Comète - Libre

Une étoile filante passa au dessus de sa tête, pourfendant de sa lumière le ciel d'un noir d'encre, étincelante parmi ses comparse immobiles.
Holly la suivit du regard, jusqu'à ce qu'elle disparaisse à l'autre bout de la Rougelande. Était-elle censée formuler un nouveau vœu, en cet instant ? Pouvait-il être différent de celui formulé plus tôt dans la journée, alors qu'elle se trouvait encore en compagnie d'Alexandrine ?

Que pouvait-elle bien espérer ?
Retrouver son amie.

Elle ferma les yeux, relâchant ses muscles, finissant par se coucher parmi les herbes rousses.
Elle resta un moment, immobile, les yeux perdu dans le vague. Il était déjà si tard et elle devrait être rentrée dehors, sa journée de travail ayant pris fin depuis des heures déjà. Et puis, les plaies rouvertes par Shinkaku ne s'étaient pas totalement refermées, elle devait faire attention.
Elle devait faire attention.
Comme elle s'en foutait, de tout cela.

Alors elle avait chassé, Holly. Elle s'était montrée redoutable prédatrice, faisant périr sous ses crocs toutes les petites proies qui avaient eu le malheur de croiser son chemin. Son pelage était désormais souillé de rouge et elle était épuisée.
Pourtant, elle le savait qu'elle ne parviendrait pas à fermer l’œil, si elle rentrait au Castel. Elle savait aussi qu'elle retournerait chasser, dès que son corps serait un peu plus reposé. Dans quelques minutes, dans quelques poignées de minutes, tout au plus.

Pour ne pas penser.
Pour ne plus penser.

A elle, à Alex.
Pour ne pas penser au fait, indéniable, qu'elle lui manquait déjà et qu'elle avait si peur de la perdre.
A cette pensée, elle fut saisie d'effroi et se mordit la langue. Non, non, ce n'était pas possible.

Elle s'agita un peu, tournant la tête vers le chemin qui pourrait la mener au Castel, si l'envie lui prenait. Et bien sûr, qu'au fond, elle en mourrait d'envie, Holly, de se lever, de courir à toute vitesse jusqu'au camp, de chercher Alex. Mais que pouvait-elle lui dire, là, maintenant, alors que tout était encore si frais dans leurs têtes ? Alors qu'elle avait encore en mémoire son expression surprise, probablement déroutée, lorsque ses babines avaient touché les siennes ?

Désolée, Alex, faisons comme si de rien n'était. Faisons comme si tu n'avais rien vu, comme si je ne t'avais pas montré que je t'aime. Je te le promet, Alex, de faire attention, de réprimer tout cela. Évidemment, que je continuerais à t'aimer, par ce que l'amour ne se balaye pas comme ça, juste quand on l'a décidé, mais je te promet de tout faire comme si c'était le cas.

Mais je t'en supplie, ne t'éloigne pas de moi.

La nuit était tombée, mais le regard du grand loup ne prêtait que peu d'attention au ciel étoilé et à la lune qui en était souveraine. Il ne dormait pas, mais pas parce qu'il ne parvenait pas à trouver le sommeil. Il faisait partie des quelques loups qui patrouillaient les alentours du Castel ce soir-là. Après avoir fait quelques tours sur son trajet habituel, il s'était un peu écarté de sa trajectoire pour longer la Rougelande. Ses pattes le conduisaient toutes seules tant il connaissait ces terres par coeur. Cela faisait sans doute plus d'une décennie qu'il avait rejoint la meute nouvelle formée. Y penser lui donnait une sorte de vertiage, tant cela lui paraissait à la fois proche, et tant éloigné. Les fantômes des loups qu'il avait connus puis perdus s'imposaient à lui lors de ses réflexions solitaires, un à un, chacun ayant marqué sa vie d'une manière ou d'une autre. Il portait encore dans le regard une tristesse voilée maintenant que Nachos les avait rejoint. Il savait que peu de loups de la meute étaient attachés à lui - ou elle - autant qu'il ne l'avait été, mais il espérait que ses dernières années étaient celles que l'on retiendrait de ce loup que la vie avait tardivement forcé à apprendre une dure leçon. Le revers de son propre comportement - comme cela devait être difficile à surmonter.

Le glowstick à son cou brillait doucement alors qu'il se fondait dans le décors, tantôt arbre, tantôt pierre, tantôt taillis épais. Il finit par s'immobiliser à la lisière de la lande pour redresser la tête. Le vent, qui avait tourné, charriait des odeurs familières. Il reconnut celle d'Holly en premier, et se demanda ce qu'elle faisait encore en activité à cette heure-ci. Il avait depuis longtemps pris l'habitude de superviser les patrouilles et expéditions - notamment après la mort de Lucie et le déclin de Geb - et même s'il partageait désormais avec elle et Joy cette carge, il n'était pas sans connaître plus ou moins l'emploi du temps de chacun des guerriers et chasseurs. Et il savait que la journée de Holly avait été bien remplie, suffisamment pour qu'elle puisse se reposer à une heure si tardive. Les journées des Conseillers étaient longues, et il ne fallait pas négliger le sommeil qui était récupérable. La présence de la louve bleue au milieu de la nuit l'intrigua et le convainquit d'aller au moins voir ce qui se tramait.

La seconde piste qui rejoignait celle d'Holly était celle de Tawana, le guérisseur devenu guérisseuse et qui avait récemment subi une répugnante agression. Depuis cet événements et qu'elle s'était plus ou moins remise physiquement, Athelstan avait remarqué combien la louve paraissait plus méfiante, longeait les murs et évitait les regards au Castel. Il ne l'avait d'ailleurs pratiquement pas vue de la journée. Rapidement il distingua les deux silhouettes un peu plus loin, et un éclat de voix lui parvint sans qu'il n'en comprenne les mots. Il cessa son pouvoir pour apparaître entre les herbes hautes à quelque distance, puis s'approcha sans chercher à se faire silencieux. Il ne souhaitait pas les surprendre.

"Dame Holly. Dame Tawana." Lança-t-il lorsqu'elles furent à portée de voix. "J'espère ne pas vous importuner."

Il ne serait que de passage, si c'était le cas.

Le lapin s’écroule, mais ce n’est pas encore assez. Ce ne serait jamais assez pour le phénix dont la faim grandissait au fur et à mesure des jours. Lui qui en voulait toujours plus. Mais pour ce soir, il s’en contenterait, parce que Narcisse ne lui céderait pas une seule parcelle de terrain. Les crocs déchiquetèrent la chair du lapin, alors que l’Etelkrus s’accordait une courte pause. Il y avait tant à faire, pas seulement pour le clan, mais également pour son propre développement.

La comète descend le ciel, sous le regard de l’hybride, qui s’arrêta un moment pour la contempler. Devait-il faire un voeu ? Comme le voulait les histoires ? Mais il n’en eut guère l’occasion, son attention portée sur plusieurs silhouettes.

Pas d’odeur de solitaire.

Mais après la vermine qu’ils avaient dû écraser au sein même du clan, Narcisse se méfiait des p’tits regroupements de nuit.

Laissant sa proie sur place, il rejoint ainsi Hollyock, bien entourée par Athelstan, ainsi que Tawana. Hum… Une réunion improvisée ? Ils n’en étaient qu’aux formalités. Le fils d’Anette et de Sheina se contenta de les saluer d’un mouvement de tête, ses yeux s’attardant un instant sur la Panseuse, adoptant la lueur dorée qui trahissait son pouvoir. Le Phénix se souvenait de l’énergie qu’il avait pu absorber ce jour-là. Si semblable à celle que Tawana portait en son ventre.

Mais celui-ci, l’oiseau ne pourrait y goûter.

Rassuré par l’absence de danger, il posa son arrière-train sur le sol, quelque peu en retrait, observant le petit regroupement.

Animer les discussions ce n’était pas vraiment son truc.

Elle n'était pas seule.
Bien vite, une odeur familière parvint à ses narines. Il s'agissait de Tawana qui venait leur tenir compagnie, à elle et ses cadavres de lapins. La louve bleue remua les oreilles. Avait-elle réellement envie de compagnie, ce soir ? Enfin, pourquoi pas. Au moins, cela lui changerait les idées. Alors quand l'autre femelle s'approcha d'elle, la jeune conseillère hocha la tête.

- Bonsoir Tawana. Venez donc.

A la question posée par la louve hybride, Holly eut une petite moue.

- Non. Mais ça ira mieux après quelques heures de chasse, j'imagine.

Elle n'allait tout de même pas l'embêter avec ses problèmes, insignifiants problèmes. Ce n'était rien, un petit chagrin de cœur pour un râteau qu'elle n'avait pas (encore) pris. Comparé à un viol, c'était ridicule, stupide, rien du tout.
Pas de quoi déranger ses aînés. Même si elle aurait aimé recevoir des avis sur la question, elle qui n'avait jamais eu parent avec qui partager ses doutes.

Holly se mordilla la langue, songeuse.
Une autre arrivée la tira cependant bien vite de cet état de réflexion. Il s'agissait d'Athelstan, l'un de ses collègues conseillers qui se trouvait être de patrouille, cette nuit là. La jeune femelle lui adressa un sourire poli, remuant doucement la queue.

- Bonsoir Sire Athelstan. Vous ne nous dérangez aucunement, n'ayez crainte !

Ça commençait à faire un peu de monde. Adieu, solitude.
Que feraient-ils, tous ensemble ? Allaient ils rester assez, tous les trois, à parler de la pluie et du beau temps ? Pourquoi venaient-ils vers elle, d'ailleurs ? Paraissait-elle si misérable, pour qu'on ne veuille pas la laisser s'épuiser à la chasse, formant une montagne de proies dans la Rougelande qu'elle ne pourrait même pas ramener au Castel dans sa totalité ?

Mais ce n'était pas terminé. Il y avait encore quelqu'un.
Cette arrivée là la fit se redresser, ses muscles se tendant sous sa peau.

- Narcisse !

Non, il n'allait pas rester tranquillement le cul posé sur le sol. Elle s'avança vers lui, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Tout, chez elle, trahissait son inquiétude.

- Tu as vu Alex ? Elle va bien ?