C'est ce qui la poussa à négliger le mal-être du loup violet, jusqu'à ce que de lui-même il redescende et rejoigne le sol, sur quelques paroles troublées. Eva se morigéna et eut envie de se donner des baffes : quelle idée !

Elle descendit à sa suite, gracile pie fendant les airs, avant de s'approcher de lui de quelques pas habiles pour lui lécher la joue.

C'était super bien, tu as complètement compris l'histoire des ascendances ! Félicitations !

Elle lui laissa un peu d'espace.

Repose toi bien. Ca n'est pas la peine d'exagérer ! Il faut prendre son temps. N'hésite pas à t'entrainer un peu tous les jours pour étaler l'apprentissage et te mettre à l'aise, ce sera plus simple pour toi. Un territoire ne se fait pas en un jour !

Elle débordait d'énergie, et essayait avec cette dernière de remonter le moral du loup violet qui avait l'air lessivé. Elle ne pouvait empêcher son coeur de se serrer : elle avait abusé et n'avait pas été assez à l'écoute, toute impliquée qu'elle était à parler de vol.