Choses promises... [PV Pierre]

Si il était de ces jours mauvais, la pluie restait une saveur toute particulière. Les vents mauvais, l’eau qui vous fouette le visage, le monde qui se pare d’une myriade de teintes grisâtre, rien ne valait une bonne tempête. Quoi qu’elle ne fut pas si tempétueuse que cela, pourtant la proximité de la mer n’arrangeait rien.

Judas, la gueule bien occupée de son lièvre fraîchement pioché dans un bosquet, battait de ces grandes ailes colorées. L’avantage était qu’elle ne subissait pas l’avarie de l’humidité, membres fantomatiques qu’elles étaient toutes deux. Cela n’empêchait pourtant pas les bourrasques de ballotter le mâle bleuté dans les nuages. Les yeux plissé, il peinait à garder le cap mais aussi à se retenir de lâcher sa proie dans le vide. Car si les gouttes cinglait son corps, elles n’épargnaient en rien ses pauvres yeux verdâtre. Le loup couronné ne se voyait pas franchement faire le chemin à patte. Son oisiveté préférait largement la douceur d’une pierre chauffé par le soleil mais sa promesse le tenait par le coeur. Un promesse lourde de conséquences qui le tenait à honorer la déesse d’un présent délicieux pour se faire pardonner sa longue absence.

Le vol épuisait le peu d’énergie qu’il avait. Cependant, lorsque le loup daigna perdre en altitude et quitter les nuages en pleur, ses yeux purent admirer une chose dont il ne se doutait pas. L’île de la déesse avait reprit maintes couleurs, oubliant la boue et l’ambiance morbide, comme si tout était redevenu normal. Tout ? Non, de nouvelles couleurs attrapaient le regard, de nouvelles formes, de nouvelles choses qu’il supposait être des créations de ses comparses lupin. Lorsqu’il fut assez proche, Judas découvrit qu’il s’agissait de jarres remplies d’eau. A quelques mètres du sol, le mâle se prit à voler et voltiger de bonheur tel un oiseau au printemps. Il était revenu, comme promis.

Au loin, le temple semblait revivre à nouveau au milieu d’une végétation luxuriante. Moiro devait apprécier la chose, cette douce atmosphère respirant vie et beauté. Judas ne s’attarda pas trop, la pluie restait bien ennuyeuse. Alors, une fois devant l’entrée, il se posa en toute délicatesse. Rien ne pressait plus alors, il pénétra entre les statues de fauve, emblème de la tigresse. Gardant jalousement l’entrée, il devait sûrement être vivant par moment mais le disciple ne s’en inquiéta pas. Il faisait parti de ses enfants, rien ne lui arriverait ici, du moins il l’espérait. Quand il fut à l’abri des grands pommiers, le loup aux cheveux rose s’ébroua mais rien n’y faisait, le voyage l’avait tellement trempé que son allure était bien piètre.

Le temps passa un peu, il se voulait un peu présentable pour sa déesse même si il ne la verrait pas aujourd’hui. Judas se peigna un bon moment à grands renfort de coup de langue, puis, quand il fut enfin vaguement satisfait de son état, s’approcha de la statue et déposa sa prise. Il n’était pas fin chasseur, mais il avait fait l’effort. Son regard parcourut les courbes félines de la déesse et de ses babines étirées naquit un sourire presque niais. Le loup était heureux de revenir par ici. Il baissa le museau et ferma les paupières pour se mettre à prier.

La voix familière et grave de Pierre résonnait sous les tonnelles fleuries. Les oreilles du loup frémirent, il n’avait pas fait de saut par là bas depuis quelques temps déjà et ses enfants avaient du en faire des choses. Judas n’eut pas le temps d’en caser une que sa fille lui offrait un câlin. Câlin dont il n’eut pas le temps de profiter qu’elle se retirait avec dégoût tout en l’accablant d’un mauvais surnom. Le sourire du mâle bleu s’inversa et son regard désabusé.

« La serpillière te remercie… et toi tu as esquivé la flotte je parie ! »

Il la reluqua de haut en bas, toute joyeuse et surtout toute sèche. Le disciple de la tigresse se tourna lentement, comme une porte qui grince pendant des heures, et regarda la statue de la déesse. Son regard plissé, il jugea la chose comme une mauvaise blague pendant que Pierre léchait sa tignasse rose.

« Je sens comme une vengeance là ! »

Mais il n’avait pas envie de chercher querelle à sa déesse. Il n’y gagnerait rien de toute manière. Alors le loup retourna son museau vivement vers la fille. Ses cheveux suivirent le mouvement, au point qu’il s’enroulèrent autour de son cou pour atterrir sur sa gueule comme de vieux spaghettis. Une bonne journée tient. Judas se débattait d’une patte pour retrouver la vue tout en ronchonnant. Quand il vit le jour, une lueur violette attira son attention. Puis ses yeux verts se posèrent sur la face satisfaite de sa fille. Un sourire s’esquissa sur ses babines alors qu’il se débarrassait de ses entraves et que sa couronne se tintait d’un rose vif.

« Moi qui pensait que tu viendrais me voir avant de passer ton épreuve, je suis déçu ! Je suis obligé de te faire un accueil digne d’une mère ! »

Sans attendre, il embarqua Pierre d’une patte pour lui coller la tronche sur son poitrail. Il étouffa son enfant d’amour dans un câlin qui la baladait de gauche à droite entre les pattes de son père.

« Félicitation ma puce !!! Je suis fier de toi ! Même si tu m’as pas prévenu de ton épreuve avant ! »

Et de une, il espérait que les autres suivraient et feraient de bon disciples, qu’importe le dieu choisit. Il souhaitait juste ne pas les voir devenir solitaire sans croyances ou pire ! En attendant, il serrait sa fille lui faisant profiter de sa bonne et douce odeur de vieux chien trempé.

Tapotant la tête de sa fille et regardant la statue à nouveau il lança moqueur :

« Faut pas l’écouter déesse Moiro ! Elle vous arrive tout juste à la cheville niveau magnificence ! »

Mais son sourire laissait présager de son opinion car, dans ses pattes, limite étouffé de la fourrure dégueulasse de son père, il voyait une de ses petites merveilles à lui. Ils avaient grandis si vite ces petits merdeux ingrats. Judas soupira avant de commencer doucement à relâcher ses pattes. Bon il la gardait pour continuer de câliner cette petite ingrate qu’il adorait. Mais la voix toute douce soit elle, il l’entendit clairement et ses paupières furent prises d’un tic nerveux. Et les hurlements de Pierre finir par arriver. Le loup bleu laissa sa fille choir comme une vieille chaussette au sol. Des spasmes lui traversait le visage, le déformant à chaque seconde un peu plus. Sa respiration se fit plus courte et dans un son étranglé, il lança :

« Je. Vais. Le. Buter. Ce. Petit. Con ! »

Si il avait pu, il aurait laissé sa tête siffler telle une cocotte minute, et quelque part ses yeux exorbités de colère ne présageait guère plus de réflexion. Sa face sombre s’approcha, sa couronne vira à l’écarlate, et de sa hauteur, il jugea sa fille. D’une voix déformée, il lui hurla dessus :

« COMMENT CA T’ES ENCEINTE HEIN ?! NON MAIS COMMENT …. COMMENT PEUX TU NE PAS AVOIR ENVISAGÉ QUE PENDANT TES CHALEURS TU POUVAIS TOMBER ENCEINTE???!!! »

Et telle une drama queen, il secouait les pattes dans tous les sens et alla pleurnicher au pied de la déesse :

« JE PEUX PAS ÊTRE GRAND MÈRE SI JEUNE ! J’ai même pas encore pu tremper le biscuit tranquillement et je suis déjà un grand-père, je vais flétrir sur pied sans même avoir fleuri... »

A genou, tapant d’une patte sur le socle de la tigresse. Judas se laissa fondre sur la pierre quelques instants. Il avait besoin de s’éclaircir l’esprit. Enfin il restait sous le coup de ses émotions débordantes, la larme à l’œil en songeant à sa propre vieillesse. Puis, au bout de quelques minutes, il se releva et tourna vers sa fille. Son visage ferme et un regard pas content ridicule sur sa face, il reprit un peu plus calmement :

« BON, puisque tu as fais des galipettes dans les champs avec ce… petit… abruti à la dentition foireuse, va falloir assumer. On doit voir ton père ! Tu vas aller t’expliquer à Raison et moi je vais aller toucher deux mots à Eva… puisque l’autre gueularde est pas dans le coin. »

Il inspira fortement et passa une patte dans sa chevelure pour la balancer en arrière. Puis en soupirant, il posa un regard bien plus doux à sur la louve :

« C’est pas la fin du monde, je vous ai bien eu au même âge, ça m’a pas empêché de vous aimer et de m’occuper de vous hein ?! Et puis il y a pas que du mauvais à ton âge, t’as le temps de profiter de tes petits. Même si ça me troue le cul de passer pour le grand-père de service ! »

Et d’un geste parental normal, il enlaça sa fille tout en lui murmurant :

« Félicitations ! »