Une bouteille à la mer ○ libre

• 4 ans •
F A E I

Un feu de camp crépitant, des ombres dansantes et la silhouette d'une petite louve trapue formait une drôle de scène sur la plage. Les ténèbres semblaient vouloir croquer la fragile femelle tandis que les flammes rougeoyantes tentait de la préserver en repoussant l'assaillant. On aurait pas pu avoir plus tort. La réalité était un peu différente, car en vérité, la noirceur de la sorcière était celle prête à dévorer le monde. Dans ses prunelles couleur sang pétillait la malice du forban. Qui donc savait ce qu'elle préparait, assise là à observer l'élément le plus sauvage et destructeur être réduit à l'espace qu'elle lui avait alloué. dans son cercle de pierre. Un sourire énigmatique étirait ses traits éclairés par le bas. Oui. Une bien drôle de scène. Lorsque la lune fût à son degré le plus haut, Ann bougea enfin. De son sac elle sortit divers objets, des petites bouteilles de verres colorées, des pierres semi-précieuses probablement dégotées dans l'épave, des bouquets de plantes séchées préparés, des petits pots remplis de pétales de fleurs, de sel de mer ou encore de miel, puis un carnet rempli a craquer de feuilles volantes -tiens, il lui en faudrait bientôt un nouveau-, des épices odorantes et de l'encens discrètement empruntés à la Bibliothèque. De tous ces ingrédients, elle fit deux tas bien distinctes.

Puis elle commença son premier charme de la nuit. Celui qui serait utile à tous, celui qui n'était pas à visée purement personnel. Elle prit entre ses pattes l'une des petites bouteilles vides. Celle en forme de ballon, avec un goulot court et étroit et d'un beau vert clair rappelant celui de la végétation de printemps. Elle aimait particulièrement ce récipient, c'est pour ça qu'il serait la base de son sort. De plus, le bouchon était en liège et s'emboitait à la perfection, si bien qu'une fois fermée, la bouteille serait scellée. La noiraude rapprocha le sel marin, la pierre parfaitement lisse et noire d'encre -de l'obsidienne si elle supposait bien-, ses brins de sauge, un bâton de cannelle joliment enroulé sur lui même et enfin elle alla récupérer un peu de l'eau sacrée de l'Océan dans une demie noix de coco vidée et revint s'asseoir prêt de tout son fatras. Ces quelques gouttes d'eau seraient les représentantes de l'Entité vénérée qu'Ann considérait comme leur protecteur. Elle alluma l'encens avec son feu de camp calmé petit à petit par le peu de bois à grignoter qui lui restait. Elle passa l'encens au travers de tous les éléments de son rituel, bouteille inclue. De belles volutes s'enroulèrent dans l'air avant de dissiper sans un bruit.

A chaque geste avec l'encens, elle chuchota d'une voix lente et douce à l'intention de chaque ingrédient :

« Moi, Ann Revenge, Maitresse des Rituels de l'Océan, vous purifie de toute énergie négative que vous pourriez contenir. Je vous programme pour servir de protection à tout instant. Eliminez les personnes, les situations et les énergies qui veulent du mal aux Raeder et à Navire.
Merci, parce que c'est déjà fait. »

La sorcière plaça ensuite le sel au fond de la bouteille, puis les brindilles de sauge séchée, le cristal d'obsidienne et enfin, elle laissa tomber quelques gouttes d'Océan à l'intérieur du goulot, au nombre exact de vingt et une. Une pour chacun des pirates de sa tribu : Limule la Capitaine et sa fille Emilitia, Abysse le Second, Barthélémy, Mavis et Mary son frère et ses soeurs, Skavelden son ami d'enfance, Kéran son oncle, Makuro, Aritaimai et Eros ses neveux, Naïade, Chimaera, Calyspo et Luidia la famille du Second, Ammagaruqnik et Orthalice, et enfin, elle même. Plus une pour Navire, et une pour penser à Ecume et Cimerii, deux fils Raeder rappelés par l'Océan trop tôt au goût de la noiraude. Ann prit une seconde, les paupières fermées, pour se remémorer l'image des deux louveteaux. Elle ferma ensuite la bouteille aussi hermétiquement que possible, enroulant serré un très fin cordage autour du cou de verre et du bouchon. Afin de terminer le charme de protection et renforcer son œuvre, elle fit couler l'encens autour de ce fétiche de pirate et se délecta des arabesques de fumée. Avec les dessins s'effilochant dans l'air, la louve blonde souffla tous l'air de ses poumons longuement. Jusqu'à ce que sa poitrine se serre et la brûle de vide. Alors seulement elle inspira à nouveau et ouvrit ses orbes sur son talisman.

Puis elle rangea avec grand soin la bouteille magique de protection, qu'elle irait placer au petit matin à l'intérieur de Navire pour se consacrer pleinement à son second objet de la nuit : la magie au service de son intérêt personnel. Une potion censée lui offrir ce qu'elle désirait ardemment : l'attention du mâle pour qui tambourinait son cœur chaque jour. Une boisson destinée à attirer les énergies positives pour elle. Selon le carnet découvert à la Bibliothèque quelques temps plus tôt, les résultats pouvaient être puissants et évidents, tant que le libre arbitre de l’autre personne n’était pas perturbé. Or jamais Ann ne voudrait influencer les choix du loup abyssal autrement qu'en se rendant plus attrayante et tendre pour lui. Sinon ce ne serait pas du vrai amour, et elle ne voulait pas se complaire dans un mensonge. Elle voulait qu'Abysse l'aime pour ce qu'elle était, non pour un écran de fumée. Elle voulait juste pousser un peu la chance de son côté. Dans un petit sourire, elle attrapa les éléments du second charme : romarin, thé noir, menthe, pétales de rose, lavande, miel et enfin de l'eau. Ann leva la truffe vers le quartier de lune du quatrième jour du cycle croissant, comme pour s'imprégner du pouvoir de l'astre.

Puis elle plaça une pincée du romarin avec le thé, trois feuilles fraîche de menthe, six pétales de rose, un brin de lavande émietté, une dose de miel à l'aide d'un petit bol, et trois, avec le même petit contenant, d'eau du grand et puissant Océan dans une coupelle de métal assez profonde qu'elle posa sur les braises encore rouge du feu. A côté, elle posa quelques branchages pour redonner un peu de vivacité aux flammes et accéléra la chauffe de son infusion aux vertues magique. Elle compta trois cris d'oiseau de nuit et sortie sa préparation pour la laisser reposer dans le sable froid. Une fois a température correcte pour pouvoir avaler son thé, Ann se servit une tasse et récita :

« Cette potion va rendre Abysse amoureux de moi. »

Elle prit une première gorgée et continua :

« Dieux d'amour de toute engeance et de tous horizons, entendez mon appel, et rendez Abysse amoureux de moi. Qu'il en soit ainsi ! »

Elle vida d'une traite le reste de sa tasse, se brûlant presque la gorge au passage de la tisane mystique. Puis elle alla vérifier dans ses griffonnages, dans combien de temps il lui faudrait faire boire à l'élu de son cœur le même breuvage. Trois nuits plus tard. Très bien. Elle avait presque tout ce qu'il fallait pour un deuxième thé. Il ne manquait que la menthe, mais ce ne serait pas difficile d'en rechercher. Ils en avaient une belle réserve pour les Rhums arrangés sur Morne-Oeil. Satisfaite de sa nuit de rituels, la femelle s'allongea prêt du feu ravivé et observa les toutes premières lueurs de l'aube apparaître par delà la ligne d'horizon. La nuit avait été productive et chargée en énergie. Maintenant, la noiraude était fatiguée, et elle sentit ses paupières devenir lourdes assez rapidement dans la quiétude du jour naissant.