Micro-siestes au milieu des crabes (libre)

Les vagues soulèvent son museau, le font disparaître, l'océan est maître des malheureux qui le traversent, je n'en ai jamais pris conscience avant que je me sois retrouvée dans la gueule de cet enfoiré, puis dans la mer, je n'avais pas non plus pris conscience d'à quel point mes pattes palmée et mes ailes, qui pourtant ne me permettent pas de voler, pouvaient être utile dans l'eau.
Maman finit par disparaître entièrement, moi, je finit par détourner la tête, à l'évidence elle ne m'aidera pas, je dois me concentrer sur mes pattes lourdes, je ne prends plus la peine de bouger mes doigts pour les réchauffer, trop fatiguée pour ça.

L'île est loin, les vagues la cachent, elles me cachent aussi, ma truffe me pique, je ne sais pas si c'est l'eau ou le froid, je me sens descendre comme Maman, ça fait combien de temps que je n'ai pas vu Papa d'ailleurs ?
Son visage me revient en tête, souriant, faisant le clown pour nous faire rire, moi et Qyu.
Et elle, où est-ce qu'elle est ?
Au fond de l'eau sans doute, avec Maman, je me demande si Papa nous a cherchée, il a intérêt, bon, c'est pas moi qui vais lui crier dessus, mais bon, ce serait bien quand même, il est gentil Papa.
J'ai l'impression de tomber, que ma gorge est trouée et laisse l'air partir, je me roule en boule et tousse, sans un bruit, je revois la glace, j'entends les cris des petits qui hurlent pour manger, je n'ai jamais supporté ce bruit, je tapais la truffe de Qyu quand elle s'avisait de rejoindre le boucant avec sa voix stridente, maintenant je pense que j'y serai mieux qu'ici.
En fait je suis où ? 
Je me force à ouvrir les yeux. 
Aïe ! Ça pique !
Je les renferme mes ils pleurent quand même, je les laisse faire, je repense à Maman, à Qyu, à Papa, je sens ma gueule se déformer et mes larmes devenir plus nombreuses, je laisse faire, je préfère me rendormir, peut-être qu'après j'aurai de nouveau le contrôle de mon corps, la vue de l'iceberg défilant durant ma chute me hante, me réveille, me rendore, de temps en temps, j'ouvre les yeux, je vois des grains jaunes/verts et ternes qui glissent à chaque respiration et puent le poisson pas frais, je referme mes yeux, encore incapable de bouger un seul muscle, et repart dans les ténèbres du sommeil.
Je ne sais pas combien de temps je reste comme ça, quand j'arrive enfin à réfléchir, mon corps me brûle, une chose grisâtre monte sur mon museau et repart avec une tige verte gluante entre ses pinces, je crois que c'est une algue, Papa en avait ramené une un jour et nous avait fait croire que nous étions forcé de la mangé pour un jour devenir adulte, mais c'était pas bon, pour se faire pardonner, il avait nous avait donné du poisson, au final c'était pas si mal de supporter ses blagues si après on pouvait manger.

Je me concentre sur ma patte, elle ne bouge quasiment pas mais c'est déjà ça, au moins je l'ai pas perdue, mon aile non plus je crois, je l'ai bougée tout à l'heure sans faire exprès, je lève faiblement ma tête, mais d'un coup elle me fais mal, la douleur va d'un tempe à une autre en prenant bien soin de me démonter le crâne au passage, même en reposant cet outil de torture, ça n'arrête pas, ça empire, j'ai envie de la frapper, de l'arracher, tout pour qu'elle arrête de ma faire mal à m'en donner la nausée.
J'ai pas envie de me lever, j'ai autre chose à penser, comme à une manière de demander au machin gris de me percer la tête pour enlever ce qui me fais mal comme il avait enlevé l'algue, je soupire, ma tête a qu'à me faire mal si elle veut, de toute façon, c'est pas comme si j'allais survivre bien longtemps sur l'île, ça se trouve, les trucs gris sont comestibles, je sais pas c'est quoi leur nom, du coup je vais les appeler euh... les grisous ? Nan, c'est moche, en plus là bas, j'en vois un qui est même pas gris, plus rouge... Les pincettes ! Ouais ça c'est bien, parce qu'ils ont des pinces et tout.
J'essaie de penser à tout et n'importe quoi pour oublier que je vais mourir bientôt, la douleur est toujours là, mais moins, j'observe les pincettes mais je finis par les regarder sans y penser, mes pensée retourne à la banquise, à tous les autres et au final, à l'île.
Faut dire, mon mal de crâne aide pas des masses.

Quelqu'un arrive, je ne bouge d'abord pas, n'entendant que des sons trop flous pour être compréhensibles, mais qu'est-ce qu'il me veut celui là ?
Il a l'air inquiet, il porte une odeur que j'ai du mal à reconnaître, je crois que je ne la connais même pas, j'arrive à peine à sentir que c'est un mâle.
Je ne réagis que quand il me balance de l'eau à la figure, je sursaute et tourne mes yeux vers lui, à la fois il ressemble à un de mon espèce, mais il est différent, on aurait dit un hybride entre un renard arctique et un aviaire, quoiqu'il a des poils et des plumes longues.
Il s'assoit, toujours aussi inquiet, et recommence à parler, cette fois c'est moins flou, moins sourd, j'arrive à le comprendre, à peu près.

-Ça va...

J'ai mal à la gorge, je sers les crocs, j'ai mal partout, j'arrive pas à faire plus qu'un chuchotement, et encore, ma voix est toute enrouée comme disait Maman, bonne chance pour me comprendre l'inconnu.

Je ne sais pas quoi dire d'autre, des milliers de questions me brûlent mais je ne sais pas si je pourrais en dire plus qu'une, j'arrive pas à réfléchir, trop mal, trop compliqué, j'aimerais lui demander où on est, qui il est, ce qu'il est, si il a trouvé Maman, et Qyu, si les pincettes sont gentils...
Pas le temps, tout va trop vite en ce moment, c'est pire qu'un cauchemar, je veux juste me réveiller contre Maman, que Qyu se moque de moi parce que j'aurais eu une gueule cheloue quand je dormais, mais non, je le sais, au fond, je pourrais me mordre jusqu'au sang que je ne me réveillerai pas, parce c'est pas un rêve tout simplement.

Je rebaisse les yeux, autant essayer, autant lui demander, quoique ce soit, que je soit sûre qu'il m'ai entendue, rien qu'un mot au moins...

-Pourquoi t'es... bleu...?

Question stupide, c'est le premier truc qui m'est venu à l'esprit, de toute ma vie, la seule chose que j'ai vu de bleu, c'est l'eau et les yeux de certains de mes camarades, mais pas de corps complet, jamais.

Qu'est ce qui m'est arrivé... Bonne question monsieur bleu, je ne sais pas non plus en fait, mis à part qu'on m'a balancé dans la mer et que Maman a sauté aussi, ça fait beaucoup mais c'est si peu, autant épargner ma gorge, ce n'est pas que je t'ignore, mais toi même tu trouve que j'ai mauvaise mine... Et c'est vrai.
Qu'est ce que je pourrais te dire, ça doit t'avoir traversé l'esprit que je viens de la mer, que j'ai pas vachement aimé, mais est-ce que tu sais où est ma mère au moins ?
On ne coule pas sans raison, mais elle a toujours nagé à la perfection, n'est-ce pas ?


Monsieur bleu sourit à ma question, c'est vrai qu'il est pas orange, mais bon, à questions idiotes réponses idiotes, ça doit être normal ici d'être bleu, c'est peut-être moi qui suis bizarre.

Je l'observe attraper une pincette rouge et immense, à côté de lui, les autres sont minuscules, pauvre pincette, M. Bleu le transperce avec ses crocs qui le tuent en faisant sortir un truc blanc gluant du rond qui faisait sa tête et son ventre à la fois, c'est des drôles de bestioles les pincettes quand même, mais M. Bleu n'y fait pas attention, il préfère lui ouvrir le ventre pour sortir ce qu'il y a à l'intérieur et le poser devant moi.
Je le regarde un petit moment, pour lui demander si c'est vraiment comestible, puis je l'attrape avec mes propres crocs et le mange difficilement même si c'est gluant, désolé petite pincette.
C'est pas très bon, mais M. Bleu me regarde alors j'avale quand même, n'empêche, je préfère le poisson.
D'abord ça fait mal à ma gorge, mais après ça la soulage,
Et en plus, je peux répondre à ses questions maintenant.

-C'est ma... mère qui m'a emmenée. Sur son dos.

J'avais hésité à dire Maman, mais je n'ai pas envie qu'il se moque de moi, lui, il parle bizarrement aussi, Papa disait "perpette" des fois, ça, ça allait encore, mais pour moi qui suis habituée aux paroles calmes de la tribu, c'est compliqué là.
Je suis sûre que les autres lui auraient déjà dit depuis longtemps de ne pas montrer le mauvais exemple aux petits et de parler correctement, ils étaient ennuyants des fois, je dois l'admettre, je suis un peu admirative de cet adulte qui parle bizarrement, les adultes ne laissent personne parler comme ça à la banquise, alors j'aime bien.

Je reprend espoir en entendant qu'il connaît le nom de mon espèce, peut-être que c'est pas loin, il a des ailes d'oiseau, il doit pouvoir faire le trajet, non ?

-Si ! C'est ça ! Tu les connais ? Ils sont pas loin ?

Le cauchemar n'est pas si terrible que ça au fond, une seule journée, rien du tout en fin de compte, ou peut-être deux journées, ou trois...
Mon enthousiasme disparaît quand je me rend compte qu'il m'a fallu plusieurs jours de nage pour en arriver là, poussée par le courant, et avec Maman qui sait super bien nager... Ça m'étonnerait qu'il connaisse le chemin.
Ce n'est pas un cauchemar puisque je ne suis pas seule, il y a M. Bleu, avec des ailes, mais est-ce qu'il sait voler ?

-Dis, t'es quoi ? Est-ce que tu sais voler ?

J'en profite pour demander son espèce, Maman et Papa ne m'ont jamais parlé d'animaux bleus, mais il me ressemble et il a des ailes, peut-être que c'est un manchot malformé.

Il paraît comprendre ce qui m'est arrivé mais il ne doit pas avoir vu Maman s'échouer sinon il m'en parlerait n'est-ce pas ? Ou il aurait une autre réaction au moins. On peut voir un panel d'émotion sur son visage c'est étonnant, il passe de souriant à songeur et perdu dans ses pensées, voir mélancolique, comme quand il dit que y'a pas Maman.
C'est pas faux mais je ne sais pas où elle est, ni si elle va bien, ni si elle a fini par retourner à la maison, ni si elle va rapporter Qyu ici, en fait je sais pas grand chose, je préfère demander à M. Bleu, il est mieux placé que moi pour savoir.

-Elle a coulé tout à l'heure, tu crois qu'elle va bien ou... bah... est-ce qu'elle est... morte ?

J'ai mal au cœur, ça me coupe dans ma phrase, ça arrive d'un coup, ça doit être un effet secondaire de la mer, je n'avais jamais ressenti ça, j'aimerais bien demander à M. Bleu mais je n'ai aucune idée de si il le sait, ça finira par partir, je suis fatiguée, c'est normal d'avoir mal, même au cœur je suppose.

M. Bleu trouve aussi qu'il sont loin, il ne leur a même jamais parlé, je m'y attendais, faut dire que c'est grand l'océan aussi, encore plus grand que trois orques mis en ligne. Et croyez moi, c'est super grand.
Je me met sur le ventre, ayant enfin la force de le faire mais pas sans efforts, et secoue la tête de droite à gauche à quelques centimètres du sol.

-Je pense pas, c'était long

Je repose ma tête sur le sol et regarde la mer, d'ici on ne voit ni la neige sur les pics rocheux, ni la banquise glaciale, juste l'horizon et quelques nuages.

M. Bleu, Skavelden du coup, m'explique fièrement qui il est, Papa m'avait déjà dit ce que c'était un loup, ça fait bizarre d'en voir un, "des êtres assoiffés de sang qui passent leur vie à tuer pour leurs meutes" qu'il m'avait dit, mais il est plutôt gentil M. Skavelden, étrange, mais gentil.

-Mais... C'est bleu un loup ? Et pis, comment c'est possible que la terre et la mer aient un enfant ? Et c'est qui Ceto ?

Je ne remarque pas tout de suite qu'il a dit qu'il est maudit, ce mot là c'est Maman qui me l'a expliqué "c'est ce qui sert à punir les criminels", c'est les méchants les criminels, non ? Donc, en toute logique, M. Skavelden... C'est pas quelqu'un de gentil... Je regarde la pincette qu'il a tué, et si c'était pas comestible ?

Je le regarde de nouveau, toujours aussi calmement, même si maintenant j'ai des doutes sur lui.

-Ah euh... Ammagaruqnik.

Je suis moins bavarde depuis que je sais qu'il a peut-être tué des gens, j'ai peur de lui demander, et s'il se rend compte qu'il a été démasqué ? Et si ça ne lui plaît pas ? Et s'il devient méchant après ?

Sa tête change encore d'expression, cette fois-ci, il a l'air gêné, triste, il sourit, mais je vois bien que le cœur n'y est pas, ça l'affecte même plus que moi, que Maman soit morte, mes maux de cœur et de tête reviennent, plus fort, alors j'essaie de me concentrer sur quelque chose de calme, de paisible, comme la mer, elle ne s'arrête pas, elle, elle continue de frapper la plage comme si de rien n'était, si Maman sortait de l'eau, si elle revenait, ce serait la fin de cet immense nœud de problèmes, j’espère que Papa a retrouvé Qyu, ça enlèverait déjà un problème pour lui.
De toute ma vie, je n'ai jamais autant eu à réfléchir, avant, mes seuls soucis étaient d'empêcher ma sœur de me piquer mon repas, elle savait qu'à chaque fois elle se ferait gronder par les parents, mais elle le faisait quand même, je pense qu'ici elle aurait été comme chez elle, c'est toujours elle qui allait voir les autres petits, les adultes aussi remarque, pour quand on faisait des bêtises, elle aurait juste fait un câlin à M.Skavelden et lui aurait dit de pas s’inquiéter, qu'elle allait trouver un moyen de retourner à la banquise, et elle aurait trouvé, je suis sûre, mais moi, je sais même pas si je veut  y retourner, y'a Papa, c'est sûr, il est gentil Papa, il me ferait tout plein de câlins, il s’inquiéterait comme jamais, mais y'a l'autre aussi, le tripatte, celui qui à balancé Qyu, il doit pas être bien dans sa tête lui, peut-être qu'il regrette maintenant, je m'en fiche, il est horrible.

Le gargouillement de ventre de M.Skavelden me sort de mes pensées, je lève les yeux vers lui et le regarde tuer une autre pincette, pour la manger, au moins ça doit être comestible, il irait pas s'empoisonner hein ? Il s'excuse, mais de quoi ? Il a comprit que je savait qu'il avait tué quelqu'un ? Aïe... c'est pas super pour moi ça.

Puis il continue de m'explique des choses, déjà c'est pas des pincettes, c'est des crabes, dommage, j'aimais bien pincette moi...
Et pis, ça se mange, c'est pas bon mais ça se mange, comme les oursins et les crevettes apparemment, j'ai déjà mangé des crevettes quand j'étais à la maison, c'était bon, mais les oursins, je connais que de nom, c'est Qyu qui m'avait dit qu'un de ses amis en avait trouvé sur des rochers, mais j'avais pas eu le temps d'aller les voir.

Et il m'explique encore, il explique beaucoup M.Skavelden, il me dit que les loups c'est pas que bleu, pui il me sort un tas de noms que je ne connais pas, c'est son gang, ça se trouve c'est une secte "fidèle de la grande Ceto" ça sonnait bien pour une secte ça, en plus il a dit qu'il connaissait une sorcière.

-C'est qui ?

Ça coûte rien de demander, sauf s'il décide de m'offrir en sacrifice, ouais, là ça coûterait quelque chose.
J'avais quand même remarqué qu'il avait été plus expressif en parlant de la dernière, vraiment plus. Elle doit être importante, il avait carrément bavé, bavé ! Oh non, pitié qu'il la mange pas, la pauvre, c'est horrible.

Mais apparemment nan, il allait manger personne sauf les pinc... non les crabes, il est pas non plus un mélange entre l'eau et la terre, moi aussi je suis une fille de la terre et de la mer du coup, puisque je suis née sur la banquise qui est posée sur la mer, et je vit en dehors, ça veut dire que je suis la fille de Papa, de Maman, de la Terre ET de la Mer ? Ça doit être compliqué de gérer tous les frères et sœurs, quoique Maman m'avait dit il y a longtemps que toute l’espèce était ma famille, qu'on était une famille-espèce, ça doit pas être bien différent.  
Ceto c'est bien une déesse par contre, peut-être que c'est grâce à elle que j'ai trouvé l'île, j'irai voir un jour.
Elle est gentille elle aussi, si elle avait assoupli la malédiction, je sais pas ce que ça veut dire mais M.Skavelden l'a dit comme si c'était bien et avec toutes les informations qu'il m'a donné, je ne veux pas rajouter une question en plus.
C'est déjà compliqué mais il ajoute que les loups qui vivent en dehors de l'île sont cruels et horribles, si tous ceux qui vivent ici sont comme M.Skavelden, alors c'est qu'il ne faut surtout pas que j'en parte.
Je hoche la tête quand il a fini, il n'a pas besoin d'en dire plus pour que le crois, la dernière personne qui m'avait attaquée sans aucune raison, c'est le tripatte, alors oui, ceux du "continent", comme il disait, devaient être horribles.

Il finit par raccourcir mon nom, il faut dire qu'il est long mon nom, Qyu aussi l'avait raccourci, "t'inquiète... Ça passe crème" qu'elle m'avait dit, le sien est beaucoup plus court, je crois que les parents en sont contents d'ailleurs, c'est toujours elle qu'ils doivent appeler parce-qu’elle court partout et fait des bêtises, en m'entraînant dedans aussi des fois. Elle est pas très crédible mais elle s'en fiche.
M.Ska aussi c'est plus simple à dire.

-D'accord

Quand il me propose un service, je sais mais alors pas DU TOUT quoi lui répondre, qu'est-ce qui là tout de suite peut être utile ? Et bah je sais pas, peut-être un endroit où rester, le temps que je décide de si je retourne ou pas à la banquise, je sais même pas si c'est possible, d'y retourner, ouais, ça fait déjà un beau service ça, mais il a pas dit que y'avait des limites.

-Est-ce que je peux rester sur l'île, au moins un petit moment, s'il te plaît ?

Je lui aurais bien demandé de me ramener à la maison, mais il sait pas voler et il sait pas où est-ce que c'est, et pis je veux pas voir le tripatte, et Papa bah je sais plus trop en fin de compte.

Je ne suis pas sûre de réussir à me rappeler de tout, ça fait beaucoup de monde en plus de tout ce que M.Ska a déjà dit, donc il y a son père, le poisson, M.Abysse, lui j'arrive à me rappeler de son nom puisqu'il est au début de la liste, ensuite il y a sa mère, pour elle c'est un peu plus compliqué, elle s'appelle Mme.Nade un truc comme ça, il donne d'autres informations sur elle mais je ne les retiens pas parce que je sais pas ce que ça veut dire, après il y a Mme.Sorcière, elle son nom j'ai pas eu le temps de le retenir.
Et en tout dernier, il y a Mavis, elle je m'en rappelle puisqu'à chaque fois il insiste sur son nom, donne plus de choses sur elle, comme là, où il dit qu'elle est super belle, il l'a déjà dit ça mais là y'a d'autres trucs en plus, que c'est une "sirène", qu'il l'aime mais que il sait pas si elle elle l'aime, la seule référence à l'amour qu'il y ait eu dans ma vie, c'est quand Maman disait qu'elle nous aimait, Qyu et moi, y'a qu'un seule fois où elle nous a expliqué que quand elle disait ça, elle voulait dire qu'on était toute sa vie et qu'elle serait prête à tout pour nous, au final elle l'a bien montré, mais elle avait jamais dit qu'on avait l'air d'idiots quand on aime quelqu'un, elle avait pas l'air idiote Maman quand elle disait ça. Elle avait jamais l'air idiote...

-Pourquoi tu lui demande pas si elle t'aime?

Bah ouais, c'est plus simple de demander quand même, ou de le dire comme Maman faisait.
Comme ça on est fixé et c'est rapide, je comprend pas non plus pourquoi il fait pas pareil quand elle est là et quand elle est pas là.
Peut-être que c'est ça la malédiction, avoir l'air bête quand on croise quelqu'un qu'on aime, y'a pire quand même.

Je vois pas ce qu'il y a de terrible à être adopté, je sais plus qui c'était qui m'avait dit qu'adopter quelqu'un, être aussi gentil que ses parents, c'est bien d'avoir des gens gentils à côté, non ?
Mais je sais pas si Mme.Sorcière sera d'accord, j'espère en tout cas.

-Tu crois qu'elle sera d'accord ?

Je redemanderais peut-être son nom à M.Ska avant, pour pas qu'elle croit que je me fout d'elle.

Je n'arrive pas à comprendre sa réaction quand il entend ma question, pourquoi est-ce que l'idée lui semble être si bizarre ? C'est gentil de dire qu'on aime une personne, enfin, je crois, alors pourquoi fallait-il être fou pour ne pas comprendre qu'il en ait peur ? Je suis à peu près sûre qu'il a peur, je penche la tête sur le côté, je ne vois vraiment pas où est le problème, deux trois mots et puis c'est bon, pour moi, ça revient à avoir peur de dire une phrase, une phrase gentille en plus...
Après avoir dit ça, M.Ska a l'air encore plus perdu, ou effrayé, ça revient au même, non ? Quoique moi, même si je suis un peu perdu, je ne vois pas l'intérêt d'avoir peur, Maman avait eu peur, quand j'avais été balancée, du coup elle avait fait quelque chose de pas intelligent, ça me paraît logique qu'avoir peur n'est pas intelligent, je ne sais pas si c'est à cause du lien entre la peur et la bêtise qui se crée dans ma tête, mais je n'ai pas envie de faire quelque chose de bête.

Il finit par se calmer, en tout cas il arrête de bouger. Il s'assoit juste, et repasse par un ton calme, moins surpris que tout à l'heure, mais je ne comprends pas de quoi il parle, je ne savais pas qu'il fallait être à un certain niveau pour aimer quelqu'un, ni qu'il y avait des niveau pour les gens d'ailleurs, je connaissais les niveaux en pêche ou en combat, mais pas un niveau pour les gens tout court.
C'est compliqué, mais je ne pense pas lui demander, je crois que ça aussi, pour lui, c'est normal, pas pour moi, ça doit être une coutume ici, je ne sais pas si le mieux c'est d'être bien jugé ou pas, M.Ska a pas l'air d'en être content...

Il sourit jusqu'à que je puisse voir ses dents, je le regarde sans comprendre avant qu'il ne me le dise, elle accepterait, peut être avec naïveté, mais je le crois, il doit mieux connaître "La Sorcière" que moi et avoir un deuxième Papa, comme il a dit, ne me semble pas non plus terrible, enfin, terrible, dans le sens que ça à l'air bien, mon premier Papa est gentil, M.Ska aussi alors je pense que ça irait, et puis, personne ne sait comment retourner à la maison, alors je crois que je suis coincée, peut être pas indéfiniment, mais je ne sais même pas ce que je ferais si je rentrais, parler avec M.Ska m'avait fait penser à autre chose, mais à un moment, il faudrait que j'y pense, mais pas tout de suite, là, il faut surtout que je me débrouille pour rester ici, même si c'est totalement différent de la banquise, y'a pas de glace ici, et il fait étonnamment chaud, j'essaie de me relever, sans grande énergie, j'ai mal aux pattes et même si mon mal de crâne est passé, la fatigue me force à me rassoir rapidement, la moitié de mon corps est sale, couvert de la poudre terne qui recouvre le sol, mais l'autre côté est sec, j'imite le sourire de M.Ska et répond:

-Je crois

Je parle calmement, incertaine du sens d'adopter, sans savoir le côté définitif du mot, pour moi, c'est surtout qu'il va s'occuper de moi un moment, pas forcément pendant longtemps, mais au moins un peu même si le fait qu'il me demande si je voulais un deuxième Papa avait soulevé quelques questions dans ma tête. Je le regarde calmement, me demandant ce qu'il allait faire maintenant.

J'accepte le câlin avec plaisir, il prend ses paroles au pied de la lettre, me faire prendre dans les pattes de quelqu'un me rappelle quand j'étais si petite que je tenais sur les pattes de mes parents, à cette époque, ils me prenaient serraient contre eux à chaque fois qu'ils allaient chasser, sans être sûr de revenir tellement les orques étaient déchaînés. Je profite de ce moment pour reposer ma tête sur le grand loup bleu, assez fatiguée pour ensuite me laisser faire quand il me redresse et me débarrasse du sable, ce qui n'est pas si mal, il a l'air si joyeux que je ne me voyais pas l'en empêcher.

Je hoche la tête, je n'oublierais pas la chaleur des ailes de mon père quand il me portait, ni sa voix grave quand il essayait de nous gronder sans qu'on ne le prenne au sérieux, dans ma tête resteraient gravés toutes ces choses qui sans être importantes, constituaient la majeure partie de ma vie et l'avaient modelée de creux ennuyants et de bosses rembourrées aux jeux.
Deuxième hochement de tête immédiat après le premier, je fais confiance à ce loup qui se dit mon nouveau père, il l'est et, même si sur le coup je ne pense qu'aux mauvais, aux cruels, je me dit qu'il saurait me protéger.

Je me dit ensuite que je suis devenue une superbe poète, avec tous ces mots classes qui me sont passés par la tête.

Je ne sais pas si c'est parce qu'il connaît bien ce qui se fait chez moi mais il me met sur son dos à la manière manchot, alors je pose ma tête sur un endroit de son dos pas trop chevelu à la manière manchot.
Il lève la tête, je suis trop fatigué pour coller ma truffe à la sienne, signe d'affection chez moi, car je ne sais ni si ça existe ici, ni ce qu'il essaye de faire, alors, aussi un peu par amusement je l'avoue, je lui tapote un coup la truffe avec ma patte, sans force, juste en remplacement.

-D'accord , que je dis comme si de rien n'était.