La curiosité, ce vilain défaut | LIBRE

Interloqué il fut à l’énonciation de son nom. Il n’était pas sans ignorer que Raison avait trouvé une famille, une vraie cette fois. Que le bon samaritain qui l’avait trouvé dans la neige de la grève alors qu’il n’était que louveteau, celui qui l’avait sauvé et conduit sur ces terres avait désormais des enfants biologiques et un compagnon qu’il semblait aimer. Mais s’il ne pouvait l’ignorer fréquentant toujours à l’occasion le dit sauveur. Il devait le reconnaître, il ne s’était jamais intéressé à cette fratrie. Tout comme il ne s’était jamais résolu à appeler Raison « père ». Ce que le loup rayé de rose avait accepté comprenant qu’il était libre de faire ses propres choix et même s’il l’avait toujours traités comme un fil, il comprenait aussi qu’une vraie famille existait encore ailleurs, quelque part.

Longtemps, il avait conservé cette pointe de naïveté qui le poussait à espérer qu’un jour, Méandre reviendrait le chercher. Mais il avait fini par renoncer à cette idée saugrenue selon laquelle il serait toujours recherché par quelqu’un de sa famille. Certainement avait-il été considéré comme mort ou disparu à tout jamais. Peut-être que comme lui, ils avaient cru que c’était de son propre choix qu’il était parti ou qu’il n’avait pas cherché à les retrouver, une idée qui n’était pas tout à fait fausse à vrai dire. Lorsque ces pensées et ces souvenirs poussiéreux traversèrent son esprit, un halo de tristesse traversa son regard glacé.

Je n’ai pas peur de ce lieu… Je respecte les êtres qui y vivent… Je sais me faire discret…

Nombreuses étaient les histoires qui étaient parvenues jusqu’à ses oreilles, des histoires d’araignées géantes, de fantômes, de tableaux entiers, des histoires qui auraient pu sembler saugrenues pour ceux qui ne côtoyaient pas l’étrange constamment mais pas pour lui bercé par la magie, hanté par des arts lugubres qui bien qu’il y ait renoncé, semblaient ne pas avoir renoncé à lui. Quoi de pire que son dernier cauchemar. Il avança calmement, continuant sa route, la laissant le tourmenter si elle le souhaitait.

À l’évocation de sa couleur verte qu’il voyait se refléter contre les murs décrépis du manoir, il s’immobilise un instant. Pourquoi toujours cette surprise, n’était-il pas libre de prendre ses propres décisions. Était-ce si surprenant de n’avoir eu d’intérêt que pour les valeurs du Dieu vert ? Avoir désiré faire parti des siens, porter sa couleur et défendre ses idées par l’esprit. Soupire, il finit toute fois par ouvrir légèrement la gueule afin de lui apporter quelques explications.

Je ne me reconnaissait pas dans les valeurs de Yurai.

Il n’avait aucun doute, c’était sa couleur qu’il portait, celle qui lui correspondait au mieux. Bien trop fermé, bien trop indépendant, bien trop arrêté sur ses idéaux. Il ne pouvait imager la patience et la droiture que Yurai incarnait. Il continue sa route alors, avance un peu et tombe sur un outil tranchant, une faux. La saisissant entre ses crocs, il l'emporte avec lui, la glissant dans sa ceinture de cuir.

Bruyante et agitée, c’est ainsi qu’il l’aurait décrire si on lui avait demander ce qu’il pensait de la jeune louve. Une enfant par delà les apparences, qui venait lui vriller les oreilles avec sa curiosité et son avalanche de questions. Mais il ne voyait aucune objection à lui apporter les réponses qu’elle cherchait, se contentant de décrire les faits tels qu’il les connaissait. Il est vrai qu’il aurait pu aller vers la simplicité, accepter l’amour inconditionnel de Yurai envers ses disciples, se rendre à son temps et devenir l’un des siens en oubliant la combativité que son esprit avait développe face aux idéologies. Mais il avait préféré garder cette liberté, si l’intellect faisait partie de ses qualités, il avait surtout à cœur de rétablir la vérité, non pas pour la justice, mais pour elle-même. Pour jouer d’idées justes, de pensées vraies. Lorsqu’elle évoqua son air froid et renfrogné,  il se contenta de rehausser les épaules. Ça n’avait aucune forme d’importance. Et il ne se sentait pas offusqué que les autres loups se montrent curieux à la vue de la couleur verte qu’il portait dans son plumage. Il était simplement surpris que la plupart s’interroge à ce sujet comme si son choix avait un quelconque intérêt pour les autres. Curiosité maladive. Mais il devait  le reconnaître. Les choix qui avaient été les siens, n’étaient  pas ceux de n’importe qui.


Il comprenait ou pensait comprendre pourquoi Mido éprouvait encore tant de rancune envers les loups. Se demandant si lui en aurait fait de même, s’il se serait montré rancunier après avoir été bafoué. Il n’avait de réponse, il n’était pas un dieu, il n’avait pas cette responsabilité et pouvait s’en estimer heureux. Tout ce qu’il lui restait c’était l’espoir, l’espoir de parvenir par ses multiples efforts à apaiser l’esprit du Dieu vert et lui redonner pleine confiance en ses disciples. Sans garantie.  

Et toi, qu'est ce qui t'as amené à devenir disciple de la couleur violette ? pourquoi portes-tu la couleur de la corneille ?


Il continue d'avancer sous les fenêtres qui fragmentent la lumière sur son pelage.
Un tissu rapiécé, qu’il glisse dans sa besace, peut-être pourrait-il servir plus tard.