Un nouveau pas vers l'avenir l P.V. Susu

Elle avait accepté.

Evidemment, elle avait accepté ! Comment en aurait-il pu être autrement ! Le lendemain de la grande annonce, cette grande sauterie Etelkru où tant de messages étaient passés, où une fois encore sa mère avait brillé, telle l'étoile qu'elle était. Où sa tante s'était démarquée, reine en son royaume. Lorsqu'elle y pensait, Alex sentait encore un frisson lui parcourir le corps. Ces voix, qui transportaient tant de verve, et qui brillaient à travers le Castel ! Ces paroles, si sages, si fières, si impressionnantes !

Alexandrine se redressa et se secoua pour chasser ces souvenirs. Aujourd'hui, elle avait mieux à faire. Bien mieux... Aujourd'hui, elle commençait ses entraînements avec MamAnette. Et ça promettait d'être... Génial. Alex était impatiente, si impatiente à ne plus savoir se poser ! Elle avait, en grandissant, de moins en moins l'occasion d'avoir MamAnette pour elle, et ce serait aussi l'occasion, chère à son coeur, d'avoir un instant privilégiée avec sa mère, miroir des soirées passées à voler avec MaSheina.

Quel meilleur endroit que les Dents de Roc, sous l'oeil attentif d'Aka, pour commencer un entraînement ? Assise sur un caillou, la louvette scrutait la direction du Castel, sa queue fouettant l'air. D'infimes tremblements agitaient le cuir de ses ailes. Mon. Dieu. Ca allait être génial. Lorsque l'épaisse silhouette d'Anette se découpa parmi les ombres, Alex se jeta en avant :

Maman !

Aussi contente de la voir, que de commencer l'entraînement. Eh, elle n'était pas arrivée en avance pour rien !

Il était temps.
Temps d'instaurer cette discipline stricte qu'elle avait demandé ; à laquelle elle s'attendrait tout du long. Elle avait réfléchit longtemps à commencer procéder, pour ce début de formation qui emmènerait droit ses apprentis vers des êtres plus accomplis, elle l’espérait. Elle avait certes jadis pensé un peu à cela pour Godric, mais il avait disparut et elle était restée avec ses esquisses sur le bras. Une discussion avec Meshret lui avait permis de mettre un peu cela en application et voir ; elle n'en avait pas été trop déçue. Depuis, elle avait solidifier ses plans et avait une idée plus clair du déroulé.

Anette se décida enfin à se découvrir de son manteau d'ombre, se dévoilant à sa fille sans gêne. Elle portait un visage sérieux, laissant la tendresse qu'elle portait à la chaire de sa chaire filtrer un peu malgré tout. Mais ce jour n'était pas habituel et l'Alpha se devait de le signifier. Elle serait stricte, rigoureuse, ferait tout pour ne pas décevoir sa fille... Mais n'en attendrait pas moins en retour. Alors elle cligna des yeux et releva le menton, haut et fier, sa queue également.

"Dès aujourd'hui, et hors des soirs ensemble, il te faudra laisser ce titre. Car aujourd'hui, je deviens ta mentor."

Elle soutint son regard du sien. Ce n'était que des mots, mais ils portaient toute la symbolique de ces instants ; ainsi que le poids psychologique de se mettre en conditions. L'esprit ainsi orienté, elle pourrait débuter par la première étape.

"Je ne compte ni te donner de traitement de faveur, ni te ménager, ni perdre du temps. Je ne répondrais qu'aux questions que je juge pertinentes. Je ne désire voir aucune blessure inutile, aucun mouvement superflu, et aucune perte d'attention."

Elle fit une pause, et observa l'endroit.

"Je te veux ici tous les matins à l'aube, quand la brume se perd encore dans les piques. Nous débuteront chaque jour par ma routine physique, accompagnées de Léo dès qu'il aura débuté le sien également. " Elle eu un sourire carnassier. "Et nous commençons maintenant. "

Sur ces paroles, elle se mit directement en mouvement. Ses pas l'emportèrent vers les rochers au trot, les lui faisant grimper ou descendre dès que le dénivelé changeait. Elle demandait évidemment à Alexandrine se la suivre dans ce trek. Qui serait sans doutes long.

Une véritable douche froide.

Alexandrine sentit son coeur se serrer un peu plus à chaque parole que prononçait sa... Son mentor. A chaque instruction, c'est un reproche qui tintait à ses oreilles. Traitement de faveur. Ménager. Questions inutiles. Etait-ce ainsi qu'elle la considérait ? Qu'elle la voyait ? N'était-elle qu'un guignol incapable de prendre ses responsabilités, qui l'aurait choisi uniquement par facilité, parce que c'était sa mère ? La petite boule au fond de son coeur se durcit, pour devenir titane à la fin du discours prononcé.

Elle était salée.

Si elle avait réussi l'épreuve d'Aka, serait-elle traitée de cette manière, avec la même hauteur, la même infantilisation ? Ou aurait-ce été pire, elle qui aurait fait preuve de témérité, avant même d'avoir entamé son enrtaînement avec elle ? Alors qu'elle ne demandait pas le passage, elle n'allait que... Déposer une offrande. Comme Mam... Comme Anette, avec les lycaons, et toutes les autres fois. N'avait-elle pas le droit de faire des offrandes, cela lui était-il interdit ? Parce qu'elle n'avait pas de glowstick peut-être ?

Parce qu'elle n'était qu'une enfant ? Une gamine, pas même bonne à écouter les adultes ? Parce que vouloir éclairer les autres d'un sourire n'était qu'acte de jeunesse, et que rien de sérieux ne pouvait être fait en parallèle ?

Alexandrine ne répondit rien.

Elle ne répondit rien parce qu'elle avait envie de pleurer, de frustration, de tristesse aussi. Tout ce qu'elle faisait, toutes les questions qu'elle posait, tous les entraînements qu'elle sollicitait, à Holly, à Daisy, à d'autres, ça ne signifiait donc rien non plus ? Seules comptaient les bêtises et les âneries ?

Elle avait tant rêvé de ce premier entraînement, de ses premiers enseignements, de ce moment privilégié avec sa m... son mentor. L'avait tant anticipé.

Et là, la silhouette d'Anette s'éloignait dans un trot soutenu, et bientôt elle disparaîtrait si elle ne se levait pas.

Alors elle se leva et, dans le silence le plus complet, cala ses pas dans les siens, galopant sur les premiers mètres pour la rattraper.

Elle ne répondit rien.
Le silence était un phénomène d'une extrêment improbabilité pour Alexandrine. Bons comme mauvais moments avaient toujours été ponctués de paroles de sa part, ou au moins d'onomatopées, de réactions quelles qu'elles étaient. Confrontée à ce vide, cratère laissé par la voix inexistante, Anette sentit poindre en elle le doute : une situation inédite aujourd'hui pouvait récolter une réaction inédite, certes, mais pas une qui était autant en inadéquation avec le caractère de sa fille. Avait-elle été trop dure, trop direct ? Son amour maternel hurlait que oui, car elle n'aurait sinon récolté que le silence et le manque d'enthousiasme. La guerrière en elle rappelait que si déception il y avait, cela devait se passer ainsi et que ce que la réalité, que si tout avait été idéalisé il faudrait bien voir les choses en face. Anne ferma les yeux en passant un roc, et trouva un compromis en elle.

Elle envoya un regard en arrière pour capter la présence d'Alexandrine, avec un peu de chance son regard. Même si elle en doutait. Elle ne vit qu'en part partie son attitude mais se vit en partie confirmer ce qu'elle pensait. Alors elle ajouta, explicitant ses règles pour qu'elles soient elle l'esperait un peu mieux comprises.

"Sache que je t'aime et que je suis fière de toi. Pour faire de toi celle que je crois capable de devenir, je dois instaurer ces règles, c'est la discipline que je t'ai promise. Celle qui te mènera à devenir encore meilleure, meilleure que même moi, car tel est mon objectif. T'élever pour me dépasser, plus haut que le soleil que nous défieront chaque matin."

Elle souffla en cadence et grimpa, gravit ces roches récalcitrantes mais taillant chaque pierre de ses pas. La lueur du matin peignait les rochers de teintes merveilleuses, et Anette continua.

"En choisissant mon mentorat tu choisis ces règles aussi injustes que vitales. Si elles n'invalident pas tes expérience passées, et s'y ajouteront, il faut cette table rase pour mieux apprendre et ne pas être biaisé. Aussi bien moi par notre lien, que toi par ce que tu sais déjà. Un jugement faussé ne permettra jamais de prendre les bonnes décisions. Se détacher ne veux pas dire oublier, qui l'on est et à qui on parle... Mais c'est un mécanisme pour se protéger et réussir à outrepasser les difficultés. Ainsi, on en ressort plus apte."

Enfin, parvinrent-elles à l'un des piques les plus haut des dents de roc. Le monologue lui vola un peu de souffle et ce fut donc avec la cage thoracique soulevée de ses inspiration et expirations qu'elle montra à Alex ce point de vue privilégié connu de peu de loups.
Il donnait une vue enviable sur le Castel.
Sur chez eux.

"Et grandis."

Lorsqu'Anette se retourna, sa fille s'arrêta net pour l'écouter. Elle avait dans le regard le doute, et dans le coeur le reproche, aussi fut-ce la raison pour laquelle les mots, pourtant juste de sa mère, ne la touchèrent pas autant qu'ils l'auraient du. Tout avait un arrière gout de trop tard, de rattrapage et de pots recollés. Elle savait que sa mère pensait ces mots, et ils apaisèrent légèrement la bille qui lui vrillait le ventre. Mais ils passaient à côté, un peu trop, de ce qu'elle ressentait.

Encore pire, ils alourdissaient cette impression d'être prise pour un enfant, une moins que rien à qui on doit tout expliquer, mille fois. Parce qu'elle était trop jeune pour comprendre, parce qu'elle était trop bête pour deviner. Parce qu'elle avait cru que c'était les règles en elles-même qui la gênaient, et pas... Tout le reste. Les discours grandiloquents étaient emplis d'espoir et de douceur, mais tellement mirobolants qu'ils... Sonnaient faux aux oreilles d'Alex, alors même qu'elle les savait vrais. Pourquoi faire tant d'efforts pour dire des choses si simples ?

Elle sentait qu'elle ne s'en tirerait pas avec un silence, cette fois, et répondit simplement:

Les règles ne me dérangent pas.

Elle ne pouvait masquer entièrement l'aigreur qu'elle ressentait. C'était déjà un miracle, qu'elle y parvienne partiellement.

Et je les suivrai quelles qu'elles soient.

Sa seconde phrase exprimait plus ce qu'elle ressentait, et le ton était plus assuré, plus mordant aussi, même si la louve ne se déparait pas de son air fermé. Ah, ta fille est têtue, Anette. Composer ensemble va vous être difficile, mais vous en sortirez de grandes choses.

Une teinte de déception et d'amertume continuait de peindre le visage, la voix et les actions d'Alexandrine. La touche d'un bleu de tristesse qui contrastait avec l'orangé de ses yeux et du soleil levant. Qui rentrait en conflit avec le rouge du glowstick qu'Anette portait. La couleur de la réticence à parler, à suivre. Le problème persistait, malgré les explications d'Anne. Elle du se rendre à l'évidence, ce ne serait pas comme ça qu'elles avanceraient. Elle devait changer de méthode.
Et surtout pousser au dialogue.

"Alors parle."

Si les règles et la discipline n'étaient pas ce qui dérangeait, alors elle ne laisserait pas cet aspect et n'agirait pas en douceur. Elle était déterminée à dénouer ce nœuds, et à se remettre en question si nécessaire, mais cela ne viendrait pas sans communication. Jamais de mensonge avec elle, mais jamais d’omission non plus.

"Qu'attendais-tu de tout cela ? Qu'attends-tu de moi ?"

Le ton était ferme, mais sincère, ouvert.
Qu'elle déverse tout, Anette était prête à ce qu'on lui explique, comme elle avait expliqué son propre point de vue. Si elle n'avait pas agit correctement pour corriger le soucis, alors elle voulait entendre ce qui n'allait pas. Elle, avait donné ses attentes à sa fille, si cela ne correspondait pas aux siennes, alors qu'elle les exprime.
Ainsi pourraient-elle avec de la chance, les faire coller.

Elle pince les lèvres, jusqu'à ce qu'Anette s'avoue vaincue et ne lui demande directement ce qui la chiffonne. Alexandrine réfléchit un instant. Qu'est-ce qui la chiffonnait vraiment ? Elle avait envie de lui jeter deux trois trucs immatures, juste parce qu'elle le pouvait, mais se rendait bien compte que ça ne serait pas à son avantage. Elle fit la moue et détourna le regard un instant pour contempler les Dents de Roc qui se déroulaient sous leurs yeux. C'était beau, à cette heure du jour, baigné de brume et d'éclaircies. Cette vision l'apaisa, bien qu'elle prenne le risque que sa mère s'impatiente. Mais c'était toujours mieux que de dire des bêtises.

Sa voix était claire quand elle s'exprima, et beaucoup plus posée.

Ca me vexe que tu penses que je t'aie choisi pour un quelconque traitement de faveur. Je t'estime trop pour ça.

Elle reporte son regard dans celui de son mentor.

Et je ne veux rien de mieux que te dépasser. Ecraser Holly. Remporter fièrement la couleur d'Aka. Et je ne prendrai aucun raccourcis pour y arriver.

Etait-ce ça qu'elle avait pensé de sa virée au temple ? Un raccourci, une tricherie, là où ça n'était qu'admiration débordante pour le grizzli ? Alex plissa le museau, reprenant les mots du dieu, de son dieu :

Massacre moi si ça te chante. Mais ne doute pas de ma motivation, s'il te plait.

Effronterie, oui, mots qui dépassaient sa pensée... Peut-être pas. L'ours rouge lui avait laissé entrapercevoir une victoire potentielle, qu'elle n'aurait jamais pu imaginer auparavant. Et qu'elle voulait maintenant arracher de ses pattes, quel qu'en soit le prix. Elle ne dit pas à sa mère comme elle souhaitait lier humour et acharnement, sachant qu'elle l'entendrait avec beaucoup moins de compassion. Il n'était pas nécessaire de mener plusieurs batailles de front. Si elle ne souhaitait se départir de cette facette, elle pouvait faire une impasse dessus quelques heures par jour.

Voilà qui ouvrait la lumière.
Alex avait trouvé dans ses paroles une opinion qu'elle se serait faite d'elle ; qu'elle aurait douter d'elle. Voilà où avait été l'erreur d'Anette, redire des choses auxquelles sa fille ne s'étaient pas forcément attendues ; elle était inconsciemment partie du principe que son apprentie voudrait quelque chose de joyeux et détendu. Elle avait voulu préparer à l'austérité certaine qu'elle avait envisagé, en oubliant que peut-être, elle avait déjà imaginé que cela se passerait ainsi. L'alpha ferma alors les paupières, abaissant la tête d'un geste simple.

"Je vois. Je suis désolée. Ce préambule a raté la possibilité que tu ne t'y attendais sans doutes pas."

Elle rouvrit les yeux, pour ne pas perdre le contact visuel qu'elle avait retrouvé.
Par Il fallait qu'elle exprime un point, car elle retenait un autre avec la suite des mots d'Alexandrine, notamment où elle parlait de sa motivation.

"Je ne doute pas de ta détermination, cependant. Sinon, je ne t'aurais pas prise comme apprentie."

Elle se retourna vers les montagnes, et observa au loin les roches qui abritaient le temple d'Aka. Pour la suite, il fallait qu'elle n'oublie pas alors de ne pas mettre d'idées dans la bouche de son enfant. Au lieu alors de rabâcher ses explications et ses points de vue, si Alex était motivée, elle allait plutôt lui offrir un premier questionnaire.

"Chez Aka, j'ai mentionné que la situation n'avait pas été raisonnable : dis-moi pourquoi je pense que cela n'aurait pas dû arriver."

C'était une première épreuve.

Elle... S'excuse. Elle n'en attendait pas tant, Alexandrine, et se sent maintenant presque honteuse d'avoir poussé sa mère à s'excuser. Et admettre. Mais, au moins, elle se sentait... Ecoutée, comme ça avait toujours été le cas jusque là, comme elle avait grandi. Comme elle voulait grandir encore. Elle redressa les épaules, et sa queue s'agita légèrement dans son dos, plus qu'un frémissant, sans devenir un vrai battement joyeux.

Des questions.

Elle aimait les questions, même si elle n'était jamais la meilleure pour y répondre. Elle fronça les sourcils, et cette réponse-là lui sembla plutôt évidente, même si elle craignait tomber dans un piège la tête la première.

Parce que j'ai perdu. Je n'aurais pas du accepter une confrontation où je pouvais échouer. Sauf à défendre quelque chose que je ne peux perdre.

... Ca n'était probablement pas ce qu'elle attendait, n'est-ce pas ? Et pourtant, Alex semblait confiante, mais curieuse aussi, de ce qu'elle n'avait pas vu si c'était le cas. Elle avait eu le choix, et elle avait fait celui de se battre, contre son amie, dans le sang et la douleur, pour les beaux yeux de son dieu.

Anette se détourna de la vue.
Elle plongea dans l'âme de sa fille et y trouva l'assurance et la confiance de sa réponse. Le regard perçant qu'elle lui accorda annonça la négation à la place des paroles. Et puis-ce qu'elle ne referait pas la même erreur, elle aiguilla plutôt sa fille à trouver la bonne réponse, ou du moins celle qu'elle attendait.

"Repenses à mes paroles, analyses-les et redis-moi."

"Cette situation n'aurait pas dû arriver, elle aurait pu être éviter par tous les partis. Par la fille en obéissant au dieu initialement, par l'amie en ne répondant pas au combat, par le dieu en ne l'invoquant pas." Avaient-été ses paroles. Mais Alexandrine s'en souviendrait-elle ? Si non, sans doutes l'Alpha les lui réitérerait-elle, ou bien exposerait-elle la réponse attendue, pour que sa fille apprenne.
Mais Alex avait estimé vouloir cette façon de procéder.
Ainsi la mentor ferait-elle donc.

... Ca n'était pas ce qu'elle attendait. Alexandrine fronça les sourcils et s'assit au sol avant de se remémorer cet instant, dans le temple, où Anette était arrivée et les avait tancé, un à un. Elle s'en souvenait parfaitement, le moment gravé dans sa mémoire par l'adrénaline et ce cocktail d'émotions qui l'avaient submergé. Elle tenta une nouvelle approche, un peu plus hésitante, mais toujours avec le coeur sur les lèvres et les yeux brillants. Désireuse de bien faire :

Tout le monde est responsable. Personne n'a rien fait pour empêcher cette situation d'arriver.

C'était difficile. Parce qu'Alex ne pensait toujours pas qu'il s'agissait d'une mauvaise situation. Parce que si c'était à refaire, elle réitèrerait tout du début à la fin, pour de multiples raisons. Pour nourrir son coeur, son âme et son corps. Mais elle savait bien que ça n'était pas ce qu'attendait Anette, et elle n'aurait pas la bêtise et l'effronterie d'aborder la situation autrement. Tel l'enfant sage qu'elle était, elle s'asseyait tranquillement sur ses convictions pour offrir façade assertive.

Elle observait sa mère avec attention, sa queue battant le sol. Avait-elle juste, cette fois ?

Anette hocha de la tête aux paroles.
Puis attendit quelques secondes, une seconde où le temps resta en suspend. Sa fille battait de la queue et était pendue à ses lèvres, impatiente d'avoir le verdict. Anette déduit donc qu'elle avait terminer de formuler sa réponse.

Elle fut tentée d'exposer, jugeant que cette fois elle avait montré qu'elle faisait confiance à l'intelligence d'Alex pour trouver au moins le début de la réponse par elle-même... Mais se décida à ne pas le faire. Il fallait pousser encore un peu, ne pas commettre de travers à nouveau ; continuer dans la bonne voie comme elle venait de le faire. Elle émit donc un son positif, mais incitateur, et pris quelques secondes pour formuler ses mots.

"Oui, ça c'est le comment vous en êtes arrivés là. Pas pourquoi ça c'est déroulé ainsi. Mais ton retour malgré la demande d'Aka, son agacement et invoquer le combat, l'aide d'Hollyock... Quel est le point commun entre toutes vos décisions ?"

Continue d'analyser, tu peux trouver.
C'est la leçon que tu dois tirer.

... C'était moins pire, mais ça n'était toujours pas bon. Uuh, c'était difficile de savoir ce que voulaient les autres. Alex se mordilla les babines et soupira avant de réfléchir en faisant bien attention aux paroles de sa mère. Elle lui donnait des indices, elle lui indiquait le chemin à suivre, elle n'avait qu'à l'emprunter.

Pourquoi ces décisions avaient-elles été prises ?

Alex fit la moue. Elle savait bien pourquoi elle avait agi ainsi. Parce qu'elle en avait envie. Elle avait eu envie de faire plaisir à Aka. Elle avait voulu faire... Comme maman. Elle avait voulu prouver qu'elle était bonne à quelque chose, qu'elle n'était pas juste un louveteau inutile, qu'elle parlait fort mais qu'elle pouvait aussi agir. Qu'elle n'était pas rien.

Un certain besoin de se sentir exister, peut-être, aussi. Ce constat lui pinça le coeur.

Et Holly ? Si elle devait deviner les raisons de son amie, elle dirait... Pour lui faire plaisir. Répondre à un dieu, mais surtout pour la confrontation qui avait suivi. Pour cette bataille qu'elles n'avaient jamais osé déclencher, mais qui résonnait dans leur corps.

Quand à Aka, elle ne savait pas. Mais le dieu avait quand même eu l'air super content. Elle tenta une réponse un peu plus élaborée :

On a.. Fait ce qu'on souhaitait faire. Ce que nos émotions nous disaient de faire. J'avais envie d'aller voir Aka.

Pour être comme toi. Mais elle retint cette justification. Inutile. Envahissante. Qui pourrait être signe de lèche-bottisme.

Holly avait envie de nous faire plaisir, et peut-être aussi de se battre. Quant à Aka... Il avait l'air de s'amuser.

Elle osa un timide :

On a pas... Pris le temps de réfléchir ?

Cela aurait-il changé sa décision ?

Non, probablement pas.

Probablement pas.

Anette laissa enfin ses yeux scrutateurs s'adoucir un peu.
Ses muscles se relâchèrent légèrement. Si elle se tenait toujours extrêmement droite, elle l'avait été d'autant plus sous la tension du début de la leçon et de voir si elle réussirait à bien faire. Mais le succès était présent, elle pouvait relâcher la pression, au moins un peu. Elle pouvait cette fois exposer le rapport avec le mentorat, raccrocher cet instant passé avec le moment présent.

Elle opina alors du museau, et se releva. Elle reprit route, trottant plus lentement pour ne pas perdre son souffle. Ce rythme de croisière lui permet d'égrainer ses mots plus facilement et ne pas les égarer entre les roches non plus. Le ton fut plus serein et sans doutes moins moralisateur que ce qu'il n'avait pu paraître au début.

"Une décision peut être prise avec le cœur, quoi qu'on en dise, tant qu'elle n'est pas biaisée. Elle peut être prise vite, quand la situation l'exige."

Elle observa le ciel, traversée d'un air mélancolique un instant.
Combien de fois avait-elle pu, dû, les prendre vite ?

"Mais elle doit être prise consciemment. En pleine connaissance de causes, et en pleine anticipation des résultats." Anette reposa les yeux droit devant elle.
"Ce n'est pas échouer qui est grave, c'est de ne pas avoir pensé avant. Il arrive que l'on se trompe, qu'on ne puisse pas tout anticiper. Comme j'ai raté le coche plus tôt."

Essentiel de le mentionner, car Alexandrine avait eu peur que ce soit parce qu'elle avait échoué, qu'Anette ai été en colère. Pas du tout le cas.

"C'est là, la base de toute stratégie."

Pas de mots superflus, pas de discours trop long. Juste un récit de vécu, qui visait le but, le centre du message qu'elle essayait de transmettre. Elle passa un rocher sans pression, se concentrant sur son souffle un instant pour le réguler et conclut.

"C'est ça, qui différencie un guerrier d'un grand combattant. Qui me donne la force, et que je veux t'apprendre."

Elle sent dans l'attitude d'Anette les prémices sereins d'une détente bienvenue. Alexandrine se décrispe à son tour et se redresse en la voyant reprendre sa route. La pause est terminée, l'entraînement commence vraiment, et cette fois il ne s'arrêtera plus. La louvette crème s'ébroue et bondit à sa suite.

Marche sur ses traces.

Avec amusement elle tente tout d'abord de placer ses pattes dans les empreintes laissées par sa mère, mais y renonce bien vite. Elle n'avait pas encore sa carrure, croissance en bonne voie mais pas totalement terminée, et de toute façon de tels jeux la déconcentraient. Sur un ou deux kilomètres, peut-être, mais elle doute fortement que leur course soit si courte.

Patiemment, elle attendit les paroles doctes de sa mentor, et les but lorsqu'elles vinrent. Elle laissa le fil se dérouler et entrer en elle alors qu'elle sentait ses muscles se réchauffer, ses pattes fouler le sol dur et ses poumons s'activer. Elle était forge, et cette forge brûlait de son désir et de ses émotions.

Prendre des décisions... Rapidement. Les bonnes décisions. Celles qui sauvent des gens. Celles qui protègent le camp. Celles qui aident. Qui ne se regrettent pas, d'un poids qui jamais ne part vraiment.

Alexandrine est curieuse, et si elle économise son souffle, elle ne résiste pas à une question toutefois :

Comment vas-tu m'apprendre les bonnes décisions ?

Vaste question. Allait-elle la mettre dans des situations sous pression, ou en danger pour stimuler ses réflexes et peut-être lui en faire acquérir de nouveaux ?

Comment vas-tu m'apprendre ?
Une question légitime, qui mena Anette à ne pas perdre de temps. Sa réponse fusa, claire comme l'eau du torrent froid qui passait non loin du Castel.

"Histoire, exercices physiques, et mentaux." Elle jeta un coup d'oeil vers elle. "Si on analyse le passé, on peut voir les cycle, et mieux les briser."

Son pas accéléra un peu pour pouvoir grimper, dans ce circuits qu'elle se plaisait à parcourir régulièrement. Leurs corps étaient chauds, leurs esprits s'étaient aussi lancés dans un mouvement maintenant alors elle se permit de démarrer les hostilités ; ça n'avait que trop attendu avec l'accrocha et le quizz.

Elle arriva devant un pic, où l'on voyait quelques silhouettes devant elles.
Des bouquetins. Une proie relativement prisée, pas le plus dangereux ou glorieux des ennemis certes. Mais leurs cornes pouvaient au moins faire pâlir de jalousies beaucoup d'autres animaux, ainsi que se révéler dangereuses. Anette tourna encore une fois la tête vers Alexandrine, et reprit.

"Première histoire, personnelle celle-ci." Elle rit un coup.
"Je me suis déjà pris un coup de corne en fonçant sur un bouquetin pour le chasser. Dis-moi comment j'aurais pu agir pour l'abattre efficacement à la place."

Elle ne se permet pas de répondre, elle économise son souffle alors qu'elles abordent la pente sans que le rythme ne s'allège. Elle sait qu'elle a beau passer tout son temps à crapahuter librement dans les bois et les rochers, elle n'a pas l'entraînement militaire et la force de sa mentor. Elle n'a pas la prétention de l'égaler, pas encore. Alors elle écoute attentivement, fermant son clapet, avant de la rejoindre au fait du chemin. En contrebas, des bouquetins. Son coeur se réchauffe au rire de sa mère - au rire de sa mentor. Ce qui n'enlève rien à son attention.

Les cornes. Oui, pas la peine d'être grand devin pour en deviner la dangerosité. Sa mentor la questionne alors, et Alex fronce les sourcils. Sa mère parlait de piège, comme avec Holly. Elle en avait fait plusieurs. Le dernier en date, celui pour l'oiseau qu'elle avait apporté - sombre souvenir - à Aka. Mais ça n'est pas de ce genre de piège que sa mère veut parler, elle le sent. Plus comme ils avaient piégé le lapin, en attaquant chacun d'un côté pour le prendre en tenaille. Elle penche la tête sur le côté et observe les environs. Utiliser le terrain.

On peut essayer de les faire tomber dans un ravin. Ils sont agiles, mais une chute leur serait aussi fatale qu'à nous.

Si elle avait été plus observatrice, elle aurait pu témoigner d'attaques d'aigles sur des chèvres ainsi. Mais Alex ne tenait pas assez en place pour ça.

En se plaçant en amont par rapport à eux, on peut aussi leur faire tomber des pierres ou des rochers dessus, ou au moins les effrayer. Mais on risque de les perdre à la traque, s'ils ne sont pas blessés.

Elle plisse les yeux.

Dans tous les cas, quitte à en attaquer un, je préfèrerais l'attaquer par derrière pour toucher les tendons des pattes postérieures. L'empêcher de se retourner et de menacer.

Elle n'observait plus sa mentor, mais les silhouettes sombres en contrebas, réfléchissant aux mille plans plus ou moins farfelus qui lui venaient. Ah, si elle prenait plus souvent le temps de penser !

Anette écouta sa fille, lui dédiant toute son attention maintenant qu'elles étaient statiques. Alexandrine elle restait face à ces reliefs abritant les caprins et leurs cornes, mais cela ne dérangeait pas la mentor, qui la laissa dérouler les films des idées qu'elle envisageait. Plus elle exposait, plus Anette sourit, jusqu'à finalement tirer un son du creux de sa cage thoracique quand elle conclut sur l'idée de taper les tendons.

Comme agrippant le pommeau d'une boite de vitesse pour passer à la courroie supérieure, Anette reprit la parole et asséna la suite de l'exercice. Elle était pleine de surprises, la mère, l'alpha, la mentor. Elle y avait longuement pensé, à ces choses là, avait attendu encore plus pour les mettre en oeuvre. Alors enfin exécuter tout ce qu'elle avait espéré pouvoir transmettre un jour était... exaltant.

"Mettons que tu choisisse l'idée de les pousser dans le ravin." Elle observa le-dit bord, avant de revenir à Alex. "Raconte-moi trois scénarios différents. D'abord le premier : le meilleur qu'il puisse arriver et la victoire glorieuse. Ensuite : le pire, le plus effrayant que tu puisses concevoir."

Elle marqua une pause, pour laisser sa fille répondre. Anne ne doutait pas qu'elle relèverait qu'elle avait dis trois, mais plaçait son entière confiance qu'elle répondrait déjà aux deux premières demandes avant.

Le mieux. Le pire. Et... Le probable ? Elle n'hésite pas un instant sur sa première réponse :

Le pire qui puisse arriver, c'est qu'il m'empale comme une merde.

Une telle blessure pouvait facilement s'avérer fatale. Peu complexée par les mots qu'elle utilisait, Alex hésita à peine une seconde de plus pour le glorieux scénario :

Le meilleur serait qu'il tombe dans le ravin sans même que j'aie à le toucher. Genre si je réussissais à le pousser avec un truc.

Un rocher. Un tronc, pour lui laisser moins d'échappatoires. Quelque chose d'assez lourd et important pour qu'il ne s'échappe.

Restait la question difficile. Le troisième scénario. Elle s'assit sur le sol et fronça les sourcils :

Le troisième, c'est le plus probable non ? Il dépend de la préparation du piège, des informations que j'aurai sur l'animal. En l'attaquant par surprise, dans son angle mort et sous le vent, et en essayant de le pousser dans le ravin... Je risque toujours une blessure, même si elle n'est pas mortelle.

Elle tourne son regard vers sa mère. Non. Son mentor.

Et en ce cas, je préfère que tu sois là, ou que n'importe qui soit là, pour assurer mes arrières.

Non ?

"Ou que de la roche cède trop près du précipice et t'emporte avec," ajouta Anette avait aisance, pour les pires scénarios possibles. "Il ne faut jamais oublier la force de la nature."

La suite vint de la bouche d'Alexandrine avec facilité. Elle devina même la suite, ce qui coupa l'effet qu'avait préparé Anette d'amener la dernière partie de l'exercice ensuite. Elle fit le deuil bien vite de sa mise en scène cependant, car la logique qui venait de lui être délivrée était bonne. Très bonne. Elle bomba un peu le torse, car c'était son apprentie et aussi sa fille, mais pour le coup donc son élève venait de réussir brillamment son exercice.

"Parfaitement. Décider d'une ligne directrice selon les informations que tu peux rassembler précédemment, et avoir de l'assistance. Ce sont des points cruciaux pour toute situation ; d'autant plus pour une bataille."

Elle appuya son contentement d'un son, une sorte de roucoulement approbatif un peu éraillé, un son que sans nul doutes, Alexandrine avait pu entendre quelques fois de la part d'Anette. Quand elle était particulièrement satisfaite.

"MAIS ce n'est pas tout, le but est d'avoir tous ces scénarios en tête, et d'avoir plusieurs plans. Commencer par le plus probable, et si les choses tournent au pire, ou au mieux, pouvoir changer sa course d'action. C'est ça, le but de penser au pire, au mieux, et au plus probable." Elle sourit. "Pour être surpris le moins souvent possible."

Rien n'était jamais parfait, mais c'était au moins des fondations solides. Son regard passa autour d'elles. Le soleil avait bien avancé, et les mouflons s'en allaient déjà. Alors elle annonça sobrement.

"Cela ira pour aujourd'hui. Rentrons." Elle observa Alexandrine. "Pas de courses, petites foulées, concentre-toi sur ta respiration."

Et elle décolla.

Ah, ou la roche, oui. Evidemment. Elle pouvait aussi glisser comme une merde et pas uniquement se faire empaler comme une merde, forte distinction. Elle agita sa truffe, mais ne répondit rien. C'est vrai, qu'elle n'y avait pas pensé, alors que le sol de la montagne était traître, La Grosse Bamboo en avait fait les frais.

Elle écouta sa mère avec application, un sourire se dessinant sur ses babines lorsqu'elle éructa ce son si significatif. Un compliment, qui n'avait besoin de mots. Son coeur se gonfla. Enfin, une réponse satisfaisante, là où elle en avait raté dix. Elle s'agita un peu, sans oser se relever. Petit chat, qui n'arrive à masquer ses émotions.

Rentrons.

Elle fut déçue, Alex, qu'ils ne mettent pas l'un ou l'autre plan à exécution. Mais elle ne dit rien, n'osant pour rien au monde s'élever contre la parole de son mentor, surtout lorsqu'elle venait à peine de la mettre en garde sur l'insubordination et la rigueur. Ca n'était pas le moment, tout simplement.

Elle hocha la tête et se redressa pour suivre sa mère, calquant sans s'en rendre compte son allure sur la sienne, copie parfaite cachée sous une paire d'ailes de cuir.

Une, deux.

Une, deux.

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