Le sommet - Alexandrine

Aujourd'hui, elle avait deux ans.
Aujourd'hui, ils auraient du avoir deux ans.

Hélas, le ciel avait fait en sorte qu'Holly se retrouve seule, aujourd'hui, à fêter son deuxième anniversaire. Fêter était d'ailleurs un bien grand mot, à cause de cette même solitude, et elle devait bien avouer avoir le cœur un peu lourd, aujourd'hui.
Son regard bleu monta vers ce ciel, si cruel, qui lui avait volé son frère plus d'un an plus tôt. Elle ne ressentait plus la colère qui l'avait animée les premiers jours, plus le vide non plus, quand bien même celui ci avait plus d'une fois tenté de faire son nid dans son cœur, mais quand même de la tristesse. Il lui semblait pourtant avoir fait son deuil.
Peut-être pas totalement, finalement. Ce qui n'était pas grave, elle ne se blâmerait pas pour cela, pour une fois. Au fil des jours, elle apprenait à se laisser le temps d'accepter les événements.

C'était un pas en avant, parmi d'autres. Elle continuait tranquillement son chemin.

Ce jour, elle ne le passerait pas à se lamenter sur sa, ô combien triste vie, Holly l'avait décidée. Alors, puisqu'elle avait terminé de confectionner le petit sac qui devait accueillir bébé Grandes-Ailes, elle glissa l’oisillon piaillant dans la poche principale, laissant dépasser sa petite tête curieuse, et l'enfila autour de ses épaules.
Aujourd'hui, elle allait faire quelque chose de totalement fou. Quelque chose qu'elle n'aurait jamais songé à faire avant, tant cela lui semblait difficile, dangereux. C'était un challenge de taille, que d'atteindre l'un des sommets escarpés des monts célestes.

Mais elle le ferait, pour se prouver à elle même qu'elle était capable de surmonter n'importe quel obstacle se dressant sur sa route.

Elle n'avait, cependant, pas pris cette décision sur un coup de tête. Elle n'était pas folle, Holly, et savait que ces montagnes qu'elle ne connaissait pas vraiment pouvaient vite représenter un territoire très hostile. En plus du vide et du risque de chute mortelle, elle côtoierait aussi des prédateurs bien plus gros qu'elle. Il lui faudrait donc être très prudente, si elle voulait rentrer au Castel entière.
Si elle voulait rentrer tout court, d'ailleurs.

Était-ce une bonne idée, d'ailleurs, d'emmener Grandes-Ailes avec elle dans cette dangereuse excursion ? Elle tourna la tête, observant le petit animal. Dans tous les cas, la petite mouette ne la quittait pas. Et puis, il était au chaud et en sécurité, dans son sac. Dans tous les cas, même si elle mourrait seule, dans la montagne, il n'aurait plus personne pour veiller sur lui.
Alors autant partager cet instant ensemble.

Elle attacha ses cheveux, afin de ne pas être embêtée par ses mèches bouclées qui, parfois, pouvaient lui tomber dans les yeux, mit dans le sac quelques cordes, quelques herbes médicinales qui lui seraient, probablement, bien utiles en cas de blessures, quelques pièges par ce qu'on ne savait jamais, et se mit en chemin, laissant le Castel derrière elle sans regard en arrière. Sa détermination ne faiblirait pas.
Elle avait prévenu de son absence, de toutes manières, ne souhaitant inquiéter personne.

Cette ascension programmée devait aussi faire office d'entraînement. Son corps, elle l'avait tellement malmené, dernièrement. Il s'était retrouvé privé de sommeil, à cause des angoisses, et de nourriture avant que Désastre et les autres ne lui viennent en aide. Elle avait perdu du poids et, malheureusement, du muscle, Holly. Ce qui était quand même assez embêtant lorsque l'on se devait d'être une louve solide, bâtie pour le combat. Cependant, la louve bleue ne s'avouait pas vaincue, là encore : Elle la retrouverait, sa bonne condition physique. Elle les retrouverait, ses muscles : En s'alimentant correctement et en s'entraînant dur.
Tels étaient ses projets pour l'avenir.

Elle traversa tranquillement les terres Etelkrus. Trottiner ne ferait que lui coûter de l'énergie, si précieuse, qu'elle se devait d'économiser pour l'ascension. Il serait vraiment regrettable de flancher à la moitié du parcours. Alors elle n'omettait aucun détail. Elle y arriverait, au pied de cette montagne, que ce soit en une ou deux heures.

Ce fut d'ailleurs le cas, et elle leva instinctivement la tête pour repérer les sommets, perdus dans les nuages ou dans la brume. C'était quand même vachement haut, encore plus que ce qu'elle avait envisagé. Mais elle ne renoncerait pas, elle ne renoncerait jamais et sa détermination demeurait intacte. Plus encore, elle se sentait gagnée par l'ambition : Aujourd'hui, elle ne se contenterait pas d'une petite montagne de rien du tout, de celle qu'escaladent les jeunes pour s'amuser ou s'entraîner. Non, il lui fallait la plus grande, la plus exigeante.
Elle fronça les sourcils, remuant la queue d'excitation.

- C'est parti.

Un pas. Le tout premier de cette aventure, le tout premier roc dépassé.
Il faisait beau et l'air n'était ni trop chaud, ni trop frais. A cela aussi, elle y avait fait attention. Dans son dos, Grandes-Ailes piaillait doucement de contentement. Lui aussi, semblait heureux de cette aventure.

Il y avait pourtant quelqu'un d'autre avec qui Holly aurait aimé la partager, cette ascension. Curieusement, à ce sujet, il n'y avait aucun suspens à avoir : C'était à côté d'Alexandrine qu'elle aurait souhaité marcher, à ce jour et lui lancer le défi, encore plus fou, d'arriver la première au sommet.
Mais ça n'arriverait pas. Par ce qu'elle ne savait toujours pas où se trouvait son amie, ni où elle en était dans le fil de ses pensées. Qu'elle avait d'ailleurs décidé, enfin, de la laisser un peu tranquille et de gagner un peu en autonomie et qu'elles n'auraient qu'à entreprendre quelque chose d'encore plus fou lorsque son amie serait revenu à ses côtés.

Elle lui manquait, pourtant, toujours.
Peut-être même qu'elle lui en voulait un peu, malgré elle, de ne plus donner signe de vie, de... l'avoir abandonnée ? Mais en même temps, c'était complexe. Par ce qu'elle savait qu'elle ne pouvait ressentir de la rancune pour ce genre de choses. Par ce qu'elle savait qu'Alexandrine ne lui devait rien du tout et qu'elle était libre de partir lorsqu'elle le souhaitait.

Alors, pourquoi ne pouvait-elle pas s'empêcher d'être un peu triste et amère, en songeant à elle ? Comment pourrait-elle gérer leurs retrouvailles ? Est-ce qu'elles reparleraient de cette rencontre si brève, à la vasque de la lune ? Où est-ce qu'elle rayerait ce passage peu glorieux de son existence -Enfin, surtout de la sienne- pour passer à autre chose, de plus beau ?
Et cette amertume, cette fichue amertume, disparaîtrait-elle instantanément lorsque ses prunelles bleues retrouveraient celles de la louve beige ? Elle se savait passionnée, Holly, et elle l'aimait si fort, Alex.
Ces sentiments négatifs, ils n'étaient liés qu'à l'éloignement. Ça irait mieux, ensuite.
Elle avait tellement hâte de la retrouver. Elles en auraient, sûrement, des choses à se raconter.

Elle voulait presque tout connaître de cette aventure, plus folle encore que la sienne, menée par son amie. Quels territoires incroyables avait-elle pu fouler ? Sur quels visages étrangers son regard rouge avait-il pu se poser ? Quelles histoires lui avait-on racontées ? Avait-elle trouvé un peu de bonheur, un peu de joie, au détour d'un chemin ?
Et toi, Alex, à quoi tu penses à cet instant ?

Moi, je suis en train de grimper sur la plus haute montagne des Monts Célestes. Sans toi. C'est con hein, toi qui aime tant les défis, on ne pourra même pas partager celui là. Tant pis pour toi, t'avais qu'à pas partir.

T'avais qu'à pas partir...

C'est quand, que tu reviens, Alex, dis ? J'ai tellement de trucs à te raconter et je vais jamais réussir à tout retenir, si tu reviens pas vite. Il faut aussi que je te présente Grandes-Ailes, tant qu'il est encore tout petit et mignon. Par ce que là, il risque de rapidement tomber dans la période ado moche, et tu vas juste rire de lui. Tu n'aurais pas tord, c'est quand même super moche, une mouette adolescente. Mais ce serait pas très gentil et je ferais semblant d'être vexée pour lui. Par ce qu'à mes yeux de louve gaga, c'est le plus beau, mon Grandes-Ailes.

J'espère juste qu'il bouffera pas Grandes-Pattes. C'est toi qui risque de tirer un peu la tronche, sinon.

Elle sourit de ses propres bêtises, continuant de marcher dans la montagne. Si bas, l'herbe était si verte ! La petite mouette, dans son sac, se mit à pailler un peu plus fort, visiblement peu heureuse de se retrouver privé de liberté.
Holly soupira, bien que ne pouvait réprimer une expression amusée. Elle libéra la bête après avoir surveillé les environs. Si bas, elle ne voyait pas de prédateur.

- Allez, vas t'amuser, petit merdeux.

Petit merdeux, ça allait vraiment devenir son nom officiel. Ce serait quand même un peu triste, l’appellation n'était... Pas vraiment flatteuse. Pas du tout, même.

Laissant l'oisillon découvrir les terres à sa guise, et tout en se montrant attentive à la venir d'un éventuel prédateur, la louve bleue reprit sa marche. Elle pouvait déjà voir quelques bouquetins, plus hauts, sur les hauteurs. Les animaux, habiles, savaient passer de pierre en pierre, évoluant sans tomber sur ce terrain de jeu difficile.
C'était leur territoire. Et elle, simple louve davantage habituée aux plaines, y parviendrait-elle ?

Au fil des pas, l'herbe se faisait moins verte, plus éparse. Elle atteignait des zones plus rocheuses, moins accueillante. Il faisait plus froid, aussi. Grandes-Ailes, lui, s'était fatigué à force de fouiner partout. Alors elle le remit dans son sac. Cette fois ci, il ne piailla pas. Un regard en arrière lui suffit pour surprendre son oisillon paisiblement endormi.
Pour Holly, par contre, il n'était pas question de sommeiller : Elle avait encore tant de chemin à faire, avant d'atteindre le sommet.
Y parviendrait-elle avant la nuit ?
Ce n'était pas dit, mais ce n'était pas grave. Elle n'était pas obligée d'accomplir ce défi en entier, le jour de leur anniversaire, à son frère et elle, l'essentiel étant d'y parvenir.

Alors les pas s'enchaînèrent, les griffes raclant la roche et le souffle faisant apparaître des volutes de fumée. Il commençait à faire un peu froid.
Tout en marchant, Holly laissa les pensées venir comme elles le voulaient, dans sa tête. Cette fois, ce furent les souvenirs, qui s'y immiscèrent. Elle repensa à celui pour lequel elle marchait, en partie, aujourd'hui. C'était comme un hommage, pour lui, pour Muguet.

Elle se souvint des soirs, dans la tanière familiale.
Maman n'étaient pas là, probablement occupée à roucouler auprès des mâles du clan. Holly, elle, était couchée sur le sol, Muguet tout contre elle, leurs fourrures blanches et bleues se mélangeant. Elle se souvint de ce soir d'orage ou, autour d'eux, le tonnerre grondait. Ce n'était jamais quelque chose qui l'avait effrayé, l'orage. Mais Muguet, lui, en avait une peur bleue.
Alors, pour lui changer les idées, Holly avait inventé des histoires, sur le tas. Ce n'était pas dangereux, l'orage, au contraire ! Ce grondement, qu'ils pouvaient entendre, n'était en fait que celui d'un dragon protecteur qui veillait sur le clan, dissuadant les loups les plus hostiles de s'approcher de leurs frontières pour leur faire du mal.
Les éclairs, eux, n'étaient que le reflet d'un feu blanc qu'il crachait, dans le même objectif.

Après cette histoire, Muguet n'avait plus jamais eu peur de l'orage.

Holly bondit sur un rocher, s'y accrochant comme il pouvait, serrant les mâchoires lorsqu'elle sentit ses pattes glisser. Elle ne pouvait pas tomber. Sinon, la chute, à défaut de lui être fatale, écraserait le petit oiseau endormi dans son dos. Alors elle saisit une branche, de ses crocs, jusqu'à pouvoir se hisser sur cette zone si compliquée.
Ses muscles et ses pattes devenaient douloureux. Elle leva, encore, le nez vers le ciel. La nuit n'allait pas tarder à tomber et le froid devenait plus présent. Il lui fallait trouver un abri, maintenant.
Trouver à manger, aussi.

Ses crocs se refermèrent sur la nuque d'un lapin trop téméraire. Il serait leur repas du soir, à Grandes-Ailes et elle. Elle ne pourrait, hélas, aller lui chercher du poisson, ce soir, même si c'était un met qu'il appréciait particulièrement et qui représentait la base de son régime alimentaire.
L'abri, maintenant. Cette grotte déserte devrait faire l'affaire. De pierres et de branches trouvées dans la montagne, elle alluma un petit feu, à l'entrée de sa tanière d'un soir. Voilà qui devrait dissuader d'éventuels prédateurs de venir les croquer durant la nuit et, ce ne serait pas un luxe, les réchauffer un peu.

Ce soir là, son regard de glace se perdit dans les flammes, dans leurs reflets, si chaud, contre la roche de la roche. C'était simple mais beau. Elle devrait faire du feu plus souvent. Près d'elle, Grandes-Ailes s'était remis à pailler, visiblement très heureux du repas tout juste avalé.
Blottis l'un contre l'autre, ils trouvèrent le sommeil pour ne s'éveiller qu'au petit matin.

Le feu s'était éteint durant la nuit.
Holly tourna la tête, paniquée, vers la petite mouette contre son flanc. Ouf, rien n'était venu lui faire du mal durant la nuit. Les plantes données par Désastre avaient tendance à... trop bien la faire dormir.
Au moins, elle était reposée. Encore un repas, les restes du lapin, et Grandes-Ailes se retrouvait à nouveau mis dans son sac. Ici, il n'était pas question de le lâcher.  Holly ne voulait pas le perdre.

Il faisait un peu plus chaud que la veille au soir. Mais pas tellement non plus.
Ce fut dans la brume que Holly progressa, ce matin là. Prudente, elle avançait lentement, ne voulant risquer une chute lorsqu'elle voyait à peine ce qu'il pouvait se passer devant elle.

Une fois en sécurité, elle laissa ses souvenirs revenir à elle. Ils touchaient tous à cette enfance, qui n'avait été heureuse qu'un court moment.
Cette fois ci, ce fut à sa mère qu'elle songea. Elle lui en avait voulu, de ne pas savoir leur donner l'amour et l'attention dont eux, enfants, avaient eu besoin. D'avoir été légère au point de ne pas prendre en considération les conséquences de ses actes. Pourtant, elle lui avait fait don de vie. La regrettait-elle réellement, sa vie, Holly ? Par son manque de soins, sa mère lui avait donné, involontairement, la débrouillardise et l'autonomie nécessaire pour s'en sortir dans la vie. Elle n'avait pas hérité que de fardeaux.
Ça n'effaçait pourtant pas ces sentiments négatifs, qu'elle avait pour elle. Elle n'avait-eu de mère que de nom, préférant la compagnie des mâle à celle de ses enfants, les rabaissant lorsque l'occasion se présentait et qu'elle se retrouvait agacée par leur simple existence.
Elle faisait peur à Muguet.
Elle lui faisait peur, à elle aussi, un peu, même si Holly ne l'avait jamais avoué.

Elle se voulait forte. Pourtant, le jour du drame, elle n'avait rien pu faire.
Elle se souvint de cette journée, pourtant si banale. Leur mère les avait emmené près de la frontière et était alors occupée à discuter, si l'on pouvait nommer cela comme ça, avec un bouclier alors en patrouille. C'était chose courante et il n'y avait, honnêtement, pas de quoi s'inquiéter.

Pourtant, ça aurait du être le cas lorsque l'ombre gigantesque de cet oiseau de proie s'était retrouvée projetée sur le sol. Mais, occupés de leur côté, les adultes n'avaient rien vu.
Elle, si. Elle avait alors reculé, Holly, incitant Muguet à en faire de même. Mais son frère n'avait pas été assez rapide dans ses gestes et les serres de l'oiseau s'étaient refermés sur son petit corps, l'emmenant si loin d'elle, les laissant tous interdits.
Elle n'avait rien pu faire, ce jour là, à part pleurer lorsqu'elle avait compris qu'elle ne le reverrait plus jamais.
Et se poser la fameuse question : Pourquoi lui, et pas moi?

Elle le savait, désormais, que ces choses là ne se décidaient pas. Le destin était parfois injuste. Lorsque certains menaient la belle vie, sans rencontrer vraiment de problèmes, d'autres se prenaient tout dans les crocs. Il fallait donc être plus fort que ce maudit destin, se forger un corps et un esprit capable d'encaisser n'importe quel drame.
Ou d'au moins savoir se relever.

C'était son objectif, à Holly, en tout cas.
Devenir forte, comme Anette, comme Pepper. Comme Alex. Devenir une épaule solide contre laquelle l'on pouvait s'appuyer, en cas de besoin. Être capable de prononcer des paroles pleines de sens, qui aidaient.

Elle voulait atteindre le sommet, dans tous les sens du terme.
Elle leva la tête. Dans quelques dizaines de minute, tout au plus, ce sommet là serait atteint. Il n'était cependant pas question de se relâcher, la chute était toujours possible. Pourtant, elle se sentait déjà fière de ces limites physiques, mais aussi mentales, qu'elle avait su dépasser. Ici, tout était si hostile.
Il n'y avait d'ailleurs, autour d'elle, plus la moindre végétation. Juste cette roche nue, humide et glacée sous ses coussinets.

Sur cette montagne, elle n'avait pas seulement marché, elle n'avait pas seulement grimpé : Elle avait appris. Appris à surmonter les obstacles qui se dressaient devant-elle. Appris à faire preuve d'ingéniosité, de ruse, pour ne pas se laisser dominer par les éléments. Appris à poser ses pattes là où il fallait, sur la roche, pour ne pas se briser le cou, bien plus bas.
De cette épreuve, elle sortait grandie.

Le sommet. Il était là, juste là, sous ses pattes douloureuses.
Elle avait toujours froid. Elle était vraiment fatiguée par cette longue marche et cette ascension éprouvante. Ses muscles aussi, à peine habitués à reprendre une activité, la faisaient aussi souffrir.
Mais elle l'avait fait ! Elle avait atteint le sommet de la plus grande montagne des monts célestes. Alors elle rejeta la tête en arrière et se mit à rire, Holly, soudainement si joyeuse. Personne ne pourrait la surprendre, de toutes manières, puisque personne -sauf les plus fous- ne perdait son temps à monter au sommet juste pour connaître le plaisir de se retrouver plus haut que les nuages.

Mais pour elle, c'était bien plus que cela.
Elle avait rendu son hommage et avait le sentiment qu'en se rapprochant du ciel, elle s'était rapprochée de lui, Muguet.
Un sourire paisible sur les babines, elle souffla à voix basse.

- Joyeux anniversaire.

Maintenant, il était temps de redescendre pour retrouver les siens, les vivants.

Il y eut un écho à ses paroles. Ou plutôt : Presque un écho. Par ce que ce n'était pas sa voix, par ce que ce phénomène naturel n'ajoutait pas, de lui même, de mot supplémentaire, en l’occurrence son prénom.
Il lui fallut cependant quelques secondes pour réaliser ce qu'il se passait et mettre un nom sur cette voix, avant même qu'elle n'ai le réflexe de se retourner vers cette nouvelle arrivante et poser son regard de glace dans le sien.

- Oh.

Ouais, "Oh", ce n'était pas comme si elle avait quelque chose d'autre à dire pour le moment.
Il lui fallait d'ailleurs encore un peu de temps pour comprendre et accepter que, non, elle n'était actuellement pas en train de rêvasser. Oui, c'était bien Alex, qui se tenait là devant elle, souriante. Plus belle encore que dans ses songes. Son cœur se retrouva secoué par des battements violents, chaotiques, alors qu'elle ouvrait des yeux ronds.
Elle avait l'impression d'être là sans être là, de ne plus rien maîtriser, d'être en dehors de son propre corps.

Sa première vraie réaction fut un cri de joie qu'elle ne put réprimer.
Les muscles puissants de ses pattes arrières se contractèrent, se détendirent soudainement et, malgré la fatigue de son corps, Holly se retrouva propulsée en avant en un temps record, s'écrasant, un peu brusquement, contre la louve ailée.
Grandes-Ailes piailla dans son dos, sûrement incommodé par ce qu'elle faisait là... Mais actuellement, la louve bleue ne s'en préoccupait pas vraiment. Là, contre Alex, elle souriait, elle riait, le regard brillant. Elle s'enivra de cette odeur qui lui avait tant manquée. Ce n'était pas un songe : Elle était bien revenue.

Elle était bien revenue.

- Je ne t'avais même pas vue ! Je suis tellement tellement tellement contente de te voir je...

Elle ne savait même pas quoi lui dire, il y avait tant de choses, qui lui traversaient l'esprit ! Mais ce n'était pas grave, elles auraient tout le temps de discuter, une fois qu'elle se serait remise de ses émotions.

Son amie l'accueillit contre elle, au plus grand bonheur de la louve bleu qui se nourrit de ce contact, comme si il lui permettrait de combler ceux dont elle n'avait pas pu profiter durant deux longs mois. Doucement, ses pensées se déliaient et elle pouvait enfin réfléchir à ce qu'il se passait actuellement. Une chose était certaine, en tout cas : Elle n'éprouvait pas le moindre ressentiment envers Alexandrine, juste ce bonheur, fou, intense, lié à ces retrouvailles tant attendues.
Holly ferma les yeux, quelques secondes, seulement, jusqu'à ce que la louve ailée s'écarte.

... Hein, quoi ?
Le visage d'Holly perdit instantanément son expression sereine, pour gagner en inquiétude... Jusqu'à ce qu'elle comprenne que, une fois de plus, Alex se jouait un peu d'elle. Elle fronça le museau et lui tira à son tour la langue.

- Oh, faut bien trouver la compagnie où l'on peut. J'aurais préféré un dragon mais bon, ils ne sont pas simples à trouver, j'ai du me contenter d'un bébé mouette trouvé sur la plage.

Elle haussa les épaules, se perdant dans son propre jeu... Qui revêtirait un autre aspect.
La conseillère plissa les yeux, taquine, et, d'un mouvement gracile, presque félin, s'approcha d'Alexandrine, son museau à quelques centimètres du sien, son regard accrochant ses pupilles rouges.
Elle cilla.

- Il te faudra bien plus que deux mois de vadrouille pour te la faire perdre, ta place.

Sa voix se mua en un rire franc et elle contempla les nuages, devant-elles. Elles en avaient, de la route à faire, avant de rentrer au Castel.
Rien qui ne la rebutait, ceci dit.

Peut-être qu'elle avait espérer lancer Alexandrine sur ce sujet, en s'approchant, sûrement, même.
L'attente avait été longue et il ne s'était pas passé une journée sans qu'elle n'essaye d'anticiper, bien malgré elle, le retour d'Alexandrine sur ce frolement de babines, deux mois plus tôt. Si les choses avaient été confuses, les heures suivant cet acte, elle ne regrettait plus rien, désormais, soulagée d'avoir pu exprimer, à sa manière, à la louve ailée et aimée, tout ce qu'elle ressentait.
Par ce que si Alex ne savait pas trop, Holly, elle, était plus que certaine de ses sentiments. Plus que consciente de ses joues qui se faisaient chaudes, de son coeur battant, de son regard flou.
De cette envie de venir se blottir contre elle lorsqu'elle la vit rougir, détourner le regard, si incertaine, si mignonne.

Un sourire attendri vint étirer les coins de ses babines et elle ne résista pas longtemps, venant mêler son poil au sien, retrouver son odeur, doucement, sans vouloir la presser ni la mettre mal à l'aise.
La douceur, la lenteur, l'attention, voilà des valeurs auxquelles elle se promit de ne jamais déroger.

- Je veux juste que tu sois heureuse. Alors, fait ce qui te rend heureuse. C'est le plus important. C'est ce qui me rend heureuse, aussi.

Elle ferma à nouveau les yeux, sereine. Tellement sereine.

- Je n'attend rien de plus de toi... On ne peut pas tout prévoir, tout écrire à l'avance. Les choses viennent comme elles veulent, c'est comme ça.

Si Alex voulait bien essayer, elles n'auraient qu'à avancer, petit à petit. C'était quelque chose, après tout, de passer d'une relation amicale très forte à l'amour... Mais ça pouvait être beau, ça pouvait être si doux si elles prenaient le temps de découvrir et d'apprivoiser cette chose nouvelle sans songer aux lendemains.
Pour elle aussi, c'était nouveau.
Mais qu'est ce qu'elle était heureuse, bon sang.

- Je t'aime.

Ces mots, qu'elle aurait tant voulu lui dire avant de lui voler ce baiser.
C'était pourtant quelque chose qu'elle ne pourrait pas réécrire, qu'elle ne voulait pas réécrire.

À son contact, elle sentit le corps d'Alex de tendre, puis se détendre. Elle n'était pas idiote, Holly, et n'avait pas besoin d'un dessin pour savoir que la louve beige n'était pas vraiment à l'aise.
C'était... Peut-être elle, qui allait trop vite ? Qui la forçait un peu, qui l'enchaînait à quelque chose qu'Alex ne voulait pas vraiment mais qu'elle acceptait pour ne pas l'attrister ?
Cette pensée la remua, eut l'effet d'un coup de poignard dans le coeur. Manqua de peu d'avoir raison de sa belle sérénité. Les choses n'étaient toujours pas complètement limpides, pas tant qu'elle l'aurait souhaité.
Pourtant, pour ne pas perdre Alex dans de nouveaux questionnements, pour ne pas la faire douter, elle se savait prête à tous les sacrifices. Y compris accepter le fait que ses sentiments... N'étaient pas vraiment réciproques.
Devait-elle lui en parler, de cela ? Ne serait-ce pas mettre, d'office, une barrière entre elles ? La rabaisser ? Comment faire ? Comment agir ? Personne n'apprenait aux enfants à aimer. L'on avait, évidemment, conscience de certaines limites à ne pas franchir... Mais que faire lorsque ce genre de choses, évidentes, étaient bien loin de lui effleurer l'esprit et que les questionnements étaient tout autres ?

Elle demeura pensive, jusqu'à ce que Alex brise leur contact, sans pour autant rendre les choses plus claires.
La dragonne lui souriait, désormais, et, par Dairo, c'était fou comme elle aimait la voir avec ce genre d'expression.
Holly baissa les yeux vers le trèfle à quatre feuilles.
Oh.

Elle sourit, elle aussi, touchée par ce présent. Délicatement, elle vint défaire la boule de son collier en prenant garde de ne pas l'abîmer. Le végétal rejoint les fleurs roses et bleues.

- Merci beaucoup ! Ça me fait vraiment plaisir.

Elle le garderait précieusement. Par ce qu'il l'était, précieux, si précieux.
Ses babines tremblèrent, elle se composa un sourire plus affirmé, se forçant à repousser les craintes de la patte, dans un coin de sa tête. Il lui fallait être optimiste !

- J'ai aussi un truc pour toi... Enfin, des trucs... Gros... Au Castel.

Du moins, presque.
Car il y avait toujours cette épaulière ornée d'un grizzly, qu'elle gardait près d'elle au cas où sa route croisait celle de son amie, par ce que l'objet lui faisait penser à elle, par ce qu'elle avait tellement hâte de la lui donner.
Elle la sortit du sac, soigneusement emballée, protégée dans de larges feuilles pour lui éviter d'être abîmée.

- Tiens, j'ai quand même ça.

Elle était trop mignonne, c'était pas possible.
Holly rougit à son tour, jusqu'aux oreilles, comme en réponse à Alexandrine. Il lui en fallait vraiment peu, finalement. Un simple contact de museau sur sa mâchoire et elle se sentait... Bien, sur un petit nuage. Elle lui rendit sa marque d'affection, touchant sa joue, si douce, de son nez.

Son regard s'illumina.

- Je suis vraiment contente qu'elle te plaise !

Par contre, niveau raccord avec le chapeau... Ouais, bon, elle devait bien avouer ne pas trop l'aimer, ce putain de chapeau. Mais soit, Alex faisait encore ce qu'elle voulait niveau accessoires, et puisqu'elle ne l'avait jamais emmerdée avec ses petites fleurs, elle lui foutrait la paix avec son couvre-chef.
Ça allait de soi, en fait.

- Au tombeau antique ! J'y ai été avec Tawana, il y a quelques semaines. On y a trouvé beaucoup beaucoup de miroirs. Beaucoup beaucoup d'os. Des pierres précieuses aussi, et de l'or... Bref, pas mal d'objets assez inutiles. Ah, et des lézards. Des gros lézards.

C'était un endroit tranquille, le tombeau antique ! Rien à voir avec l'horrible manoir et son horrible araignée géante... Brrr, rien qu'à y penser, elle en avait des sueurs froides.

- On pourra y retourner ensemble, si tu veux !