Ange et démon [PV Anita]

Les paysages du Nord étaient tellement différents.

Nimbés de brume et côtoyant les nuages, parés de couleurs vertes, grises et bleutées, formés de plaines vallonnées, de collines et de hautes montagnes majestueuses aux flancs lisses sur lesquels les neiges éternelles dessinaient un schéma moucheté – les tableaux qui se dressaient progressivement sous ses yeux émerveillés contrastait en tous points avec le Sud qui leur était si familier. Sans étonnement, leur captivante beauté et unicité avaient appelés son cœur et sa curiosité dès qu’elle les avait vu se dessiner de loin sur la route du Nord. Sa première envie avait été de bondir de l’avant pour tenter de rejoindre et d’effleurer ces géantes silhouettes dans le lointain.
Mais il fallait avancer au rythme du convoi.
Une fois sur place, elle aurait tout le temps d’aller les voir de près, ces montagnes et ces vallées.

• • •

Les siens venaient à peine d’atteindre la frontière avec les terres du Nord et d’établir le lieu pour leur camp que la louve hybride s’était un peu éloignée, trottinant à l’extérieur du camp du côté des terres Nakhus – là où la neige était fine et laissait apercevoir l’herbe verdoyante et grasse en immenses trouées– desquelles avaient surgi quelques loups encore inconnus venus leur souhaiter bienvenue. Enfin, il y en avait une ou deux qu’elle reconnaissait peut-être. Celles venues sur leurs terres parler à leurs Alphas.
Bien-sûr, elle comptait aider comme tout le monde à la mise en place de leur camp de fortune, mais… Son envie de découverte et d’exploration était tel qu’elle en avait eu des fourmillements aux pattes. Et après quelques regards en avant et en arrière – la jeune louve s’était enfoncée dans les territoires alliés.

Elle décida de prendre la voie des airs pour perdre le moins de temps possible et pouvoir revenir prêter patte forte à l’installation de leurs abris – mais aussi pour avoir le point de vue rêvé sur ces magnifiques étendues. Anita ne savait pas combien de temps ces ailes resteraient accrochées à ses épaules – alors autant les exploiter au maximum.
L’air ici était bien plus vivifiant que dans le Sud malgré l’été qui toujours chauffait le continent et plus elle prenait de l’altitude, plus le contraste était saisissant. Elle s’estima heureuse d’être emmitouflée dans son vêtement en fourrure de renne – agréablement serré autour de son corps, il retenait sa chaleur et empêchait les courants d’air les plus vicieux de s’infiltrer.
Planant au-dessus du long tapis de verdure en suivant vaguement le tracé tout en courbes du ruisseau en son centre, Anita laissa son esprit se vider et seul un léger sourire satisfait persista sur son visage relaxé.

Puis un point sombre capta son attention, loin en contrebas.
Deux, à vrai dire. Spectatrice glissant parmi les filets de nuage, c’était à une chasse qu’elle assistait là, l’animal pourchassé battant la plaine de ses grandes foulées et le loup derrière refusant de lui céder du terrain.
Fléchissant légèrement une aile pour adapter sa trajectoire Anita les suivit, entamant une lente descente en empruntant un doux couloir d’air.
C’est au milieu de quelques grands pins que se termina la funeste course. Au moment où elle repliait ses ailes pour venir à la rencontre du sol elle vit le loup surgir sur sa proie, saisir sa jugulaire tandis que de part et d’autre de son corps des ailes qu’elle n’avait pas encore remarqué et dont il était lui aussi porteur se déployèrent.
Ailes de plumes, vastes et angéliques ; quand elle et plusieurs autres de sa meute arboraient des ailes de cuir.
Humant discrètement l’air, Anita attrapa l’effluve de leurs alliés Nakhus émanant du loup noir – qui devait avoir à peu près son âge, ou plus jeune peut-être ; mais était d’une impressionnante carrure.

L’Etelkru fit un pas en avant puis s’interrompit. Le mâle sombre avait un air quelque peu… Hagard. Et il semblait ne pas avoir du tout remarqué sa présence, qu’elle n’essayait pourtant pas de dissimuler. L’intensité de la chasse l’avait peut-être un peu déconnecté, le temps de reprendre ses esprits… Aussi décida-t-elle qu’il valait mieux ne pas trop s’approcher au risque de le surprendre mais plutôt annoncer sa présence.
Anita se racla la gorge et agita ses ailes afin de les remettre en place.

— Bonjour ! C’était une belle chasse.

Puis elle afficha un éternel sourire, attendant que le loup enfin se retourne.

Le loup noir sursauta à son approche, un peu comme elle l’avait craint ; et elle eut un petit mouvement de recul dans une surprise partagée de son mouvement brusque.
Elle eut un petit rire gêné devant son manège, quelque peu embarrassée de l’avoir autant surpris tout comme l’autre devait se sentir pareillement mal à l’aise de la situation dans laquelle il se trouvait. Ça ne lui arrivait pas vraiment, à vrai dire ; de déranger les autres quand elle ne l’avait pas fait exprès.

— Heu, c’est pas grave… Désolée de t’avoir fait peur ! J’voulais pas.

Son sourire se mua en mimique amusée qu’elle couvrit brièvement d’une patte posée sur ses lèvres, alors que l’autre essayait de se débarrasser de morceaux de cadavre restés coincés dans ses crocs. D’ailleurs, ils étaient sacrément impressionnants, ses crocs ! Elle venait tout juste de les remarquer, plus focalisée sur la scène et leur drôle de présentation que sur le détail du physique du loup venant tout juste de se retourner.
Se laissant piquer par la curiosité et l’intérêt, elle ne put s’empêcher de faire deux foulées bondissantes vers l’avant pour aller les observer de plus près.

— Woua ! Ils sont super, tes crocs.

Dans sa meute, ils avaient un peu de tout – des ailes, des cornes, des longues queues, des queues de crocodile, des nez bizarres. Mais des crocs comme ça, elle n’en avait encore jamais vu, et elle perdit quelques secondes à les inspecter de ses yeux brillants, son museau fin à quelques centimètres de celui bien plus carré du jeune loup.
Elle réalisa finalement que son attitude était peut-être un peu envahissante étant donné la situation et elle se recula d’un pas précipité sans quitter son sourire enjoué ni baisser ses oreilles pointées sur lui. C’était le premier Nakhu qu’elle voyait de près, et elle était sacrément intriguée – pour ne pas dire un peu surexcitée.
Puis il posa une question, et elle se rendit compte qu’elle ne s’était même pas présentée.

— Non, je suis Etelkru ! On est venus aider, pour ce qu’il se prépare au Nord.

Il était vrai que le glowstick qui vendait désormais son appartenance était camouflé dans le col de fourrure de sa cape d’hiver – aussi remonta-t-elle sa patte jusqu’à son cou pour en écarter légèrement les pans, dévoilant la lumière jaune de Kiro.
Le mâle l’invita à partager la proie qu’il avait abattu et l’adolescente tourna la tête de gauche à droite.

— C’est gentil, mais j’ai pas très faim. Et j’imagine que ta meute en a besoin.

Surtout en ces temps rudes où il fallait faire des provisions, non ?
Tentant de calmer les mille questions qui lui venaient en tête mais sans lâcher le loup noir du regard, dont elle détailla l’apparence ; Anita cessa de balancer sa queue à un rythme engageant pour s’asseoir et l’enrouler dans un cercle serré autour de ses pattes rassemblées.

— Tu t’appelles comment ? T’es bien un Nakhu, hein ? Moi, c’est Anita.

Elle n’avait pas remarqué que le loup avait lui choisit de la vouvoyer.
Son enthousiasme pour la rencontre balayait tout ; et la jeune louve en oubliait presque la raison de leur venue dans le Nord ainsi que son âge de jeune adulte, se laissant volontiers emporter dans les plaisirs délicieux de l’enfance où chaque rencontre était une nouvelle aventure – et une potentielle mine d’or à dénicher.

Alors comme ça, tous n’étaient pas au courant de ce qu’il se passait au Nord ?
C’était si proche de chez lui, pourtant !
Bon, elle ne connaissait pas le mode de vie des Nakhus et leur façon de s’organiser en tant que meute, après tout. Il n’y avait peut-être pas des grandes réunions comme les leurs, ou peut-être qu’il y avait des loups qui vagabondaient sans trop se sentir concernés, elle n’en savait trop rien et se contenta de hocher la tête avec enthousiasme.
Le mâle se présenta à son tour et elle enregistra son nom dans son esprit. Momon, le premier Nakhu qu’elle voyait vraiment de près.
Il y avait bien eu les ambassadrices qu’elle avait vu de loin, l’autre fois ; mais leur visite avait été rapide, rendant leur présence presque fantomatique.

Perdue dans sa contemplation de Momon sans pourtant en analyser les gestes, elle ne se rendit compte qu’il était sur le départ que quand il fut forcé de lui proposer maladroitement de le suivre.

— Oh ! Oui bien-sûr, avec plaisir ! S’tu veux je pourrais même t’aider à le porter un peu si t’es fatigué, enfin j’ai pas ta carrure et je pourrais pas le poser tout entier sur mon dos, mais je peux porter un peu les pattes par exemple, un truc comme ça.

Anita haussa les épaules puis s’engagea à sa suite en bondissant, n’hésitant pas à dépasser le Nakhu de ses souples foulées pour ensuite faire volte-face et repartir dans l’autre sens, tentant ainsi d’évacuer la trop grande énergie qui l’habitait tout en restant à portée de voix.
Momon lança une question dans sa direction qui d’abord l’étonna puis la fit rire.

— Ben oui ! T’as que des ailes de plumes dans ta meute, toi ? Chez moi, c’est l’inverse, on a presque que du cuir. Peut-être parce qu’on est des démons, heh.

Son sourire se fit un peu plus grotesque pour faire écho à la réflexion, la jeune louve s’appliquant à faire ressortir ses canines pour se donner un air carnassier - sans vraiment réussir, alors elle se contenta de ricaner.

— Je rigole. Si tu veux je te montrerai. En tout cas, chez nous, on est au moins trois à avoir ça ! Ma maman, ma soeur, la fille d’un panseur aussi. Et toi, c’est une de tes mamans qui t’a donné tes ailes ?

L’hybride leva vers lui des oreilles curieuses tandis que dans son dos ses ailes frémissaient déjà, comme mues d’une volonté propre et impatientes à l’idée de s’élancer dans les cieux.

D’un haussement d’épaules elle mit donc derrière sa proposition de l’aider avec sa carcasse - soit ! Elle n’était nullement fatiguée et ça ne l’aurait pas dérangée de prêter patte forte au Nakhu, mais il faisait comme il voulait.
Peut-être même qu’il ne la pensait pas capable de le soulager d’une partie du poids, fine d’apparence comme elle était, et qu’il se disait qu’elle serait davantage un fardeau à entraver ses mouvements plutôt qu’un réel soutien - mais l’éventualité ne la vexa pas, l’amusa plutôt.

En tout cas, le loup noir fouillait dans sa mémoire mais ne trouvait effectivement pas d’ailes similaires aux siennes, ce qui n’en finissait pas de l’étonner ; et elle rit à la plaisanterie qu’il fit à son tour. Il avait beau l’air un peu timide et coincé, il commençait peut-être à se réchauffer un peu !

— C’est sûr que par chez nous, les Nakhus ont bel et bien une réputation d’anges !

Une réputation de faibles, seraient plus enclins à dire une bonne partie des membres de sa meute, mais Anita se refusait à porter un jugement si hâtif quand elle ne les avait pas même encore rencontrés. Après tout, si ils étaient tellement sans défenses en plus d’être gentils, ils auraient probablement été éradiqués depuis un moment, non ?
Et puis, des vieilles histoires d’antan racontaient aussi que Yurai n’avait pas été une Déesse si apaisée que ça. Alors peut-être qu’ils cachaient tout simplement très bien leur jeu, les Nakhus.
En tout cas, ils étaient différents et ne portaient pas du tout les mêmes valeurs en étendard, mais elle était sûre qu’il y avait plein de choses à apprendre d’eux.

— Et puis, je vois pas pourquoi tu serais un monstre ? J’en ai vu quelques uns, des monstres. Rien à voir avec toi.

Son ton s’assombrit quelque peu sur les dernières syllabes alors que ses sourcils se froncèrent un instant à leur souvenir.
Mais lui, alors, pourquoi se prenait-il pour un monstre ? Etait-ce à cause de ses crocs démesurés ?
Dans sa meute, les hybridations diverses et les attributs originaux étaient légion. Avec sa carrure et des dents pareilles à des défenses, Momon se serait très bien intégré dans le paysage et aurait même sûrement bénéficié d’une sorte d’aura naturelle de respect.

Il confirma vouloir la voir voler et embraya sur l’origine de ses ailes - provoquant une exclamation surprise chez Anita.

— Oh ! Mais comme moi ! Une de mes mères a des ailes mais à la base, j’suis pas née avec. Seule ma soeur en a eu. J’ai eu les miennes ya quelques mois quand une des bêtes sorties du Nord justement a volé jusque chez nous et a voulu me bouffer. C’était comme un énooorme oiseau mais sans plumes !

A l’aide de grands gestes exagérés elle tenta de mimer la taille du prédateur, quand bien-même c’était du domaine de l’impossible au vu de ses propres proportions - quand une idée lui vint en tête.
N’était-ce pas une parfaite occasion de lui montrer ce qu’il désirait tout en contant cette glorieuse bataille ?
D’une poussée ferme sur ses postérieurs elle s’éleva et prit rapidement de la hauteur, effectua un demi-tour avant de trop s’éloigner et que le Nakhu pense qu’elle s’enfuyait ; puis revint voler en cercles rapides autour de lui, le frôlant parfois du bout d’une aile.

— Il est venu sans un bruit, perçant la canopée de la Moere au tout dernier moment ! Nous étions deux et aucune d’entre nous n’a entendu quoi que ce soit jusqu’à ce que pshiou-

La louve passa soudainement dans le dos du mâle, le touchant d’un coup de pattes arrières furtif dans l’arrière de l’encolure.

— Il est apparu dans mon dos et m’a prise dans ses serres, et il m’a emmené loin, loin dans les airs ! J’avais beau me débattre, impossible de me défaire !

D’un battement elle fila vers les cieux, gagnant en altitude jusqu’à ne plus être à portée de voix.
Avant de redescendre en flèche dans un glissé maîtrisé, se laissant planer près du sol sur quelques mètres avant d’enfin regagner le sol en un bond.
Elle attendit que Momon la rattrape pour reprendre la marche à ses côtés, concluant son histoire.

— Un ami m’a sauvée grâce à son pouvoir. Il l’a attaqué et ça l’a distrait donc il a fini par me lâcher, sinon je ne sais pas comment je m’en serais tirée. Et quand j’ai commencé à tomber, je me suis demandée comment j’allais bien pouvoir survivre à la chute… Et c’est là qu’elles sont apparues.

Elle agita les longues ailes anthracites, fines et taillées pour la vitesse ; trouées de ces quelques petits points glanés le jour même de leur apparition. Puis, dociles, les ailes se replièrent dans la prolongation de son échine.

— Grâce à elles je ne me suis pas écrasée et je ne suis pas morte.

Grand sourire.

— Je suis persuadé que c’est Kiro qui me les a données, et ça a du suffisamment l’amuser pour ne pas me les reprendre. Il veille beaucoup sur ses disciples. Alors toi, c’est peut-être Yurai qui te les as fait apparaître ? Peut-être parce que… Tu en avais besoin, aussi ?

Elle haussa les épaules.
Les Dieux avaient parfois de drôles d’idées derrière la tête et s’amusaient comme ils le pouvaient.

La louve afficha un sourire rayonnant aux compliments du Nakhu sur sa prestation.
Peut-être bien qu’elle avait ça dans le sang, oui - dur à dire, pour elle, tout était question de faire… Comme si on y était. Et comme elle avait vécu cette scène, il lui suffisait de la rejouer au plus juste, d’en dérouler le fil dans son esprit et de tenter de reproduire au plus fidèle ce qu’il s’était passé ce jour.

— Ravie que ça t’ait plu ! On n’a pas beaucoup de plus jeunes que moi en ce moment dans la meute, je peux pas dire. Mais sinon, c’est vrai que je me sens à l’aise avec les ailes, j’ai vite rattrapé les natifs ! J’pense que c’est fait exprès, Kiro voulait pas m’handicaper alors il les a pensées pour qu’elles soient parfaites.

Sa dévotion et son amour pour son Dieu transparaissaient dans chaque parole qui lui était liée de près ou de loin.
Toujours était-il qu’elle en était persuadée, de tout cela. Elle n’en avait pas besoin, de ces ailes, une fois le danger passé. L’hybride avait tout fait pour avoir cette souplesse naturelle et cette agilité qui, dès son enfance, lui permettait déjà d’accomplir ce qu’elle souhaitait comme pirouette. Même sans ailes, elle ne s’était jamais sentie entravée dans ce qu’elle pouvait accomplir. Et c’était sans ailes également qu’elle avait obtenu son glowstick, se concrétisant comme disciple de l’Anaconda. Alors elle ne les avait jamais souhaitées, et Kiro aurait bien pu les reprendre - au lieu de cela, il lui laissa.
Et se dit probablement que ce serait du gâchis que de modifier son équilibre, son aisance. Elles furent donc rapides à apprivoiser - bien plus que celles, larges et lourdes, de sa soeur qui dut apprendre à conjuguer sa large constitution avec la légèreté des airs.

A mieux le regarder, ce Nakhu devait probablement souffrir du même problème. C’était peut-être pour cela aussi qu’il avait été tant impressionné par sa prestation.
Elle ne s’attarda néanmoins pas sur le sujet, puisque lui-même trouva une autre question à lui poser.

—Il s’appelle Dez ! Enfin, c’est un diminutif. Son vrai nom c’est Désastre, mais je n’ai jamais voulu l’appeler comme ça, et d’autres aussi l’appellent différemment. Si jamais tu le vois un jour utiliser son pouvoir, tu ne pourras pas le manquer, je te le garantis.

Elle étira ses babines sur un sourire narquois qui découvrit ses crocs, une étincelle vive et amusée dans le regard. Inutile d’en dire plus - il était bien plus attrayant de laisser une part de mystère.
Momon lui, en tout cas, ne possédait pas les mêmes certitudes sur ses attributs nouvellement acquis.

—Bah, si tu les aimes pas, peut-être qu’elles finiront par repartir ! Si elles étaient pas là au début, que c’est un cadeau de ta Déesse, mais que ça marche pas… J’imagine qu’elles finiront par disparaître.

Ce serait selon Anita une suite plutôt logique d’évènements.

— Et au pire, tu pourrais pas demander à ta mère de t’apprendre à t’en servir ?

Si elle-même avait été dans son cas, elle se dit qu’elle aurait en priorité cherché de l’aide auprès des membres de sa famille déjà ailés.

Anita redressa les oreilles aux paroles du Nakhus sur ses frères et sœurs. Cendres et Ruine ?
Il est vrai que cela avait une drôle de connotation, et que leurs noms avaient une teneur semblable à celui donné à son ami.
Mais ce n’était pas tout à fait pareil non plus. Elle pouvait entendre une forme de poésie dans ces deux patronymes, quand Désastre n’en contenait aucune si ce n’était la pure négativité du mot. Enfin, cela devait dépendre qui l’entendait. Sans contexte, le nom pouvait porter une certaine aura de puissance.
Comme si croiser le chemin de ce Loup au nom de Tempête, comme l’appelait Atsuko, pouvait apporter la crainte d’un être imprévisible capable d’abattre le malheur et la désolation. C’était une interprétation qui pourrait aussi plaire à Pepper au fond, qui pourrait se calquer sur le jeune loup efficace qu’elle avait entraîné. Mais ça n’en faisait pas quelque chose de positif à ses yeux.
Dez était un loup gentil. Le qualificatif n’était peut-être pas le bon, mais elle ne voyait dans aucun de ses yeux rouges ou dans ses si rares expressions la moindre trace de mal.
Alors il ne pouvait pas porter le nom d’un si mauvais présage.
C’était le réduire à tout ce qu’il pouvait apporter de pire, à sa force et à ses capacités guerrières, quand le loup gris avait au lieu de cela choisit la voie du soin.

Est-ce qu’un Désastre, on l’imaginait Panseur ?

Non. On l’imaginait disciple d’Aka, on l’imaginait Epée sans scrupule.

Anita soupira et secoua le museau pratiquement au même moment que Momon qui eut pareil geste, peut-être pour lui aussi chasser quelques idées moins insouciantes que leur discussion. Le constater la fit sourire.
Le loup noir franchit un tronc qui se dressait sur leur chemin avec une certaine lourdeur, l’hybride en fit de même à sa suite – mais avec la légèreté qui accompagnait les disciples de Kiro, déplaçant à peine quelques brins d’herbe sur sa route. Elle fut un peu surprise -mais ravie- que Momon, visiblement plus détendu qu’au début de leur rencontre, relance de lui-même la conversation.

Son museau se leva vers les cieux, pensive.

— Dur à dire, j’sais juste qu’il risque d’y avoir du grabuge. Ma mère a eu une vision de Kiro sur des choses immenses sortant de la glace. Ma sœur et elle sont allés voir d’un peu plus près pour essayer de trouver quelque chose, et y’avait le cadavre d’un super gros animal qui avait été dévoré par quelque chose aux super grosses empreintes. On a aussi vu des insectes géants, et puis le monstre volant qui a voulu me bouffer, celui dont je te parlais.

Cela faisait beaucoup, en quelques mois. De toute façon, les visions des Dieux n’étaient jamais anodines, et si Kiro avait voulu les prévenir de quelque chose et qu’en retour s’organisait quelque chose d’aussi conséquent que le déplacement de la moitié de leur meute vers le Nord pour une collaboration avec un autre clan, c’était qu’il y avait une menace à prendre très au sérieux.
Mais elle voyait aussi là l’occasion excitante et rare de découvrir d’autre chose, de casser la routine, de rencontrer d’autres loups. Comme lui.

— Bref, quoi qu’il arrive, j’crois que c’est sérieux et peut-être même un peu dangereux. Mais on va trouver ce qui va pas et on va s’en tirer, tous ensemble !

Un nouveau large sourire ferma presque ses yeux et dévoila toutes ses dents blanches.