[Quête pièges] L'orée des bois - Elvazio.

Anita avait couru sans se retourner depuis la tanière du Castel où Holly les avait réunis, ne se fiant qu'à l'écho plus ou moins diffus des foulées qui la suivaient pour s'assurer qu'Elvazio tenait le rythme.
Il était plus âgé qu'elle, certes ; et était donc peut-être un peu plus endurant. Mais elle avait encore la finesse et l'élasticité de la jeunesse et elle s'était parfois faufilée dans des interstices étroits, bondissant à travers arbustes, branches basses et rochers ; voltigeant dans le paysage de toute l'énergie dont elle était capable, seul le sac qu'elle portait sur les épaules gênant parfois son avancée.

A ce rythme ils n'avaient pas mis beaucoup de temps à rallier Dents de Roc, terrain de jeu qui lui était de plus en plus familier et qu'elle appréciait tout particulièrement -tout comme à la Moere, il était plaisant de pouvoir prendre de la hauteur, qu'il s'agisse des arbres immenses ou des dents de pierre pointées vers les cieux - maintes fois avait-elle escaladé ces créations de la Nature et testé ses capacités à voler sans ailes.
Légèrement haletante après le train de course qu'elle s'était imposée elle se tordit l'encolure vers l'arrière - la silhouette d'Elvazio ne se découpait pas encore entre les troncs des hauts résineux, mais elle entendait ses pas se rapprochant, écrasant feuilles et bruyères.
D'un bond souple elle se posta sur la tranche d'un long rocher allongé et enchevêtré dans les vestiges d'arbres tombés et morts depuis des lunes, s'allongeant nonchalamment sur la mousse verte qui en couvrait la surface rocailleuse.

Elle étira son corps souple, laissa tomber et se balancer sa longue queue et darda ses yeux violets sur l'endroit où Elvazio ne tarderait à apparaître, l'esquisse d'un sourire impatient figé sur les lèvres.

Une fois les réponses à son interrogation obtenues, Elvazio avait emboîté le pas à sa compagne d'aventure, qui avait filé comme le vent aussitôt les consignes données. Elle était si vive que malgré ses longues pattes, le jeune loup dut maintenir un rythme et une attention des plus soutenus pour parvenir à la suivre. Elle empruntait des passes étroites où le grand échalas maladroit avait du mal à passer, son grand n'ayant jamais été aussi souple qu'il l'aurait souhaité puisqu'il avait bien plus vite poussé en longueur que celui des autres louveteaux. La destination était claire, et avait été décidée par Anita de manière muette : ils se rendaient aux Dents de Roc. La jeune louve finit par disparaître devant lui, ne lui laissant que sa piste à suivre alors que sous ses pattes la terre se faisait moins meuble et que des rocs en effleuraient la surface. Il avait des impression très mitigées à propos de ce lieu, qu'il associait particulièrement à une chose : le temple d'Aka. Temple de la force physique, temple iconique des Etelkrus, édifice criant de ce qu'il ne serait jamais. Le souvenir un peu amer du jour où son père l'y avait emmené, aux côtés de Pepper et Désastre, lui revint. Ce jour-là était un mélange de tristesse et de soulagement. Son père avait été extrêmement déçu, il n'en doutait pas, mais le fait que même un dieu affirme qu'il n'était pas fait pour être un fort guerrier avait été une sorte de révélation. Il ne s'était donc pas fait d'illusions depuis sa prime jeunesse : il ne serait jamais ce que ses parents rêvaient de le voir devenir. Il ne lui restait que cette promesse faite de ramener quelque-chose à Dairo qui demeurait, et alors peut-être la Renarde accepterait de le voir et, à défaut d'en faire son disciple, le guiderait sur une voie.

Il finit par rejoindre Anita, qui avait même pris le temps de s'étendre sur un rocher saillant. Une pointe de culpabilité l'envahit, et il se hâta de la rejoindre pour lancer :

"Excuse-moi... Je ne suis pas aussi rapide que toi, je crois."

Il secoua la tête et ajouta :

"Merci de m'avoir attendu."

Il n'osa pas détailler sa camarade du regard, et préféra lui adresser un coup d'oeil bref et où se lisaient excuses et gratitude, avant de l'en décrocher pour le faire se perdre entre les hautes roches du décors. Une pensée saugrenue lui vint, qu'il chassa avant même de mettre des mots dessus. Il tourna finalement la tête vers Anita pour demander :

"Crois-tu qu'il faille les placer uniquement aux frontières du territoire, ou un peu partout dedans ?"

Quand il finit par apparaître entre les arbres, l'air quelque peu coupable et s'excusant en la voyant, son sourire s'agrandit jusqu'à aller plisser les commissures de ses yeux en un air rieur. Elle ne s'était pas trompée alors même que jusque-là elle ne l'avait observé que de loin - qu'il était mignon, avec ses grandes pattes dégingandées, son air gêné et son regard qui se dérobait !
Souplement elle se laissa tomber de son promontoire pour le rejoindre en quelques bonds, se positionnant juste à côté de lui au point que leurs épaules se frôlent.

— T'excuses pas, et puis c'était pas une course !

Elle balaya les environs des yeux à sa question, réfléchissant en laissant un fredonnement franchir sa gorge.

— Hmmm. Surtout à la frontière, je pense, mais aussi quelques uns un peu plus vers l'intérieur. Pour surprendre.

Elle ramena ses yeux améthystes sur lui et appuya les derniers mots d'un sourire complice. Si un intrus pouvait se méfier lors du franchissement des frontières, il allait peut-être relâcher ses efforts une fois passée l'invisible barrière - c'était là qu'interviendraient ceux placés un peu plus profondément dans les bois !
Se saisissant de sa besace abandonnée au pied du rocher, Anita se remit à trottiner vers les arbres un peu plus éloignés - cette fois plus doucement pour ne pas le perdre. A travers les silhouettes de plus en plus éparses des hauts résineux, les couleurs d'autres territoires se dévoilaient en tâches discrètes et un murmure ininterrompu annonçait la présence du fleuve limitrophe. Du moins, ce qu'il en restait ; davantage réduit à un maigre filet ne constituant plus du tout une frontière naturelle comme l'eau avait pu l'être autrefois.

— Allez, j'essaye !

Fouillant dans son sac, Anita en tira les cordes et les ustensiles - et fit de son mieux pour essayer de reproduire les gestes que Holly leur avait montré. Elle prit son temps à séparer chaque élément et à s'appliquer à les manipuler avec précision, préférant s'assurer que tout serait bien exécuté et qu'elle se souvenait de toutes les étapes - et en récompense à ses efforts elle put constater que son piège, correctement monté, était parfaitement fonctionnel. La jeune louve le couva d'un regard satisfait pour tourna la tête vers Elvazio, prête à le suivre jusqu'à l'endroit où il voudrait tenter son premier piège.

Il eut un frémissement lorsqu'elle s'approcha soudain de lui pour le frôler, sans trop comprendre ce que signifiaient ni ce comportement, ni cette sensation. Il coula un nouveau regard dans sa direction, alors qu'elle lui adressait un grand sourire en lui disant de ne pas s'excuser. La bonne humeur qui paraissait l'animer était assez contagieuse, et redessina celui qui pointait timidement sur ses babines. Durant un instant, alors qu'elle parcourait les alentours du regard, il capta quelques détails de son apparence. Sa figure aux traits longs et délicats, son nez qui se retroussait vers le haut, ses grandes oreilles au travers desquelles la lumière créant d'étranges jeux de couleurs. Cela ne durant que quelques secondes, tandis qu'elle fredonnait un air qu'il ne connaissait pas, avant qu'il ne ramène soudain ses yeux sur le paysage avec une légère crispation. Il avait éprouvé subitement la crainte que cette observation ne soit mal interprétée, mêlée à l'envie de la prolonger. c'était étrange, et ce qui était étrange avait tendance à allumer chez lui une sorte de crainte. Il eut soudain la sensation d'avoir la bouche sèche, et passa la langue sur ses babines en un geste machinal.

Il vit son museau se tourner du coin de l'oeil et tourna la tête juste à temps pour attraper son regard violacé, tandis qu'elle lui répondait. Il se concentra sur ses paroles et hocha la tête. C'était une bonne idée en effet, pour piéger un envahisseur un peu chanceux qui aurait évité ceux placés à la frontière. Après tout cette technique reposait beaucoup sur de la chance. Leurs terres étaient vastes et il serait sans doute aisé de passer à côté des collets même en ignorant leur existence. Cependant, quelques sentes se dessinaient sur les terres, que les loups avaient tendance à suivre pour s'y déplacer - notamment au milieu des escarpées Dents de Roc.

Anita entreprit alors de faire leur première tentative, et il la suivit à quelque distance jusqu'à l'endroit où elle posa le premier. Il ne put s'empêcher d'être admiratif lorsqu'en quelques gestes souples, elle parvint à imiter c que leur avait montré Holly sans paraître peiner le moins du monde.

"Oh, bravo, tu es vraiment douée !" S'exclama-t-il avec sincérité.

Maintenant, il allait falloir passer à la partie un peu moins amusante : tenter par lui-même de faire de même. Il avait conscience de n'être pas aussi athlétique et habile que sa compagne de route, et était loin de se considérer comme très malin. Une sorte de trac s'empara de lui, alors qu'il secouait la tête et répondait avec un peu moins d'assurance :

"Oui... Je crois que je vais tenter un peu plus loin vers la rivière... Il y a un passage au milieu de roches très escarpées, c'est pratiquement, je crois le seul moyen de passer à cet endroit."

Il prit un allure mesurée pour la guider à l'endroit qu'ils avaient exploré avec Ortie quelques temps auparavant. Ils s'approchaient de la Passe Ventue, il le savait car c'était ce qu'on lui avait dit, et des anciennes terres Lazulis. Le sol devenait un peu plus irréguliers, comme ils longeaient les Monts Célestes. Il ne leur fallut qu'un instant pour rejoindre l'endroit dont il avait parlé, et il ajouta peut-être un peu précipitamment :

"Je suis déjà venu avec Ortie. On dirait que les rochers dessinent une sorte d’entonnoir vers les terres... et le sol est plus lisse, on risque moins de s'y couper les coussinets."

Il s'interrompit en se demandant s'il était nécessaire de se justifier ainsi, puis finit par secouer la tête et s'approcher de l'endroit qu'il jugeait le plus pertinent.

[Dé Réussite pour poser un piège]

Tout semblait bien se passer jusqu'à ce que soudain, il ait une hésitation. Il eut conscience du regard d'Anita posé sur lui, et la sensation de ridicule qu'il éprouva acheva de faire rater sa manœuvre. Le piège s'effondra avant-même d'avoir été tendu, et il n'eut plus que ses yeux pour contempler son échec. Au moins rien n'avait été abîmé dans la manoeuvre, mais il n'avait plus à recommencer. Sa gorge se noua, mais il inspira et se retourna vers sa camarade pour lancer d'un air gêné :

"Je crois que... je ne suis pas très doué. Est-ce que tu accepterais de me montrer à nouveau ? Excuse-moi."

Il avait légèrement baissé la tête et plié l'échine, comme s'il s'apprêtait à recevoir une sanction. La vie paraissait avoir décidé qu'il n'était bon à rien. Il s'efforça de chasser cette pensée et de se focaliser sur les mots qu'un jour Dame Anette lui avait adressés, et cela lui permit de chasser suffisamment la peine qui l'avait pris pour étirer ses babines en un sourire désolé.

Anita laissa un grand sourire envahir ses babines au compliment de son camarade, s’emplissant non pas d’orgueil mais de bonne humeur. Elle n’avait pas la sensation d’être particulièrement douée, ayant simplement bien retenu les instructions de Holly - mais c’était gentil de sa part !
Vint le moment où il fallait qu’il choisisse à son tour l’endroit de pose de son piège et elle l’écouta attentivement, hochant simplement la tête à ses explications avant de lui emboîter le pas d’un trot léger.
Elvazio, contrairement à elle et à ses habitudes de déplacement, ne partit pas à grands bonds en direction de l’endroit qu’il lui avait décrit et se contenta d’une foulée modérée. L’idée lui vint un instant de faire la course avec lui - même si elle ne savait pas précisément où se trouvait la ligne d’arrivée - mais elle se ravisa rapidement en se remémorant que le loup aux cheveux de feu avait eu quelques difficultés pour la rejoindre quand elle avait démarré à fond de train, aussi valait-il mieux y aller à son rythme - au moins pour cette fois, puisque c’était lui qui menait.
Elle se contenta donc de lever les pattes bien plus haut que de nécessaire pour dépenser un peu de son énergie, s’amusant à imprimer la retombée de chaque patte dans l’une des empreintes laissées par le loup plus âgé.

Ils atteignirent bientôt le lieu où Elvazio les avait mené, Anita détaillant le paysage du regard tout en écoutant les explications de l’adolescent.

— Je vois, bonne idée ! Peut-être que si un intrus voulait venir chez nous, il essaierait aussi de passer par ici.

Se postant légèrement en retrait par rapport au brun, elle observa d’un oeil amusé sa démarche quelque peu maladroite pour se mouvoir jusqu’à l’endroit jugé adéquat, puis ses mouvements un peu trop empressés à son goût. Il y avait quelque chose chez lui qui malgré son âge plus avancé que le sien lui donnait des airs de grands louveteaux, peu sûr de lui et prêt à s’emmêler dans ses hautes pattes au moindre mauvais geste.
Penchant la tête sur le côté, elle observa le piège se monter, commencer à prendre forme... Avant de s’effondrer en un claquement sous le museau dépité d’Elvazio.
Elle ne put retenir son rire cristallin d’emplir les sous-bois - aucune moquerie dans celui-ci ; seulement l’amusement pur de voir ces quelques bouts de bois et de ficelle se rebeller et refuser d’être soustraits à l’assemblage sous les pattes du loup brun.
Remarquant son air désemparé elle fit cependant de son mieux pour se retenir et se précipita vers lui en deux-trois bonds, un large sourire marquant toujours son visage.

— Mais non, c’est pas grave ! Attends, j’essaye.

Elle ne savait pas si elle serait aussi pédagogue que Holly pour une démonstration, mais elle s’y prêterait de bon coeur pour essayer d’aider son camarade. Le pauvre, il avait l’air empli de désarroi d’avoir raté sa première pose !
S’étalant sur le sol à côté d’Elvazio et s’avachissant à moitié sur lui, elle passa ses pattes devant les siennes pour manipuler le piège.
La jeune hybride se concentra, fronçant un instant les sourcils pour à nouveau se remémorer toutes les subtilités de la pose Jusqu’à en laisser poindre le bout de sa langue - et quelques instants plus tard, le piège se mit en place ; probablement pas parfaitement ajusté mais correctement monté de sorte à être fonctionnel.
Elle se redressa et asséna un coup de patte amical sur l’épaule de son nouvel ami.

— Et voilà ! Allez, tu réussiras le prochain !

Elle ne manqua pas d’appuyer sa voix chantante de son sourire - Elvazio avait l’air d’avoir besoin d’être rassuré et de prendre confiance en ses capacités.
Et comme il n’était pas bon de rester focalisés sur un sujet en particulier et que parler d’autre chose l’aiderait peut-être à se détendre, elle se lança sur un autre sujet de conversation au moment même où elle se redressait pour se remettre sur ses pattes, déjà prête à rejoindre le lieu où ils établiraient leur prochain piège.

— Alors tu viens souvent ici ? Avec Ortie ? Et avec Solelio et tes parents, tu passes du temps aussi ?

Sa tête s’inclina doucement sur le côté et elle posa les yeux sur le visage du mâle, attendant avec une certaine impatience qu’il s’anime, interrogations et curiosité brillant au fond de ses vives prunelles.

Le rire léger d'Anita lui fit redresser le regard, ne sachant trop si elle se moquait de lui ou si elle trouvait simplement la situation amusante d'une autre manière. Il avait envie, très fort envie de croire que sa comparse de mission était quelqu'un de sympathique - peut-être était-il influencé par l'admiration sans bornes qu'il avait pour l'une de ses mères, voire même pour les deux puisque l'une était Alpha et l'autre Prêtresse... Mais Dame Annette avait été si importante dans sa vie qu'elle s'était sans doute hissée un poil plus haut dans son coeur - et redressa légèrement la tête avec une sorte de sourire désolé. Son corps se détendit légèrement, durant un instant, alors que sa camarade approchait pour constater l'étendue des dégâts.

Elle s'approcha de lui, et le contact qui se créa ensuite était aussi inattendu que chargé de sensations nouvelles. Pourtant, Elvazio était quelqu'un de plutôt tactile. Il se sentait réconforté par les étreintes des loups qui l'aimaient et le protégeaient, il aimait se lover contre la silhouette de sa mère pour trouver le sommeil, ou contre celle plus solide de sa soeur. Même si avec Ortie les choses étaient un peu différentes, il n'y avait aucune gêne ou sensation aussi bizarre lorsqu'ils s'asseyaient flanc contre flanc pour discuter, parler de ce qui les préoccupaient, parler à bâton rompus aux couchers du soleil ou lors des nuits où le sommeil était absent. Ses oreilles tressaillirent, mais ce ne fut pas aussi électrique que quelques instants plus tôt car le contact était franc. Il sentit contre ses flanc le corps déjà musclé de la jeune louve, l'énergie nerveuse qui en émanait et qui l'animait toute la journée. Elle passa les pattes de chaque côté des siennes et répéta les gestes qu'Holly leur avait montré un instant plus tôt, et qu'il avait cru correctement répéter. Troublé, le jeune loup s'efforça de s'y concentrer et d'oublier le reste - mais c'était si difficile !

Il ne se rendit compte qu'il s'était figé au point de retenir son souffle que lorsqu'Anita se détacha de lui pour lui donner une petite tape sur l'épaule. Il expira en silence, et son regard bleu resta un court instant sur le piège parfaitement en état devant eux. Elle était douée, en plus de... Il interrompit sa pensée car lui-même ne savait pas exactement où elle partait, mais avait le pressentiment que ce ne serait probablement pas une pensée adaptée à l'instant. Il répondit à son sourire et s'ébroua, comme pour se libérer la tension qui l'habitait - sans que cela ne soit réellement efficace - puis répondit :

"J'espère... Merci pour ton aide en tout cas !"

Alors qu'il se remettaient en marche vers le prochain endroit où poser un piège, elle relança la conversation avec légèreté en lui posant des questions sur ce dont il avait parlé. Une ombre passa dans le regard du jeune loup, qui se fit un instant fuyant, lorsqu'elle parla de ses parents. Ses relations avec ses parents étaient... assez étranges. Pas très conventionnelles, il avait finit par le comprendre. Il aimait sa mère d'un amour sans doute un peu trop fort pour la manière dont elle les traitait, Solelio et lui - surtout Solelio- mais malgré sa langue de particulièrement acérée, elle était son pilier, son refuge lorsque le monde s'écroulait autour de lui. Quant à son père... La distance entre eux, la différence qu'il y avait, les faux espoirs qu'il avait vu naître dans les yeux vairons du guerrier suivis de la déception inévitable, avaient dessiné entre eux une barrière qu'il trouvait infranchissable. Il allait même jusqu'à se demander parfois si Athelstan n'avait pas honte de lui, de ce qu'il devenait - c'est à dire, rien.

Il passa la langue sur ses babines et releva les yeux vers Anita avant de répondre :

"Avec Ortie oui... Nous allons souvent nous promener ensemble pour... discuter, pas vraiment pour s'entraîner. Mais c'est souvent ici."

C'était une drôle d'ironie, lorsqu'on y pensait. Il savait au fond de lui qu'il ne serait jamais destiné à être un disciple d'Aka, et pourtant ce lieu exerçait sur une lui une attirance inexplicable. Peu-être simplement les dernières bribes de l'espoir qu'il avait eu tout petit de devenir comme les autres.

"Parfois avec Solelio, mais pas avec mes parents. Et toi ?"

Il avait soudain envie de vider un peu son sac, mais les mots restaient coincés derrière ses babines. Après tout, même si Anita était des plus courtoises avec lui, ils ne se retrouvaient ensemble dans cette mission que parce qu'Holly les avait affectés dans la même équipe. Elle n'avait pas beaucoup de raison de vouloir entendre ses confidences, c'était sans doute bien loin des préoccupations de la louve qu'elle était, ou qu'elle devenait. Il se contenta donc de lui retourner poliment la question, avide d'entendre la réponse, d'en apprendre plus sur elle, ses pattes allant un peu mécaniquement dans la même direction que sa camarade. Ce serait de toute évidence elle qui choisirait leur prochaine destination.

Ses yeux furetaient un peu partout sur le décor qui se déroulait sous leurs pattes tandis qu’elle écoutait la réponse d’Elvazio d’une oreille tentative, tentant de répartir son attention à une égale répartition. Elle s’enfonçait dans des chemins qu’elle n’avait pas encore forcément exploré et qui demandaient une certaine concentration pour éviter ronces, fossés et sentiers sans issue – mais comme son camarade n’avait pas semblé d’attaque pour choisir un nouvel emplacement, elle avait pris la tête de la marche par défaut et s’efforçait de trouver un endroit propice à un nouveau piège tout en suivant de plus ou moins près les frontières de leur terre.
Pendant tout ce temps elle ne put jeter que de brefs regards encourageants au brun à la chevelure de feu, devant garder ses deux iris concentrés ailleurs le reste du temps pour ne pas les mener dans un coin complètement dénué d’intérêt.

Un nouveau petit sourire orna ses babines lorsqu’il eut répondu et que c’était à son tour de reprendre la parole.

— Je vois. Tu as de la chance, d’avoir une amie comme Ortie ! Vous devez beaucoup vous aimer.

Elle n’y avait jamais vraiment songé, mais il était vrai qu’à part sa sœur dont elle était particulièrement proche et fusionnelle… Chez les autres louveteaux elle ne s’était pas encore réellement fait d’ami très proche. Ça avait peut-être à voir avec le fait que justement elle passait beaucoup de temps avec sa famille, dans leurs coins à eux – et que ses milles envies et idées d’activité l’amenait à rencontrer plein de loups et de situations différentes sans forcément chercher à reproduire des schémas.
Pour autant, cette réflexion ne lui apporta pas la moindre sensation de manque. Anita était heureuse de ce que la vie lui offrait, heureuse de ce que ses proches lui apportaient – c’est-à-dire : pratiquement tout ce dont elle avait besoin – , heureuse de faire des nouvelles découvertes comme aujourd’hui encore. Alors développer un lien fort avec quelqu’un d’autre que sa fratrie, comme ce qu’Axie avait commencé à nouer avec Holly – c’était une idée qui lui plut et alluma dans son regard une curiosité pointue plus qu’autre chose.

— Moi, je vis surtout à la Moere. Là où on ira après !

Son sourire s’élargit.

— C’est là qu’on est nés avec mes frères et ma sœur ! MaSheina y passe toujours beaucoup de temps, mais souvent nous on allait aussi au Castel avec MamAnette. Du coup, on a un peu deux maisons… Mais ce que je préfère, c’est quand même la Moere.

L’adolescente s’interrompit pour se contorsionner sous une branche particulièrement basse et noueuse avant de reprendre, se retournant vers son camarade pour l’attendre.

— C’est un endroit plein de vie, il y a des bestioles de toute sorte, et pleins de trucs pour jouer aussi. On peut escalader, jouer avec les libellules et les grenouilles, trouver des pierres dans la vase, se mettre tête à l’envers dans les arbres, chasser les insectes qui glissent sur l’eau… Plein de trucs. Je suis sûre que ça te plaira !

Dès que s’approchait un sujet qui la passionnait particulièrement la jeune louve se laissait aller à un flot de paroles quasi ininterrompu, de sa voix légère et chantante transportant les couleurs et les sensations. Ne se posant même pas la question du risque d’importuner son interlocuteur tant la pensée ne traversait alors même pas son esprit, trop occupé à vagabonder dans les images mentales qu’elle dressait comme des tableaux.
La marche reprit et de nouveau elle lâcha une question dans le vent, attardant son regard pétillant un peu plus longtemps sur le mâle.

— Et toi, t’as un endroit préféré ?

Anita pensait avoir fait à peu près tout ce qu’elle avait le droit d’aller voir, mais chacune de leurs terres était vaste et regorgeait de secrets. Elle pourrait peut-être découvrir un coin sympa.
Peu de temps après l’hybride fit halte soudaine, dressant les deux oreilles et enroulant le bout de sa queue touffue.

— Tiens ! Ça à l’air très bien, ici.

Petite trouée entre les arbres au cœur de la forêt épaisse – quoi de plus attirant pour un visiteur peu regardant cherchant l’endroit le plus simple pour traverser les frontières sans avoir à contourner trop longtemps ?
Anita s’abaissa d’un geste souple, sortant à nouveau tout le matériel nécessaire pour faire le piège. Avec des mouvements qu’elle affinait et aiguisait avec la pratique déjà acquise la louve monta le piège rapidement, enchaînant avec concentration… Pour réussir le plus beau montage jusque-là. Sa longue queue s’agita quelques instants sous l’effet de l’excitation et elle désigna son piège à Elvazio d’un air triomphal.

— Hé ! On s’améliore, non ?

Elle lui adressa un clin d’œil et éclata d’un rire franc, restant pour le moment couchée sur le sol.
Cette fois-ci, ce serait à lui de montrer la route !

Lorsqu'elle rebondit sur le sujet d'Ortie, un sujet duquel il ne craignait pas de parler, il releva le regard vers elle un peu moins timidement, un léger sourire sur les babines. Et répondit doucement :

"Oui. Elle a l'air... un peu grognon, mais c'est quelqu'un de bien au fond. Elle est très brave... Et pas méchante."

Elle était sans doute bien plus que cela, mais c'était déjà un bon résumé. Il était vrai qu'ils formaient un drôle de duo, eux qui étaient si opposés. La petite louve grise était aussi hargneuse que lui était timide, aussi langue de vipère que lui était soigneux dans sa manière de s'adresser aux autres, aussi petite et trapue que lui était tout en pattes et en longueurs. Et pourtant, l'attachement né entre eux depuis la disparition de Godric était profond et sincère, sans aucune ambiguïté. Ils se racontaient tout, et le jeune loup était heureux de la retrouver simplement pour échanger un peu tous les deux, hors de la pression que mettaient sur lui les attentes de tout le camp. Peut-être étaient-ils amis car ils étaient un peu à l'écart, sans mentor, ne rentrant pas dans le moule de ce qu'on attendait d'un Etelkru. C'était le genre de chose qui pouvait créer des liens, après tout.

Elle lui parla ensuite de la Moere, ce qui n'était pas si surprenant puisque c'était là que vivait Sheina, au temple de Kiro. Un lieu qu'il connaissait assez peu, et dont il écouta avec attention la description qu'elle en fit alors qu'il tordait son corps peu souple pour passer l'obstacle qu'elle avait franchi avec bien plus d'aisance. La même aisance avec laquelle elle parlait, décrivant les choses qu'elle aimait faire dans cet endroit. Ses paroles s'écoulaient avec fluidité, sans buter sur aucun mot, sans hésiter sur la moindre tournure de phrase. C'était agréable à écouter, car sa voix était légère et chantante. Sans doute le fait de parler d'un sujet qui lui plaisait accentuait cette impression, et il se rendit compte qu'il était suspendu à ses mots lorsqu'ils cessèrent. Il manqua de trébucher sur une racine affleurante et se rattrapa, ne faisant qu'un pas maladroit, alors qu'elle s'adressait à lui. Et rivait sur lui ses prunelles violacées.

"Je crois que c'est... le temple de Dairo." Répondit-il après avoir secoué la tête, comme pour chasser un peu la gêne qui s'était à nouveau emparée de lui. "Tu l'as déjà vu ? Ely y a fait des dessins magnifiques... C'est un endroit très beau."

Il avait été touché par la sensibilité exprimée ainsi en silence par le loup gris, un peu étrange, mais qu'il trouvait un peu attachant malgré tout. Il lui avait donné un objectif à suivre, même s'il ne savait trop encore comment mettre tout ça en place.

Quelques instants plus tard, Anita mettait en place avec succès un nouveau piège, et il lui répondit d'un hochement de têt enjoué. Il avait l'impression qu'au fil des pas, il se sentait un peu plus à l'aise. Mais cette aisance était fragile, comme un filin qui menaçait à chaque instant de se briser. Il déglutit, et prit les devants en lui faisant signe de le suivre. Après avoir réfléchi un instant, il obliqua pour remonter légèrement en direction du Castel. Ses pas le guidèrent sur un sentier familier, où il finit par arriver dans un petit passage peu évident, mais dessiné par les pas de quelques loups et gibiers. Il donnait l'impression d'être invisible, puisqu'il serpentait sous une rangée de crocs rocheux à l'ombre desquels il était facile de se dissimuler. Un passage idéal pour un étranger qui ne désirait pas attirer l'attention des gardes.

[Lancer de dé Réussite pour Elvazio]

Cette fois-ci, il s'y prit avec plus d'adresse et parvint à imiter les geste réalisés par Anita. Il se redressa finalement d'un petit bond, et même si fièrement était sans doute un adjectif trop puissant, il n'était tout de même pas mécontent. Il remue la queue et releva la tête vers Anita.

"Est-ce qu'il en reste à mettre... ici ?"

Où dirigeraient-ils leurs pas vers ce lieu qu'il avait envie de découvrir à travers les yeux de sa compagne de route ?

Après une petite hésitation sur la question, le lieu préféré d’Elvazio était donc le temple de la Renarde. Elle sautilla encore un peu plus à la mention de Dairo, et n’eut aucune hésitation à enquiller à sa suite d’une voix excitée – car le souvenir qu’elle en avait gardé était lui-même un joyeux moment empli d’exaltation.

— Oh oui je l’ai déjà vu, c’était trop bien ! J’y suis allée avec ma sœur, on avait un truc à demander à Dairo. Ben elle est venue et elle nous a même donné une broche !

Elle tendit sa patte sous son nez avec un brin de fierté, pour lui montrer le renard miniature enroulé sur lui-même, dormant parmi les autres badges sur sa mitaine.
Mais ce n’était pas elle ni Axie, le sujet ; et elle rangea sa patte presque aussi rapidement qu’elle ne l’avait sortie.
Elvazio les mena finalement sur un sentier dont le tracé discret était un véritable appel voudrait tenter de faire sa route sous le couvert du relief et du décor et le loup chocolat disposa le matériel pour établir une nouvelle tentative de piège. Anita se colla derrière son dos, tirant sur sa nuque pour se grandir et mieux voir par-dessus ses épaules comment il s’en tirait cette fois-ci – avec l’intention de ne pas trop le gêner pour pas le déconcentrer, mais sans parvenir à être bien discrète pour autant. Ses grands yeux ouverts comme des miroirs, elle suivit avec attention et une anticipation qui la fit presque trembler les gestes de l’adolescent.
Et finalement, sans encombre cette fois-ci, le mâle monta le piège dans une tenue parfaite et sans rencontrer le moindre accroc.
Anita sauta de joie, aussi soulagée que si c’était elle-même qui avait dû passer un examen en pose de piège et qu’elle avait réussi avec brio.

— Hah ! Il est parfait, celui-là ! Tu vois, t’y arrives maintenant.

Et le mâle aussi, au regard plus clair qu’il lui lança, semblait tout aussi satisfait – aussi lui afficha-t-elle un immense sourire.
A sa question la louve jeta un œil aux affaires qu’il leur restait dans le sac, et réfléchit une seconde en fronçant les sourcils à combien ils avaient réussi à poser sans qu’ils ne s’effondrent.

— Hum… Holly a dit qu’il en fallait quatre par zone, donc… C’est bon ! On va pouvoir aller à la Moere ! En plus, on a rien cassés.

Trop forts.
Sa longue queue se balança à un rythme joyeux, prête à prendre le route de chez-elle à fond de train, mais un bref regard vers le ciel en levant le nez lui fit reconsidérer la question.

— Oh. Le temps est passé super vite, en fait. Le soleil se couche bientôt… Pas grave, on ira demain ! Je viendrai te chercher et on ira ensemble, d’accord ?

Toujours enjouée et prête à remettre son enthousiasme au lendemain, la jeune louve fléchit les coudes pour se rapprocher du sol, se retrouvant presque en position de jeu.
Ils n’avaient qu’à rentrer vers le Castel pour aujourd’hui et faire leur compte-rendu sur leurs accomplissements – demain serait un autre jour tout aussi amusant.