Déluge d'un nouveau monde [libre]

Samaël •

C'était un orage de fin d'été, de ceux qui s'abattent comme une délivrance, une promesse de fraîcheur après quelques jours de chaleur étouffante. Une pluie diluvienne tant attendue mais pas pour cette silhouette qui se découpait dans le paysage, courant pour chercher un abris après avoir été surpris.
Samaël ne savait pas vraiment où aller, il n'avait pas de réel objectif à atteindre, pas de destination où s'arrêter. Il marchait depuis des mois maintenant, ayant pourtant quitter son désert natale et sa proximité, ayant juger à la frontière qu'il n'était pas assez éloigné. Et maintenant ? Il n'avait jamais pensé à s'arrêter, n'avait jamais vraiment trouvé d'endroit pour le faire, alors il marchait, avançait, progressait. Les Paysages avaient changés, des montagnes arides qui bordaient son désert, il était passé par des forêts denses pour lesquels il n'était clairement pas fait -qui serait assez fou pour vivre dans ces trous humides pleins de mousses et de moisissures brrr-, par des plaines d'herbes immenses et tant d'autres zones. Les températures avaient changé, moins extrême entre le jour et la nuit, parfois chaudes, parfois froides. Lui qui connaissait les tempêtes de sable qui avaient balayé tant de fois sa cité, son oasis d'origine, elles avaient remplacé par la pluie qui vous saisissait jusqu'aux os, il y avait le vent parfois sec et agréable, parfois humide qui l'était beaucoup moins, il avait découvert l'existence de la brume si désagréable au réveil le matin. Indéniablement, dans ce nouveau monde, Samaël préférait les jours de soleil, de manière générale il était beaucoup moins mortel que celui qu'il connaissait mais surtout... rassurant, il était avec la lune la dernière chose familière qui lui restait.
Mais il disparaissait lorsque d'épais nuages noirs couvraient le ciel avant d'abattre leur colère sur la terre des mortels.
Fichu orage !

La pluie ne s'arrêtait pas et Samaël était détrempé, épuisé également après une journée complète de marche qu'il terminait au pas de course, le corps alourdie par ses tissus et son pelage gorgés d'eau. Ses pattes et son ventre étaient couvert de bout, menton le fut également lorsqu'il trébucha au roulement d'une pierre sous ses pas dans cette pente qui trahissait le début d'une montagne. Il se demanda s'il ne s'était d'ailleurs pas foulé une patte arrière durant la chute, se reposer dessus était douloureux. Rah... Il devait trouver un abris, pour voir ça, pour se sécher, pour se reposer.
Le jeune mâle aurait pu noter qu'au delà du son du tonnerre, de celui des bourrasque de vent, il y en avait un, comme un roulement d'eau qu'il n'avait jamais entendu auparavant. Il ne le remarqua pas, comme il ne remarqua pas non plus cette odeur canine qui délimitait une frontière, il ne remarqua pas l'existence de la présence d'un peuple barbare, ne pensant même pas à prendre cette possibilité en compte.
Au bout d'un moment, il trouva une petite grotte, un peu creusée dans un morceau de falaise. Épuisé, détrempé, Samaël s'y engouffra. Dés qu'il ne sentit plus la pluie s'abattre sur lui, il se laissa échouer sur le sol avec un loup soupir de fatigue, fermant doucement les yeux. Ah, il fallait qu'il  se sèche, qu'il regarde sa patte... Plus tard, le jeune Prince prenait cinq minutes de pause, c'était... comme revenir des entraînement trop difficile de son père. Cinq minutes, juste cinq minutes, le temps de reprendre son souffle.

Il ferme les yeux. L'instant n'est pas suffisamment long pour se reposer, il l'est pour cauchemarder cependant. Du feu, des hurlements, des crocs, des grondements... non, celui-ci n'est pas le rêve, il est réel. Son regard doré s'ouvrit, brillant dans la pénombre tout comme celui d'au moins deux autres loups. Etaient-ils plus nombreux ? Avec le mauvais temps qui tambourinait dehors, il ne les avait pas entendu arrivé et leur odeur de chien mouillé emplissait tellement sa truffe qu'il aurait été incapable de savoir si le reste d'une bande l'attendait là dehors. Quasiment au même moment où l'ordre fut donner, peut-être un peu avant, Samaël s'était relevé d'un bond, pivotant sur lui même dans le même élan pour faire face aux deux étrangers. Il les regarda un à un, identifia leurs positions, leur rôle vis à vis de l'autre. La plus petite ne le regardait pas vraiment, aveugle ? Elle aurait pu être un élément faible avec évidence mais c'était elle qui parlait, c'était elle qui donnait l'impression d'être la plus dominante des deux, Samaël ne ferait pas l'erreur de la sous-estimé, il savait que c'était une chose bien trop classique. Ces deux loups étaient des combattants, sous leur pelages collés par la pluie, le jeune Prince voyait les silhouettes de leurs musculatures se découper, au delà de ça, ils avaient tout de la posture guerrière, du savoir guerrier... et ils n'avaient pas oublié de lui barrer le passage. Ceci dit, Samaël n'aurait pas eu grand espoir de survie en retournant dehors sous cette pluie qui lui frigorifiait les os.

Le mâle brun aussi avait cette posture qui trahissait son savoir. Parce qu'il n'était pas encore prêt à se laisser ôter sa vie, parce qu'il avait fait tant de kilomètres pour ne pas mourir, il était hors de question que ce jour arrive dans une grotte miteuse à cause de deux bandits de grands chemins. S'il tenta du mieux qu'il put de cacher sa patte fragile en la posant au sol sans s'appuyer dessus pour ne pas grimacer, Samaël garda quelques tics d'attitude qui trahissait son ancien rang. Sa queue n'était pas totalement relevé comme aurait pu le faire un dominant mais elle était tenue droite à l'horizontale et haute. Il savait reconnaître qu'il n'était pas la forme d'autorité présente mais se soumettre était plus compliqué.

Samaël eut un peu de mal à comprendre la question. Oh il avait de la chance, au moins parlaient-ils la même langue mais ces loups avaient un de ces accents... quoiqu'il était celui qui venait de loin, il n'imaginait même pas ce que donnerait son langage à leurs oreilles.

« Je crains malheureusement de n'avoir ni connaissance de ce peuple, ni même de ces terres. » Il fit une pause, son regard dérivant très légèrement sur le mauvais temps dehors avant de revenir presque aussitôt sur les deux loups. « Et avec ce temps, ni même de quelconque frontière. »

Il se tendit, son regard allant de l'un à l'autre, dans une attitude qui ne cherchait pas à se préparer à attaquer mais dans celle qui s’apprêtait à esquiver. Il ne se laisserait pas tuer, ni par cette pluie, ni par ces loups.

Samaël était attentif, oreilles et regard alerte et il les perçut, ces sons,ces mimiques, ces petits signes qui ne lui étaient pas destinés, qu'il ne pouvait pas comprendre parce qu'il n'était aucun de ces deux loups mais il savait que quelque chose se jouait dans le profit de son ignorance, ses frères aussi avaient su se comprendre en un frémissement de poil. Et les mots sans doutes sont là pour détourner son attention, pour qu'il la porte sur la bleue plutôt que le gris. Ces mêmes frères qui savaient si bien se comprendre entre eux, sans doute qu'ils ne se seraient pas fait avoir mais Samaël restait au fond, un loup encore relativement jeune.

«Chez moi le paysage a raison des faibles et les forts sont tués par leurs frères. »

Personne n'était épargnés, ils devaient être tout comme cette meute, guerrier et stratège s'ils voulaient survivre, se faire politique et diplomate pour ne pas se faire tuer, intransigeant et sévère pour vivre un peu plus longtemps. Mais ça, le jeune loup brun, s'il avait voulu le dire, ne put l'ajouter qu'un éclair gris fonça vers comme un serpent jaillissant du sable lorsqu'on posait la patte trop près de son terrier.
Les serpents, on apprenait très vite à éviter leurs morsures, quand bien même ils n'ouvraient pas leur gueule à la première attaque. Les cobras ne le faisaient pas non plus. Dans un quasi automatisme, Samaël fit un bond sur le côté, glissant un peu sur le sol humide sans jamais perdre le contrôle, relevant cependant sa patte blessée dans une grimace après s'être appuyé dessus.  Sa queue se releva plus haute, plus dominante, dans un signe qu'il ne comptait pas se laisser faire quand bien même il était l'intrus. S'il ne gronda pas non plus, pas pour l'instant, l'éclat blanc d'un croc se dévoila sous une babine.

« Je suis navré loups Etelkru, mais j'ai voyagé trop longtemps, trop loin pour laisser ma tête au premier peuple barbare croisé. »

Et lui aussi attaqua, lui aussi chercha à être rapide, il espérait l'être plus que le gris, parce que le brun savait qu'il ne tiendrait pas sur de la force brute. Et tout de suite il chercha à atteindre les points faibles, quitte à devoir esquiver à nouveau avant, à bifurquer au dernier moment pour  revenir aussitôt et ne porter qu'une attaque. Chercher la mollesse du ventre, le tendon d'une patte, terminé le combat aussi vite qu'il avait commencé, d'autant plus qu'il était seul face à deux guerriers entraînés.

Ses crocs n'attrapent rien et chatouillant le bout de ses moustaches, la fourrure du corps de l'ennemi qui glisse et s'enfuit. Samaël avait appris des choses mais il n'était pas excellent, en face de lui, il devinait un loup qui se rapprochait bien plus de ses frères que de lui. La survie serait difficile mais s'il avait fui son palais, il se battrait bien plus dans cette impasse, au moins pour la mémoire de ceux qui étaient tombés. Le jeune mâle ne put cependant s'empêcher de pointer un léger sourire sur le coin de ses babines aux compliments de la bleue. Merci, louve. Mais trop habitué aux exécutions, ne ne comprends pas encore, le jeune brun, qu'on ne cherche pas vraiment sa mort. Tendu, prêt à agir à nouveau, prêt à un nouveau bond, il fut cependant stopper mais un nouveau danseur, deux même, deux silhouettes qui se découpaient à l'entrée dans la grotte, ayant bravé la pluie pour venir jusqu'ici.
Si Samaël croyait encore jusque là à un espoir difficile, avec quatre loups, ça devenait quasiment impossible, surtout s'ils étaient tout les quatre de la même trempe que le guerrier gris. Excusez-moi Père, excusez-moi Frère, son chemin aura été au final assez court, son seul regret sera de ne pas être tombé à vos côtés, en même temps que vous. Quand bien même, il comptait bien ne pas partir seul, il vous offrirait pour atteindre les portes du Palais Céleste, l'âme de ces barbares de l'autre bout du monde.
Samaël ne comprenait pas très bien les paroles du nouveau mâle cependant. Est-ce qu'il lui demandait de simplement se faire tuer sans résistance ? Son regard miel coula un instant vers les deux  premiers, cherchant peut-être une réponse chez eux, se demandant un instant si le deuxième gris n'était pas une sorte de fanatique coincé habituellement dans son temple. Au final ce fut la bleue qui donna la réponse, réponse à tout, elle qui portait la même aura de chef, de dominante qu'avait porté le père du brun. Ce dernier se détendit un peu, relevant la tête, prenant un peu moins les positions de combat.

« A survivre avant tout mais maintenant que j'ai atteins ce qui ressemble le plus au bout d'un monde, je suppose que mes assassins ont arrêté depuis longtemps de me suivre. »

Cesser de fuir, faire le deuil définitif de son ancienne vie de prince, il était sans doute temps.

« Vous me rappelez les miens. Si je ne cherchais pas forcément à retrouver le même schéma que j'ai connu, il est vrai que cette petite familiarité grandissante n'est pas déplaisante. »

Si c'était une invitation, il n'était pas hostile à l'idée de l'accepter.