Je reviendrais toujours vers toi [ft Désastre]

Les yeux sur eux.
Vies qui défilent, nombreuses sous ses pattes. Désastre s'est allongé là-haut, sur un promontoire qui souvent devient sien. Il a vue sur l'entrée principale, où vont et viennent les siens. Il en saisit le corps et la démarche, trace leur kinésiologie, la compare aux données récupérées de la veille ou du matin. Il exécute son devoir qu'est celui de protéger, au travers du rang de panseur. C'est aussi prévenir, en remarquant les blessures qu'on veut cacher, pour noter, pour se souvenir, au moment où il faudrait soigner. Pour donner en avances quelques traitements, des plantes qu'il glisse et dont il laisse la prise libre de choix au soigné.
Le choix, oui.
Il le laisse toujours, essaie du moins.
Il y pense souvent, pensées obsédantes qui reviennent dans sa tête. C'est marqué en lui, c'est un fragment de traumatisme dont sans doute il ne se déferra jamais vraiment. Malgré son temps de peur, malgré les soins de son esprit, malgré les réponses qu'il parti chercher et qu'il trouva prêt d'amies et d'un oncle... Ça fait partie de son évolution, marquant le jeune adolescent qu'il fut pour laisser cette leçon au jeune adulte presque devenu.

Un souffle court, des paupières qui se ferment.
Il chasse ces souvenirs, se reconcentre sur son travail.

La dernière ronde revient et laisse sa place à la suivante, Epée et Bouclier en duo.
Les passages s'amoindrissent, bientôt il n'a plus qu'eux à observer, jusqu'à ce qu'il ne reste plus personne.
C'est là qu'il se relève, sur ses quatre pattes.
Bougeons, un peu.
Le jeune mâle sort des ombres où il se fond si bien tant est qu'elles deviennent siennes, lui de gris et de noir fait, dont à peine le blanc du poil se révèle sur les roches alentours. Il ne profite pas du soleil qui soudain s'installe, à peine perturbé par les bruits extérieurs. Des criquets et des grenouilles qui croassent, quand au crépuscule il succède cette presque nuit.
Là, où le ciel possède encore quelques clartés, la lune est déjà présente mais le noir total ne l'est pas. Ce ciel qu'il retrouve, quand il sort du Castel.

Il ne va pas chasser, pas maintenant. Il n'a pas envie de le faire, ce n'est pas son rôle et surtout, pour être de garde des blessés de bon matin, se devait de trouver son post en pleine forme.
Ses pas au travers de la Rougelande ne sont fait que pour répondre à un besoin physiologique, nécessaire bien que neurasthénique, dont l'assouvissement provoque néanmoins soulagement immédiat et vague sentiment d'éternité.
Bref.
Il ponctue sa sortie par un détour plus grand, profite de la fraicheur de la soirée quand bien même jamais la chaleur n'aurait semblé le déranger, serpent au fond de lui.
Une dernière marche, une dernière dépense, avant de retrouver le chemin du Castel.

Une odeur familière perturbe pourtant son avancée.
La voix, d'autant plus.
Pourquoi tu me cherche Grand Frère ?
C'est un murmure emporté par le vent et il n'est pas sûr de bien entendre, par la seule oreille capable de capter ces mots. Il redresse pourtant la tête, Désastre, plisse les yeux qui cherchent encore à s'accoutumer à l'obscurité.

Elle est là-haut, TeHari, perchée dans un arbre.
Et il lui faut un vague instant de réflexion, pour savoir quoi répondre à cette question. La vérité tombe, il n'est pas capable de mentir.

« Je ne cherche les autres que de jour. J'estime qu'ils dorment, la nuit. »

Ses épaules se haussent, pour lui c'était une évidence. Il se demande, pourquoi elle s'est dit dit ça. Peut-être parce qu'il est là, un peu par hasard. Peut-être parce qu'elle espérait le voir, quelque part.
Il ne compte la rejoindre sur sa branche, reste le corps tourné vers le Castel.
Demande, toutefois.

« Tu ne rentres pas ? »

Les prédateurs sortent de nuit, attention.
Par ce devoir qu'amenait implicitement ce surnom de Grand Frère, il se devait de veiller sur elle, il croit. Raison pour laquelle il se tenait immobile, comme en attente qu'elle descende et l'accompagne.

Il regarde le Castel. D'ici on le voit, dominant la Rougelande. En plissant un peu les yeux, il peut même percevoir deux petits points à l'entrée de la porte, torche illuminant le couloir et qui bientôt projetterait son ombre sur les murs.
Mais TeHari, elle, elle ne veut pas y aller. Elle a poussé un très long soupir, un soupir bruyant qui fit un bref instant se coucher l'oreille attentive. Quand on soupire à des mots, c'est que ceux-ci ne nous plaisent pas. Il avait dit quelque chose de mal, peut-être, quelque chose qu'il n'aurait pas dû dire. Il l'embête, ou bien le provoque. Il n'en sait rien, le jeune mâle, se contente de rester immobile et d'attendre.
Sans tension ni peine. Ce n'est que le néant, en lui, qui accompagne à merveille le regard morne et le visage terne.
Sa gueule s'entrouvre, il n'y a d'abord que ça qui passe entre ses crocs. A voix basse, il lui murmure cette évidence.

« Tu ne l'horrifies pas. »

Ne dit pas de telles erreurs, TeHari.
Je sais de quoi je parle.
Pour ce temps passé aux côtés de la mentor Tawana, pour toutes ces heures passées à observer son visage, ses gestes et sa posture, dans la façon dont il avait de se lier aux autres et d'apprendre à les connaître... Désastre pouvait assurer ce fait. Il n'y avait jamais eu de peur, sur son visage, quand l'enfant était rentrée auprès d'elle. Il n'y avait pas eu de dégoût, non plus. Et il sait à quoi il ressemble, celui-ci. Il le connait par cœur, il l'a beaucoup vu sur le visage de Pepper. Pas tout de suite, pas quand il était tout petit. Mais davantage, oui, quand il avait commencé à grandir, que son corps s'était allongé, que ses mouvements avaient ressemblé aux siens. A ceux de l'ennemie. Les traits meurtris, les crocs qui claquent. Elle lui avait apprit à se mouvoir en silence, pour ne pas qu'elle l'entende. A tenir sa queue vers le bas, souvent contre un membre, pour ne pas froisser l'air. A être une ombre plutôt que félin, pour ne pas se laisser aller à l'amertume fasse à lui.
Pour ne pas qu'elle le chique, dans ce mépris provoqué à chaque fois qu'il s'approchait d'elle.
Comme si ça avait été l'ennemie, alors revenue pour Pepper.
Il avait souvent eu mal. Des bleus, sous le poil noir.
En apprenant à ne plus la dégoûter, ce fut chose qui passa alors.

Désastre cligne lentement des yeux, fait glisser ses crocs les uns contre les autres alors que se clos sa gueule.
Il regarde toujours le Castel, et ses petites, toutes petites lumières.
Il sait que Tawana avait commis quelques bévues, davantage par maladresse que par intention. Qu'elle n'avait pas était parfaite, mais qui pour prétendre l'être après tels drames successifs venus l'ébranler sans répit.
Il sait que pourtant, elle aime sa fille.

Ladite fille se l'aise d'ailleurs tomber sur la branche, la fait trembler de son poids.
D'un mouvement de tête, lui fait tomber une feuille qui vint se loger éphémèrement dans sa chevelure de sang, sans encore détourner son regard. Focalisé, là-bas, dans cet objectif de rentrer même si l'adolescente ne le veut pas.
Elle parle de dormir dans l'arbre ou bien ailleurs. Elle lui parle de fruit pourri, aussi.
C'est en ne comprenant pas cette phrase qu'il relève les yeux vers elle et surprend son regard sur lui. Pourquoi lui dit-elle ça ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
La gueule s'est entrouverte et les sourcils haussés, le regard est mou. L'incompréhension ce lit en ersatz sur son expression.
Une expression, peut-être, qui ne doit pas être positive. Il a déjà mangé un fruit pourri, n'a pas aimé le goût prononcé qui corromps les sens du goût et de l'odorat, la texture grumeleuse, l'effet étrange. La maladie, un peu, qui en découle.
Il comprend, qu'on ne veuille donc de ça dans son panier.
Ne sait pourtant pourquoi ça vient, là, dans la conversation.
Pour le fixer, elle parle peut-être de lui.
...
Mmh.

Il ne sait ni quoi penser ni quoi répondre, alors il conserve son silence pour cette fois-ci.
C'est sans doute pour ça, qu'elle enchaine. Il comprend alors qu'elle ne souhaitait pas sa présence, en lui demandant pourquoi il était là puisqu'il aurait dû dormir.
C'est vrai. Ses épaules s'abaissent.
S'il ne s'excuserait d'être ici, parce qu'il n'avait pas à le faire quand bien même il semblait importuner la jeune louve, il ne s'attarderait sans doute pas beaucoup plus. Il ne veut pas déranger, pas gêner. Dans une inspiration c'est ce qui lui remonte, l'acidité qu'est ce sentiment de ne pas être à sa place.
Il apprécie sa compagnie, comme celles d'autres, mais s'il cherchait parfois la présence ce n'était chose toujours réciproque. Il n'était ni souriant ni bavard, on pouvait le lui reprocher parfois ; comprenait de ce fait qu'il n'était à favoriser auprès des autres.  
L'aspect social est quelque chose qu'il analyse plus qu'il ne lui vient naturellement, il comprend ce soir qu'il avait commis une erreur en se stoppant trop longtemps auprès d'elle.
Il devait chercher pourquoi, le comprendre et ne plus refaire cet impair.

« Je faisais un dernier tour, avant de rentrer chez moi. Pour dormir.
...
Ce n'est pas encore tout à fait l'heure. »

Il serait plus fatigué qu'escompté, finalement. La chasse était activité moins fatigante que ces réflexions, ces questionnements, ces remises en question issues de cette conversation malgré le balbutiement de celle-ci.
Déjà, il chauffe un peu.
Et comme les expressions, l'ironie est chose qu'il ne saisit que moyennement. Son regard se baisse, il observe l'herbe dont la rougeur est obscurcie par la nuit, pour ne plus qu'être grise.

« ...D'accord. »

Je lui apporterais la définition de ce mot.
Dans un dictionnaire, il la trouverait sans difficulté, la donnerait à Tawana puisque tel était le désir de la brune aux ailes de cuir plutôt que de plumes.
Rebondit avec des pensées plus abouti sur le mensonge qu'elle évoque. Ça, il sait. Ça, il peut répondre. Il comprend que Tawana lui a parlé du mensonge, ou bien qu'elle l'a découverte seule.

« Il était trop tard, quand elle s'en est rendue compte. Je crois.
...
Oui. Le mensonge n'apporte rien de bon. C'était une erreur. Elle a cru que c'était mieux, pour toi. Elle s'est trompée.
Mmh.
Ça arrive. L'important est de s'en rendre compte, et de ne plus refaire la même chose. »

Il garde les yeux rivés vers le sol et l'expression sépulcral tant cette réflexion est coûteuse. Ne sait pas quoi lui dire de plus.
Il doit sans doute la laisser parler, maintenant, c'est ce qu'elle doit vouloir.
Ou bien est-ce son départ, qu'elle souhaite ?

Il est figé et ne sait plus.

D'abord elle ne dit rien, TeHari. Persiste dans son silence, le laisse dans son incompréhension et le sentiment d'avoir quelque part fait une erreur sans être en capacité de comprendre celle-ci. Il n'aime pas vraiment cela, Désastre.
Tout comme il n'appréciait le contact. C'est ce qu'elle initie entre eux deux et c'est pour ça qu'il y pense, il se surprend pourtant à restreindre au néant un mouvement de recul qui le saisit en réflex. Ne bouge pas, se dit-il alors que d'attention il focalise sur son pelage au contact du sien et à la chaleur de sa peau. Elle en a besoin, je crois, dans le maux de l'esprit qui peut-être la guette.
Il n'en reste pas moins tendu, reste ainsi figé et immobile. Ne sait pas quoi faire de plus, alors il pense à ceux qui maîtrisait l'art des accolades et de la communication par le corps. Il pense à Alexandrine et à ce concept de câlin qu'elle lui aura initié. A Anita, aussi, à cette nuit contre elle.
Elles le touchaient avec les ailes, ce n'était pas désagréable.
Il ne possédait cependant pas cet attribut, du moins pas pleinement, et la réflexion s'acheva sur le fait qu'il ne bougerait donc pas, reposant cette patte qu'il avait levé au cours de ses pensées égarées.

Elle reprend la parole, de toute façon. C'est que cela lui convenait bien ainsi, sans doute.
Son cœur ralentit en même temps qu'il cessa d'échauffer son esprit.
Évoque des fragments (? c'est flou, il ne saisit pas ce qu'elle lui dit là), ne prononce qu'un

« Mmh. »

En guise de réponse à ce qu'elle vient de dire. Il ne peut pas comprendre l'excès de colère, lui n'éprouve en guise de celle-ci qu'une montée d'agressivité et de violence quand de calme il perdait, n'aurai su user des mots pour exprimer celle-ci.

Puis...
Puis il y a une question, qu'il s'est souvent dite. La ressemblance. La sienne, avec l'ennemie. Celle de TeHari, avec son père.
Les yeux se plissent.
Ça, il sait. Ça, il peut comprendre. Les pensées et les souvenirs qui habitent les regards. La haine suscitée, parfois. S'il avait ressemblé à Pepper, alors Pepper sans doute l'aurait accepté, du moins était-ce ce qu'il pensait souvent. Il n'empruntait d'elle que ses oreilles évidées et la densité de son pelage, encolure épaisse qui remontait sur ses joues lisses. Le reste tenait de l'autre.
Et elle ?
Lui avait-on dit telle chose ?

Il l'a vu, Désastre. Son père.
Il sait à quoi il ressemble, et connait le goût de son sang. A ce souvenir, rien n'apparait sur son visage, ni n'anime le regard morose.
La gueule s'ouvre et davantage il parle.

« Tu as ses attributs, mais tu ressembles beaucoup plus à Tawana. »

Quant à l'héritage de sa cruauté, de son accès de colère qui mena sur un viol...
Il avait pensé, l'enfant qui devenait adolescent au moment de ce drame, que dans tous les mâles se cachaient cette part d'horreur à l'encontre des femelles. Il avait compris que non, auprès d'un oncle patient. Il prend un air de réflexion, plus dense, essaye de se rappeler des mots de Dough. Pour mieux les lui dire, à TeHari.
Oui. Comme il en avait eu besoin, de ceux-ci, ils trouveraient sans doute même effet chez elle.

« Le Mal ne tient que de l'individu, pas d'un genre... ou d'une famille. Il suffit d'apprendre à gérer ses envies et ses frustrations de façon saine, tout se passe dans la tête et si on en a conscience c'est qu'on peut réussir à gérer. On serait..tous..dingues..sinon.
Euh..Ah.
Tu ne seras pas cruelle, tu ne peux pas hériter de ça. »

Il est maladroit, il le sait, le discours n'est pas aussi percutant et les mots de Dough mal redistribué.
Mais il essaye de faire de son mieux, Désastre quand résonne encore d'autres mots dans son esprit, des réflexions qui fourmillent et le fatigue.
Du reste, l'affirmation tombe sans hésitation.

« C'est une erreur, de penser que les membres de la meute veulent ou pensent ça.
Mmh.
...
Tout le monde s'en fou, des parents des autres. Je suis sûr de ça. »

Parce que bien trop ont à reprochés déjà aux leurs. Pepper ne parlait jamais de son père, très peu à Pomme. Beaucoup de jeunes n'avaient été que volonté d'un tournois, et l'on voyait se dessiner davantage de foyer par liens affectifs que par liens de sangs.
Il trépigne, d'un antérieur sur un autre. Lève le museau, les yeux vers le ciel.
Achève, d'une voix grave et basse.

« Alors...tu peux vivre comme ça. »

Comme tu as dis vouloir le faire.

Enfin elle se décolle, fait cesser le contact qui le laissa en inconfort tout du long. Il se permet une discrète reprise de souffle, gonflant ses poumons comme il n'avait osé le faire jusqu'à présent, pour ce contact renforcé que telle inspiration aurait engendré. Il est introverti et n'aime les contacts, en a pour le moment eu pour sa dose et souhaite retrouver la quiétude de son intimité, celle dans laquelle il se mure et reste aussi bien que seul.
Mais elle sourit maintenant.
C'est que, quelque part, il a réussi. Il n'y aurait croit-il pas de mot de l'esprit en elle, désormais. Elle trouverait le repos et la sérénité, cesserait d'entretenir sa colère.
Elle deviendrait.

Elle finit par reprendre la parole, lui accorde la raison. Oui. Il sait, qu'il a raison ; il y a suffisamment réfléchi, il a étudié cette situation et comprend qu'il n'aurait pu faire mieux que ce qu'il avait fait maintenant, hormis d'apprendre à s'exprimer de façon plus...correcte. Au moins a-t-il la certitude de ne pas avoir commis d'erreur.
Il hoche la tête, dans un mouvement lent qu'il interromps aux abords de son propre torse, sans que les yeux n'aient déviés des siens.
Ce qui suit le surprend.
Il ne comprend pas, pourquoi elle lui bave sur la joue, ce qu'il doit trouver dans la signification de ce geste que l'on avait, à son encontre, jamais eu encore. Il l'a déjà vu chez les autres, sans plus se questionner.
Le recevoir le surprend.
...
Un instant figé, il prend pour décision de l'ignorer et n'y répond pas, ne sachant ce que la convention attendrait de lui à cet instant.
Il pense ne pas être obligé d'en faire de même, sans que cela ne soit mal pris.

« De rien.
...
On peut rentrer au Castel, maintenant. »

Parce qu'il suppose car n'a plus envie de dormir dehors, maintenant, qu'elle ne souhaite plus s'exposer aux prédateurs des plaines qui sortent la nuit. Qu'elle souhaite retrouver la proximité des âmes qui forment leur meute de grandeur et d'avenir.
Et lui...
Lui l'y accompagnerait, vers ce qui était leur chez-eux.
Assumant, de ce fait et de façon fragile et maladroite, le surnom qu'elle lui donnait.