Rough Enough — Libre

Rough Enough | Libre

Un beau matin, alors qu'il effectuait sa — longue – promenade quotidienne, Joaquín n'avait plus vu le Dôme.

Difficile de dire depuis combien de temps cette étrange cloche qui avait coupé les territoires Lazulis du reste du monde avait disparu : c'était le hasard qui l'avait conduit à passer suffisamment près de ces terres sur lesquelles il avait renoncé à mettre les pattes depuis un moment, et c'était également le hasard qui lui avait fait regarder dans leur direction. Cela faisait bien six mois qu'il ne prenait même plus la peine de lever les yeux vers elles : dans sa tête, elles étaient définitivement hors d'accès.
Lui qui avait un moment envisagé de s'établir dans leur canyon une fois que la Savane s'était transformée en no-go zone avait été fort frustré de constater que ledit canyon n'était plus accessible, pour une raison qui lui échappait totalement mais dont il supposait qu'elle avait trait aux divinités locales, puisque de toute manière ici tout tournait autour d'eux. Il s'était également trouvé bien heureux de voir qu'un mystérieux désert avait dans le même temps fait son apparition sur les terres libres : une aubaine qu'il n'avait pas laissé passer. Il s'y était installé, il s'y ennuyait à crever, tout allait bien.
Et puis voilà que le Dôme s'en était allé.

Lorsqu'il avait constaté son absence, le soleil avait déjà bien entamé sa course dans le ciel : il avait décidé de revenir inspecter les lieux le lendemain, juste pour voir. Sa balade avait été plus courte que d'habitude : dans le creux de ses entrailles, une vague excitation était apparue. Peut-être que demain serait différent, peut-être qu'il se passerait quelque chose.
Il avait peiné à trouver le sommeil, comme un gamin la veille de Noël.
A l'aube, il avait quitté le Désert, droit vers les terres Lazulis.

Lazulis qui semblaient avoir quitté le navire, car leur odeur était bien différente, bien plus éparse, absente par endroits, lorsqu'après avoir une fois de plus longé une étroite corniche, il posa pour la première fois les pattes dans le canyon du coin. Il avait bien vu au cours de sa route pour venir jusqu'ici, en longeant la chaîne de montagnes, que ces terres qui avaient autrefois été abondantes de richesses n'étaient désormais plus que de vastes étendues désolées. Il ne savait pas ce qui avait pu se passer ici, et en était plutôt heureux : être au courant aurait probablement signifié être resté sous le Dôme tout ce temps, et l'expérience n'était pas franchement aguicheuse. Les fragrances que lui apportait le vent témoignaient de la présence de vie sur le territoire : tout le monde n'était pas mort, mais il se demandait si vivre là-dedans n'était pas pire, en fin de compte.
Au moins maintenant les choses pourraient sans doute revenir à la normale, même si ça prendrait du temps.

Il trouva dans tous les cas un panorama particulièrement aride, où les cadavres de plantes finissaient de se décomposer au soleil, parfois aux côtés des restes d'insectes aux proportions absolument désastreuses. Sous ses pattes le sol semblait frémir, comme prêt à partir en poussière à son tour : l'air était sec, la chaleur écrasante, il se sentait carrément bien. Il devait être aux alentours de dix heures.
Ragaillardi par un paysage qui lui rappelait sa maison — mais qui ne pouvait bien entendu en aucun cas l'égaler dans son cœur, parce que rien ne valait son Canyon à lui –, Joaquín s'engagea dans la Passe Ventue au petit trot. Dans un environnement comme celui-ci, il se savait en parfaite maîtrise, et ne craignait strictement rien.

Le soleil était au plus haut à présent et après avoir précautionneusement descendu les falaises il était arrivé sur ce qui devait être le lit totalement desséché d'une rivière. Triste vision que celle d'un canyon asséché : si l'on excluait le fait qu'il n'aurait pas craché sur quelques gorgées d'eau, un canyon aussi vaste sans eau en son sein, c'était une vision incomplète, un destin pas tout à fait achevé, une peinture abandonnée à quelques coups de pinceau de la fin. Une frustration non négligeable dont il espérait secrètement qu'elle serait balayée au cours des mois à venir : avec les pluies, l'eau reviendrait peut-être. Et cet endroit pourrait alors devenir franchement chouette.
Le nez au ras du sol, il humait pensivement l'air, à la recherche d'une vague trace d'humidité. Ça avait l'air d'être comme ça depuis un bon moment déjà. Sans grande conviction il gratta un peu le sol : pas d'eau. Inutile de chercher par là.
En relevant la tête il aperçut une grosse plante grasse qui paressait au soleil. Sans la moindre hésitation, Joaquín se dirigea jusqu'à lui et, précautionneusement, en arracha un bout, qu'il se mit à mâchouiller en prenant soin de ne jamais croquer dans les parties épineuses. Le liquide que contenait la plante s'infiltra lentement dans sa gorge.
Il était satisfait.

Le bruit de ses crocs qui venaient broyer la chair caoutchouteuse de la plante cessa immédiatement.

Joaquín tourna la tête, captant du coin de l'oeil le mouvement d'une petite pierre, à quelques mètres derrière lui. Pas besoin de balayer l'espace du regard : là, non loin du caillou, se trouvait un congénère.
Il plissa les yeux et recommença à mâchonner ce qu'il avait dans la gueule, observant longuement l'autre mâle.

De prime abord, l'inconnu semblait normal. Comprendre par là qu'il n'était ni affublé d'une paire d'ailes, ni d'un troisième oeil, ni d'une paire de pattes supplémentaires. Pas d'attributs semblant appartenir à d'autres animaux non plus. Un loup tout ce qu'il y avait de plus bénin. Qui portait sur lui une odeur bien différente de la sienne. A base de pins, de grandes steppes figées sous la neige et très probablement de longues nuits d'hiver à se geler le cul. L'autre ne venait clairement pas d'ici — l'odeur de ce continent n'avait visiblement pas eu le temps de venir se mêler à sa fragrance naturelle –, était somme toute diablement grand et n'affichait pas d'hostilité. Méfiant, Joaquín prit le temps de finir de mastiquer sa plante sans jamais le quitter du regard, aspirant le liquide qu'elle contenait jusqu'à la dernière goutte, avant de recracher les restes sans la moindre grâce.
L'autre avait un pelage particulièrement épais, encore plus fourni que le sien, et n'avait pas l'air d'être dans une forme olympique.

Il finit par se lever, se retournant vers la grosse plante à côté de laquelle il s'était installé, et entreprit d'en arracher un nouveau morceau, puis un autre. Lorsqu'il se fut exécuté, il se tourna de nouveau vers le Nordique, hésita encore quelques secondes, puis jeta d'un mouvement sec de la tête l'un des deux fragments de plante qu'il avait récupérés dans sa direction. Une fois ceci fait, il s'allongea calmement, ramenant son propre bout de plante jesuisàcoursdesynonymesputain vers lui de la patte, avant de lancer :

— Pour boire. Attention à... espinas.

Sans jamais détourner son attention de l'autre, il prit ce putain de bout de plante que je sais pas comment le dire autrement qu'il avait contre lui dans sa gueule, et entreprit de le mastiquer à son tour. Le liquide était sucré : ça ne désaltérait donc pas totalement, mais ça avait le mérite de vous réveiller un peu, ce qui n'était pas malvenu sous une chaleur aussi accablante.

Si mastiquer des plantes — pas toutes : certaines, il y avait des critères – était chose commune chez lui, force était de constater que l'autre semblait pris au désarroi. En même temps, s'il venait bien du Nord comme il en avait l'air, et s'il venait qui plus est d'un Nord où la neige ne fondait jamais ou était au moins très présente, trouver un moyen de ne pas mourir de soif n'avait peut-être jamais figuré au palmarès de ses priorités de vie. Joaquín ne se formalisa pas et se contenta de mâchonner son casse-croûte. Il était trop satisfait d'avoir retrouvé des condition météorologiques semblables à celles de sa patrie en pleine saison sèche pour être susceptible. Sans doute un peu trop abruti par le soleil aussi.

Le soleil se réverbérait sur les roches plates, les rayons semblaient affluer vers lui de toutes parts. Avec son épais pelage noir, il savait très bien qu'il lui faudrait bientôt se mettre à l'ombre pour ne pas risquer l'insolation. Mais la sensation de douce brûlure sur son dos était trop agréable pour qu'il s'y arrache immédiatement. Il se savait capable de tenir encore un peu avant de devoir s'abriter. Si son physique semblait de prime abord peu adapté à la vie en plein désert, il avait visiblement hérité de gènes qui le rendaient particulièrement coriace — ceux-là même qui avaient permis à Miguel de terroriser tout le Canyon si longtemps –, et ces nombreuses années passées sur la route à tourner et retourner dans sa tête toutes les informations qu'on avait pu lui distiller au sujet du vieux loup noir, couplées à de nombreuses expérimentations personnelles, lui avaient permis de déterminer avec une certaine précision quelles étaient ses limites physiques. En l'instant présent, il avait encore un peu de marge.
Il observa donc sans mot dire l'autre qui se prêtait au jeu et mastiquait à son tour le morceau de plante, se contentant de répondre à son remerciement par un vague haussement d'épaule.
Et recracha à son tour une mixture moite et verte lorsqu'il eut fini d'en tirer tout le liquide.

— Tabralt. Merci pour la... plante ?

Il supposa que Tabralt était le nom de l'autre, à moins qu'il ne se soit agi d'un mot d'argot venu de chez lui.

— Joaquín.

Ses yeux se posèrent sur les restes qu'il avait recraché non loin de ses pattes. Pas la moindre idée du nom que pouvait avoir cette plante, qui ressemblait vaguement à un Aloe Vera, mais pas totalement. Chez lui on les appelait généralement suculentas, mais il doutât que ça intéresse l'autre. Et ça aurait nécessité d'argumenter, ce qui aurait probablement relevé du gaspillage d'énergie.

— Tu es arrivé il y a peu ?

Une dizaine de jours.

C'était donc un arrivage tout frais. Avait-il déjà eu l'occasion d'en apprendre sur les us et coutumes locales, qu'il se soit agit des divinités et des pouvoirs magiques qu'elles offraient à leurs dévots, de la formidable incapacité qu'avait 70% de la population locale à se conformer au standard de l'espèce lupine, ou du fait que l'une des meutes installées dans les environs avait un sérieux penchant pour l'extrême droite ? Ah, le doux temps de l'innocence...

— Je suis arrivé par le nord. Et toi ?

Cela avait au moins le mérite de confirmer les suppositions de Joaquín. Après tout, il aurait pu être un loup qui venait du Sud, de l'Est ou de l'Ouest, et simplement doté d'un physique rôdé aux steppes du Nord juste pour le fun, je veux dire il y avait des loups oiseaux ici, alors au point où on en était...

— Du Sud. Très, très loin au Sud.

Tellement loin qu'on n'y parle même pas la langue qu'ici.
Après quelques instants, il décida de se relever, puis s'ébroua. Avant de regarder aux alentours, scrutant les parois rocheuses avec attention.

— Il doit y avoir grottes pour se cacher du soleil ici, si tu veux.

Puis, faisant mine de se retourner, il adressa un petit signe de tête à l'autre, l'incitant à le suivre s'il le souhaitait. Il n'allait pas tarder à crever de chaud à son tour, et il aurait été dommage que le nouveau venu claque après seulement dix jours ici, juste parce qu'il avait eu le malheur de ne pas aller au bon endroit. Ca aurait vraiment été une mort de merde, sérieux.

Elle remerciait le fait que sa chevelure ne fasse que recommencer à pousser. Elle avait une coupe courte pour le moment, qui donnait plus l'air d'avoir du volume que de flotter. Son pelage s'était éclaircit un peu, depuis son changement pour des teintes foncées... Mais il n'avait pas regagné ses allures claires. Elle avait jugé qu'elle allait rester ainsi. Un aléa de la vie et de ses aventures. Tant pis. Au final, elle était épargnée de sa coupe longue, un avantage pour son pelage qui s'était épaissi un peu, à force de vivre chez les Nakhus.

Après avoir croisé tout ce rassemblement et appris beaucoup de choses, bien que la joueuse ne sache pas quoi encore donc nous le tairons, elle avait vogué plus loin dans les terres. Elle avait voulu constater l'étendue des dégâts et commencer à aider, si tel était le but de l'appel auquel elle avait participé.

Elle dégota, à défaut de quoi aider, deux autres loups.
Gris et violet avec plus de poils qu'un chinchilla, et un sombre avec quelques touches de rouge. Le dernier avait commencé à marcher, avec un mouvement pour celui à cheveux blancs. Ses narines cherchèrent dans l'air quelques molécules, ne trouvant que l'information qu'ils n'appartenaient pas à l'odeur de pourriture et de sécheresse qui avait métamorphosés les anciennes terres Lazuli. Ils n'avaient pas dû subir le dôme. En tant qu'invitée sur ces terres aussi, elle ne pouvait cependant rien dire. Elle supposa simplement que la curiosité avait poussé plus de gens qu'escompté à venir sur ces terres rendues inaccessibles un moment durant.

Elle se tut donc, ne pouvant reculer et sans doutes déjà repérée, mais préférant jauger quiconque ces inconnus étaient. Elle resta donc là, avec ses mèches courtes, ses joues bouclées, sa queue flottante, ses tatouages, sa faux, sa petite capeline de plume et... et sa goule. Famine était plus loin, en train de faire l'andouille avec un cactus, n'en sentant de toute façon pas les piquants.

Une petite dose d'étrangeté, avez-vous dit ?
Vous en serez servis.

Famine:

— Joaquín.

Il n'y avait à vrai dire pas besoin de l'appeler. L'odeur était arrivée jusqu'à son nez, également, et ses yeux jaunes avaient coulé de Tabralt à cette étrange silhouette qui les observait sous le couvert des rochers. Avec. Sa. Putain. De faux. De mort.
Finalement loin de s'en aller vers de nouveau horizons, il demeura statique, fronçant le nez. Par pur réflexe ses babines tremblèrent, menaçant de dévoiler ses crocs. Il renifla de nouveau.
Femelle. Nakhu.
Et pourtant cette faux absurde. Ses muscles se raidirent.
Les poils qui semblaient relativement peu affectés par la gravité passaient encore : il avait vu bien pire.
Une autre odeur, aussi. Etrange. Inconnue. Déplaisante.
Joaquín balaya de nouveau les alentours du regard, avant d'aviser une créature extrêmement peu ragoutante qui rôdait près des cactus, un peu plus loin encore. Son poil se hérissa, et sa langue passa lentement sur ses dents, tandis qu'il réfléchissait à la situation.

Les Nakhus se voulaient une meute pacifique — aux dernières nouvelles. Il n'y avait donc en soi pas raison de faire preuve d'une méfiance excessive. Mais fait était que cette louve les détaillait en silence d'un air particulièrement creepy et ne semblait pas se soucier le moins du monde de l'autre monstrasse qui batifolait dans les épines non loin d'elle. A moins qu'elle ne l'ait pas remarquée ? C'aurait quand même été dommage. Cela dit la bête n'avait pas non plus l'air de se soucier d'eux.
Parfois, toutes ces conneries excentriques, ça le fa-tig-uait...
Il ne s'était établi en ces terres que depuis trois ans et pourtant il lui arrivait d'avoir l'impression d'y avoir vécu plusieurs vies.

Lentement, il se retourna de nouveau, abandonnant pour le moment l'idée d'aller s'abriter du soleil, pour aller se poster aux côtés de Tabralt.

— Tu veux quelque chose ? lança-t-il à l'adresse de la femelle, son regard la quittant parfois pour s'assurer que la bête, plus loin, ne s'approchait pas plus.

Famine:

Ils la jaugèrent.
Pas réellement amicalement, démontrant tout autant de méfiance qu'elle. Elle n'aurait pu leur en vouloir. Elle apprit néanmoins le nom d'un des deux, puis-ce que l'autre l'appela. Rrhoakine ? Nocera tenta de ne rien montrer du son qu'elle n'avait encore jamais entendu pour les noms d'ici. À la place, puis-ce que le gris dominait d'une bonne tête avait encore pris de la hauteur en se dressant, elle choisit de ne pas attiser de tension.
Elle répondit donc à la question avec un ton très neutre, calme.
Pas comme si elle avait vraiment voulu quelque chose de toutes manières.

"Non."

Elle bougea ensuite la patte pour appuyer sur le manche de la faux accrochée à elle. Elle la tourna jusqu'à ce que la lame ne racle le sol. Satisfaite, elle suivit le regard une demi-seconde depuis celui de Joaquín qui avait visiblement repérer Famine, avant de revenir sur eux. Il devait s'inquiéter de cette pauvre carcasse sèche bien trop vivante pour son bien. Surtout que celle-ci continuait d'essayer d'arracher des bouts du cactus auquel elle s'attaquait. Devait-elle montrer que la goule lui appartenait ? Rien ne lui disait qu'ils prendraient bien son talent involontaire de nécromancienne. Famine choisit ce moment pour réussir à arracher le cactus et tomber avec.
Nocera plissa un oeil et se tourna vers sa goule, émettant un sifflement.  
Famine se figea avant se docilement se coucher au sol.

"Nocera. Rhoaquin et... ?"

Bon, elle avait un peu massacré l'accent, mais elle avait essayé de prononcer correctement le nom, au moins. Le suspens de sa phrase laissa de la place à Tabralt pour se présenter à son tour. Dé hasard désolé c'est le Casino, pas moi- Elle eu l'impression peu après que son estomac avait eu comme des paillettes, et un frisson étrange dégoulina depuis sa nuque. Elle avait un vague souvenir de cette sensation... quand était-ce ? A ce fameux RP de Noël absolument barré ?
Elle avait bu et une louve violette lui avait fait quelque chose mais elle ne se souvenait plus quoi.
Oh elle espérait tant que ce ne soit pas une autre malédiction où elle finisse chauve.

Si seulement.

Le regard de Joaquín menaçait de couler de nouveau dans la direction de la goule lorsque la femelle émit un sifflement à son attention. Il ne fallut qu'un instant pour que l'étrange créature se fige, surprise, avant de se ratatiner au sol, visiblement bien docile.
O-K.
Il plissa légèrement les yeux, les lèvres pincées, tandis qu'il observait l'affreux monstre se comporter comme une espèce d'animal de compagnie. Et se demanda à quel moment cette louve avait pu se dire qu'un cadavre de coyote pourrait être un compagnon de jeu sympa. Décidément, ce fossé culturel entre lui et les gens de ce pays ne cesserait donc jamais de l'étonner.

Après quoi la louve leur donna son nom, profitant de l'occasion pour demander le sien au Nordique à ses côtés. Comme à son habitude, Joaquín ne pipa mot, se faisant spectateur silencieux de la scène. Et ça aurait été très bien comme ça si seulement il n'avait ressenti à son tour cette courte décharge électrique dans sa nuque. Il se sentit tanguer un instant puis plus rien. Tout allait bien.
Enfin non tout n'allait pas bien. Il avait putain de chaud. Comment aurait-il pu aller bien, avec une chaleur pareille ? Et son putain de poil noir épais comme le crin d'un mammouth laineux en pleine période glaciaire ?

Ses oreilles s'agitèrent distraitement tandis que Tabralt se présentait tel un aimable gentleman. De son côté, le noiraud regardait autour de lui, ses yeux scrutant les pans de roche qui les encerclaient. N'y avait-il donc pas un coin pour se mettre à l'ombre ?
Son attention fut enfin accrochée par une large fissure, à une centaine de mètres derrière eux. De prime abord, elle ne payait pas de mine, et s'il avait été dans son état naturel, il se serait surement méfié, au vu des bestioles qui semblaient trainer par ici et qui auraient très bien pu s'y dissimuler en attendant des heures plus fraiches. Mais elle lui apparut juste comme une formidable opportunité de trouver un peu de repos. Et quoi de mieux que de se reposer tous ensemble, hein ?

— Disculpa, ¿ os apetece ir por allí ? Me parece que hay un sitio dónde nos podemos escondir del sol. Es que me muero de calor...

Il s'ébroua, tentant par la même occasion de s'aérer un peu, avant de les regarder avec espoir.

— ... ¿ por fa ?

Et la méfiance générale s'envola.
S'installa à son profit une ambiance tout à fait cordiale et bien plus bavarde ; eux les taciturnes ramenés à une sociabilité plus haute que la moyenne. Tabralt se présenta avec tout le panache d'un chevalier, tandis que leur autre ami, car ils ne pouvaient être que des amis voyons, leur parla d'une langue à laquelle elle ne comprit rien. Mais ses yeux étaient passés d'une brèche dans la roche à eux, brillant de quelque chose qu'elle aurait ramené à de la bienveillance. Elle pencha la tête brutalement et afficha un sourire radieux à ses deux nouvelles connaissances.  

"Rhooooo dites-donc c'est exotique comme accent ça, et puis vous êtes franchement, mais alors vraiment aimables, c'est super sympa de se croiser comme ça."

Elle se leva sans problème pour suivre, accompagner, diriger peu importait, vers la brèche pour aller se mettre à l'ombre. Aucune pensée d'un potentiel piège, d'un guet-apens organisé par des inconnus, non. Elle était  bienheureuse de les accompagner là-bas, ce petit endroit exigu qui ne promettait que proximité et jovialité.

"Oh la la, la roche c'est pas très confortable après, j'espère qu'il y a encore un peu de sable dans la brèche sinon je vais avoir mal à mes pauvres os..."

Elle se faufila malgré ses complaintes orales, faisant très attention à ne pas aller trop vite. Il fallait qu'elle se préserve, elle était bien trop jolie pour subir ça. Elle aurait peut-être dû demander à Sobieski de venir, gentil comme il était il lui aurait bien amené un petit cocktail de cactus, et au passage occupé Famine. Mais elle était là pour la mission d'ambassade, c'était vrai. Elle espérait vraiment se faire bien voir d'Ajani pour ça au moins, elle avait été intriguée au début mais elle était lassée maintenant. Ils étaient tous moins intéressants que ses deux nouveaux amis !

Bien installée dans la petite grotte faite par la brèche, elle s'attela à tout apprendre d'eux.
Elle était certaine que ce serait fantastique !

"Booon alors, dites-moi beaux princes, vous venez d'où alors ? Je veux savoir parce que j'adoooore cette si jolie voix chantante et ce beau poil gris foisonnant. On a que des cas ici, des choses fofolles comme des paillettes et des ailes lumineuses, c'est tellement bizarre que ça en deviens barbant.. Mais vous là vous êtes bestiaux et adaptés c'est troooooop bieeeen !"

Dès qu'elle en eu finit avec ses petites explications elle posa sa tête sur ses pattes avant. Elle dressa aussi les oreilles, les détailla des eux presque à en lancer des étoiles et battit doucement de la queue. Elle avait si hâte !

Pour son plus grand contentement, ses compagnons d'un aprem se joignirent à lui pour gagner l'une des grandes crevasses qui creusaient les hautes parois de roche du Canyon. Ils purent s'installer à l'ombre, et ainsi profiter d'une température qui, si elle lui paraissait toujours trop haute, était tout de même nettement plus supportable.
Il aurait aisément pu continuer, à partir de là, de communiquer en espagnol, ce qui aurait plus coïncidé avec les effets de ce putain de dé de mort, mais ça risquait de limiter les possibilités d'échanges, donc la suite se ferait dans son français baragouiné usuel.

— Oh, Eva ? Louve blanche et noire como una urraca ? Je l'ai vue aussi il y a longtemps, fit-il lorsque Tabralt mentionna avoir rencontré un loup paré de plumes en se tournant vers lui. Mais c'est que le début, continua-t-il, la langue bien déliée par rapport à d'habitude, quand je suis arrivé ici j'ai vu un mec bizarre avec troisième oeil en la puta cara, eh ? Et il y a aussi loup cocodrilo. Louve avec quatre yeux. Et après il y a eu los putos monstros de la otra dimensión con unas putas manos grandes como tu y yo, tío, y una puta boca en el torso. Y tú, joder, fit-il en se tournant vers la louve, tienes pelo volante y hay una puta creatura que te sigue y eso no te molesta por nada ? Me cago en Dios, me vuelvo loco con este puto país, conclut-il, son débit de parole s'étant très nettement accéléré depuis qu'il était involontairement revenu à sa langue natale pour s'exprimer.

Il leva les yeux au ciel, prenant une grande inspiration qui se mua en un soupir contrit, avant de conclure :

— Les gens de mon pays seraient fous si ils venaient ici. On n'aime pas ce qui n'est pas normal, chez moi.

Puis, en tournant de nouveau le nez vers la louve :

— Comment vont les Nakhu ? Vous ne vous êtes toujours pas faits attaquer ?

Il se souvenait pertinemment avoir été plus qu'atterré en apprenant de la bouche de la louve-pie que la doctrine de la meute violette prohibait plus ou moins toute forme de violence... et par la même occasion, toute forme de capacité à répondre à une éventuelle violence venue de l'extérieur. Il était presque surpris de voir qu'ils existaient toujours. Ce coin était décidément tranquille : chez lui, il n'aurait fallu que quelques jours pour qu'un gang de tarés ne vienne tous les massacrer. Et il n'était pas sûr que leurs glowsticks aient pu les sauver, vu ce qu'ils avaient l'air mous du cul.

Ooh, ils ne lui avaient pas dit vraiment d'où ils venaient. Elle ne comprit même rien en partie à ce que dis le plus foncé d'entre eux. Pas de chance. Mais bon, ils papotaient alors elle pouvait toujours retenter non ? Elle réagit à ce qu'ils avaient dit quand même et abattit sa patte sur le sol.

"Mais c'est ce que je dis, on est tous loufoques iciiii vraiment c'est n'importe quoi !"

Elle ne s'incluait toujours pas dans le lot évidemment. Princesse de la mauvaise foi avec ce caractère. Elle répondit donc à la question, observant ses griffes et passant encore plus en mode miss potins, prête à dégainer sa plus belle langue de vipère.

"Naaaan ça va, je sais pas comment je l'avoue, tous des chiffes molles ! À la place, on récupère ou on fait des gosses. 'Tenez tiens Eva justement, j'la connais c'est mon amie, bah elle a fait des gosses à ce bon à rien de Yersine, alors que je le visais moi. C'est vraiment une rien qu'une salope. Elle a même fait genre qu'elle ne connaissait pas. Vraiment, pffff." Elle roula des yeux d'une manière impressionnante.   "Raison en plus de tout adopter il a fait pas loin d'une dizaine de chiards. Si c'est pas ridicule..."

Elle repassa à l'attaque donc, car elle voulait toujours en savoir plus sur leurs pays. Où était son exotisme sinon hein ? Ses rêves de bora bora, d'accents chantants ou de fourrures épaisses et grises ?!

"Mais assez parlé d'ici. Plus un mot là-dessus. Racontez-moi vos pays et comment c'est là-bas."

Elle les observa, des petites étoiles d'écolière dans les yeux.

Il écouta les propos de la femelle avec une moue désapprobatrice, avant d'écarquiller les yeux et d'éclater d'un rire tonitruant — car lorsque la personnalité de Joaquín retournait sa veste, elle menaçait peut-être de le transformer en une sorte de Daniel Alternatif – en entendant qu'Eva s'était retrouvée en cloque. La vie en meute semblait décidément bien plus palpitante que celle de solitaire. Il s'y passait tant de choses ! On ne s'y ennuyait guère.
L'envie pouvait également se lire dans ses yeux tandis que Tabralt décrivait les paysages froids et verts de son pays natal. Radicalement à l'opposé des grands espaces dans lesquels Joaquín avait pu grandir, il recelaient un exotisme aguicheur et la promesse, enfin, de journées fraiches. Comme il aurait aimé pouvoir se rouler avec délice dans la neige et sentir le blizzard s'engouffrer dans son épais poil noir en cet instant précis. A la place, il se retrouvait à papoter en crevant de chaud, désespéré de s'abriter des rayons assassins du soleil, avec deux sombres inconnus. Comme la vie était excitante. Ce RP est en train de me tuer du coup on va dire que l'effet du dé commence à s'estomper hein.

— Au moins vous avez arbres ! Je viens d'une partie de mon pays où c'est très sec, il n'y a presque que cactus. Ca ressemble un peu à ici. Mais avec des bars.

En dépit de la chaleur écrasante, un frisson parcourut son échine.
Des bars.
Ca lui manquait, les bars.
Il y avait aussi des petits villages, souvent très rustiques, des routes, des camps et des églises, mais de tout ça, de très loin, ce qui lui manquait le plus, c'était les bars.
Surtout celui de sa famille.
Ce mot semblait avoir déclenché quelque chose c'est lui. Une sorte d'interrupteur. Le fourmillement dans sa tête semblait lentement se dissiper, de même que cette étrange sensation dans ses entrailles. Joaquín papillonna des yeux, légèrement hébété. Regarda alternativement ses deux interlocuteurs, puis leva le nez vers les parois de la crevasse qui les encerclaient, et s'étiraient haut dans le ciel, ne laissant percevoir de celui-ci qu'une fine striure presque blanche perdue dans un océan de roche rouge.
Etrange.

Soudain bien moins désireux de partager son histoire qu'il n'avait pu l'être quelques secondes plus tôt, il tourna la tête vers Tabralt.

— Pourquoi tu es venu ici ?

Pourquoi donc les âmes perdues semblaient-elles toutes converger vers cette terre si bizarre, et surtout pourquoi s'acharnaient-elles à y rester, quand bien même tout, ici, semblait vouloir les en chasser ?

[un peu plus court désolé comme le focus est plus sur Trabalt-]

Récits de froid, de plaines herbeuses et de fjords...
Puis une mention de sécheresse et de bars.
Ce fut fort intéressant pour Nocera, qui se gava du long discours de Trabalt comme s'il avait s'agit d'une source fraîche. Elle allait le corriger qu'il n'y avait rien à déplorer de son pelage terne car son cœur vaillant semblait amplement compenser, tout en battant intensément de la queue, guillerette et intriguée. Car rien n'était plus intéressant que d'avoir encore plus de mentions de leurs contrées ou de leurs histoires à ce moment là pour elle.

Mais le fourmillement s'atténua pour elle aussi.
Le regard dans le vide et sa réponse oubliée dans l'instant, ses paupières clignèrent quelques fois. Elle agita même la tête d'une manière imperceptible. Venait-elle vraiment de potiner sur sa meute ? Dire du mal de Yersine et de ses amis ? Confuse, elle ne fit qu'entendre la question de Joaquín. Au lieu d'initialement demander à voix haute si eux aussi s'étaient sentis étrange à faire n'importe quoi, elle céda la parole au gris. C'était a lui que le grand loup noir avait adressé sa question, après-tout.