L'heure de la couleuvre ✡ Noé

Il l'attendait aussi, l'heure de la couleuvre, se tenant un peu à l'écart du camp, derrière les tentes, pour ne pas être vu des Etelkrus et, surtout, ne pas être vu de son jeune protégé.
Il appréhendait quelque peu cet instant et ne pouvait s'empêcher de songer aux possibles pirouettes qu'il devrait effectuer pour se tirer de certains questionnements bien trop précis, sans trop mentir -il n'aimait pas trop ça, mentir- mais sans risque, non plus, de briser le secret. Daisy avait encore besoin de la petite couleuvre, pas du soigneur chocolat.
Se préparant, tant qu'il était loup, il sortit de sa sacoche une feuille de papier ainsi qu'un feutre... Encore piqué à la bibliothèque. Il le ramènerait plus tard, bien sûr.

Noé inspira et ferma les yeux. Lorsqu'il les rouvrit, il était redevenu reptile.
Saisissant sa feuille et son feutre dans sa petite gueule, il fonça à travers le camp, mouillant sa feuille sur la glace, sous le regard amusé de quelques Etelkrus.
Mais lui, n'en avait rien à faire, d'eux, il cherchait quelqu'un d'autre. Un loup gris qu'il aperçut, non loin de là. Alors Noé glissa plus vite encore, pour ne pas trop perdre de ce temps qui lui était compté, avant qu'il ne redevienne un loup.

Il lança un regard dépité à sa feuille, toute mouillée, déchirée par endroit. Voilà qui allait être pratique, pour communiquer.
Et puisqu'il était, effectivement, frigorifié, puisqu'il n'avait pris la peine de s'envelopper dans son bandana, de peur d'être reconnu, il ne se fit pas prier pour venir aux côtés de Sourire... Bien curieuse créature que ce Sourire, qui le regardait d'une bien curieuse façon. Etait-il capable de deviner... ? Non, bien sûr que non, il se faisait des idées.
Il se faisait toujours des idées.

Bougeant un peu, il lut ce que Daisy avait inscrit sur ce parchemin, ces mots, si bien choisis, mais qui semblaient si difficiles à prononcer.
Son corps écailleux entoura le stylo et les mots naquirent, encore, sur un morceau de papier.

C'est comme toi, tu le sens. Si ça te rassure de te préparer, alors prépare toi.
Ce n'est pas facile, de dire ces choses là, c'est normal. Les premiers mots sont les plus difficiles. Déjà, tu as posé des mots sur ce que tu ressens, c'est bien. Il ne te manque plus grand chose.

Ce n'est pas grave, cependant, si les mots ne sont pas ceux que tu as écrit, si tu bafouilles un peu.

Noé était optimiste. Les mots n'avaient pas encore pu être dits mais... Il n'en était pas loin, Daisy. Il lui fallait juste savoir comment se lancer, peut-être trouver l'instant.

Tu peux demander à lui parler, seuls à seuls. Voir marcher ensemble, quelque part, sans forcément la regarder, lorsque les premiers mots viendront.

Ce serait ainsi qu'il s'y prendrait, lui, en tout cas, si il avait quelque chose d'important à dire à quelqu'un.

J'ai une famille, oui. Et j'ai voyagé. J'ai pu rencontrer beaucoup de monde.

La petite couleuvre hocha la tête.
Oh que oui, il était grand, le monde. Bien plus grand que ce que l'on pouvait imaginer, avant de faire avant de long voyage, avant de se rendre compte que l'on avait pas fait la moitié du tour du monde en errant pendant presque la moitié de sa vie. C'était une expérience incroyable, que de pouvoir découvrir d'autres lieux, d'autres cultures, des langages qui n'étaient pas siens et qu'il ne comprenait pas, se devant de communiquer autrement. Malgré tout, il n'était pas mécontent d'être rentré, Noé.
Être médecin itinérant, c'était bien lorsque l'on était encore jeune et fringuant. Lui, vieillissait, commençait doucement à fatiguer, après sept ans de vie et jouissait désormais d'un repos bien mérité.

Il reprit le stylo contre lui, noircit de nouveau le papier.

Celle de sang m'a abandonné lorsque j'étais bébé. Mais ce n'est pas grave.
Car celle du cœur est toujours à mes côtés.

Leurs situations n'étaient peut-être pas si différentes. Enfin, si.
Lui, s'était retrouvé bazardé, après quelques heures de vie, dans un endroit où il aurait aisément pu trouver la mort si Korra et Geb ne l'avaient pas trouvé, ce jour là. Ce simple fait lui avait fait comprendre qu'il n'avait pas été un enfant désiré, peut-être né d'un acte odieux... qui sait ? Et pourtant, et curieusement, jamais il n'en avait été peiné. Comment être triste, comment pleurer sur son sort, lorsque le destin lui avait donné la chance de pouvoir profiter de l'amour de Korra et Geb, durant l'enfance et de, même après un long voyage, retrouver cette fratrie d'adoption avec laquelle il avait grandi.

Il sourit.

Toi aussi, tu comptes pour les tiens.

Il l'avait vu, au temple de Yurai, au camp de la grève. Cela se lisait, dans le regard, dans le sourire d'un ou d'une amie qui venait à sa rencontre, qui posait sur lui un regard plein d'affection avec, toujours, un désir d'être présent, de prendre soin. Pour ce genre de choses, faible était l'importance des liens de sang. L'on pouvait être, pour un ami, pour un adopté, un meilleur soutien qu'un géniteur.
Noé comprenait pourtant cette envie que pouvait avoir Daisy, de se faire aimer de celle qui lui avait fait don de vie.

Le sourire de la couleuvre s'étendit. C'était une bonne chose, d'être entouré des autres, surtout lorsque l'on ne pouvait prétendre à l'amour maternel. Ainsi, Daisy n'était pas seul, loin de là, il y avait, à ses côtés, des loups prêts à le porter vers l'avant et qui, Noé l'espérait, ne le laisseraient pas tomber, en cas de coup dur.
Mais puisqu'il avait foi en leur espèce, il décida d'y croire, de tout son cœur.
Tout comme il pensait, réellement, que Daisy trouverait, un jour, la force de dire ce qu'il ressentait à Pepper.

La question suivante manqua de peu de le faire frissonner. Il... Ne s'y attendait pas. Pas maintenant, du moins et, à nouveau, les choses défilaient à une vitesse folle, dans son esprit, les situations, toutes différentes, se présentaient à lui, ne le laissant, pourtant, en choisir qu'une. Clairement, il n'avait pas envie de dévoiler son prénom. Ca aurait été, là encore, un risque considérable de dévoiler ce secret qu'il avait préservé avec tant de soins... Et si, si il apprenait la vérité, Daisy renonçait à parler à Pepper ? Non, il semblait bien décidé à le faire mais...
Et puis, il n'avait pas envie de mentir à cet ami. Pas par peur d'une malédiction qui se verrait prolongée, mais tout simplement par ce qu'il n'était pas sain et qu'il n'y avait pas de bonnes raisons pour mentir à ceux auxquels l'on tenait.
Et lui, s'était attaché à Daisy.

Son minuscule coeur se serra, de peur et d'appréhension, lorsqu'il se saisit du stylo pour, cette fois, ne pas écrire une phrase, mais un mot.

Noé.

Ca ne pouvait être qu'une coïncidence, après tout.
Comme pouvait l'être cette large cicatrice, le long de son dos, la même que celle présente sur son corps de loup, comme pouvaient l'être ses yeux verts, ses teintes chocolat.
Il pria, pour que, pour le moment, cela ne soit perçu que comme de drôles de coïncidences.

Peut-être aurait-il du mentir finalement, pour éviter cette réaction.
Pensée fugace, bien vite balayée par la tempête qui ravageait tout, en lui. Non. Ca quelque chose lui disait que cette vérité aurait bien fini par éclater, qu'il n'aurait pu cacher à Daisy sa véritable nature éternellement. Son espèce avait-elle vraiment une importance, d'ailleurs, au fond ? Pourquoi se méfier davantage d'un loup qui savait parler que d'une couleuvre qui aimait écrire ?

Peut-être par ce que le loup, lui, n'avait pas toujours été très intègre. Par ce qu'il avait été extrêmement maladroit et avait pu en offenser certains, en plus de Kiro.
Il reconnaissait ses bavures et comprenait donc les sentiments, et surtout celui de trahison, des siens et ne pouvait leur en vouloir.

Et maintenant, qu'allait-il se passer ? Allait-il le tuer, Daisy ?
Ce serait si facile, il était si vulnérable, là, sous cette forme. Enfin, encore plus que sous celle habituelle, déjà de constitution fragile. Là, il lui suffirait de refermer ses crocs sur son corps si fin, d'entailler la peau si fine de son ventre et Noé la couleuvre ne serait plus.
En serait-il capable, de cela, celui qui avait été élevé par sa mère comme un soldat ?

Mais non, à la couleuvre, il ne serait pas fait de mal. Au loup, par contre...
Le corps du petit animal se retrouva agité de frissons et il leva, vers Daisy, de grands yeux écarquillés. Il ne pourrait redevenir loup, là, maintenant, car ce n'était pas lui qui décidait de ces choses là. L'aurait-il fait, si il s'était trouvé en capacité de le faire ? Peut-être, au moins pour pouvoir s'expliquer. Mais aurait-il été seulement entendu ?
Ce n'était peut-être pas plus mal, finalement, d'être bloqué dans ce corps. La couleuvre aurait peut-être davantage d'intérêt, pour véhiculer le message qu'il souhaitait transmettre au loup gris.

Son corps se resserra autour du stylo qu'il avait gardé contre lui, sans savoir pourquoi.
Et encore, des mots sur la feuille, sans qu'il ne tente de partir.

Je ne décide pas.

L'écriture fut faite rapidement, de façon bien moins soignée qu'à l'accoutumée, pressée par l'urgence de cette situation qu'il ne maîtrisait pas.

Je voulais tellement t'aider.

En serait-il toujours capable, désormais, de l'aider ?

Il ne cherchait toujours pas à s'enfuir, Noé, il restait immobile, planté là, son stylo contre lui, prêt à écrire de nouveaux mots si besoin était.
Par ce que, malgré la peur que pouvait lui inspirer Daisy, il avait foi. Foi en ses congénères, foi en celui auquel il s'était déjà, lui, attaché, et qui plus qu'un soldat formaté, était surtout un enfant déboussolé. Un enfant qu'il voulait toujours aider, quels que soient les risques.
Lorsque Daisy reprit la parole, Noé se dit qu'il avait eu raison, d'avoir eu foi, quand bien même son destin n'était pas encore scellé, qu'il serait peut-être mort, ce soir.
Pour une erreur.
Mais non, il avait confiance, là encore.

A la question posée, il hocha la tête.
Effectivement, l'heure de la couleuvre n'était pas anodine.
Sa petite tête vint appuyer contre l'un des antérieurs du loup gris, avant qu'il ne se décide, encore, à écrire.

Je veux toujours t'aider.

Son regard chercha la sien, à nouveau, plus déterminé, toujours sûr de lui.

Tes secrets demeureront nôtres.
A toi seul, les mots sur le papier seront destinés.
Jamais, ils ne passeront la barrière de mes babines.

C'était une promesse qu'il lui faisait, les yeux dans l'œil.
Que gagnerait-il, après tout, à ébruiter le Secret ? Quel plaisir ressentirait-il, à semer le chaos au sein d'une meute qui l'avait accueilli, qui était alliée à celle dans laquelle il avait trouvé la Paix ? Et surtout, il n'avait pas envie de trahir Daisy... Cette pensée ne l'avait même pas effleuré.

La couleuvre pencha la tête sur le côté.
Pourquoi lui posait-il cette question, Daisy ? Ne venait-il pas de lui promettre, sans rien demander en retour, de garder ses secrets ? Et que pourrait-il bien réclamer ? Il secoua la tête et inscrit un mot sur la feuille.

Rien.

Par ce que rien de ce qu'il pouvait souhaiter ne pourrait être obtenu par un odieux chantage tel que celui ci. Ce qu'il voulait, lui, c'était revoir Daisy sourire, même maintenant qu'il savait qu'il n'était pas vraiment une couleuvre. Plus encore, il souhaitait le voir avancer, parler à Pepper, en tirer ses propres conclusions, le voir heureux.
Aussi, il espérait pouvoir regagner sa confiance.

Tout ira bien.
Ne te fustige pas pour ce que tu as dit. C'est difficile, d'exprimer ce que l'on ressent et ton fardeau est si lourd. Tu es courageux.

Il inspira.

Je ne suis peut-être pas totalement une couleuvre.
Mais je resterai là pour toi. Une heure, ou plus encore. Tout le temps dont tu auras besoin et envie.

Dans son regard vert, l'espoir.
Noé voulait revoir Daisy. En tant que couleuvre, en tant que loup, peu lui importait. Il y avait des choses dont il voulait discuter avec lui, de tout et de rien, des choses à lui montrer, à lui faire découvrir. Et il avait aussi, beaucoup à apprendre de ce jeune loup.
Il lui sourit, sincèrement.

C'était une bonne question.
Cette volonté d'aider ne l'avait pas toujours animé, Noé. Il avait été un enfant couard, avant de disparaître loin des terres des Punk Wolf et de croiser bien des loups. C'était ces expériences qui avaient faites de lui le loup qu'il était aujourd'hui, qui avaient fait naître en lui la satisfaction de porter une patte aidante à ceux qui en avaient besoin.
A vrai dire, il n'était justement plus capable de repousser quelqu'un qui cherchaient son aide, faisant de cette demande un objectif. Il n'y avait pas grande différence, pour leur panseur, entre poser un pansement d'herbes sur une plaie et tenter d'apaiser un cœur qui faisait mal.
Certaines choses ne s'expliquaient pas vraiment, tout comme il ne savait expliquer l'envie de prendre de l'air, de lire un roman d'aventure, de manger quelque chose de particulier, de voir un visage connu...

Pour ces raisons qui font de moi un médecin.

N'était-ce pas la volonté, ou bien le sens du devoir, qui poussaient un panseur à venir en aide à son prochain ? N'était-ce pas toutes ces choses, qui poussaient un individu à choisir cette voie, de devenir celui qui sauve en premier lieu et qui blesse en cas de nécessité ?
Il le savait, pourtant, que ce n'était pas tout.

Et par ce que tu es attachant.

Les yeux de la couleuvre se plissèrent, lorsqu'elle sourit.
C'était quelque chose qu'il devait bien lui avouer.

N'as-tu jamais ressenti, au delà du devoir, l'envie d'aider quelqu'un ?
Comme lorsque, par exemple, tu m'as déposé à la bibliothèque, à l'abri du froid.

L'œil droit se referma, un clin d'œil offert.

La petite couleuvre secoua la tête, possédant, lui, une lueur d'amusement dans le regard.
Il niait, Daisy. Par ce que certaines choses ressenties et à ressentir semblaient être difficilement compréhensibles pour le jeune mâle formaté qu'il s'avérait être. Alors que la plupart des loups apprenaient ces choses là dès tout petits, grâce à la tendresse de leurs proches, pour lui, c'était visiblement quelque chose de tout nouveau.
Quelque chose qu'il devrait apprivoiser et, avant cela, accepter.
Car c'était en lui. Noé n'en avait aucun doute.

Pour toi, les serpents sont donc attachants.
C'est une bonne raison, pour les aider.

Un mot posé sur un ressenti, c'était aussi simple que cela. Dans ces milles façons d'aimer, fraîchement énoncées, il y avait ça, l'attachement pour un individu, une espèce.
Lui même devait bien avouer être encore plus disposé à porter son aide aux jeunes loups qu'à ceux de son âge. Sur le papier, cette confession fut écrite.

Je ne suis malheureusement pas vraiment un serpent, en dehors de cette heure.
Mais, en vérité, j'aimerais beaucoup que l'on se revoit, si tu veux bien.

Il hésita, pour la première fois, par pudeur plus que pour autre chose.

Je n'ai pas d'enfants et n'en aurait jamais.
Mais si j'avais eu un fils, j'aurais aimé qu'il soit comme toi.

Regrettait-il ce statut, cette vie ? Regrettait-il de n'avoir personne, de ne pas avoir d'enfants de son sang à aimer ? Non. Car cet amour qu'il ne pouvait offrir à des louveteaux qui, jamais, ne verraient le jour, il savait, sans en souffrir, le mettre en bocal pour l'offrir à d'autres, à sa nièce, aux jeunes... Tout en ayant conscience qu'il n'aurait jamais, à leurs yeux, le statut de père, ce qui n'était pas non plus ce qu'il recherchait.
Ces enfants demeuraient ceux de leurs parents et c'était dans leurs coeurs qu'il souhaitait les voir s'épanouir. Lui, veillait de loin, se faisait oreille attentive.
Offrait l'affection sans rien attendre en retour.

Il avait raison, Daisy, et cette fois ci la couleuvre hocha la tête.
Il n'aurait pu avoir d'enfant comme ce garçon là, si d'enfants il avait eu, par ce qu'il n'avait pas le caractère de celle qui l'avait mis au monde... Mais aussi par ce que l'on ne retrouvait pas deux êtres identiques, sur ces terres. Il n'y avait qu'à voir, au sein d'une même portée, les caractères qui se détachaient alors que les bébés n'étaient encore âgés que de quelques semaines. Daisy était unique et il était un cadeau qu'une seule personne au monde pourrait apprécier d'avoir pour fils, si elle évoluait.
Et c'était tout ce que Noé pouvait leur souhaiter, à tous les deux.

Pour ce qui était du reste, lui avait fait le deuil de la parentalité. Mais il savait, également, et l'avait oublié pendant un instant, que jamais demeurait un mot interdit, par ce que l'on ne pouvait prédire ce qu'il se passerait le lendemain, quand bien même il se sentait incapable d'éprouver l'amour dans le sens romantique du terme. Peut-être qu'une rencontre étrange serait, un jour, amenée à bouleverser ce qu'il avait toujours pensé.

Tu es très sage.

Un clin d'œil.

Désormais, il attendait, Daisy, de le voir redevenir loup.
Noé leva la tête vers le ciel, pensif. Depuis combien de temps, déjà, était-il couleuvre ? Cela faisait un moment qu'ils parlaient, tous les deux et les moments passés avec Daisy se faisaient rapides.
La couleuvre ne chercha pas à partir. Au lieu de cela, se roula en boule aux pattes de celui qu'il considérait comme un ami.

Enfin, il redevint loup et releva la tête, un sourire serein sur les babines. Il n'avait pas peur, il n'avait plus peur.