Tonight [PV Cendres]

Si le soleil n’était pas des plus clairs, Momon s’était fait une raison et une fourrure conséquente pour l’occasion. Quand bien même les monts se trouvaient être frontière naturelle, il avait une certaine tendance à rester face aux champs mystiques. Une fois les premières lignes d’arbres passées, le sol rocailleux s’offrait à ses grandes tiges musclées. L’escalade n’était pas des plus plaisante, mais la récompense en valait le coup à son œil.

D’une démarche lente et assurée, le corps sombre se faufilait le long des pentes, traversait deux ou trois fausses rocheuses, et au bout d’une bonne demie heure, le loup au blanc manteau trouvait cette petite cavité. Ce n’était pas suffisant pour y vivre et fort loin de tout les coins giboyeux. Si il daignait venir si loin, c’était simplement pour contempler les terres Nahkus. Bien que les efforts fournis pour tout admirer demandait certaines flexibilités des cervicales, Momo profitait de long en large. A presque un an, il se sentait pousser des ailes, et désormais, son corps dépassait facilement la plupart des loups de la meute. A part Ajani bien entendu. Il devenait moins intimidant le lion blanc mais toujours respecté.

Ses muscles encore tendus de cette montée, le corps se laissa glisser sur la roche à peine tiédie par le soleil du crépuscule. Une volute de poussière s’éleva de par et d’autres des flancs pour rejoindre les nuages lointain. Au pied du vieux pins, le loup plaça sa gueule entre ses pattes, profitant du couché de soleil calmement et sans plus de bruits que ceux de la forêt plus bas. Son œil doré se ferma, laissant la place aux douces fragrances de pins et d’humus qu’il chérissait un peu plus chaque jour. Le loup s’assoupit.

Le jour ne fut pas encore couché qu’une odeur lui titilla les naseaux qui frétillèrent pour savoir de quoi il retournait. Les piaillements incessant juste sous son nez, c’était fâcheusement le pire moment pour lui. D’une patte énorme, il pesa sur le petit animal qui gigotait encore. La tête se releva, le regard pâteux, et de ses griffes, prit l’animal et le porta pour le distinguer et le sentir. Sans tourner la tête en direction de son frère, il lui lança tout en reposant l’écureuil :

« Bonsoir Cendres… Tu le tiens toujours pas ton rongeur apparemment… On dirait Ruine ! »

Finit la voix nasillarde de gosse, le timbre était lourd et graveleux. Lui même avait du mal à s’habituer à cette voix même si ce n’était pas directement lui qu’il entendait.

« Comment va frérot ? Toi aussi t’es venu te perdre au calme loin de maman ? »

Ne fusse qu’une seconde, il ricana en songeant aux envolées lyriques des femelles de la famille. Sous cette apparence d’ours au pelage hirsute, il demeurait jeune. Et malgré les cernes qui notait le manque de sommeil, il allait tout juste avoir l’âge d’être un « adulte ». Loin encore était la possibilité pour lui de posséder la couleur de la corneille mais au moins, avec son frère, il se sentait un peu moins seul. Toujours allongé, Momon daigna tourner le museau et lança l’air de rien :

« Ou bien tu voulais me parler ? »

Volontiers, il aurait bien parlé de tout et de rien. Pourvu qu’il ne parlait pas du départ d’Octavia. Même si elle n’allait qu’à quelques kilomètres du dédale, cela lui pesait sur le coeur comme un poids mort.

Il reprit son observation de la course du soleil, invitant Cendres à venir plus près pour profiter lui aussi du spectacle.

Si il y avait bien un membre de sa famille avec lequel Momon pouvait s’entendre, c’était son frère. Doux et délicat, gentil et attentionné, il avait des qualités dont l’ours ne savait pas trop l’origine. Peut être du père ? Le sombre secoua le museau pour se retirer l’idée de la tête et profita du contact chaud de son frère tout en lui balançant une petite vanne :

« La gueule en sang et ça s’essuie sur son frère ? Trop aimable de partager ta chasse ! »

D’un petit rire graveleux, il accentua la fin de sa phrase tout en tirant la prise vers lui. Tout frais qu’il était l’animal mais bien cabossé. La faim ne le tenaillait pas encore suffisamment pour qu’il eusse l’envie d’éventrer l’animal.

« Ouais loin pour pas entendre M’man et Maman s’enguirlander sur la distance qu’elle va prendre en venant s’installer dans les monts de l’autre côté des champs… Une vraie tête de mule solitaire, mais je crois qu’elle a juste pas envie de gêner Maman et Ajani… Je crois... »

Fallait dire, la naissance, dont ils avaient fait l’objet, était tout sauf évidente. Le grand mâle se perdit un instant, le regard fixe sur l’horizon, les nouvelles ne l’enchantaient pas vraiment. Et quand Cendres lui retourna la question, après s’être blottit sur son flanc, la paupière de l’oeil mordoré papillonna d’incrédulité.

« Allons Cendres… Tu sais très bien que je suis un livre bien plus ouvert que toi ! Et puis apparemment les grands costauds ont la côte auprès des filles ! »

Dans un élan de fausse fierté, il roula de ses épaules massives. Il aurait pu être de ces seconds rôles de films sur les universités américaines, le cliché du footballer timide. Le mâle ne s’empêcha pas de finir par dégonfler dans un petit rire léger.

« Si j’avais des choses intéressantes à dire, tu serais sûrement le premier à le savoir et après y aurait Siem et Pierre. Elles me tireraient les vers du nez même avant toi haha... »

Avec le temps, les complexes s’étaient un peu estompés mais il ne pensait certainement pas finir en mâle amoureux transis pour l’instant. Loin, d’un coup de patte les choses s’éloignaient de ses pensées. Puis il se frotta la joue sur le haut du crâne de son frère tout en continuant narquois :

« Nah tu serais le premier t’inquiètes, toi au moins tu me soûlerais pas avec mes histoires. Puis à part rencontrer des fous et m’entraîner avec Ajani, j’ai pas vraiment le loisir de découvrir le monde... »

Sa volonté lui dictait de ne pas le faire surtout.

« Et toi donc mon petit frérot adoré ? Des nouvelles intéressantes ? A part que maintenant tu chasses ! »

C’était étrange, ils étaient tout deux à taille adulte, mais Momon imaginait mal Ruine et Cendres se débrouiller par leurs propres moyens. Non pas qu’il n’avait pas confiance, mais ses craintes sur leur sécurité le poussait à s’inquiéter.

De ses profondes respirations, le grand sombre revêtait le plus grand des calmes et s’intéressa à l’animal mort entre eux. Il lui arracha un lambeau chair fraîche et mâchonna laissant quelques gouttes s’échapper sur ses babines. Quand l’évocation de ses amours, Momon déglutit difficilement, manquant de se faire achever par un bout de lapin. Une sacré mort pour peu de choses, il ne s’était jamais poser la question de sentiments. Son œil se plongea dans les quelques moutons roux dans le ciel, avait-il jamais eu ce genre de pensées ? L’amour, il ne l’avait que rarement côtoyé à vrai dire, à part entre Ajani et Eva et encore, c’était si subtile qu’il n’avait jamais oser aborder la question avec ses parents. Le loup d’ébène fit cliqueter ses griffes sur la pierre comme pour réfléchir, il s’apprêtait à ouvrir la gueule lorsque la nouvelle de son frère le coupa. Il exposerait sûrement ses questionnements après, Momon tourna le museau avec un regard bienveillant :

« Tu crois ? Ou bien en es tu sûr ? La personne en question doit avoir un sacré caractère pour que mon cher frère ose croire d’avoir des sentiments forts... »

Ses babines s’étirèrent en un petit sourire. Il était heureux pour son frère, même si ce n’était pas explicite, il le voyait mal mentir sur un tel sujet. Cendres était timide mais pas menteur pour autant qu’il le connaissait. Mais pas besoin de remuer le couteau dans la plaie, Momon retourna à ses contemplations. Le soleil brûlait alors la ligne d’horizon, éclatant mille et une nuances dans le firmament.

« C’est beau... »

Marmonna-t-il. Sans pour autant qu’il n’oublie lui même ce qu’il devait ressentir. Que répondre ?

« Je ne sais pas… je ne pense pas que ce soit de l’amour pour le moment… Puis avec ma tronche, trouver de la réciprocité dans ce genre de registre ? »

Tordant sa tête de côté, il posa sa grande gueule,au sens premier du terme, sur le museau du bleuté. Il tordit la truffe et ses babines pour laisser ses défenses apparentes.

« Entre ma tronche et ma taille, je ferai peur à un ours si j’en croisais un… »

Il n’avait plus de larmes pour s’apitoyer sur lui même, pourtant Momon demeurait réaliste. Si cela devait lui tomber dessus, ce ne sera pas maintenant. Sa gueule revint se pointer vers le ciel sans étoiles. Il ferma l’œil et huma l’air frais de la montagne. Dans une expiration, il argumenta :

« Un jour peut être je serai comme toi. »

Il laissa un instant de silence et sa paupière se rouvrit.

« J’aurai sûrement le courage d’aimer ! »

Ses mots sonnaient comme une prière pour les dieux, sous ce masque d’impassibilité, l’espérance continuait de grandir. Les mots d’Eva résonnait toujours en lui comme une promesse et une vérité. Il serait là pour ceux qu’il aime. Et il passerait outre les difficultés de sa condition. Sur ce trait philosophique, il se mit à hurler pour le plaisir de chanter sous la lune. L’écho de sa voix rocailleuse lui revenait dans chaque réflexion de la pierre alentour.

« En attendant, j’affirme que toi, Cendres, Ruine, même si elle nous les brise les trois quarts du temps, M’man Via et Maman Eva, je vous aime tous sincèrement. Et je serai toujours là pour vous. »

Un petit rire s’échappa de sa gueule et il reprit une bouchée plus importante du lapin en charpie.

Son frère avait toujours le mot pour rire. Momon le fixa intensément de son œil comme un poisson mort. Et lança :

« Si je suis si beau, demandes à la gente féminine de venir me voir ! »

Il lâcha un bon rire franc comme ceux de leur mère mais en bien plus grave. Puis il revint sur l’horizon qui s’obscurcissait. Ajani n’était en effet pas seul, et il songea à l’image de lui et d’Eva. Un frisson de dégoût lui parcourut le corps, soulevant son épais manteau telle une vague. Cette réaction quand vous imaginez vos parents avoir des rapports plus qu’amicaux. Momo donna un coup d’épaule à son frère :

« Ça y est tu viens de tuer l’image que j’ai de maman et d’Ajani en plus ! »

Du coin de l’œil, il observait Cendres. Ils le seraient toujours oui, Eux. Pas leur père mais comptait-il pour père réellement ? La question pouvait se poser après tout. Mais il ne voulait pas y penser davantage, il devait se concentrer sur ce bout de famille étrange dont ils faisaient partis tous les cinq. Et Le bleu et vert lui coupa net la réflexion. L’image de l’océan, il ne pouvait s’empêcher de l’associer à Narancia. Iel avait le pelage pour. Momon se demanda si il pourrait un jour connaître le sentiment. Il l’espérait. Il le désirait, tout romantique qu’il était, le grand loup se ferait miel si il le pouvait. Mais en cet instant, il donna un autre coup d’épaule à son frère tout en pouffant de rire.

« Si un jour l’amour daigne se lever assez haut pour me tomber dessus, je te ferai signe Cendres ! Oh mais que vois-je, une vague d’amour vient s’écraser sur un frère amoureux ! »

Se laissant tomber sur le côté tout en écrasant l’autre mâle, Momon mimait la vague avec ses pattes. Le loup sombre devait reconnaître une chose, son frère était bien confortable, un vrai coussin. Quand il eut fini de mimer, le sombre resta sur le poil coloré de son frère. Il dormirait bien là ce soir.

« Tu sais que t’es confortable, mou et ferme à la fois ! Un vrai oreiller ! »

Un petit sourire s’étira sur ses babines.

Finir avec lui, la bonne blague, Momon laissa un petit rire amusé sur ces bonnes paroles. Le grand mâle se targua d’une petite taquinerie de plus :

« Promis je touche pas, puis avec ta belle chevelure et ton animal de compagnie, tu dois certainement chopper toutes les filles du coin à ta convenance ! »

Puis le vert et bleu se tortilla sous lui, se dégagea un peu d’espace pour reprendre son souffle. Il était vrai que le sombre n’avait plus la carrure d’un louveteau, il se devait de faire un peu plus attention à ses gestes désormais. Le loup se décolla un peu pour que Cendres puisse se placer plus à l’aise, ce qu’il fit prestement. Le frère ne manqua pas de passer ses pattes tout autour des muscles et de l’épaisse fourrure tout en le taquinant. Chose qui amusait le plus grand, il se laissa aller un peu :

« Et tu voudrais pas que je ronronne en plus pour te faire lieu de couchage massant en plus de chauffant ? »

Sans plus attendre, Momon se mit à vibrer comme si il grelottait entre les pattes de son frère. Mais la manœuvre le fatigua bien vite, si bien qu’il ne tint que quelques secondes ainsi. Son frère lui mâchouilla l’oreille dans l’entrefaite, chose qui malgré le temps, il n’appréciait toujours pas. Son frère comme sa sœur semblaient tous deux décidés à lui abîmer plus encore ce petit corps qu’il trouvait déjà bien assez amoché. Sans prêter attention, le mâle gronda mollement d’exaspération.

« Je vais finir par croire que vous aimez manger mes pauvres oreilles toi et Ruine ! Bande de cannibales ! »

Tout en ne se tirant pas de l’emprise de Cendres, il décida de frotter sa tête sur le poitrail bleu nuit. C’était doux et chaud, un peu mou, juste ce qu’il faut. Petit à petit, sa paupière se voyait partir vers le bas. Un doux sentiment de bien être et de calme l’envahissait. Ils allaient dormir tel deux sacs sur la roche à ce rythme là.